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          notable plus tard.
          
          LE MUSÉE DE CHERCHELL 
        
        Moins heureuse que Timgad 
          ou Dougga, Cherchell. dans le coquet nid de verdure où elle repose 
          fraîche et calme au bord de la mer bleue, n'a point gardé 
          de sa splendeur antique ces débris grandioses, ces ruines gigantesques 
          qui s'imposent à l'il du touriste et qui parlent à 
          l'âme du songeur. Point de ces colonnades alignées au long 
          d'une voie triomphale, point de ces fûts énormes dominant 
          du haut d'un capitule les restes d'une ville en ruines où percent 
          des arcs de triomphe et des murs de temple. Simplement, dans un monument 
          fort gracieux et qui fut aménagé l'an dernier, une collection 
          de marbres, de stèles funéraires, de statues et de mosaïques, 
          dont certaines pièces feraient honneur sûrement à 
          nos sculpteurs modernes. Le Musée, qui voisine avec la 
          Mairie, est l'uvre de l'excellent architecte qu'est 
          M. Régnier. Son plan est fort simple et rappelle celui des maisons 
          de ces maîtres du monde d'où sont extraites presque toutes 
          les uvres d'art. Une cour intérieure semblable à 
          " l'atrium " antique, décorée d'une vasque et 
          de nombreux bas-reliefs et chapiteaux, entourée de quatre salles, 
          dont trois ouvertes sur cette cour, suffisent pour abriter les rares 
          vestiges d'une riche cité romaine. 
          
          C'est que les recherches sont difficiles et coûteuses ; tous les 
          terrains où s'élevait la ville antique sont couverts de 
          maisons ou de cultures, et comme partout, hélas, les fonds manquent 
          souvent pour tirer du sol, où elles sont enfouies, les richesses 
          qu'on soupçonne d'exister dans les ruines où s'étagent 
          l'une sur l'autre : Iol et Caesarea, la cité punique et la capitale 
          des rois de Mauritanie, plus tard chef-lieu de la province romaine de 
          Mauritanie césarienne. 
          
          Le Musée a eu bien des péripéties. D'abord installé 
          dans une petite mosquée, il fut détruit par le tremblement 
          de terre de 1846 qui fit écrouler l'édifice sur les statues 
          qu'il contenait : il occupa ensuite la maison des bâtiments civils 
          où il s'accrut rapidement jusqu'à 1853, malgré 
          le vandalisme des entrepreneurs civils ou militaires d'alors qui se 
          servaient des stèles et des statues découvertes par eux 
          pour faire de la chaux à bâtir. C'est ainsi que disparut 
          la tète de la fameuse Vénus de Cherchell, dont la statue 
          est au Musée 
          de Mustapha. 
          
          Beulé, en 1858 (nous dit M. Gauckler dans son histoire du Musée), 
          dressa un plan méthodique des recherches à accomplir, 
          mais ce n'est guère qu'en 1880 qu'on s'en occupa sérieusement 
          à la suite de découvertes fortuites faites dans des propriétés 
          particulières. M. Waille, professeur à l'École 
          des Lettres d'Alger, donna aux travaux des fouilles un essor nouveau, 
          et le programme tracé par Beulé est encore celui suivi 
          actuellement ; il a donné jusqu'ici d'excellents résultats 
          et n'a pas moins contribué que le hasard lui-même à 
          enrichir le Musée aujourd'hui parfaitement installé par 
          les soins intelligents et éclairés de la Municipalité, 
          aidée de deux Cherchellois, MM. de la Seiglière et Munkel. 
          L'archéologie égyptienne y est représentée 
          par un fragment de la statue de Toutmosis Ier, trouvé en 1848 
          dans les travaux du port, près d'une grande piscine ancienne, 
          et sculpté d'un seul bloc dans un basalte très dur et 
          sonore comme l'acier. Cette uvre d'art sculptée à 
          Abydos remonte à seize siècles avant l'ère chrétienne. 
          Des idoles ou des stèles néo-puniques ou berbères 
          complètent la collection peu nombreuse des monuments antérieurs 
          à la ville romaine. Les inscriptions grecques sont assez nombreuses 
          et leur grand nombre est sans doute explicable par ce l'ait que la culture 
          grecque était fort en honneur à la cour du roi de Mauritanie, 
          lequel avait épousé, dans Cléopâtre Séléné, 
          une de ces Grecques d'Égypte éprises d'art comme en vit 
          naître Alexandrie au temps des Ptolémées. 
          
