| ------Pour les pieds-noirs, 
        et à la frange, pour beaucoup de musulmans, le coup de Trafalgar 
        de la Toussaint rouge tomba vite à plat. Il y avait des morts, 
        des dégâts, bien sûr. Mais quoi ! ce n'était 
        pas la première fois que ces choses-là arrivaient. On évoqua 
        Sétif, en 1945------- Il a suffi à l'armée 
        de montrer les dents !
 ------Remontant plus loin dans les souvenirs 
        de vêpres algériennes, on évoqua la révolte 
        de Margueritte, en 1901. Déjà, une institutrice avait été 
        tuée
 ------- Depuis le temps, tout ça est 
        bien fini...
 ------Remontant encore plus loin, on commenta 
        la révolte des Kabyles, en 1871, et les soulèvements saisonniers 
        de l'Aurès, pour finalement conclure
 ------- Dans ces coins-là, il y a 
        toujours eu des bandits !
 La franc-maconnerie 
        des piscines ------Quant à 
        la Mitidja, il était reconnu que " déjà, les 
        Hadjoutes, au temps de la conquête "... Bref, chacun se retourna, 
        et se rendormit sur ces belles certitudes. A la vérité, 
        en cet automne de 1954, le fait marquant avait été le tremblement 
        de terre d'Orléansville - dont la liste . des morts s'arrêta 
        à 800, avec des douars complètement engloutis, comme celui 
        des Beni Rached -, beaucoup plus bouleversant que les pétards, 
        les torches et les rafales lâchées par une " poigned'excités ". Et puis il y avait la France, si le pire se produisait
 ------- Elle ne nous laissera pas tomber. 
        On l'a laissée tomber, nous, en 1940 ?
 ------Pour la majorité des gens, la 
        guérilla, dans l'Aurès, avait beaucoup moins d'impact, alors, 
        qu'un meurtre à grand tapage dans le Dauphiné. Etrangement, 
        les pieds-noirs ne connaissaient de l'Algérie que leur ferme, leur 
        village, la cité la plus proche, les villes sahariennes, pour le 
        tourisme de Pâques, et les plages, en été. Quand un 
        Algérois se rendait à Oran ou à Constantine, c'est 
        qu'il y avait de la famille. Bref, il ne regardait ni à droite 
        ni à gauche. Plutôt au nord et au sud. Il fallut des années 
        pour qu'il réalisât la rébellion dans son ensemble, 
        et replaçât ce drame dans son contexte national. Au départ, 
        donc, en 1955, rien ne modifia la vie quotidienne en Algérie.A 
        l'ombre d'une terrible menace, chacun poursuivit son train-train. Un laborieux 
        mais savoureux train-train.
 
 
         
          | --- 
            Le" Club des Pins ", avec ses immenses dunes et kilomètres 
            de plage était une station très " fermée 
            ", que les dirigeants de l'Algérie annexeront en 1962, 
            pour en faire... une station très " fermée ". |  
         
          | Le Yacht-Club d'Alger. Comme le R.U.A. (Racing Universitaire 
            Algérois), le Yacht-Club est une piscine en pleine mer, la 
            plus snob d'Alger. En 1971, Yacef Saadi était le président 
            du club. |  -----Les villes 
        étaient actives, les villages gais, les bleds soumis au rythme 
        des travaux, aux récoltes, aux vendanges.-----A Alger, dès le mois d'avril, 
        on prenait ses quartiers d'été. Ce qui frappait beaucoup 
        d'étrangers, c'était d'abord une impression de vacances. 
