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DE L' ARRONDISSEMENT DE GRASSE EN ALGERIELA CREATION DES CENTRES DE CHERAGAS 
(1842) ET D'AÏN SULTAN (1853) par Alain SAINTE-MARIE
 Alain 
Sainte-Marie, assistant-chercheur de l'Université de Nice, est secrétaire 
général du Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine 
et se spécialise dans l'étude du Maghreb contemporain. Il prépare 
une thèse d'Etat sur la société rurale algérienne 
à la fin du XIXe et au début du XXe siècles.
 Grâce 
au présent article, Alain Sainte-Marie complète une étude 
que, dans un récent numéro de Recherches Régionales, il avait 
consacrée à l'émigration des Méridionaux vers l'Algérie. 
Il souligne les conditions juridiques, économiques et sociales de la transplantation; 
il évoque le rôle des recruteurs entreprenants oui bénéficiaient 
de la confiance de l'administration et restaient les guides des nouveaux colons. 
Enfin, l'article amène le lecteur à se poser des questions sur l'aspect 
humain du problème: quels furent les sentiments des Grassois, avant leur 
départ et après leur arrivée? Quels liens, affectifs ou matériels, 
conservèrent-ils avec leur pays natal? Ces populations humbles n'ont guère 
laissé de traces écrites permettant d'analyser leurs réactions. 
Cependant Alain Sainte-Marie apporte des éléments de réponse: 
il montre notamment la prudence de certains émigrants qui tentaient seuls 
le voyage avant d'inviter leur famille à les rejoindre; il signale les 
relations commerciales qui s'établirent entre les centres de colonisation 
et la parfumerie grassoise.
 
 Une telle étude contribue à faire 
sortir de la pénombre les petites gens, modestes paysans provençaux 
puis petits colons d'Algérie, que la grande histoire avait longtemps oublies.
 Ralph 
SCHOR. COLONS 
DE L'ARRONDISSEMENT DE GRASSE EN ALGERIELa création des centres de 
Cheragas (1842) et d'Aïn Sultan (1853)
 Par Alain SAINTE-MARIE
 Nous 
avions, dans un précédent numéro de Recherches Régionales 
1, présenté un exemple de colonisation régionale en Algérie. 
le peuplement du centre de Bois Sacré (Abbo) par des colons venus des Alpes-Maritimes, 
et plus précisément de Castellar et de Moulinet.
 L'initiateur 
de ce mode de peuplement semble bien avoir été le Gouverneur général 
Bugeaud, et le premier essai avoir eu lieu à Chéragas grâce 
à des immigrants originaires de Grasse et de sa région et conduits 
par H.Mercurin. Placé dans une situation favorable, énergiquement 
soutenu par l'administration; ce centre de colonisation s'épanouit rapidement. 
Aussi lorsque, onze ans plus tard, devant des Bretons défaillants et des 
Alsaciens en nombre insuffisant, on ne suit comment peupler Ain Sultan fondé 
en 1449, on songe de nouveau à faire appel à un contingent de Varois, 
département de forte émigration, dont on confie le recrutement à 
H.Mercurin, devenu entre temps maire de Chéragas.
 
 L'histoire ne 
se répétant pas, ce sont deux exodes, deux installations deux destins 
collectifs que nous évoquerons.
 Le 12 mars 1842, à la demande 
du Gouverneur général Bugeaud, le comte Guyot, directeur de l'Intérieur, 
présente un plan de colonisation concernant en particulier le Fais et le 
Sahel d'Alger, il y propose pour remplir l'espace entre Deli Ibrahim et la mer... 
la création d'un village sur l'emplacement qu'occupaient les Cheraga et 
qu'ils ont abandonné en 1840. Le 26 avril, ce projet est approuvé 
par le ministre de l'Intérieur.
 
