| CHAPITRE IIVISITE DES RUINES
 Les ruines de Tipasa comptent parmi les moins 
        mal conservées de l'Algérie. Sauf sur l'emplacement du village 
        moderne et sur quelques espaces livrés à la culture, la 
        direction des rues et le plan des constructions peuvent encore se reconnaître. 
        Cependant, par suite des apports d'un ruisseau qui a plusieurs fois changé 
        de lit, tout le quartier central, où se trouvent les thermes et 
        Pamphithéétre, est aujourd'hui remblayé de plusieurs 
        mètres; d'autre part, la mer, qui est en continuel progrès 
        de ce côté, a, en Minant le littoral rocheux, fait écrouler 
        une parfie des édifices qui la bordaient. On doit ajouter que Tipasa 
        a, comme les ruines de Rusguni situées au cap Matifou, servi 
        de carrière sous la domination turque pour les bâtisses qui 
        se faisaient à Alger ou aux alentours.
 LES THERMES, - L'AMPHITHÉÂTRE
 
 Le principal édifice de Tipasa à l'époque romaine 
        était un établissement de bains publics. Il se trouvait 
        au coeur mème de la ville (no 1 sur la carte). La disposition des 
        salles, le mode de construction en moellons et en briques rappellent assez 
        les grands thermes de Césarée probablement contemporains 
        (fin du second ou début du troisième siècle). Malheureusement 
        plusieurs pièces ont été récemment transformées 
        en caves, et le reste est très enterré, si bien que ces 
        thermes ne présentent pas grand intérét. Au sud, 
        du côté du village, on voit d'énormes pans de murs 
        délimitant une vaste salle, jadis voûtée, qui devait 
        avoir au moins quinze mètres de hauteur.
 
 En quittant cette ruine et en se dirigeant vers l'ouest, on traverse le 
        parc de M. Trémaux, libéralement ouvert aux visiteurs, et 
        on arrive à l'amphithéâtre, encore plus mal conservé 
        que celui de Cherchel (no 2). Le grand axe mesure environ cent mètres 
        de longueur.
 
 LE CHÂTEAU D'EAU, - L'AQUEDUC
 
 Un monument curieux se trouve à deux cents mètres environ 
        de là, du côté du couchant. C'est une grande fontaine, 
        presque un château d'eau, en forme d'hémicycle (n° 3). 
        L'eau y était amenée par une ramification de l'aqueduc dont 
        nous parlerons tout à l'heure. Elle se répandait d'abord, 
        le long de la muraille drt fond, sur une sorte de plate-forme cimentée, 
        haute d'environ deux mètres, animée par des statues, dont 
        on a retrouvé quelques fragments, et bordée d'un portique 
        de colonnes en marbre bleu. Puis, à travers divers conduits, elle 
        coulait dans des bassins que limitaient en avant des dalles dressées 
        et des piliers, s'élevant à hauteur d'appui. C'était 
        là qu'on venait la puiser, c'était là peut- être 
        aussi que l'on faisait boire les chevaux. Par derrière aboutissait 
        l'aqueduc qui alimentait Tipasa. Il avait son point de départ à 
        neuf kilomètres au sud-ouest, près du confluent de trois 
        rivières qui se réunissent pour former l'oued Nador. Son 
        parcours généralement souterrain, se reconnaît fort 
        bien en divers endroits de la campagne; d'ailleurs la conduite actuelle 
        est en partie l'ancienne conduite romaine. Il entrait dans la ville en 
        traversant la partie inférieure de la tour d'angle du sud-ouest 
        qui, pour cette raison, a été cimentée, et, à 
        quelques mètres de la fontaine, il se bifurquait. D'un côté, 
        une conduite se rendait à cette fontaine, en passant sur une suite 
        de piles encore en place; de l'autre, un canal vertical allait déboucher 
        dans la voûte d'un caveau, aux fortes parois, renforcées 
        par des banquettes intérieures (no 4). Cette pièce, encore 
        bien conservée, était la chambre de distribution de l'eau 
        qui alimentait la ville : des conduites la portaient de là dans 
        les différents quartiers,
 
 LE MAUSOLÉE PYRAMIDAL, - L'ÉGLISE 
        BYZANTINE
 
 A l'est, à une trentaine de pas, se trouve un petit mausolée 
        carré, dont des pilastres cannelés ornent les angles (n. 
        5). Les murs intérieurs sont percés de niches, dans lesquelles 
        étaient autrefois placées les urnes qui contenaient les 
        cendres des morts. Ce mausolée était surmonté d'une 
        pyramide massive à base octogonale, qui gît à côté, 
        presque intacte. Le monument complet avait une dizaine de mètres 
        de hauteur. On sait que c'était chez les Romains une règle 
        très stricte de ne pas souffrir de tombeaux à rifitériettr 
        de leurs villes. Il faut donc admettre qnn le Mausolée dont nous 
        parlons est antérieur à l'agrandissement de Tipasa : il 
        date du temps où elle ne couvrait encore que la colline centrale, 
        probablement du premier siècle deo notre ère.
 
 Dirigeons-nous maintenant vers la route départementale qui passe 
        à quelques mètres au sud. En chemin, nous rencontrons un 
        grand mur qui se détache pittoresquement sur le ciel (n° 6). 
        Percé d'une large baie que fermait jadis une grille, il faisait 
        partie d'un édifice public de vastes dirriensierts, dont le plan 
        n'est plus reconnaissable, Escaladons sans scrupule un mur de clôture; 
        traversons la rente et allons jeter un coup d'oeil sur les restes d'une 
        petite église chrétienne, datant probablement de l'époque 
        byzantine (no 7). Elle était, selon l'usage, de forme rectangulaire 
        et avait son entrée à l'ouest. On distingue encore quelques 
        bases des deux colonnades qui séparaient la nef des bas-côtés 
        ; deux fûts ont été redressés et quelques chapiteaux 
        gisent à côté : ils sont ornés de grosses volutes 
        et ressemblent assez aux chapiteaux de certaines de nos plus anciennes 
        églises romanes. Au fond de la nef, à l'est, une pièce, 
        en forme de demi-cercle, et ne communiquant avec l'église que par 
        une ouverture assez étroite, est aujourd'hui envahie par des acanthes 
        : c'était l'abside où se tenait le clergé pendant 
        les offices.
 