        Cela tenait au rayonnement du ciel, à la splendeur de la mer, à 
        l'explosion des jardins, au rutilement des marchés et au comportement 
        des Algérois. Ils allaient travailler avec leurs affaires de bain 
        dans l'auto et, sortant du bureau ou du chantier, " descendaient 
        à la mer ". En fait, on travaillait à Alger autant 
        qu'ailleurs, mais la journée commençait à 8 heures 
        et s'achevait à 7 heures du soir, avec une interruption-baignade 
        de deux heures, trop courte pour aller à la plage. En semaine, 
        on se baignait au large des môles du port, sur les blocs des jetées, 
        en des points aménagés en piscines, dont chacune avait son 
        caractère, ses " fans " et sa vie propre. Voilà 
        qui créait des franc- maçonneries estivales. On était 
        du Yacht-Club, du Rowing, du R.U.A. ou d'El-Kettani. Expliquons : le Yacht-Club, 
        c'était le fin du fin. Le rendez-vous plutôt snob - noblesse 
        oblige -de ceux qui possédaient un yacht ou, à défaut 
        de yacht, une situation huppée, un sens aigu de son " milieu 
        ", de sa " caste ", bref, ceux du Yacht-Club ne frayaient 
        pas. Le Rowing était un sous-Yacht-Club. A mi-chemin entre le Yacht-Club 
        et le R.U.A. Le R.U.A. ? Ah ! le R.U.A. ! C'était le royaume d'été 
        de toute la jeunesse. Racing Universitaire Algérois. La beauté 
        des filles était à se pâmer.
 
         
          | -----Une vespa, 
              dans une rue éclaboussée de soleil, c'était, 
              jusqu'à la fin de l'année 1955, une image classique 
              d'Alger. Dans ces rues-là, bientôt, et jusqu'à 
              la fin de la guerre d'Algérie, le sang coulera. Souvent, 
              les bombes seront glissées dans les sacoches et réglées 
              pour exploser à l'heure voulue.-----Le R.U.A. (Racing UniversitaireAlgérois), 
              haut lieu des étés algérois. C'était 
              la piscine des étudiants, des sportifs, des pieds-noirs. 
              Certains bateaux énormes qui entraient au port ou en sortaient, 
              glissaient le long des murs bas de la piscine, comme au théâtre. 
              Maints " fanatiques " du R.U.A. y passaient leur mois 
              de vacances.
 -----La Madrague. Si les habitués 
              du Yacht-Club allaient à la plage au " Club des Pins 
              ", ceux du R.U.A. choisissaient
 la Madrague, où la fête était permanente. On 
              y vendait des brochettes et de la barbe-à-papa; les filles 
              y étaient splendides. On disait à Alger : " Un 
              dimanche à la Madrague
 et mourir... "
 |  Ce pied-noir pensait 
        en anglais  -----A 
        la vérité, les gars ne se pâmaient pas. Ils poussaient 
        leurs avantages dans une joyeuse exubérance, passant du flirt au 
        volley-ball et aux plongeons. Si ceux du Yacht-Club et du Rowing passaient 
        leurs soirées à la terrasse du Saint-George, ou dans les 
        somptueuses villas des hauts de la ville, ceux du R.U.A. envahissaient 
        l'Otomatic ou les bistrots folkloriques de Bal-et-Oued. La faune du R.U.A. 
        ? Des étudiants, des professeurs (mais jeunes), des médecins 
        (mais jeunes), des avocats (mais jeunes), des journalistes... Tout ça 
        se répandait autour d'une piscine d'un bleu éblouissant, 
        dominée par une série de gradins, d'où on suivait 
        les championnats de natation, ou de water-polo quand il y en avait, et 
        où on s'étendait au soleil, les jours sans compétition. 
        Au-delà de la piscine, tout un complexe d'escaliers et de passerelles 
        menait aux blocs. D'énormes blocs en ciment, qui semblaient avoir 
        été jetés là, en désordre, par une 
        main gigantesque. La mer léchait les blocs, avec des fonds de six 
        à sept mètres. Les filles s'y rôtissaient et les garçons 
        plongeaient avec le plus de brutalité possible, afin que l'eau 
        rejaillît sur ces sirènes...-----Le R.U.A. était le domaine du 
        rire, des farces, des amours d'été. Citoyens du R.U.A., 
        peuple gorgé de sel et de soleil, affamé de vie et de plaisirs 
        peu compliqués ! Avant de " remonter " en ville, les 
        " ruaïstes " déjeunaient là. Sur une petite 
        terrasse, en plein vent et en plein soleil, où ils prolongeaient 
        le " bronzing " (terme consacré, signifiant bain de soleil), 
        en avalant d'énormes assiettes de spaghetti, de couscous, précédées 
        de la rituelle salade algérienne et largement arrosées de 
        vin rosé. Des personnages dominaient le R.U.A. Faglin, l'entraîneur, 
        intraitable sur les " temps " ; Jean Voilley, Algérois 
        d'adoption, héritier d'une des plus grosses fortunes de Constantine, 
        mais qui avait choisi de vivre à sa guise, délaissant les 
        domaines paternels pour une agrégation d'anglais. Il passait ses 
        étés au R.U.A., dans un vieux short, une chemise achetée 
        aux surplus de la VIIIe armée, les pieds nus et la mèche 
        en bataille. Il jouait au volley-ball avec les mêmes étudiants 
        qui allaient suivre ses cours, deux heures plus tard, à la fac. 