 Située à 12 kilomètres 
d'Alger, dans une zone déjà assez fortement colonisée, où 
'il ne reste à combler que quelques vides , cette création apparaît 
peu aventureuse; il y a bien quelques marais vers Staouéli mais ils seront 
rapidement asséchés il y a surtout quelques débris"' 
de la tribu qui occupait ces terres et qui et qui les considèrent encore 
comme leurs et dont on peut craindre une 'attitude menaçante "
 
 Le 
8 juin 1842, un plan de village pour 66 familles est dressé et, dans un 
rapport du 22 août, le comte Guyot précise que ce village doit être 
presque' entièrement peuplé par une émigration venant des 
environs de Grasse et qui arrivera prochainement sous la conduite de M. Mércurin, 
colon qui était venu à l'avance reconnaître les lieux et assister 
à nos travaux préparatoires. Ce dernier m'a demandé que, 
pour favoriser l'établissement de ces familles et les installer dès 
le débarquement dans le village, il leur fût construit à l'avance 
par l'administration et à ses frais une ou plusieurs baraques où 
elles pourraient trouver un abri provisoire 5. Dans ce même rapport sont 
indiquées les modalités de la création envisagée: 
sur 400 ha, en majeure partie domaniaux, seront installées 60 familles, 
dont 50 imédiatement, et les premiers travaux comporteront le nivellement 
de l'emplacement du futur village, l'établissement des rues, la construction 
d'une fontaine, d'un lavoir, de deux abreuvoirs et
 d'une enceinte défensive 
'comportant un fossé de 1210 mètres, trois tours défensives... 
établies 6 aux différents angles culminants' , enfin l'amélioration 
de la jonction du village à la route d'Alger à Dely Ibrahim. Le 
Conseil général du Gouvernement adopte ce projet et le décret 
du 22 août décide la création du centre de Chéragas 
et débloque pour sa réalisation un crédit de 47.156 f., plus 
2500 F pour la construction d'une 'grande baraque destinée à abriter 
provisoirement 100 personnes (en fait, il sera édifié une baraque 
"fermant avec serrure" sur chaque lot à bâtir). Ces travaux 
d'aménagement sont menés avec diligence, à partir du ter 
septembre, par "400 travailleurs militaires".
 
 Il y a, en effet, 
urgence. A grasse, et dans ses environs, le recrutement des future colons a été 
mené rapidement et avec succès par H.Mercurin sur la base de la 
Note sur les concessions rurales à titre gratuit et les formations des 
villages en Algérie (cf. annexe I). En ce qui concerne H.Mercurin, il avait 
été convenu qu'il obtiendrait, à titre d'indemnité 
de sa peine 7
 et de ses dépenses une double concession . Vous sommes 
très mal renseignés sur ce personnage: lui et son frère étaient 
propriétaires-électeurs à Grasse où ils résidaient 
et c'est à 8 peu près tout ce que nous savons d'eux .
 
 Si 
les candidats potentiels à l'émigration sont nombreux (essor démographique, 
décroissance de la prospérité de Grasse et de sa région), 
notables et autorités locales sont généralement peu favorables 
à leur départ, par crainte que l'agriculture ne manque de bras et 
qu'ils ne soient obligés de relever les salaires et d'améliorer 
les baux agricoles 9. Aussi des réticences, voire une réelle hostilité, 
se sont-elles manifestées: Les autorités du canton de Grasse, et 
même celles de Cannes où l'embarquement a eu lieu, ont manifesté 
la plus vive opposition au départ de ces émigrants. Des maires ont 
été jusqu'à refuser des passeports; les membres du clergé 
s'en sont même mêlés et ont été jusqu'à 
prêcher en chaire contre ces projets d'émigration, c'était 
surtout l'énormité des dangers qu'ils allaient courir que l'on faisait 
valoir auprès de ces pauvres gens 10 .
 
 Par contre Mercurin peut 
compter sur le concours actif des représentants civils et militaires, de 
l'autorité centrale, comme en témoigne une lettre adressée 
le 23 septembre 1842 au sous-préfet du Var Conformément au contenu 
de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire aujourd'hui, je 
viens de faire prévenir M.Mercurin de l'avis que l'Intendant militaire 
de la sa division a donné à M. le préfet du Var au sujet 
du transport en Algérie des familles de colons recrutées par M. 
Mercurin. Ce dernier va faire ses dispositions pour se rendre à Marseille 
à l'effet de s'entendre avec M. l'Intendant11. Ce correspondant ajoute 
que le projet de colonisation de M. Mercurin lui parait très sérieux 
et que 'diverses familles.., lui ont promis de partir sous son patronage'. Malgré 
la réticence des uns et grâce à l'appui des autres, ce sont 
finalement 36 familles qui se préparent au départ et 29 qui embarquent, 
le 13 octobre 1842, à Antibes (plutôt qu'à Cannes), sur le 
navire à vapeur "Le Météore" spécialement 
affrété pour elles.
 