 LE THÉÂTRE
 
 Après avoir franchi de nouveau la route, on peut aller au théâtre, 
        qui est en fort mauvais état (no 8). Il ne reste que quelques pierres 
        de la scène. Quant à la partie réservée aux 
        spectateurs, elle est couverte de broussailles; les gradins, encore presque 
        intacts il y a cinquante ans, ont servi à la construction de l'hôpital 
        du village de Marengo. La salle était assez petite : elle pouvait 
        contenir tout au plus deux mille spectateurs.
 
 LA PORTE DE CÉSARÉE, - LE REMPART
 
 A quelques mètres de là, à l'intersection de la route 
        de Cherchel et du sentier qui passe devant la fontaine, se voient les 
        débris d'une grosse tour ronde, qui avait trente mètres 
        de circonférence (no 9). De l'autre côté de la route, 
        on remarque la base d'une autre tour symétrique et de même 
        grosseur. Là se trouvait une des portes de la ville antique. La 
        voie romaine conduisant à Césarée passait entre les 
        deux tours, qui faisaient partie de l'enceinte. Cette enceinte, dont on 
        pourra suivre une section en remontant dans la direction de la mer, vers 
        la grande église (no 10), est facilement reconnaissable tout autour 
        de Tipasa.
 
 Construit en moellons noyés dans un ciment très dur, le 
        rempart mesure 1m60 de largeur, et sa hauteur - il n'en reste aujourd'hui 
        que le bas - devait être de sept à neuf mètres. Il 
        était sans doute couronné par un chemin de ronde, bordé 
        de créneaux. Des bastions rectangulaires se dressaient à 
        des distances variables, voisins les uns des autres sur les points les 
        plus exposés, plus espacés ailleurs. Ils avaient de 5m50 
        à sept mètres de front et l'on peut calculer qu'ils étaient 
        élevés d'environ quinze mètres. On accédait 
        aux parties supérieures par des escaliers appliqués contre 
        les bastions et le long du mur d'enceinte. Les deux extrémités 
        du rempart, les angles qu'il formait en divers endroits, les abords des 
        portes étaient défendus par des tours rondes, semblables 
        à celles que nous venons de rencontrer. Les portes paraissent avoir 
        été peu nombreuses; on n'en peut compter actuellement que 
        trois : à l'ouest, celle de Césarée; au sud, celle 
        par laquelle sortait la route se dirigeant vers Hammam Righa; enfin, à 
        l'est, celle qui livrait passage aux deux routes d'Icosium (Alger) et 
        de Mouzaïaville. Ce rempart, qui brava Firmus, fut élevé 
        vraisemblablement au second siècle, vers la même époque 
        que celui de Césarée, bàti de la même manière. 
        Quant à sa destruction, elle n'a pas été seulement 
        l'oeuvre du temps. A divers endroits, il est visible que l'on a entaillé 
        des deux côtés le mur près de sa base, puis qu'à 
        l'aide de puissants leviers, on l'a culbuté en avant. Il faut probablement 
        reconnaître là l'oeuvre des Vandales : leur roi Genséric 
        fit démanteler les murailles de presque toutes les villes d'Afrique, 
        pour empêcher ses sujets de se révolter et les Romains de 
        trouver des places fortifiées dans le cas où ils viendraient 
        lui faire la guerre.
 
 LA GRANDE ÉGLISE
 
 Le sommet de la colline de l'ouest est occupé par un intéressant 
        ensemble de ruines (no 10). Là se trouvait la principale église 
        ou basilique chrétienne de Tipasa, construite, autant qu'il semble, 
        au quatrième siècle. La colline en a gardé le nom 
        : les Arabes l'appellent en effet Ras el Knissa, qui veut dire le cap 
        de l'église. Des fouilles, malheureusement inachevées, y 
        ont été faites récemment et permettent de reconnaître 
        le plan général, que nous donnons ici ; les murs ne s'élèvent 
        pourtant pas beaucoup au-dessus du niveau du sol.
 
 - L'édifice mesurait 52 mètres de long sur 45 de large. 
        Comme de coutume, son entrée s'ouvrait à l'ouest : elle 
        était toute voisine du rempart, que renforçait près 
        de là un bastion rectangulaire, et qui, un peu plus au nord, se 
        terminait par une tour ronde.
 
 L'intérieur de l'église était divisé en sept 
        nefs séparées par des piliers carrés : ils sont presque 
        tous détruits, sauf trois d'entre eux, que surmontent encore deux 
        arcades. Suivant un usage très fréquent dans les basiliques 
        d'Afrique, comme dans celles d'Orient, la nef centrale, large de I 3m50, 
        est entièrement décorée d'une mosaïque, qui 
        couvre prés de sept cents mètres carrés de superficie; 
        les motifs représentés sont des ornements qui se répètent 
        à l'infini : lignes de petits triangles enfermés entre des 
        filets, carrés remplis par des tresses. Cette mosaïque semble 
        avoir été faite à la hale et avec peu de soin : aussi 
        est-elle fort endommagée. L'autel devait etre placé vers 
        le fond de la nef centrale ; on n'en a retrouvé aucun vestige, 
        ce qui ne doit pas étonner, car il était sans doute en bois, 
        comme la plupart des autels chrétiens d'Afrique : il aura été 
        détruit par le temps ou par quelque incendie. En arrière, 
        s'ouvrait l'abside, dont la paroi, en demi-cercle, s'est presque tout 
        entière écroulée dans la mer. L'entrée, qui 
        a été plus tard rétrécie par un mur transversal, 
        était primitivement flanquée de deux grandes colonnes : 
        la base de celle de gauche est encore en place. Les autres nefs, dont 
        le sol est recouvert d'une couche de béton, sont étroites 
        : elles mesurent 3,.75 à quatre mètres de largeur. Les rangées 
        de piliers et d'arceaux, de hauteurs décroissantes dans la direction 
        des murs latéraux, soutenaient des toits inclinés, en charpente 
        et en tuiles. Quant à la nef du milieu, les deux rangées 
        qui la limitaient étaient surmontées de murs, percés 
        de larges fenêtres et supportant les extrémités des 
        poutres d'un toit en dos d'aile (Comparer, 
        pour ces dispositions, la vignette donnée plus loin, qui représente 
        l'intérieur restauré de la basilique de sainte Salsa.). 
        Mais cet espace central était trop large, et ce fut peut-être 
        autant pour diminuer la portée de la toiture que pour embellir 
        l'église qu'on le divisa plus tard en trois galeries séparées 
        par de hautes colonnades : la basilique eut dès lors neuf nefs. 
        Les colonnes, en pierre ou en granit, avec des chapiteaux à volutes 
        ou à feuilles d'acanthe, furent en partie empruntées à 
        des monuments d'époque antérieure et on les posa simplement 
        sur la mosaïque.
 