        Ce Voilley-là avait aboli depuis belle lurette le cours magistral 
        et l'ère des mandarins. Etrangement, cet authentique pied-noir 
        pensait en anglais, et si certains de ses camarades du R.U.A. " parlaient 
        arabe comme une mosquée ", lui, il pratiquait la langue
 de Shakespeare " comme l'abbaye de Westminster ".
 
 -----Suivons le rivage algérois jusqu'à El-Kettani, 
        au seuil de Bab-el-Oued. La piscine des officiers. Superbe, mais un peu 
        guindée. Ces dames refaisaient salon au pied du plongeoir, on réclamait 
        une carte à l'entrée, et les jeunes pieds-noirs, quand ils 
        s'y rendaient sur invitation, s'y sentaient vite dépaysés.
 Fort-de-l'Eau, la Mecque 
        des brochettes  -----Après 
        venait Nelson. (Nelson, qu'on prononçait comme Nino Ferrer prononce 
        téléfon.) C'était la plage de la famille Hernandez, 
        avec la couleur, le verbe, les paniers pleins de victuailles, les cris 
        terrifiés des mammas, quand leurs gosses nageaient trop loin : 
        ------ Norbert, si tu te noies, je te tue 
        !
 -----On allait à Nelson pour rire. 
        Cinéma permanent. Sous un soleil radieux, un drame en épisodes, 
        car les gens de Babel-Oued, si merveilleusement portés au rire, 
        avaient l'art de vous monter une tragédie, avec un peu de houle 
        et un baigneur défaillant
 ------ Y va mourir, je vous dis ! Y va mourir, 
        il est tout bleu !
 ------ Y z'auraient pas pu mettre le drapeau 
        noir ? C'est une honte !
 ------ Regardez comme il a l'air mort ! Sa 
        mère, la pauvre !...
 -----En fait, ce triton n'était pas 
        bleu du tout, et s'il s'était étendu sur la plage, c'était 
        pour reprendre souffle. Quand il se relevait, la joie de la plage était 
        à la mesure de la peur (pas tout à fait vraie) que l'incident 
        venait de provoquer
 ------ Eh bien, vous savez, j'en ai la chair 
        de poule !
 - ----- Prenez un peu de menthe Ricqlès, 
        avec un sucre, ça réchauffe...
 
 |  | 
        -----Et Padovani 
          ? Cette grande baraque en planches, dominant un ruban de plage, à 
          Bab-el-Oued toujours. Le " Dancing Padovani ", c'était 
          le rendez-vous un peu trouble, où l'on dansait " serrés 
          ", dans le crépuscule, après un bain très 
          court.-----Les plages ! C'était, dès 
          le dimanche matin, le grand exode vers les plages. On y allait en auto, 
          en bus, à Vespa, à vélo, en stop. Comme pour les 
          piscines, chacune avait son style, son standing, sa faune. Le Yacht-Club 
          et le Rowing se transportaient au Club des Pins ou à Moretti, 
          des kilomètres de sable blanc, ourlés de dunes, plantés 
          de pins. On se baignait devant sa propre villa. Le R.U.A. 
          émigrait vers la Madrague. Une foire. Bizarrement, après 
          l'Indochine, la Madrague accueillit un restaurant vietnamien, à 
          l'enseigne de " la Baie d'Along ". Son succès n'eut 
          qu'un temps. Très vite, les riverains retournèrent à 
          leurs brochettes.
 -----Mais le paradis des brochettes c'était 
            
           Fort-de-l'Eau. A l'ouest d'Alger, 
          un village de pêcheurs mahonnais, qui était à la 
          charcuterie et aux brochettes ce que Montélimar est au nougat. 