 Dès leur arrivée à 
Alger, ces colons font l'objet d'une grande sollicitude car le comte Guyot désire 
que cette tentative de colonisation réussisse et donc que les premiers 
venus appellent auprès d'eux leur famille, que certains,"par motif 
de prudence bien naturel", ont laissée au pays, et d'autres colons 
pour compléter le peuplement de Chéragas 12 . Dès le 17 octobre 
ils sont transportés avec leurs bagages sur des voitures, le convoi étant 
conduit par le directeur de l'Intérieur en personne, et à peine 
installés à Chéragas, ils reçoivent leurs lots à 
bâtir à la suite d'un tirage au sort aménagé pour tenir 
compte des affinités. Le comte Guyot peut alors adresser au Gouverneur 
général un rapport triomphant: "L'état où ils 
ont trouvé les choses, la tranquillité du pays les ont rassurés... 
la fertilité de la terre, la beauté de l'atmosphère, la douceur 
de la température leur ont infiniment plut... . Cette population me parait 
faite pour inspirer une grande confiance, les hommes sont robustes... tout annonce 
l'aisance et la propreté" 13
 
 Un mois plus tard, le 15 novembre, 
un autre rapport signale la présence d'une centaine d'individus (grâce 
à l'apport de colons "choisis dans le pays même"); chemin 
et enceinte sont en voie d'achêvement et certains colons ont commencé 
à cultiver un jardin. Le 17 février 1843, on dénombre 58 
colons (56 lots de culture et d'activités diverses) et l'on attend encore 
une dizaine de familles varoises. Un nouvel arrêté porte alors la 
superficie du village à 600 ha et le nombre de lots à 67. Cette 
année-là le village sort véritablement de terre, les maisons 
s'édifient, un boucher, un boulanger et deux aubergistes s'y installent, 
130 ha sont défrichés et mis en culture.
 
 Les contemporains 
sont tentés d'expliquer la rapide réussite de Chéragas par 
son "peuplement régional 14 . La majorité des colons (cf.annexe 
II) est originaire de Grasse et de ses environs. Aux dires de M. Mercurin, il 
s'agit de "véritables travailleurs bien au fait de la culture de l'olivier, 
de la vigne, des mûriers et d'autres productions qu'il sera si utile de 
transporter de France en Algérie". La plupart de ces colons ne disposaient 
initialement que d'un modeste pécule mais ce handicap du début fut 
compensé par:
 - la relative salubrité des lieux;
 - la localisation 
du village qui devint rapidement un carrefour sur la route d'Alger à Sidi 
Ferruch, donc un marché;
 - les aptitudes agricoles des colons, maraîchage, 
oléiculture et horticulture 15 cette dernière activité devant 
se révéler particulièrement importante;
 - la sollicitude 
de l'administration algérienne qui ne se dément pas et se manifeste
 par 
des corvées militaires pour aider au défrichement, par une aide 
de 800 F. par famille pour la construction 16 , par des allocations en matériel, 
en semences, en bétail "provenant de prises faites à l'ennemi"17 
;
 - la présence, à proximité, de grandes fermes de colonisation 
solidement implantées et qui utilisent comme main d'oeuvre une partie de 
la population du centre. Parmi elles, "le grand établissement agricole 
des Trappistes à Eitaouéli", fondé à la fin de 
1843, mais aussi la ferme De Launay, vendue 512 000 francs en 1845 18
 - et 
les exploitations de MM. Mussault, Martin-Desplas, Mercurin (60 ha),
 Fruiti6 
... ; la diversification assez rapide de ses activités: à la fin 
de 1845 on compte déjà deux briqueteries et un moulin.
 