        
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              Plan de la grande basilique de Tipasa |  Au nord de cette église, s'élevaient 
        des bâtiments qui en dépendaient, mais les progrès 
        de la mer, rongeant le roc, les ont fait en partie disparaître. 
        On remarque d'abord une petite chapelle, A, avec une seule nef et une 
        abside à l'ouest : une mosaïque, assez mal conservée 
        et aujourd'hui recouverte de terre, y représente des agneaux paissant 
        parmi des asphodèles : symbole des chrétiens vivant en paix 
        sous la loi du Christ, qui s'était comparé lui-même 
        à un bon pasteur. Puis vient le baptistère, B. C'est une 
        salle carrée, pavée aussi d'une mosaïque consistant 
        en ornements divers; au centre se trouvent les fonts, bassin rond de 3m40 
        de diamètre avec trois degrés à l'intérieur. 
        On sait que, dans les premiers temps du christianisme, on ne se contentait 
        pas de répandre de l'eau sur le front des néophytes : dépouillés 
        de tous leurs vêtements, ils devaient entrer dans la piscine, où 
        ils se tenaient debout. L'évêque prenait un peu d'eau et 
        la leur versait sur la tête, un prêtre leur faisait au front 
        une onction avec de l'huile sainte ; ensuite, ils sortaient des fonts 
        et revêtaient des habits blancs. Ces cérémonies s'accomplissaient 
        la veille de Pâques ou de la Pentecôte.
 - Dans notre piscine, on voit le trou par lequel l'eau s'écoulait 
        vers la mer, mais il n'y a aucune trace de conduit servant à l'introduire 
        : il est vraisemblable qu'elle était amenée au sommet de 
        la salle par un ou plusieurs tuyaux et se répandait en pluie dans 
        le bassin.
 
 On entrait dans le baptistère par un vestibule, C, dont le pavement 
        de mosaïque porte une inscription en vers : elle recommande à 
        ceux qui veulent acquérir la vraie science de la vie de venir se 
        laver ici dans l'eau du baptême, don céleste. Ce vestibule 
        donnait sur une sorte de couloir, D, qu'une abside, presque entièrement 
        détruite, fermait au nord. C'était peut-être là 
        que les néophytes se dépouillaient de leurs vêtements. 
        Une mosaïque, d'un assez joli travail, y représente des oiseaux, 
        coq, canard, perdrix, flamant, entourés de branches, de poires, 
        d'oranges et de grenades. Des salles E et F, il ne subsiste presque rien. 
        Quant aux chambres G, II, I, communiquant entre elles, elles pouvaient 
        être chauffées ; leur dallage, formé de grandes tuiles 
        carrées, était supporté par de nombreuses petites 
        piles en briques et, dans les sous-sols ainsi formés, la vapeur 
        d'eau se répandait ( Sur ce mode 
        de chauffage, voir plus haut, p. 45-46. ). Au fond de la chambre 
        I, il y avait une baignoire qui servait sans doute aux néophytes, 
        car ils devaient présenter au baptême un corps pur de toute 
        souillure. C'était peut-être dans les espaces J, K, L, bas 
        et voûtés, qu'on préparait la vapeur d'eau nécessaire 
        au chauffage des salles précédentes. Enfin, il y avait dans 
        le voisinage deux citernes, M et N; la margelle de celle-ci a la forme 
        d'une base de colonne évidée.
 
 LE CIMETIÈRE CHRÉTIEN DE L'OUEST
 
 En franchissant le rempart, nous nous trouverons aussitôt au milieu 
        d'un cimetière.
 
 Après l'agrandissement de la ville, les sépultures païennes 
        furent en général disposées de chaque côté 
        des routes qui sortaient de Tipasa, comme c'était l'usage chez 
        les Romains. On n'en a pas encore découvert beaucoup, car les terrains 
        qu'elles occupaient sont aujourd'hui très remblayés et en 
        partie couverts de cultures (Au delà 
        de l'ancienne porte de Césarée, sur la droite de la route 
        départementale et de chaque côté d'un ruisseau, on 
        remarque les restes de plusieurs colombaires.). Ces- tombes 
        par leurs formes et leur mobilier funéraire sont semblables à 
        celles de Cherchel, dont nous avons dit quelques mots.
 
 Quant aux sépultures chrétiennes, elles se trouvent presque 
        toutes dans deux vastes cimetières, à l'ouest et à 
        l'est de Tipasa, en dehors du rempart, sur des collines qui dominent la 
        mer et d'où la vue embrasse de charmants paysages. Vieilles d'environ 
        quinze siècles, meurtries par le temps et les hommes, foulées 
        par les troupeaux, encadrées de sauvages broussailles, ces milliers 
        de tombes laissent à l'esprit une impression profonde. Elles sont 
        en général disposées de telle manière que 
        la tête du mort se trouve à l'ouest, regardant le soleil 
        levant, et, comme les tombes chrétiennes de Cherchel, elles ne 
        contiennent jamais aucun mobilier.
 
 Beaucoup d'entre elles ont été creusées dans le roc. 
        Les plus simples sont des fosses, de forme rectangulaire, ou arrondies 
        du côté de la tête: elles présentent souvent 
        une feuillure, pour recevoir la dalle qui les couvrait. Les caveaux sont 
        nombreux aussi. On y pénètre soit par une petite ouverture 
        horizontale, placée à fleur de terre, soit par une porte 
        verticale; ces entrées étaient jadis défendues par 
        des dalles. A l'intérieur, un ou plusieurs morts ont été 
        déposés sur le sol même (probablement dans un cercueil 
        de bois qui a disparu), ou bien dans des fosses. Tout près du rempart, 
        on peut, si l'on a le pied sur, aller visiter plusieurs de ces grottes 
        funéraires, voisines les unes des autres : elles sont placées 
        le long d'un étroit sentier qui domine la mer d'une cinquantaine 
        de mètres (no 11). A l'intérieur de la plus grande, de larges 
        niches en forme d'arcades, disposées à droite, à 
        gauche et au fond, surmontent des fosses creusées dans des banquettes 
        qui ont été ménagées dans le roc à 
        cet effet. Trois autres tombes y ont été faites plus tard 
        : l'une d'elles a été pratiquée dans le sol, immédiatement 
        derrière la porte ; les deux autres sont en partie maçonnées, 
        en partie creusées sous la banquette du fond. Ce caveau était 
        décoré de peintures qui, par malheur, sont détruites 
        à peu près complètement. Au plafond, on distingue 
        des restes de tiges vertes; dans le fond de la niche de droite, deux personnages 
        vêtus de manteaux rouges et une bête dont l'espèce 
        n'est pas reconnaissable; au-dessus de la porte, un animal qui se dirige 
        à droite en galopant. Ces peintures rappellent celles dont les 
        chrétiens de Rome aimaient à orner, dans les catacombes, 
        les tombes de leurs morts.
 