          Une Mecque. Les terrasses des bistrots s'alignaient, l'une après 
          l'autre, le long de l'immense rue principale, où le vent de la 
          mer agitait les palmiers. L'odeur des brochettes et des merguez venait 
          audevant des amateurs dès l'entrée du village. Rituelle, 
          la halte du dimanche soir, en rentrant des plages de l'ouest, Surcouf, 
          Jean-Bart, petites stations ravissantes, parties de villages de pêcheurs, 
          installées dans des criques très déchiquetées, 
          pleines de jardins, d'ombre, et dont la fête, chaque année, 
          drainait tous les estivants du rivage, de la côte est à 
          la côte ouest.
 Ils avaient créé tous 
          les villages  -----Ces 
        étés-là duraient de la mi-printemps à la mi-automne. 
        Près de six mois. Ils ne variaient pas et, quand le F.L.N. commença 
        d'attaquer les plages, les habitudes de l'été l'emportèrent 
        sur le danger. -----A aucun moment, les pieds-noirs ne sacrifièrent 
        leurs joies dominicales le long des rivages. Ni les dîners à 
        Bab-el-Oued, en semaine, après leur travail. Vers 19 heures, la 
        jeunesse du centre de la ville se retrouvait à la terrasse des 
        quatre bistrots du quartier des facultés : le " Bar des Facs 
        ", l' " Otomatic ", le " Coq Hardi ", la " 
        Cafeteria ". C'étaient les points de rencontre. Le point de 
        départ de soirées qui se prolongeaient, un peu comme en 
        Espagne. Le temps béni, quoi !
 -----Et le bled, pendant ce temps?... En 
        1955, exception faite pour le Constantinois, la rébellion n'y était 
        qu'un mot. Dans les villages, il n'y eut aucune rupture entre les musulmans 
        et les Européens.Les colons mirent un certain temps à moissonner 
        le fusil à l'épaule.
 -----Et les ouvriers mirent un certain temps, 
        eux aussi, à déserter leur travail pour rejoindre les maquis.
 -----Dans le bled, des liens plus étroits 
        entre les deux communautés faisaient que les Européens vivaient 
        au rythme de leurs coutumes et de celles des Arabes, et que les Arabes 
        vivaient au rythme des leurs et de celles des Français. Un village 
        de colons, en Algérie - et tous les villages d'Algérie furent 
        créés par eux, c'est-à-dire qu'ils s'installèrent 
        sur une terre nue, alors qu'en Tunisie ou au Maroc, souvent, ils le firent 
        dans des centres déjà créés par les musulmans 
        -, donc, un village de colons, c'était une place, avec l'église, 
        la mairie, l'école et le marché. Autour, les maisons des 
        premiers arrivants. Autour encore, celles des derniers arrivants : les 
        musulmans, venus peu à peu pour travailler et vivre au contact 
        des colons. Parmi ces musulmans, les commerçants remontés 
        du Mzab, épiciers ou marchands de tissus, et des Kabyles entreprenants, 
        tenant généralement les cafés maures, le commerce 
        des céréales, le bain maure. Une vie remarquablement paisible. 
        En fait, la plupart des colons vivaient hors du village, dans des fermes 
        dispersées à travers la plaine, îlots de murs blancs 
        et d'eucalyptus, elles-mêmes attirant autour de leur enceinte les 
        gens des douars, dans leurs mechtas, qui sont des groupes d'habitations 
        arabes très rudimentaires, faites de murs de torchis et de toits 
        en diss, une herbe longue qui ressemble à l'alfa. Ces gens des 
        mechtas, travaillaient en général chez le colon. Avec le 
        temps, et passé les difficultés matérielles des premières 
        années de colonisation, les colons prospères logeaient leurs 
        ouvriers dans de petites cités proches de leur ferme. Dans certains 
        grands domaines, un dispensaire et une école étaient bâtis 
        pour le personnel.