 En 
fait, nous sommes très mal renseignés sur les débuts de Chéragas, 
car, comme le relève E.Violard 19, "alors que la plus infime commune 
de France possède des archives qu'elle conserve jalousement, ici (à 
Chéragas) nous ne trouvons que le néant ou l'indifférence". 
Nous relevons, au hasard des informations, la croissance de sa population: 206 
habitants en juillet 1843 (dont une cinquantaine d'ouvriers agricoles et de domestiques), 
452 à la fin décembre1 845; 35 maisons construites en juillet 1843, 
73 en décembre 1845; 110 ha cultivés en 1843, 180 en 1845 (et 298 
en 1850). Les colons reçoivent leurs titres définitifs de concession 
le 31 décembre 1846. En 1849, le centre s'agrandit de 710 ha supplémentaires 
avec de grandes concessions (9 comprises entre 15 et 25 ha, deux de 60 ha mais 
aussi 22 de 7 à 8 ha pour des "colons de Chéragas qui n'avaient 
pas de lots") et un vaste communal de plus de 100 ha.
 
 Apparemment, 
ce n'est qu'en 1847 qu'eurent lieu, à Chéragas, les premiers essais 
de la culture du géranium rosat. Leur distillation sur place est attestée 
dès 1851, les produits étant envoyés à Grasse. Dans 
ce domaine aussi H.Mercurin semble avoir été un initiateur: "il 
cultive beaucoup de géraniums et en tire un parti avantageux, ainsi que 
des fleurs d'oranger et de plantes aromatiques du voisinage; il a monté 
une distillerie dont les essences ont figuré à ,,20 l'exposition 
universelle de 1855 . Plus tard, Chéragas fut gagné par la fièvre 
de la vigne, nouvel élément de sa prospérité.
 
 Entre 
temps, H.Mercurin, à la demande du Gouverneur général de 
l'Algérie, avait repris son bâton de pélerin à la recherche 
de nouveaux colons varois pour tenter de rééditer, à Aïn 
Sultan, dans la vallée du Chélif, l'expérience réussie 
dans le Sahel d'Alger.
 
 Aïn Sultan, situé dans la vallée 
du Chélif, en amont du futur Affreville, aurait dû être un 
des centres de colonisation prévus, après les journées de 
juin 1848, pour dériver une partie du prolétariat parisien; malgré 
un début d'équipement réalisé par l'autorité 
militaire, ses terres ne furent pas attribuées. Puis on envisage d'y installer 
des Bretons... qui ne vinrent pas. A la suite du coup d'Etat du 2 décembre 
1851, des déportés politiques y furent affectés pour défricher 
le territoire (environ 1500 ha se décomposant en 60 lots de culture de 
15 ha, un communal de 300 ha et des lots de ferme couvrant en tout 300 ha), planter 
des arbres, creuser un canal d'assèchement et achever le village : maisons, 
mairie, église, école, lavoir couvert, 21 abreuvoirs et fontaines
 
 Peut-être 
à l'initiative du préfet du Var qui s'engage, le 13 mai 1853, à 
demander au Conseil général du Var des crédits pour "la 
fondation d'un centre de population qui serait composé de familles originaires 
de ce département"22 il fut décidé de peupler ce village 
fantôme avec des Varois et de confier à M. Mercurin, maire de Cheragas, 
une opération de recrutement dans l'arrondissement de Grasse analogue à 
celle qu'il avait menée avec succès en 1842. Mais il s'avéra 
plus difficile de susciter un puissant courant d'émigration "de familles 
23 possédant des ressources suffisantes pour s'installer entièrement 
à leurs frais . Malgré cette modification de la conjoncture démographique 
locale, H.Mercurin est en mesure, le 14 octobre 1853, d'adresser au préfet 
du Var une première liste de 21 familles "qui possèdent des 
ressources suffisantes et voudraient partir de suite pour pouvoir faire leurs 
semailles en temps opportun' et une liste supplémentaire "de 6 personnes 
plus démunies et qui auraient besoin d'une avance pour s'installer"24 
. En fait, ces engagements sont loin d'être définitifs, puisque sur 
la liste des partants, établie le 24 novembre par le préfet du Var 
(cf.annexe III), on ne retrouve que 9 des précédents candidats; 
au dernier moment Gent (Lambert), de Vence, renonce et est remplace par Trastour 
(Emmanuel) de Vence également.
 L'attrait d'Ain Sultan apparaît 
donc très limité d'autant que Mercurin n'a pas caché aux 
futurs colons les difficultés qu'ils auraient à surmonter. Aussi 
ne réalisent-ils que partiellement leur avoir et nombre d'entre eux laissent 
au pays femme et enfants "pour faire la récolte des olives" et 
voir venir. Pour décider les hésitants, Mercurin s'engage à 
les accompagner et à les établir sur place, mais lors de l'embarquement, 
à Marseille cette fois, le 27 novembre, 7 familles seulement sont présentes; 
15 autres partent quelques jours plus tard, dont 1 n'était pas prévue 
pour Ain Sultan.
 