 Les cuves rectangulaires, en pierre calcaire, simplement déposées 
        à la surface du sol et jadis protégées par un couvercle, 
        qui a généralement disparu, sont bien plus nombreuses encore 
        que les tombes percées dans le roc. Quelques-unes d'entre elles 
        sont doubles et pouvaient recevoir deux corps. Des cuves semblables avaient 
        été couvertes par un massif demi-cylindrique en maçonnerie, 
        - c'est une forme de tombe que les Phéniciens semblent avoir importée 
        en Afrique, où elle s'est maintenue jusqu'à une très 
        basse époque ; - le devant de ce caisson était parfois orné 
        d'un revêtement en mosaïque, portant le nom du mort.
 
 On rencontre moins fréquemment des mausolées, monuments 
        plus coûteux, qui convenaient aux riches. D'ordinaire carrés 
        ou rectangulaires et de dimensions très variables (2m50 à 
        13 mètres de côté), ils étaient surmontés 
        d'une voûte en berceau ou d'une toiture de tuiles, et contenaient 
        plusieurs cercueils en pierre, semblables à ceux dont nous venons 
        de parler, plus rarement quelque sarcophage en marbre, orné de 
        bas-reliefs. Certains de ces mausolées offraient des dispositions 
        particulières. L'un d'eux, situé dans le cimetière 
        occidental, à une soixantaine de mètres du rempart, a été 
        fouillé récemment par M. l'abbé Grandidier, curé 
        de Tipasa (no 12). De forme ronde, il mesure dix-huit mètres de 
        diamètre. Des colonnes engagées dans la maçonnerie 
        en ornaient le pourtour extérieur. L'entrée regardait la 
        mer. Au dedans, il présentait quatorze grandes niches à 
        arcades, occupant tout le pourtour du monument, et dont chacune abritait 
        un cercueil. Plus tard, la partie centrale fut envahie par d'autres tombes 
        semblables.
 
 L'ÉGLISE DE L'ÉVÊQUE ALEXANDRE
 
 L'édifice le plus important de ce cimetière a été 
        découvert en 1892 par l'abbé Saint-Gérand. Il se 
        trouve à environ cent cinquante pas de ce mausolée (no 13). 
        C'est une construction en. moellons, d'une forme assez irrégulière, 
        qui a été déterminée par l'existence de salles 
        voisines, d'époque antérieure. Le plan présente à 
        peu près l'aspect d'un trapèze, dont le plus grand côté 
        mesure vingt-trois mètres. Cette chapelle, dans laquelle on entrait 
        par de petites portes ouvertes sur les flancs , est divisée, dans 
        le sens de la longueur, en trois nefs, séparées par deux 
        rangées de piliers. A l'est, au fond de la nef centrale, qui est 
        entièrement pavée en mosaïque, se trouve une sorte 
        d'estrade à laquelle on accède par deux petits escaliers 
        latéraux. Elle est constituée par neuf tombeaux en pierre, 
        alignés, et elle supportait un autel, aujourd'hui détruit. 
        Qu'étaient ces tombeaux? L'inscription commémorative, tracée 
        sur la mosaïque de la nef, au bas de l'estrade ( Elle 
        est actuellement recouverte de terre, comme l'épitaphe d'Alexandre, 
        dont il sera question tout à l'heure), va nous le dire. 
        Elle est en vers (avec de maladroites imitations de Virgile), amphigourique 
        et très prétentieuse :
 ""
 Ce brillant édifice que l'on admire, ces toits aux faîtes 
        éclatants, ce saint autel que vous voyez ici ne sont pas l'oeuvre 
        des grands de la terre, mais celle de l'évêque Alexandre, 
        dont ce travail glorieux fera vivre le nom triomphant à travers 
        les siècles. La renommée fait connaître à tous 
        son noble ouvrage. C'est qu'il a placé dans cette belle demeure 
        les justes du temps passé, qu'un long oubli avait soustraits aux 
        regards. Maintenant, ils brillent au grand jour, reposant sous un bel 
        autel, et ils se réjouissent de voir fleurir leurs couronnes unies. 
        Voilà ce qu'a conçu, ce qu'a a exécuté leur 
        noble gardien. De tous côtés, pressée du désir 
        de voir, la foule des chrétiens accourt; heureux de toucher de 
        leurs pieds les seuils sacrés, et chantant des cantiques, ils viennent 
        tendre leurs. mains pour recevoir la communion.
 
 Ces tombeaux sont donc ceux des " justes du temps passé ", 
        probablement des premiers évêques de Tipasa, dont les corps 
        furent réunis par leur successeur Alexandre, et en l'honneur desquels 
        il fit construire l'église que nous visitons, vers la fin du quatrième 
        siècle.
 
 Une abside se voit à l'autre extrémité de la nef 
        centrale, au couchant. Mais la disposition des pierres prouve qu'elle 
        n'existait pas dans le plan primitif de la chapelle. En avant, la mosaïque 
        présente sept rangées de poissons, puis l'épitaphe 
        d'Alexandre, enseveli à cet endroit. Dans le même style ampoulé 
        que l'inscription voisine, elle vante les vertus de ce saint évêque, 
        fidèle toute sa vie à l'égliSe catholique, observateur 
        de la chasteté, ami des pauvres, adonné tout entier aux 
        oeuvres de charité, et dont les enseignements ont su rendre florissante 
        l'innombrable population de Tipasa. " Son àme est dans 
        le séjour de délices, son corps repose ici en paix, attendant 
        la résurrection des morts, afin d'être associé aux 
        saints dans la possession du royaume céleste. "
 
 C'était pour les premiers chrétiens un grand privilège 
        d'être enterrés auprès des saints, des personnages 
        vénérés : on croyait que, par la vertu de ce voisinage, 
        leurs corps ressusciteraient plus vite au jour du jugement dernier. Aussi 
        la petite église contient-elle de nombreuses tombes : la nef de 
        droite en est encombrée ; d'autres ont été placées 
        entre les piliers, et, selon une coutume que l'on retrouve souvent en 
        Afrique, leur couvercle a reçu un placage en mosaïque, avec 
        le nom et l'éloge du mort. A un vieillard, on décerne cette 
        belle louange : " Même après sa mort, il vit par ses 
        bienfaits ; on dit d'une jeune femme, Astania, qu'elle était " 
        très illustre par ses grands ancêtres ".
 
