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          * Suite de la page 8
        Malheureusement, chez nous, 
          les cinéastes n'ont pas toujours le droit de s'exprimer. librement. 
          Aussi, refusant de se soumettre aux lois impératives des marchands, 
          Gréville alla-t-il se fixer bientôt à Londres, où 
          il séjourna jusqu'à la veille de la guerre, s'imposant 
          dans les studios anglais par ses dons exceptionnels d'animateur et l'élégance 
          de son style.
          
          Et puis, en 1939, c'est le retour en France, où il tourne successivement 
          « Menaces a, « Une femme dans la nuit e, « Dorothée 
          cherche l'amour a et « Le diable souffle»
          
          Une activité dont l'origine remonte si loin dans le temps laisserait 
          volontiers supposer qu'Edmond-T. Gréville est ce qu'il est convenu 
          d'appeler un honorable vétéran et qu'il porte tous les 
          stigmates d'une sénilité naissante. Pas du tout ! L'homme 
          que j'ai devant mol est un homme jeune, à l'allure sportive et, 
          ce qui ne gâte rien, d'une extrême complaisance. Il y a 
          peut-être une raison à cela, car je ne tarde pas à 
          apprendre que Gréville était autrefois journaliste.
           Eh ! oui, me dit-il... La aussi j'ai débuté de 
          bonne heure. Songez un peu, à vingt et un ans j'étais 
          rédacteur en chef de « Vu = ! J'aurais pu, bien sûr, 
          poursuivre dans cette voie. Mais le cinéma m'attirait. Alors, 
          j'ai tenté résolument ma chance.
           Et vous avez réussi !
           Mon dieu, je ne regrette rien.-Mon métier me plaît 
          énormément. Il m'a valu bien des déceptions ; mais, 
          d'autre part, bien des joies. La joie de découvrir, par exemple, 
          des horizons nouveaux et inespérés. Des pays comme le 
          vôtre, si riche de lumière, si exaltant sous son ciel céruléen. 
          Je dois vous avouer qu'à mon arrivée, j'ai eu très 
          peur.
          
          Alger baignait dans le brouillard. Fort heureusement, tout s'est arrangé 
          dès le lendemain, ce qui m'a permis de tourner pendant huit jourà 
          en toute quiétude et d'utiliser eu maximum les précieux 
          avantages du 'Roux-color. Mon film sera entièrement réalisé, 
          en effet, d'après ce procédé que Marcel Pagnol 
          fut le premier à expérimenter dans a La belle meunière 
          ». A cette époque, il n'était pas encore au point. 
          Mais à l'heure actuelle, après trois an,s do minutieuses 
          recherChes, il donne c:'excellents résultats et, en toute sincérité, 
          je crois que le Roux-color, invention essentiellement française, 
          peut maintenant rivaliser avec :es procédés étrangers 
          les plus réputés.
          
          Mon chef opérateur. Willy Factor (le cousin germain du célèbre 
          spécialiste américain du maquillage Max Factor) est bien 
          de cet avis.
          
          Du « Tapis volant », je dirai seulement qu'Il s'agit là 
          d'une comédie d'aventures et d'action qui se déroule entièrement 
          en Afrique du Nord, en Algérie et au Maroc où je Cois 
          me rendre à la fin de l'été. Ici, je n'ai tourné 
          que quelques séquences sur les quais, à la Pêcherie, 
          à l'hôtel Aletti et à l'aérodrome de Maison-Blanche 
          avec le concours. de Jacques 'Semas et d'Eve'yn Cormond. Mais j'espère 
          qu'elles sauront mettre en valeur l'extraordinaire photogénie 
          de cette ville qu'il serait sans doute indispensable de doter au plus 
          tôt d'un matériel de studio et, si possible, d'un petit 
          laboratoire de développement et de tirage.
          Je sais que vous avez entrepris une campagne dans ce sens. Vous devriez 
          insister, cette organisation éventuelle répondant à 
          des nécessités qui ne se discutent même pas. Pour 
          en revenir au « Tapis volant e, j'ajouterai que je n'ai pas engagé 
          tous mes interprètes. Jacques Serna.s (qu'il n'est sans doute 
          pas utile de vous présenter) et Evelyn Cor mond, qui a déjà 
          tourné en Algérie dans « Corniche d'amour », 
          doivent être entourés de plusieurs comédiens notoires 
          et d'une vedette internationale dont je ne puis, pour l'instant, vous 
          révéler le nom. Quant à mon producteur, le voici. 
          C'est M. Fasquelle, l'éditeur parisien bien connu de tous les 
          bibliophiles e.
          
          M. Fasquelle me serre très aimablement la main, et avant de prendre 
          congé d'Edmond T. Gréville, je lui pose encore cette question 
          :
           Que pensez-vous de la crise que subit actuellement le cinéma 
          français ?
           C'est une crise de qualité, mais c'est aussi une crise 
          d'hommes. Je n'hésiterai pas à prétendre que les 
          auteurs dramatiques en portent toute la responsabilité. Car ces 
          messieurs ont oublié que le cinéma est un art visuel. 
          Ceux d'entre eux qui pourraient nous donner quelque oeuvre puissante 
          et originale n'ont pas le sens du cinéma. Ils n'ont pas sondé 
          sérieusement ses possibilités. Ils n'en ont pas étudié 
          la technique. Il leur faudrait faire toute une rééducation 
          mentale et tout un apprentissage de la composition visuelle qu'en raison 
          de leur âge, ou de leur cristallisation intellectuelle, ils n'envisagent 
          même plus.
          En ce qui concerne les écoles professionnelles, Gréville 
          n'en est pas partisan.
           Pour arriver à faire un bon film, la théorie ne 
          " suffit pas. Il faut, d'abord, avoir du talent et comprendre d'instinct 
          le cinéma. Le reste est une question d'expérience qui 
          ne s'acquiert qu'à la longue, à force de travail et d'observation.
          
          Cette affirmation me rappelle la réponse que me fit un jour Louis 
          Jouvet, à oui je venais de demander si la création d'un 
          conservatoire national à Alger ne lui paraissait pas opportune 
          :
           Mon cher, un conservatoire c'est fait pour décerner des 
          prix...
        André SARROUY.
        Nous publierons dans notre 
          chronique cinématographique de vendredi prochain une interview 
          exclusive de Jacques Sernas.