| Le Cirque Antonio
 auteur : Jean-Laurent 
        Le Gloanec
 Parmi les cirques 
        aujourd'hui disparus, le Cirque Antonio occupe une place particulière. 
        D'abord parce qu'il tourna essentiellement en Algérie, Maroc et 
        Tunisie... mais aussi parce que ses propriétaires M. et Mme Antonio 
        Fattore étaient des personnages attachants...Jean-Laurent Le Gloanec
 
 
 
         
          |  Antonio Fattore photo de Jean-Laurent Le Gloanec
 |  C'est fin 1925, qu'Antonio Fattore monta 
        son cirque. À l'origine, l'établissement prit le nom de 
        Cirque Continental, mais fut très vite rebaptisé Cirque 
        Antonio, du prénom de son propriétaire. Et, pendant près 
        de quarante ans, il tourna en Algérie, au Maroc, en Tunisie, et 
        même en Libye, faisant aussi quelques incursions, en 1959, notamment, 
        en Corse. C'est dire si le Cirque Antonio était connu en Afrique 
        du Nord, de Mascara à Alger, en passant par Fès, Oran, Tunis, 
        Rabat, Tanger, voire même aux " portes du désert " 
        où il n'hésitait pas à monter pour la Légion... 
        À Alger, où il avait ses habitudes, il s'installait au Champ-de-Manoeuvres 
        ou le long de la caserne Pélissier, alors qu'à Mascara, 
        c'était plutôt du côté de la place de l'Argoub...
 Un banquiste* éperdument amoureux de la 
        France
 
 Mais, revenons à Antonio Fattore. Né à Castelalone 
        al Volturno, en Italie, le 25 février 1885, il était un 
        pur banquiste (*) qui prit très tôt la route, exerçant 
        tour à tour différents métiers de la piste : équilibriste, 
        voltigeur équestre, clown, dresseur...
 
 Pendant la Grande Guerre, Antonio Fattore, éperdument amoureux 
        de la France, s'engagea dans la Légion garibaldienne. Avec les 
        " chemises rouges ", il s'illustra en Argonne. Gazé et 
        blessé du côté de Reims, en Champagne, il reçut 
        la Croix de Guerre 1914-1918, et bien d'autres distinctions honorant son 
        courage.
 * - Banquiste : dans les cirques, celui qui présente et vante le 
        spectacle.
 
 Une fois démobilisé, il revint tout naturellement au cirque, 
        mais ses blessures de guerre l'obligèrent à abandonner la 
        voltige équestre. On le retrouva alors au Cirque Caron (ou au Cirque 
        Canadien) comme auguste du clown blanc Philippe Caron, puis à Medrano 
        au début des années vingt. D'ailleurs, c'est chez Medrano 
        qu'il rencontre Martha Schaeffer, une enfant de la balle, qu'il épousera 
        en 1923.
 
 Avant de rencontrer Antonio, Martha, d'origine allemande, fille d'Anita 
        et Julius Schaeffer " leveurs et jongleurs de fonte ", exécutait, 
        dit-on, un numéro sur fil de fer. On la retrouva rapidement à 
        ses côtés dans un numéro de dressage de chiens, puis 
        de chevaux pie, avant d'exceller, seule, dans la présentation de 
        poneys Shetland.
 
 Du Cirque Continental au Cirque Antonio
 
 Après leur mariage, elle travailla avec son mari. C'est ainsi que 
        le " couple Antonio " rejoignit le Cirque Caroli pour une grande 
        tournée en Afrique du Nord. Et c'est là, dit-on, à 
        l'occasion d'un gala de bienfaisance, que le maréchal Lyautey, 
        ayant apprécié Antonio et ses chiens dressés, secondé 
        par Martha, décida qu'il fallait les aider à " monter 
        cirque ". Ce que fit le couple : d'abord avec le Cirque Continental, 
        puis avec le Cirque Antonio... Antonio Fattore qui, chapeau vissé 
        sur la tête, promenait son cirque sur les routes d'Afrique du Nord, 
        était un homme affable dont chacun vantait la convivialité. 
        Un homme soucieux des autres. Membre fondateur de l'orphelinat de Rabat, 
        il était aussi membre honoraire de l'orphelinat de la police et 
        de plusieurs oeuvres sociales, et n'hésitait pas à se produire 
        gratuitement pour certaines associations, voire même à offrir 
        la recette du jour. Du caritatif avant l'heure !
 
 Côté distinctions, il n'était pas en reste puisque, 
        outre la Croix de guerre 1914-1918, il était titulaire de la Médaille 
        militaire et de la Médaille interalliée, officier du Nicham 
        Iftikar (Tunisie), chevalier du Ouissam Alaouite (Maroc), etc... Excusez 
        du peu.
 
 Un cirque familial
 
 Si le couple Antonio travaillait en famille, l'un et l'autre présentant 
        des numéros, on trouvait aussi parmi leur parentèle, des 
        cousins italiens, les clowns Bobo et Cricri, qui ont aussi travaillé 
        chez Zerbini. Ils se firent même appeler les " Pierantoni " 
        selon les souvenirs de M. Le Gloanec, président régional 
        du Club du Cirque pour les départements du sud-est, lequel a bien 
        connu le Cirque Antonio. Parmi les artistes qui furent aussi à 
        l'affiche, citons le dresseur Bert Holt, et sa fille Chrys (jongleuse) 
        qui y fit ses débuts, enfant.
 