 LA COLLINE CENTRALE
 
 Quittons cet intéressant cimetière de la colline de l'ouest 
        et revenons à l'intérieur de la ville, en suivant la côte. 
        Nous arriverons ainsi à la colline centrale, aujourd'hui couronnée 
        par un phare. C'était en ce lieu, nous l'avons dit, que Tipasa 
        se trouvait resserrée aux premiers temps de son existence. Les 
        maisons, disposées le long de rues droites et bien dallées, 
        y sont plus nombreuses que partout ailleurs. On y reconnaît aussi 
        des puits et, de grandes citernes bien conservées. Un écrivain 
        ancien (celui qui écrivit la vie de sainte Salsa, dont nous parlerons 
        tout à l'heure) nous apprend que sur cette colline, dont il donne 
        une description très exacte, s'élevaient aussi un grand 
        nombre de sanctuaires païens et que, pour cette raison, on l'appelait 
        le quartier des temples. La végétation y est si touffue 
        qu'on ne saurait reconnaître la place de ces édifices ; d'ailleurs, 
        ils ont pu être emportés par les flots ou recouverts par 
        des constructions postérieures. On a cependant trouvé, au 
        point désigné sur la carte par le n° 14, des fragments 
        d'architecture, colonnes, bases, corniches, fausse porte, d'un bon travail 
        et qui ont dû appartenir à quelque temple important, construit 
        peut-être au premier siècle de notre ère.
 
 LA PARTIE ORIENTALE DE LA VILLE
 
 En redescendant par le chemin du phare, nous gagnons le port actuel. Près 
        de là, on remarque un curieux monument (no 15), aujourd'hui baigné 
        par la mer qui, comme on le sait, a fait d'assez grands progrès 
        sur ce rivage. De forme rectangulaire, haut d'environ 3m50, creux à 
        l'intérieur, il n'a pas été construit en matériaux 
        apportés à cet endroit, mais on l'a ménagé 
        dans le roc, dont, tout autour, le niveau a été très 
        abaissé et aplani, par suite de l'exploitation de carrières. 
        Ce monument avait un couvercle en pierres de taille qui s'est en partie 
        conservé ; l'action des vagues a miné sa base, si bien qu'il 
        est aujourd'hui très incliné. C'était peut-être 
        un mausolée, antérieur à l'agrandissement de la ville, 
        comme celui que nous avons rencontré à côté 
        de la fontaine ( Voir plus haut, p. 
        106.). - Poursuivons notre route le long de la mer, dans la 
        direction de l'est. En chemin, nous rencontrerons un petit cimetière 
        romain, remontant aussi aux premiers temps de l'empire, et qui, englobé 
        plus tard dans la nouvelle enceinte, fut recouvert par des habitations 
        (no 16). Un certain nombre de tombes ont été fouillées; 
        elles présentaient le mobilier funéraire usuel. Ce sont 
        soit des fosses où étaient couchés des squelettes, 
        soit des trous qui contenaient des urnes enfermant des cendres humaines.
 
 LA BASILIQUE DE SAINTE SALSA
 
        
          |  
              Basilique de Sainte salsa à Tipasa |  
 On franchit ensuite le rempart et on entre dans le grand cimetière 
        chrétien de l'est. Il est inutile d'en décrire les sépultures, 
        qui ressemblent à celles que nous avons vues de l'autre côté 
        de la ville. Mais on devra y visiter un édifice important par les 
        souvenirs historiques qui s'y rattachent : la basilique de sainte Salsa 
        (no 17).
 
 Un savant jésuite a retrouvé, il y a quelques années, 
        dans deux manuscrits de la Bibliothèque Nationale, à Paris, 
        un écrit dû à un Tipasien qui vivait vers le début 
        du cinquième siècle de notre ère. Il y raconte la 
        mort glorieuse d'une sainte locale, Salsa, dont le nom se retrouve dans 
        des listes de martyrs africains. Bien que les parents de Salsa fussent 
        restés attachés aux pratiques du paganisme, elle avait reçu 
        le baptême et, quoiqu'elle fût àgée de quatorze 
        ans à peine, elle était animée d'une foi enthousiaste. 
        Il n'y avait encore qu'un petit nombre de chrétiens à Tipasa 
        ; cependant les persécutions avaient cessé. Les cultes païens 
        n'étaient plus célébrés officiellement; sur 
        la colline des temples, les sanctuaires des dieux et des empereurs divinisés 
        tombaient en ruines. On n'y adorait plus qu'un dragon de bronze à 
        tète dorée. - Ces indications nous reportent vers l'époque 
        où régnait Constantin le Grand, au premier tiers du quatrième 
        siècle (aucune date précise n'est donnée par notre 
        auteur).
 
 Un jour les parents de Salsa l'emmenèrent contre son gré 
        à une fête qui se célébrait sur la colline. 
        La jeune fille fut prise d'indignation en voyant les sacrifices, les réjouissances 
        impures, les danses,les contorsions fanatiques des idolâtres; mais 
        le sermon qu'elle leur fit excita leur risée. La fête terminée, 
        tous ces gens, ivres, s'endormirent; Salsa en profita aussitôt pour 
        saisir la tête du dragon et la précipiter dans la mer, sans 
        être vue de personne.
 
 Peu de temps après, elle revint au sanctuaire, avec l'intention 
        de jeter cette fois dans les flots le corps même de l'idole. Elle 
        y réussit, mais la statue de bronze fit en tombant un tel fracas 
        que les gardiens accoururent. La populace s'empara de la jeune fille. 
        Lapidée, percée de coups d'épée, piétinée, 
        mise en pièces, elle fut enfin jetée à la mer, car 
        ses meurtriers voulaient qu'elle reslàt sans sépulture.
 