          Quant aux inscriptions latines, il en existe plus de quatre cents au 
          Musée de Cherchell. Toutes frappent par leur richesse et leur 
          beauté qui donnent une haute idée de l'opulence et des 
          goûts artistiques des habitants de Caesarea " (Gauckler). 
          Ce sont, pour la plupart, des marbres. Malheureusement, brisées 
          lors de l'invasion des Vandales, beaucoup de ces inscriptions ne sont 
          pas complètes, et leur grand nombre ne permet même pas 
          de se renseigner sur l'histoire de la cité. Les épitaphes 
          militaires sont les plus nombreuses ; Caesarea était, d'ailleurs, 
          la résidence du commandant en chef des troupes de la province. 
          Peu nombreuses - Berbrugger en ayant confisqué une bonne partie 
          au profit du Musée d'Alger, - les pièces ou médailles, 
          non classées encore, comprennent cependant des bronzes de Carthage, 
          des plombs numides, des deniers de Juba et de Ptolémée 
          et des monnaies autonomes de Caesarea. 
          
          Les morceaux d'architecture de l'époque romaine forment un groupe 
          intéressant, leur ornementation est souvent riche et dénote 
          toujours une remarquable perfection de travail où l'on sent percer 
          l'art grec. Presque tous sculptés dans le plus beau marbre, ils 
          attestent la splendeur des palais de la capitale de la Mauritanie ; 
          les chapiteaux et les corniches d'entablement, les architraves, surtout, 
          sont d'une élégance et d'une finesse rares. 
          
          La sculpture est la section la plus importante du Musée. Elle 
          forme à elle seule un ensemble aussi riche que toutes les autres 
          collections algériennes réunies. Mais les Vandales et 
          les iconoclastes sont passés par là : presque toutes les 
          statues sont mutilées ; les tètes trouvées au hasard 
          des fouilles et groupées dans un coin spécial sont, elles 
          aussi, en assez piteux état. Le plus grand nombre d'entre ces 
          uvres d'art frappe par l'élégance et la beauté 
          des formes. On y relève notamment : 
          
          Une cariatide (trouvée en 1879) en marbre pentélique, 
          de1m70 de haut, remarquable surtout par le fouillé et le fini 
          d'un vêtement de dessous aux mille plis tombant jusqu'aux pieds 
          chaussés de sandales. C'est une copie, sans doute, d'une uvre 
          de l'école attique, semblable aux ligures féminines découvertes 
          à Délos et sur l'Acropole d'Athènes ; 
          
          Des tètes colossales d'une hauteur variant de 0m90 à 1 
          mètre, masques sculptés seulement sur la face antérieure 
          et évidés par derrière, dus sans doute au ciseau 
          d'un artiste du Ier siècle et destinés à couronner 
          la façade d'un édifice : 
          
          Des tètes en marbre, fragments de bustes ou de statues de Juba 
          II, Auguste, Apollon, Agrippine, etc. ; 
          
          Un Bacchus colossal (2m20) en marbre blanc de Carrare, uvre moins 
          banale que la plupart de ses semblables découvertes en Afrique, 
          et qui a tenté le Musée du Louvre, où elle figure 
          maintenant. Il n'en reste à Cherchell qu'un moulage en plâtre 
          : 
          
          Un tireur d'épine, marbre à grain très lin, uvre 
          un peu mièvre et reproduction de quantité de sujets similaires 
          : 
          Un faune à la panthère, en marbre de Paros, bel adolescent 
          aux membres nerveux, aux formes sveltes, qui de la main gauche soulève 
          par la queue une panthère occupée à dévorer 
          des grappes de raisin. C'est le mouvement souvent donné à 
          Bacchus par les Grecs ; 
          Un Serapis assis. Un moulage seul demeure de cette uvre, transportée 
          dans un autre musée. 
          