         
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               Le cirque Antonio à Ouargla en 
              1960, devant la caserne de la Légion.
 collection : 
              Jean-Laurent 
              Le Gloanec
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               collection : 
              Jean-Laurent 
              Le Gloanec
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 M. Le Gloanec, qui vivait à Alger 
        à l'époque, précise que le Cirque Antonio " 
        s 'est arrêté pendant la Seconde Guerre mondiale. Je ne l'ai 
        revu qu'en 1945, avec un petit chapiteau à deux mâts qui 
        était fait de toile militaire ".
 Un chapiteau qui, au fil des années, fut certes effleuré 
        par quelques balles perdues et quelque peu bousculé par les événements, 
        mais le spectacle ne s'est jamais arrêté, " multipliant 
        les bons programmes et les bonnes actions ", peut-on lire dans d'anciens 
        numéros de L'Inter Forain.
 
 Ce que l'on sait moins, c'est que M. Antonio fut très actif pendant 
        cette période, participant à la préparation du débarquement 
        allié en Afrique du Nord.
 Ainsi, le 8 novembre 1942, le Cirque Antonio était en tournée 
        à Alger... Rien d'étonnant à cela puisque le public 
        était habitué à retrouver le chapiteau çà 
        et là en Afrique du Nord (un cirque voyageur, quelle belle couverture 
        pour prendre des contacts un peu partout sans éveiller les soupçons!). 
        Ce soir-là donc, la soirée fut rondement menée, mais 
        personne dans le public ne s'en aperçut.
 
 En 1951, le couple Antonio fait imprimer sur ses affiches : " La 
        renommée du Cirque Antonio n'est plus à faire. Cette année 
        mieux que jamais ".
 
 Début 1955, alors qu'ils sont en tournée à travers 
        l'Afrique du Nord, Antonio et Martha Fattore font parvenir 80 000 F aux 
        sinistrés d'Orléansville, victimes d'un terrible tremblement 
        de terre quelques mois auparavant, comme ils le feront aussi quelques 
        années plus tard pour les victimes du barrage de Malpasset (Fréjus).
 
 En 1960, on trouve aux côtés du couple Antonio, Sampion (jongleur), 
        les Gerys (cascadeurs), Esméralda et Guy Lasso et leurs perruches 
        dressées, les Victoria (main à main), mais aussi les clowns 
        Guillermo et Remy.
 
 1962, la fin du voyage
 
 Celui qui tenait plus que tout à ce que ses programmes soient du 
        vrai cirque, décéda à Bône (Algérie) 
        en 1962, à l'âge de 77 ans. Dans le cimetière de la 
        ville, son épouse fit élever un monument de pierre blanche 
        sur lequel on pouvait lire cette épitaphe: " Un grand artiste, 
        un homme universellement humain, Antonio, directeur de son cirque, arrête 
        ici son voyage ".
 
 Suite au décès de son mari, et aux événements 
        d'Algérie, Martha Fattore décide, non sans difficultés, 
        de quitter le pays. Sa nationalité italienne, acquise par son mariage, 
        lui permet alors, grâce à l'ambassade d'Italie à Alger, 
        d'embarquer animaux et matériel sur un cargo italien allant à 
        Marseille, pensant reprendre les tournées en France. Ce ne fut 
        pas le cas. On la retrouva, avec sa caravane, le matériel et les 
        bêtes sur un quai du port phocéen. Elle y séjourna 
        un certain temps dans l'attente de jours meilleurs...
 
 " Rien ne s'est passé comme prévu, nous explique M. 
        Le Gloanec. Démunie, son argent bloqué par le gouvernement 
        algérien, reformer un cirque s'avérait très, voire 
        trop compliqué... Mme Antonio a alors vendu le chapiteau et quatre 
        lionnes au Prince Rainier. Quelque temps plus tard, elle faisait don à 
        Gaston Deferre, maire de Marseille, de son couple reproducteur de lions 
        de l'Atlas pour le zoo de la ville ".
 
 Et d'ajouter: " le Prince Rainier fit venir au zoo de Monaco, le 
        neveu d'Antonio, qui était chef monteur du cirque, pour lui faire 
        monter le chapiteau sur la plage de Fontvieille et l'admirer de son voilier, 
        mais son épouse ne supportant pas le climat, il dut quitter la 
        Principauté pour s'installer à Aubagne, alors que Mme Antonio 
        quittait les quais du port de Marseille pour le camping de Marzagues. 
        Celle qui fut une " attachée de presse " hors pair, n'hésitant 
        pas parfois à prendre quelques libertés avec la réalité 
        lorsqu'il était question de son mari (allant jusqu'à prétendre 
        qu'il était le fils de l'illustre Pierantoni), du cirque Antonio, 
        ou de ses artistes, allait alors de temps à autre visiter ses bêtes 
        au zoo de Marseille. Cela, jusqu'en 1967, année où elle 
        décéda, des suites d'un stupide accident de la circulation 
        ! ".
 
         
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  Le cirque Antonio 
                au Champ-de-Manoeuvres d'Alger en 1950.
 collection 
                : Jean-Laurent 
                Le Gloanec
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