 La mer reçut le corps comme dans un berceau ; elle ne l'accrocha 
        pas aux roches, elle ne l'ensevelit pas au milieu des algues profondes, 
        mais, le caressant doucement de ses vagues, elle le porta jusque dans 
        le port. Presque à ce moment, un certain Saturninus, venant de 
        Gaule, y jetait l'ancre par un temps calme. Mais voilà que soudain 
        une tempête violente s'élève et fait courir au vaisseau 
        les plus grands dangers. Dans son sommeil, Saturninus reçoit l'ordre 
        de recueillir le corps de la martyre, qui se trouve sous son navire : 
        sinon il périra. Une fois réveillé, il crut à 
        un songe menteur et ne tint aucun compte de cet avertissement. Le lendemain 
        et le jour suivant, la tempête redoubla : les gens de l'équipage 
        avaient perdu tout espoir de sauver le vaisseau et ne souhaitaient plus 
        que leur propre salut. Saturninus reçut un second avertissement, 
        puis un troisième. Il se décida enfin à obéir 
        et
 plongea dans la mer. Aussitôt sa main, guidée par Dieu, toucha 
        la ceinture de la martyre : il prit dans ses bras le corps et reparut 
        à la surface, " rapportant d u sein des flots cette précieuse 
        perle du Christ." Dès que l'air revit le corps sacré, 
        la mer s'apaisa et les vents tombèrent. Saturninus et ses compagnons, 
        rendant grâces à Dieu, portèrent sur la côte 
        la dépouille de Salsa, qui fut ensevelie dans une humble chapelle, 
        au-dessus même du port.
 
 L'auteur ajoute que le rebelle Firmus, n'étant pas parvenu, après 
        plusieurs jours d'efforts, à ouvrir une brèche dans les 
        remparts de Tipasa qu'il assiégeait, entra dans le sanctuaire de 
        sainte Salsa, situé en dehors des murs. Il implora la protection 
        de la martyre, mais ses prières furent repoussées, le pain 
        et le vin qu'il offrit à l'autel tombèrent à terre, 
        les cierges qu'il alluma s'éteignirent. Furieux, il frappa de sa 
        lance le tombeau de Salsa. Dans le vestibule même, il tomba de cheval 
        ; ce jour-là et dans la nuit qui suivit, son armée fut vaincue 
        et mise en déroute : lui-même dut lever le siège et, 
        peu de temps après, il périt, victime de son impiété.
 
 Quand les lois impériales eurent aboli le paganisme, le sanctuaire 
        du dragon, sur la colline des temples, fut occupé par les Juifs 
        qui en firent une synagogue. Mais bientôt l'Église prit possession 
        de ce lieu, sanctifié par la mort de Salsa, et elle y fit bâtir 
        une basilique, placée sous son vocable. - Cet édifice n'a 
        pas été retrouvé et il est possible qu'il se soit 
        écroulé dans la mer.
 Comme nous l'avons fait remarquer à propos de sainte Martienne, 
        l'acte accompli par la jeune Salsa était contraire à la 
        discipline chrétienne. Elle n'en reçut pas moins le titre 
        de martyre, et les habitants de Tipasa la vénérèrent 
        comme la patronne de leur cité. Plusieurs générations 
        s'appliquèrent à agrandir, à embellir la basilique 
        qui fut construite au-dessus de sa tombe.
 
 L'auteur du touchant récit qui vient d'être résumé 
        nous apprend qu'elle s'élevait au-dessus du port et hors de la 
        ville. L'indication est très exacte. C'est en effet à trois 
        cents mètres environ au delà du rempart que se dresse cette 
        ruine respectable. Nous en donnons ci-joint le plan.
 
 L'édifice a été construit par-dessus un petit cimetière 
        païen, dont on a retrouvé. plusieurs tombes, enfouies dans 
        ses fondations. L'une d'elles pourtant, conservée religieusement, 
        a été longtemps comme le centre de cette basilique (A sur 
        notre plan). Elle consiste en un cercueil en pierre dont on a trouvé 
        le couvercle brisé et l'intérieur vide, car il avait été 
        violé ; en avant, était placé un bloc taillé 
        en forme de caisson demi-cylindrique, sur lequel se lit le nom de la morte 
        qui reposait dans ce cercueil. C'était une païenne, riche 
        et vénérable matrone de soixante- trois ans, appelée 
        Fabia Salsa : ses fils, filles et petits-enfants lui avaient élevé 
        ce monument en reconnaissance de l'éducation qu'ils avaient reçue 
        d'elle, et aussi, ajoutent-ils, de la fortune qu'elle leur avait laissée. 
        Fabia Salsa était certainement de la même famille que la 
        jeune sainte : l'apparition en ce lieu du nom de Salsa, si rare qu'on 
        ne t'a rencontré nulle part ailleurs, le prouve assez. Ainsi la 
        martyre fut ensevelie dans le lieu 41e sépulture des siens, qui 
        semblent avoir tenu un rang assez distingué à Tipasa. C'est 
        sans doute à cause de cette parenté que le monument de Fabia 
        Salsa, malgré son caractère païen, resta intact et 
        bien en évidence au milieu de la nef de la basilique.
 
 
        
          |  
              Coupe de la façade |  Le sanctuaire, bâti en belles pierres 
        de taille, était d'abord carré et ne mesurait que quinze 
        mètres de côté : c'est là probablement l'humble 
        chapelle dont parle l'écrivain. L'entrée principale, comme 
        dans les églises de la ville que nous avons décrites, regardait 
        l'occident. En outre, une petite porte s'ouvrait sur le côté 
        gauche. A l'intérieur, deux rangées de piliers, surmontés 
        d'arceaux, séparaient les deux bas-côtés de la nef 
        centrale, qui se prolongeait au fond par une abside, en forme d'hémicycle, 
        réservée au clergé. Sur les flancs des piliers les 
        plus rapprochés de l'abside, ont été pratiqués 
        à des hauteurs assez variables des trous carrés où 
        entraient jadis des barres, auxquelles on attachait sans doute des rideaux. 
        D'autres trous plus petits, percés plus bas dans les mêmes 
        piliers, peuvent faire croire à l'existence d'une grille entre 
        la nef et les bas-côtés.
 Au cinquième siècle, toute cette nef, sauf l'espace occupé 
        par la tombe de Fabia Salsa, a été recouverte d'une mosaïque 
        aux brillantes couleurs, aux dessins variés, tresses, zigzags, 
        losanges, rangées d'écailles, etc. Elle est très 
        endommagée, ce qui tient à sa mauvaise fabrication et aussi 
        aux remaniements qu'a subis plus tard cette partie de l'église. 
        Après l'avoir découverte en 1891, on eut la précaution 
        de la recouvrir, mais, depuis, la terre qui la préservait a été 
        enlevée par les visiteurs et, si des mesures préservatrices 
        ne sont pas prises promptement, elle sera bientôt entièrement 
        perdue (Cette observation peut s'appliquer 
        aux mosaïques de l'église d'Alexandre et à celles du 
        baptistère.). Entre la tombe de Fabia Salsa et l'abside, 
        sur le côté gauche de la nef, un cadre a été 
        ménagé dans la mosaïque (B, sur le plan). On y lit 
        une inscription en mauvais vers, qui donne le nom de la martyre : u Ces 
        dons que vous voyez, au lieu où brille le saint autel, sont dus 
        aux soins, sont l'oeuvre de Potentius, qui se réjouit d'accomplir 
        la tache qui lui a été confiée. C'est ici que repose 
        la martyre Salsa, toujours plus douce que le nectar ( Il 
        y a là un jeu de mots, fort piteux, qu'il n'est pas possible de 
        traduire. Le nom de Salsa, qui veut dire salée, y est opposé 
        à la douceur du nectar. De semblables calembours ne sont pas rares 
        chez les plus graves écrivains ecclésiastiques, chez saint 
        Augustin par exemple.), qui a mérité d'habiter 
        toujours au ciel, en pleine béatitude. Heureuse d'accorder au pieux 
        Potentius une faveur qui puisse le récompenser de sa peine, elle 
        rendra " témoignage de son mérite dans le royaume des 
        cieux. " On connaît un évêque appelé Potentius 
        qui, vers 446, fut chargé par le pape Léon le Grand de faire 
        une enquête au sujet d'irrégularités commises, en 
        Maurétanie Césarienne, dans des élections épiscopales. 
        C'est peut-être le même
 personnage qui est nommé ici. Le style de cette mosaïque permet 
        de la dater du milieu du cinquième siècle, et cette époque 
        paraît bien convenir aux travaux d'embellisement mentionnésdans 
        l'inscription. Venus d'Espagne en 429, les Vandales avaient ravagé 
        l'Afrique, et les édifices chrétiens avaient été 
        surtout atteints par les dévastations de ces hérétiques. 
        Mais, par un traité conclu en 442, leur roi Genséric rendit 
        à l'empereur les Maurétanies, qui eurent alors quelques 
        années de répit et purent réparer leurs ruines. Cette 
        tranquillité dura peu : en 455, Genséric s'empara de toute 
        l'Afrique romaine.
 