          Le dieu qu'elle représente rappelle le Zeus des statues grecques 
          : cependant, si la chevelure abondante ceinte d'un bandeau, la barbe 
          touffue et le front haut conviennent au type de Zeus, l'expression de 
          la physionomie ne permet pas d'y voir le dieu de l'Olympe, mais bien 
          plutôt Serapis, le dieu débonnaire et ptolémaïque 
          qui résulta de la confusion d'Apis avec un dieu étranger 
          à l'Égypte, probablement le Zeus des Grecs : 
          
          Une Athénée debout, dont le bras droit, qui s'appuyait 
          sans doute sur la lance, a disparu, drapée d'un manteau dorien 
          et vêtue d'une égide étroite à tète 
          de gorgone passée en écharpe. C'est une uvre grecque, 
          en marbre de Paros, du Vème siècle, copie d'un bronze 
          du Ier siècle de l'ère chrétienne ; 
          
          Une Diane chasseresse, statuette en marbre onyx translucide, un prêtre 
          de Cybèle, une Vénus drapée, en marbre blanc, un 
          joueur de flûte ; 
          
          Une Vénus marine qui faisait pendant à celle du Musée 
          d'Alger dans les Thermes de l'Ouest, et qui lui est inférieure 
          dans l'exécution. Cette uvre est en marbre de Carrare et 
          date probablement du début du IIIème siècle ; 
          Des bustes, dont un où l'on s'accorde à voir l'empereur 
          Alexandre Sévère: 
          
          Une quantité de torses trouvés un peu partout, souvent 
          au hasard des fouilles ou de tranchées sur des terrains à 
          bâtir ou dans les rues. 
          
          Les mosaïques sont peu nombreuses. Deux seulement figurent au Musée 
          : les Trois Grâces et !a Chasse au Lion. Une autre, la plus belle, 
          forme le pavage du chur dans l'Église; elle représente 
          des paons autour desquels rayonnent des oiseaux et des animaux de toute 
          sorte. 
          La collection des bronzes est des plus pauvres également. Sa 
          plus belle pièce, une Vénus entrant au bain, figure au 
          Musée de Mustapha; il n'en reste à Cherchell qu'un moulage. 
          Tel qu'il est, le Musée mérite certainement la visite 
          des touristes et peut être considéré comme relativement 
          bien fourni si l'on songe à toutes les mutilations qu'infligèrent 
          aux uvres d'art de l'ancienne capitale de Juba le temps et surtout 
          les hommes dans la période si troublée que traversèrent 
          les Mauritanies au cours du IVème siècle. 
          
          On ne peut que se féliciter que tout ce qui reste ait échappé 
          aux atteintes des barbares, aux fureurs dévastatrices des premiers 
          chrétiens, aux tremblements de terre et aux dégradations 
          du soleil et de la pluie dans l'espèce de cour ouverte à 
          tous vents où les collections étaient entassées 
          pèle-mêle jusqu'à l'an dernier. 
          Quand les largesses du budget permettront enfin de commencer des fouilles 
          sérieuses dans l'ancien théâtre, les vestiges de 
          l'art antique qu'on mettra presque sûrement à jour seront 
          assurés au moins d'avoir, dans l'avenir, un abri convenable contre 
          la morsure du temps et contre les hommes qui convertissent facilement 
          en abreuvoir les sarcophages extraits des anciennes tombes ou des villas 
          éparses dans la plaine.
          
          
          