 Bénéficiant de beaucoup moins de sollicitude 
que leurs compatriotes de 1842, c'est à pied, au bout de six jours de marche 
sous la pluie, qu'ils atteignent Ain Sultan où les arrivées s'échelonnent 
entre le 7 et le 15 décembre 1853. Immédiatement a lieu le tirage 
au sort des lots d'une quinzaine d'hectares chacun et le 26 décembre au 
plus tard, les familles du Var, 22 au total, sont installées dans leur 
maison et sur leur concession après avoir reçu des céréales, 
un buf, une charrue et des instruments aratoires 25.
 
 A côté 
d'eux sont aussi installées 10 familles originaires du Haut-Rhin. Par rapport 
aux prévisions initiales, il reste 28 lots disponibles et Mercurin propose 
de compléter le centre en puisant dans la liste d'attente ou en faisant 
appel à des parents de colons déjà établis, en particulier 
à leurs grands enfants venus avec eux; en accord avec le maréchal 
Randon, il pousse donc à la création d'un village départemental. 
A partir de mars 1854, avec le retour de la belle saison, les arrivées 
se succèdent: épouses et enfants de colons, mais aussi de nouveaux 
concessionnaires: Raybaud (J.B.) de Grasse, Andolin (J.) de Grasse, Pastour de 
Vence, Perrugues (J.B.) de Grasse, Palanque (J.) de Sartoux, Emeric (P.)de Saint-Laurent, 
etc. pendant que Focachon vend sa concession. Encore quelques arrivées 
tardives (Thomel de Grasse en décembre 1854, Teissere et Vance en janvier 
1855)26, et la plupart des concessionnaires sont en place au début de 1855 
27. Pourtant les débuts n'ont pas été faciles, les colons 
sont arrivés trop tard pour pouvoir semer et surtout ils manquent de liquidités 
pour s'équiper, réaliser travaux et plantations et attendre la prochaine 
récolte 28. On parle d'une immigration de la misère et l'on décrit 
les colons (et leurs enfants) mal vêtus, mal tenus, mal nourris. Ces difficultés 
ne facilitent pas leurs relations ni avec les colons du Haut-Rhin qui réussissent 
mieux, ni avec le capitaine Dupin, directeur du Centre de colonisation dont ils 
n'apprécient pas l'autoritarisme et en décembre 1854 on arrête 
nul, coupable "d'avoir médité l'assassinat du directeur de 
la colonie". En janvier 1856, un rapport du sous-préfet de Miliana 
les présente comme peu aptes au travail agricole (certains d'entre eux 
seraient perruquier ou cordonnier), comme "turbulents et même paresseux", 
laissant les neuf dixièmes de leur territoire en friche et se contentant 
de le "louer aux arabes".
 