 Ce fut, il y a quelque vraisemblance à l'admettre, pendant ce court 
        intervalle que Potentius fit exécuter dans le sanctuaire de sainte 
        Salsa les travaux dont il s'agit : il était peut-être évêque 
        de Tipasa.
 
 Où se trouvaient, au quatrième et au cinquième siècles, 
        le tombeau de Salsa et l'autel, sans doute placé auprès 
        ou au-dessus de ce tombeau ? Il est difficile de le dire. On pourrait 
        se demander si le corps de la martyre, recueilli, par Saturninus et ses 
        compagnons, ne fut pas déposé dans le cercueil de Fabia 
        Salsa : ce serait la meilleure explication à donner de la vénération 
        profonde témoignée par les chrétiens de Tipasa à 
        cette sépulture païenne, ainsi que de la place occupée 
        par l'inscription commémorative, qui a été tracée 
        juste derrière elle. Cependant si Salsa avait été 
        ensevelie dans la tombe d'une de ses parentes et y avait reposé 
        encore au temps où vécut l'écrivain qui célébra 
        ses louanges, il y a tout lieu de croire que celui-ci l'aurait dit. Il 
        est plus probable que le tombeau de la sainte était dans l'abside, 
        dont l'intérieur est aujourd'hui détruit. Par-dessus, aurait 
        été placé un autel, sans doute en bois, abrité 
        peut- être par une sorte de dais, qu'auraient supporté quatre 
        colonnes de marbre dont on a retrouvé çà et là 
        des fragments.
 
 Plus tard, l'église subit d'importantes modifications..Une partie 
        de la mosaïque et la tombe de Fabia Salsa (placée, comme on 
        le sait, vers le milieu de la nef) furent cachées sous un grand 
        socle en maçonnerie (lettre C du plan), construit à la hâte 
        et avec des matériaux disparates, mais revêtu extérieurement 
        de plaques de marbre dont. quelques-unes, celles des angles, étaient 
        ornées. de rameaux sculptés (La 
        plus grande partie de ce socle a dû être' détruite 
        pour examiner le tombeau de Fabia Salsa qu'il dissimulait.). 
        On entoura ce socle d'une grille, dont les piliers en pierre sont encore 
        visibles, et, par devant, on plaça une balustrade, en pierre aussi, 
        avec des dessins ajourés reproduisant divers ornements, entre autres 
        une croix sur laquelle est posée une colombe. Sur le socle même, 
        fut dressé un grand sarcophage en marbre, fabriqué au troisième 
        siècle. Il représente une aventure galante de la mythologie 
        grecque : la déesse Séléné (la Lune), descendue 
        du ciel sur son char pour venir rendre une visite nocturne au beau pâtre 
        Endymion, dont elle s'était éprise. Les chrétiens 
        pressés avaient mis la main sur ce sarcophage, sans s'inquiéter 
        de l'indécence du sujet ; ils n'avaient voulu y voir qu'une belle 
        oeuvre du temps passé, propre à orner leur église 
        : à cette époque de profonde décadence artistique, 
        on ne se sentait plus capable de faire aussi bien. La place d'honneur 
        que le sarcophage occupait au milieu du sanctuaire, la sauvagerie incroyable 
        avec laquelle il fut brisé plus tard, par les musulmans probablement, 
        et réduit en petits morceaux (On 
        en a retrouvé plus de trois cents qui sont loin de suffire à 
        le reconstituer tout, entier.), doivent faire croire qu'il 
        a enfermé des restes très vénérés, 
        sans aucun doute ceux de la sainte à laquelle l'église était 
        dédiée. Il y a donc eu, lors de la construction du socle, 
        une translation du corps de Salsa. Or les premiers chrétiens éprouvaient 
        une grande répugnance à déplacer les restes de leurs 
        martyrs; ils ne s'y décidaient que pour des motifs très 
        sérieux. On peut se demander si, lors de leur fuite en Espagne 
        sous le roi vandale Hunéric, les Tipasiens n'emportèrent 
        pas avec eux les ossements de leur patronne, dont la protection, en ce 
        temps d'épreuves, leur paraissait plus que jamais nécessaire..
 