 Le commerçant 
        vivait son heure faste -----Le 
        village vivait du colonat. Banques, commerce, firmes de machines agricoles, 
        organismes stockeurs de céréales, commerces d'alimentation, 
        de meubles, de linge, charrons, plombiers, tiraient leur prospérité 
        de celle des colons. Restaient les fonctionnaires. La vie quotidienne 
        du village finissait par suivre, dans ses espoirs ou ses inquiétudes, 
        celle des fermes. Quand la récolte était mauvaise, chacun 
        en pâtissait ; quand elle était bonne, les colons ne lésinant 
        pas sur les dépenses, toute l'économie du centre reprenait 
        souffle. Dès le mois de mars, le village se tournait vers les champs, 
        surveillant la levée du blé. De mai à juillet, c'était 
        la fièvre des moissons, des expéditions, le roulement continu 
        des camions transportant les récoltes dans les docks-silos des 
        gares, dans les coopératives. C'est à cette époque 
        que le commerce vivait son heure faste. Le colon changeait son auto, réapprovisionnait 
        sa ferme, depuis les armoires à linge, la garde-robe et les buffets 
        à vaisselle et à provisions jusqu'aux réserves de 
        carburants, aux garages de machines. Mi-pionniers, mi-provinciaux. -----En 
        fait, il " claquait " allégrement les gains d'une année 
        de travail, pour le plaisir de vivre largement. Les vastes horizons donnant 
        de vastes appétits. En cela, le colon pied-noir était infiniment 
        plus proche du fermier du Middle West que de celui de la Beauce. Il concevait 
        mal de passer ses vacances en France sans une voiture neuve, sans avoir 
        retenu ses chambres dans un hôtel d'excellente catégorie 
        et sans avoir choisi un copieux programme de réjouissances. C'était 
        peut-être, c'était sans doute, ce qui donnera du colon pied-noir, 
        une image de marque assez éloignée de la réalité. 
        Le cas était courant de colons moyens s'offrant en métropole 
        un mois de repos de millionnaires, avec des pourboires américains, 
        puis, à leur retour, en septembre, venant frapper à la porte 
        du directeur de la caisse agricole, pour un emprunt sans lequel il leur 
        eût été pratiquement impossible de démarrer 
        les labours. C'est dire à quel point il regardait le ciel, dès 
        février, attendant " la pluie du Seigneur ".-----La vie quotidienne d'un village avait 
        ceci d'original qu'on y menait une vie de pionnier et de provincial.
 -----La sortie de la messe, chaque dimanche 
        matin, n'avait rien à envier à Romorantin. Paroissiens compassés, 
        accompagnés de ces dames en toilette, le cou tanné pris 
        dans un col éblouissant, le costume strict, le chapeau à 
        la main. L'itinéraire ne variait pas : de l'église à 
        la pâtisserie, pour le dessert dominical, après le gigot. 
        Et, de la pâtisserie, on se rendait, en famille, au café 
        huppé du village.
 C'était la bourseaux 
        nouvelles -----Le 
        dimanche après-midi, toujours en procession, on allait au cinéma. 
        Et quand il y avait une fille en âge de tournoyer, toute la famille 
        restait à la " sauterie ", dans cette même salle 
        de cinéma où, à la hâte, on dégageait 
        une piste.-----Invariables dimanches. Invariables lundis, 
        qui rendaient au village des colons en pataugas crottés et en chemises 
        à carreaux largement ouvertes sur la poitrine, un vieux feutre 
        vissé sur la tête. Le nombre d'hectares n'avait rien à 
        voir avec la mise. La silhouette standard du colon d'Algérie ? 
        Les pataugas, de vieilles fringues, des manches retroussées et 
        une liberté d'allure plus cordiale qu'insolente. Avec ça, 
        le verbe haut, le rire prompt, le goût de l'anisette autour d'un 
        comptoir, une fois les affaires courantes expédiées. Là, 
        des palabres qui duraient des heures, auxquels participaient les Arabes 
        du coin, que l'alcool n'a jamais rebutés.
 -----On ne disait pas " le bistrot ", 
        mais " le café ". Le café, c'était la bourse 
        aux nouvelles, la foire aux cancans et, avec le temps, le lieu des commentaires 
        politiques à n'en plus finir.
 -----Le temps des anisettes, les femmes attendaient, 
        dans les fermes, l'oeil sur le " carillon Westminster ". Le 
        " carillon Westminster ", une vraie folie, dans le bled. Ces 
        horloges sonnant anglais, on en trouvait dans toute maison bien installée. 
        C'était même un des premiers signes de la prospérité. 
        Les Arabes nantis s'y étaient mis aussi.
 -----Il semblait, en 1955, que rien ne pût 
        jamais changer. Et que chez les uns et les autres, les " carillons 
        Westminster " continuassent à sonner la même heure. 
        On sait ce qu'il en advint.
 Marie ELBE
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