 Et malgré tout, même si 
elles parlent de temps à autre de repartir, la plupart des familles s'accrochent. 
Sur les 22 installées en 1853, 18 sont présentes sur leur concession 
en 1857. Le centre se développe lentement et en 1862 les terres sont décrites 
comme bien cultivées; les maisons ont été agrandies, les 
lots initiaux ont parfois doublé ou triplé, et les 29 colons varois 
sont bien enracinés
 
 Nous avons isolé, quelque peu artificiellement, 
au sein d'un courant régional constant - bien que variable en intensité 
d'émigration vers l'Algerie, trois moments particuliers 1842 vers Chéragas, 
1853 vers Ain Sultan et 1873 avec la création de Bois Sacré. Dans 
tous ces cas, une ville, un ou deux villages, un arrondissement fournissent vingt, 
trente, cinquante familles pour peupler un centre nouvellement créé 
où elles seront majoritaires, réalisant ainsi des "colonies 
régionales" chères à certains gouverneurs généraux 
(Bugeaud, Randon, de Gueydon).
 
 A priori, on suppose que la cohésion 
du groupe ainsi transplanté lui permettra plus facilement de surmonter 
les difficultés inhérentes à l'implantation pionnière 
et de s'imposer à un environnement, naturel et humain, différent 
et parfois hostile.
 Ces trois créations ont été durables, 
ces trois centres ont "réussi", de manière plus ou moins 
éclatante, plus ou moins rapidement, en fonction de nombreux facteurs: 
dimension des lots, qualité des sols, aptitudes agricoles de la région, 
situation par rapport à Alger et aux axes de communication, etc., mais 
aussi en relation avec les capacités des "entrepreneurs" qui 
furent les "guides" de leurs compatriotes et qui, bénéficiant 
en outre d'une prééminence économique, furent consacrés 
par eux dans ce rôle, devenant leurs premiers maires (Abbo, Marcurin).
 
 Il 
ne faut pas oublier, non plus, d'une part les faveurs le l'administration coloniale 
(terres gratuites provenant de séquestres sur les populations locales, 
premiers équipements, etc.), variables selon les époques et les 
soucis publicitaires des initiateurs des plans de colonisation (le comte Guyot 
par exemple) et, d'autre part, la ténacité des colons partant sans 
esprit de retour, après avoir réalisé leurs maigres biens, 
d'une terre que l'évolution démographique et économique rendait 
de plus en plus ingrate.
 
 Les personnes qui désirent s'établir 
en Algérie comme colons concessionnaires, dans les centres de population 
et villages agricoles que le Gouvernement y fonde, doivent s'adresser au Ministre 
de la Guerre, soit directement . soit par l'entremise des préfets, ce qui 
vaut mieux.
 
 A la demande doivent être annexés des certificats 
authentiques constatant la moralité des pétitionnaires, leur profession, 
leur âge, le nombre et âge de leurs enfants, la quotité des 
ressources pécuniaires dont ils pourraient disposer à leur arrivée 
en Algérie.
 
 Cette quotité des ressources n'est pas limitée 
; elle doit être proportionnelle à la composition de la famille, 
et suffire aux dépenses de premier établissement et d'entretien, 
en attendant la première récolte. Pour une famille peu nombreuse, 
faut au moins 1,200 à 1,5oo francs au moment de la prise de possession.
 
 Si 
les demandes sont jugées admissibles, le Directeur de l'Intérieur 
à Alger, à qui elles sont transmises, comprend les pétitionnaires 
parmi les concessionnaires d'un village, et il leur réserve des lots.
 
 Il 
est alors délivré au concessionnaire, par le Département 
de la Guerre, un permis de passage gratuit de Marseille ou de Toulon à 
Alger, pour lui , famille et les personnes qu'il veut associer à son entreprise. 
On ne saurait trop recommander aux colons de se munir de cette autorisation avant 
de se rendre au port d'embarquement. afin d'éviter des retards ou des frais 
de traversée.
 
 A son arrivée dans la Colonie, le concessionnaire 
est mis immédiatement en possession, par les soins du Directeur de l'Intérieur, 
d'un lot à bâtir dans le village qui lui est assigné, et d'un 
lot à cultiver.
 
 Le premier est assez étendu pour recevoir 
une maison, des écuries, un four. Le lot à cultiver est de 4 à 
1 2 hectares, selon les ressources du colon et le nombre des membres de sa famille.
 
 Ce 
n'est que par exception, et en faveur de colons justifiant de moyens d'action 
considérables, que des concessions plus étendues peuvent être 
accordées par arrêté spécial, et sauf approbation du 
Ministre.
 