 Ils répandirent en tout cas son culte dans la Péninsule 
        hispanique, car on le célébrait encore à Tolède 
        au septième siècle, et les deux manuscrits qui nous ont 
        conservé le récit du martyre de Salsa ont été 
        écrits en Espagne. Mais, rentrés chez eux après la 
        persécution, ils rapportèrent peut-être ces reliques 
        et les déposèrent dans le sarcophage dont les débris 
        ont été recueillis.
 En même temps qu'on construisait le socle, on agrandissait l'ancienne 
        église, qui eut désormais trente mètres de longueur. 
        Au-dessus des bas-côtés, on éleva des tribunes auxquelles 
        conduisirent deux petits escaliers, placés de chaque côté 
        de la porte d'entrée et en partie conservés. Ces galeries 
        supérieures furent bordées du côté de la nef 
        par des colonnes basses et massives, portant des chapiteaux grossiers, 
        à larges volutes. La nef, plus élevée que les tribunes, 
        était éclairée en haut par des fenêtres, munies 
        de chàssis en pierre. La hauteur de l'édifice devait dépasser 
        dix mètres. On peut, par les dessins que nous donnons ici ( 
        D'après l'habile architecte algérien, M. Gavault, dont nous 
        regrettons la perte récente.), se rendre compte de l'aspect 
        que présentaient la façade et l'intérieur. Par devant, 
        se voient les restes d'un porche, dont le toit incliné s'appuyait 
        sur six piliers et que bordait une balustrade formée de dalles 
        ajourées. Deux portes (lettres D et E) s'ouvraient sur les côtés 
        latéraux de l'église. Celle du nord est encore bien conservée; 
        au-dessus d'elle, à droite et à gauche, ont été 
        ménagées de petites lucarnes qui éclairaient les 
        bas-côtés. - Tous ces travaux paraissent dater de la première 
        moitié du sixième siècle. Peut-être ont-ils 
        été faits sous le règne du souverain vandale Hildéric, 
        qui, adoptant une politique nouvelle, rendit la paix aux catholiques de 
        ses États, en 523. Le culte fut alors rétabli partout, les 
        basiliques tombées en ruines se relevèrent et d'autres furent 
        construites.
 
 Nous avons dit, en décrivant la chapelle de l'évêque 
        Alexandre, que c'était un honneur d'être enseveli auprès 
        des martyrs. Aussi les tombes chrétiennes sont-elles nombreuses 
        dans la basilique de sainte Salsa. Elles abondent surtout dans le bas-côté 
        de gauche, mais on en rencontre à peu près partout, même 
        sous le porche. Deux d'entre elles étaient des amphores, dans lesquelles 
        reposaient des enfants (Sur ce genre 
        de sépulture, voir plus haut, p. 65); presque toutes 
        les autres, des auges rectangulaires en pierre. Celle qui a été 
        creusée à côté du socle, à droite (F), 
        a très probablement contenu les restes d'un personnage important. 
        Quelques- unes sont recouvertes d'un dallage en mosaïque où 
        se lit, au milieu d'un cadre richement orné, le nom du mort, d'ordinaire 
        accompagné de la mention : " Il s'est retiré en paix. 
        "
 
 A une très basse époque, sans doute au temps de la domination 
        byzantine, on construisit, à l'intérieur de la nef et en 
        avant des piliers, une double colonnade très barbare et composée 
        des éléments les plus divers, pris un peu partout : fûts 
        de hauteurs inégales, en pierre calcaire, en marbre ou en granit, 
        chapiteaux aux moulures variées, bases élégantes 
        ou à peine dégrossies. En arrière de la porte d'entrée, 
        les colonnades furent remplacées par deux murs pleins (G, H).
 
 Enfin, peu de temps sans doute avant la conquête définitive 
        du pays par les Arabes, et après que l'édifice eût 
        été en grande partie détruit par le feu, on entoura 
        à la hâte d'un mur très grossier la partie de la nef 
        où était conservé le tombeau de la sainte. Ce mur 
        a été bâti avec les débris mêmes de l'église. 
        Ce fut vraisemblablement le dernier témoignage de dévotion 
        des Tipasiens à l'égard de leur martyre. La destruction 
        complète du sanctuaire vint ensuite, et des indigènes établirent, 
        au milieu de la ruine, des gourbis dont on a constaté les restes.
 
 A quelques pas au sud de la basilique, se trouve une petite construction 
        qui en était sans doute une dépendance. Elle n'a été 
        déblayée qu'en partie. On y reconnaît un couloir orné 
        de colonnes, flanqué, au nord, par une pièce en forme de 
        demi-cercle, - probablement une chapelle, et, au sud, par une grande salle 
        qu'on a trouvée remplie de tombes, mais qui servait peut-être 
        primitivement à un autre usage; tin étage s'élevait 
        jadis au-dessus.
 
 LA CAMPAGNE
 
 Au delà du rempart, au delà des cimetières, s'étendait 
        la campagne avec ses nombreuses fermes et villas. II y avait aux environs 
        de Tipasa plusieurs grandes propriétés. L'une d'elles, située 
        à un kilomètre au sud-est de la ville, appartenait aux Hortensii 
        : on y a retrouvé des salles pavées de riches mosaïques 
        et une curieuse fabrique de vin, avec des pressoirs et des cuves bien 
        conservés. A l'ouest, à une distance de trois kilomètres 
        et contre la mer, dans la propriété actuelle de Madame Demonchy, 
        se trouvait le domaine d'un certain Saedius Octavius Felix, qui fut duumvir 
        ou maire de lipasa : entre divers bâtiments, on distingue des bains 
        particuliers, pavés de mosaïques, et, récemment, un 
        beau sarcophage en marbre, orné de reliefs, a été 
        découvert en ce lieu (en voir la description au chapitre suivant). 
        Sur la route de Cherchel, à neuf kilomètres et demi de Tipasa, 
        se dresse la ruine imposante d'un château, rappelant les forteresses 
        féodales de France. La porte monumentale était flanquée 
        de deux grosses tours carrées, et la façade, longue de vingt-cinq 
        mètres, se terminait à droite et à gauche par deux 
        tours rondes. Cette puissante construction témoigne de la richesse 
        du propriétaire, dont le nom est gravé au-dessus de la porte 
        : c'était un certain M. Cincius Hilarianus, qui vivait au troisième 
        ou au quatrième siècle. Mais elle prouve aussi combien était 
        grande l'insécurité dans la campagne, presque aux portes 
        d'une capitale où résidait une nombreuse garnison. Jamais 
        le pouvoir impérial n'a su pacifier entièrement les Maurétanies, 
        et de graves révoltes, des invasions de pillards étaient 
        sans cesse à craindre. Contre ces menaces perpétuelles, 
        les villes construisaient de solides murailles, comme celles qui entouraient 
        Césarée et Tipasa; quant aux paysans, que le gouvernement 
        ne savait pas défendre, ils se groupaient autour des grands propriétaires, 
        dont les chàteaux-forts les abritaient en cas de danger, mais qui 
        naturellement se faisaient payer cher leur protection : la féodalité 
        se constituait ainsi en Afrique.
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