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          VIE DU R. P. DE FOUCAULD A L'ÉCRAN
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          VIE DU R. P. DE FOUCAULD A L'ÉCRAN 
          Une journée avec Léon Poirier, réalisateur de " 
          l'Appel du Silence " 
        Depuis quelques jours, 
          Léon Poirier, retour du Hoggar, 
          était attendu à Alger où il devait tourner certains 
          épisodes de ce film émouvant qu'il a décidé 
          de consacrer à la vie héroïque du R. P. de Foucauld. 
          Mais nous apprîmes bientôt qu'une tempête de sable 
          l'avait surpris en plein désert et, contraint d'abandonner ses 
          voitures automobiles aux mains expertes des mécaniciens, c'est 
          par la voie ferrée qu'il dût regagner la capitale. 
          
          Le teint légèrement bronzé, nullement déprimé, 
          cependant, par ses deux mois de labeur ininterrompu dans des régions 
          admirables de solitude, Léon Poirier nous accueillit par ces 
          seuls mots, qui se passent d'ailleurs de tous vains commentaires : je 
          suis très satisfait. 
          
          Et le sympathique metteur eh scène de nous donner d'intéressants 
          détails sur la réalisation de son uvre dont le maréchal 
          Lyautey lui-même disait, peu de temps avant de mourir, qu'elle 
          serait, dans les circonstances actuelles, d'une grande utilité 
          au peuple de France. Voici, brièvement évoqué, 
          le petit ermitage de l'Asekrem perdu dans un paysage chaotique, parmi 
          lés roches calcinées du Hoggar, à 2.700 mètres 
          d'altitude. La réincarnation du Père de Foucauld, grâce 
          à la magie du cinéma. Lés Indigènes n'en 
          croient point leurs yeux. Le marabout! c'est lui, il a ressuscité, 
          qu'Allah soit loué ! Non, prétendent les autres, c'est 
          son frère et tout ce monde, sincèrement transporté 
          d'une joie céleste, se prosterne et s'humilie aux pieds de Jean 
          Yonnel qui vit là des heures inoubliables et merveilleuses. Dans 
          un bordj, des officiers, éblouis par la ressemblance, s'approchent 
          du comédien à pas lents, l'observent un moment sans mot 
          dire et détournent la tête pour pleurer. 
          
          Les souvenirs s'égrènent. Léon Poirier nous les 
          conte gentiment, d'une voix lente qui se resserre quelquefois comme 
          un sanglot. Et puis ce sont des détails pittoresques. Les nuits 
          passées sur la piste à attendre que les vents s'apaisent. 
          L'empressement du cuisinier Targui et son extraordinaire talent pour 
          accommoder en un tour de main le plus appétissant des repas. 
          Tout cela est noté sans doute dans ce carnet de route que notre 
          interlocuteur conserve jalousement dans sa poche. Nous aurions pu faire 
          une plus ample moisson, mais véritablement, il eut été 
          cruel d'abuser d'une complaisance aussi charmante et nous avons préféré 
          rendre au plus tôt sa liberté à Léon Poirier 
          pour le voir à l'uvre, auprès de ses collaborateurs 
          fidèles, sous l'il impassible des caméras. 
          
          ...Dans le haut de la Casba. Une ruelle en pente. Deux jeunes officiers 
          descendent lentement, s'arrêtent, écoutent. Au sommet d'un 
          minaret, un muezzin appelle les croyants à la prière. 
          
          - C'est beau... 
          - C'est l'Islam, messieurs 
          répond un promeneur solitaire, qui se découvre aussitôt 
          et s'excuse : 
          _ Permettez-moi de me présenter. Mac Carthy, conservateur à 
          la bibliothèque 
          nationale. 
          - De Foucauld, lieutenant au 4ème Hussards, déclare le 
          premier officier en portant la main à son képi. 
          - Laperrine, annonce le deuxième. 
          
          La scène est minutieusement répétée, Jean 
          Yonnel, Pierre de Guingand et Boverio (Mac Carthy) y apportent une telle 
          conscience professionnelle qu'elle n'est enregistrée que deux 
          fois. Il est vrai que Mme Jeanne Léon Poirier veille aux moindres 
          détails de la prise de vue. Elle va de la boite à maquillage 
          aux accumulateurs ; corrige un pli du costume de Yonnel, tient tour 
          à tour le rôle de la script-girl et celui de l'assistante. 
          Et tout cela se fait sans le moindre bruit, sans le moindre heurt. On 
          aimerait que le cinéma adopte définitivement ce bel optimisme 
          dans l'action. Comme il y a loin, en effet, de cet accord parfait au 
          désordre habituel des studios ! Ici, les mots gras sont bannis. 
          Il n'est plus utile, pour se faire comprendre, d'employer l'argot des 
          marchands à la halle ni de menacer à tout bout de champ. 
          Il est vrai que L'APPEL DU SILENCE n'est pas un film ordinaire. Chacun 
          y apporte le meilleur de lui-même, parce que chacun a la foi. 
          Cette immense monument, qui viendra comme un temple jeter sur les masses 
          humaines une ombre de paix et de sérénité, s'est 
          construit dans un élan d'enthousiasme mystique et rappellera, 
          par sa conception, les chefs-d'uvre religieux de l'époque 
          médiévale. ...Nous avons retrouvé le soir, dans 
          un grand hôtel d'Alger, les membres de cette admirable compagnie. 
          Autour de la table à laquelle Léon Poirier nous avait 
          gentiment convié, réalisateur, machinistes, opérateurs, 
          photographes et interprètes s'étaient réunis en 
          une magnifique communion. Il n'est pas jusqu'à la présence 
          du R. P. Joyeux qui n'ait donné à cette assemblée 
          un caractère de symbole particulièrement émouvant. 
          
          
          Yonnel nous parla de la maison de Molière et de ses contrats 
          draconiens qui l'obligèrent, récemment, à soulever 
          un incident assez grave ; De Guingand passa en revue quelques-uns de 
          ces escrocs fameux dont notre pauvre industrie s'obstine à vouloir 
          respecter la présence et notre excellent camarade Mihalesco se 
          plut, avec cette verve qui le caractérise à évoquer 
          les heures passées à Laghouat pendant la réalisation 
          de SIDONIE 
          PANACHE. 
          
          Le lendemain matin, la troupe de Léon Poirier prit le train à 
          destination de Mascara 
          et du Maroc. Huit jours suffiront à l'auteur de L'APPEL DU SILENCE 
          pour terminer ses extérieurs africains, mais, avant de reprendre 
          le chemin de Paris où l'attendent les décors du studio, 
          il fera, le 18 janvier à l'Opéra 
          d'Alger, une importante conférence. 
          
          Ce sera pour notre grande ville une occasion unique de manifester à 
          l'artiste et au Français toute la reconnaissance que nous inspire 
          son entreprise, la plus belle, la plus noble sans doute, qui ait été 
          jamais tentée par le cinéma.