 Le concessionnaire trouve un abri provisoire sous des baraques 
que l'administration fait élever en attendant que les nouveaux habitants 
puissent se construire des maisons il est de plus aidé dans l'établissement 
définitif de son habitation, quand il est reconnu qu'il ne dispose pas 
de ressources pécuniaires suffisantes, par des secours en matériaux 
à bâtir pouvant s'élever de 3 à 600 francs.
 
 Pour 
la culture de ses terres, il peut lui être prêté temporairement 
est bêtes de labour. Des semences et. des instruments aratoires peuvent 
aussi être mis à sa disposition, tantôt à titre de don 
gratuit, tantôt à charge de remboursement. Il participe, enfin, à 
des distributions de plants et de graines provenant des pépinières 
de la Colonie.
 
 Aussitôt qu'il s'est établi sur son lot, il 
lui est délivré, par la Direction de l'Intérieur, un titre 
provisoire de concession, sur lequel sont mentionnées les conditions de 
bâtir et de cultiver qui doivent être accomplies.
 
 Quand le 
colon a satisfait aux clauses et obligations portées au titre provisoire 
ce qui est constaté par procès-verbal de reconnaissance, le titre 
provisoire est changé en titre définitif, lequel le constitue propriétaire 
incommutable dans les limites et les termes de l'article 544 du Code civil.
 
 Les 
concessions rurales, comprises dans le périmètre des villages en 
cours d'établissement, sont faites à titre gratuit. Elles donneront 
lieu à une redevance légère après cinq années 
écoulées.
 
 Jusqu'à présent, les terres de toute 
nature appartenant aux Européens, exploitées par eux cil Algérie, 
ont été exemptes de tout impôt foncier.
 
 Les villages 
sont placés dans des positions d'une salubrité reconnue et pourvues 
d'eau.
 
 Ils sont entourés d'enceintes défensives, protégés 
par des brigades de gendarmerie et les camps. Les habitants sont armés 
et organises en indices. Des églises, des oratoires et des écoles 
sont répartis sur le territoire colonisé, selon les besoins des 
populations. Les centres de colonisation sont reliés entre eux et aux villes 
par des chemins qui assurent l'arrivé des matériaux, l'écoulement 
des produits, les échanges et les communications de toute nature. Des tournées 
médicales ont lieu, à des intervalles rapprochés, dans les 
divers villages.
 
 N.B.: Cette note reprend les principales dispositions 
de l'arrêté ministériel du 18 avril 1841 et fit l'objet d'une 
large diffusion en France.
 
 
 1 Des Alpes-Maritimes aux rives de l'Oued 
Sebaou dans Recherches Régionales n°1, 1978, pp.1 d 15.
 2 Tableau 
de la situation des établissements français dans l'Algérie 
(T.E.F.), 1842/43, n,139.
 3 L.de BAUDICOUR, Histoire de la colonisation de 
l'Algérie, Paris, 1860.
 4 Archives Nationales(A.N.),Aix-en-Provence,F 
80-1164.. Le territoire utilisé pour la création du centre aurait 
été abandonné 'volontairement par une partie des familles 
des Chéragas qui ne furent pas autorisées à s'y réinstal- 
ler lorsqu'elles en firent la demande en sent. 1 842".A.N., F 80-11511.
 5 
A.N., L 32.
 6 T.E.F., 1844/45, p.216.
 7 Lettre du directeur de l'Intérieur 
au Gouverneur général du 23 août 1842 (A.N. F 80-.1154 )
 8 
Aux Arch. départem. du Var, à Draguinan, on trouve bien un Mercurin, 
capitaine au 59e regiment de ligne(2 j 371) mais rien ne nous permet de l'assimiler 
ou de le relier au futur maire de Charagas.
 9 Nous avons, dans notre précédent 
article, déjà évoque cet aspect dans sa lettre-circulaire 
du 3 sept 1873, destinee à rassurer les maires du département sur 
les conséquences des départs de ruraux vers l'Algerie, le Préfet 
des Alpes-Mmes rappelait: 'les familles des environs de Grasse qui sont allées 
peupler le village de Cheragas, aujourd'hui en pleine voie de prospérité. 
Recueil des actes administratifs de la Préfecture des Alpes-Maritimes, 
1873, p.206.
 10 Lettre du comte Guyot au Gouverneur général du 
19 octobre 1842 (A.N., F 80-11 54).0n trouve aussi confirmation de ces réticences 
dans A.N., L 5.
 11 Registre D19;Archives municip. de Grasse. nous devons la 
connaissance de cette lettre aux recherches et à l'amabilité de 
Madame. Auger, archiviste. Elle nous est d'autant plus précieuse que c'est 
à peu près la seule trace officielle de cet exode que nous ayons 
retrouvée dans les Archives de Grasse et de Draguignan.
 12 Ce premier 
convoi en effet ne comporte que 29 chefs de famille, 12 femmes et "une quarantaine 
d'enfants".
 13 Rapport du 19 oct. 1842.11 rédige simultanément 
un article relatant les conditions très favorables de leur installation 
qui paraît dans Le Moniteur algérien du 25 oct en même temps, 
des démarches sont effectuées auprès du maréchal Soult, 
président du Conseil, qui informe le Gouverneur général de 
l'Algerie, par une lettre du 21 nov. 1842,que le ministre de l'Intérieur 
a donné des instructions au préfet du var pour faire cesser toute 
crainte.
 14 "Chéragas s'est peuple, comme on sait, presqu'entièrement 
de gens venus du même pays, du département du Var c'est là, 
sans contredit, une des causes de sa réussite.- (T.E.F.,1842/43, p.141).
 15 
T.E.F. 1842/43, p.171,
 16 A.N. F 80-11 65
 17 T.E.F. 1842/43, p. 171
 18 
"300 ha y étaient cultivés dont 12 en tabac, plus de 30.000 
oliviers y avaient été greffés et on y avait planté 
15.000 mûriers; elle occupait journellement 40 à 50 ouvriers européens". 
L. de BAUDICOUPT, op.cit.p.422, démarquant le T.E.F. de 1846, p. 138.
 19 
E.VIOLARD, Les villages algériens (1830-1870), t.I, Alger, 1925,p.23. La 
notice qu'il consacre à Chéragas est très approximative.
 20 
L.de BAUDICOURI, op.cit.,p.422. F.PEUT, Les annales de la colonisation, Alger, 
sept.1857, p.165, donne des détails sur cette participation. On trouve 
d'autres indications dans E.VIOLARD,op.cit.,p.23, dans le T.E.F. de 1850,p.208, 
dans un rapport de l'inspecteur de colonisation du 1er oct.1851 (A.N.,2 L I)etc. 
C'est en 1857 qu'Antoine Chiris crée une distillerie de géranium 
rosat à Boufarik, s'associant quelques années plus tard avec "un 
distillateur de Chéragas établi dans cette même ville"(J.FRANC, 
La colonisation de la Mitidja, Paris,1928, p.671).
 21 Ce paragraphe résume 
succintement les origines du village d'Ain Sultan telles qu'elles sont retracées 
par X.YACONO,La colonisation des plaines du Chélif, Alger 1956, t.II, pp.96-99
 22 
A.Nj 80-11 48.
 23 Id. Lettre du préfet du Var au Gouverneur général 
de l'Algérie du 30 sept. 1853.
 24 Lettre de Mercurin au préfet 
du Var,14 oct.1853. Arch.Dép. du Var, 11 M 3-2.
 25 Lettre de Marcurin 
au préfet du Var, 26 décembre 1853. A.D. du Var, 11 M 3-2.Ces 22 
familles comprennent un nouveau colon, le sieur Geoffroy(Léopold).
 26 
Liste des passages gratuits vers l'Algérie, A.D. du Var, 11 M 3-4.
 27 
A cette date le village compte 46 hommes, 40 femmes et 111 enfants.
 28 Le ministre 
de la Guerre se déclare désagréablement surpris par la faiblesse 
des ressources en argent des immigrants varois. Encore en 1858,dans une lettre 
au préfet du Var, le général commandant la province d'Alger 
insiste pour que les immigrants aient un capital, aisément réalisable, 
de 2 à 3000 F, surtout "pas de mendiants"!).
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