| CHAPITRE IIVISITE DES RUINES
 LES THERMES DE L'OUEST 
         
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 plan des thermes 
              de Cherchel |  La ruine la plus intéressante de Cherchel 
        se trouve au nord-ouest de la petite ville, près de la mer (n° 
        1 sur notre carte). Les Arabes l'appelaient le palais du Sultan, mais 
        ce sont des thermes ou bains publics, ainsi que l'ont prouvé des 
        fouilles faites à diverses époques : en 1842, en 1856, et 
        surtout en 1886-1889, ces dernières sous la direction de M. Waille 
        et des commandants du pénitencier militaire. Nous donnons ci-contre 
        le plan des salles visibles une partie de l'édifice est en effet 
        recouverte par les constructions voisines : la manutention à l'est, 
        la prison civile au sud. - Ce qui frappe tout d'abord, c'est la symétrie 
        presque parfaite des aménagements : on voit que ces thermes ont 
        été élevés d'un seul coup, suivant un plan 
        bien conçu. D'après leurs dispositions architecturales et 
        leur décoration, ils paraissent appartenir à la fin du second 
        siècle ou au commencement du troisième, époque de 
        grande prospérité pour Césarée, comme nous 
        l'avons t. Quelques remaniements, du reste peu importants, ont été 
        faits plus tard. La construction est en éclats de pierre, noyés 
        dans du mortier, avec des assises de petites pierres plus ou moins rectangulaires 
        pour parement, et des parties en briques plates (surtout aux angles, aux 
        niches, aux portes, aux fenêtres). Sauf de très rares exceptions, 
        on n'a pas employé de grandes pierres de taille, matériaux 
        plus coûteux, plus longs à préparer, plus difficiles 
        à mettre en place: on était pressé et on voulait 
        faire des économies sur les parties de uvre qui devaient 
        rester cachées aux yeux ; le luxe était réservé 
        aux revêtements et à la décoration. Les parois étaient 
        en effet couvertes de plaques de marbre de différentes couleurs 
        ; les plafonds, de mosaïques ou de stucs peints; le sol des salles, 
        de dallages en mosaïque ou e marbre. De nombreuses statues- on a 
        retrouvé les fragments de. plus de cinquante d'entre elles - animaient 
        les niches ou étaient placées sur des bases, le long des 
        murs. C'étaient des divinités, Jupiter, Mercure, Apollon, 
        Bacchus., Esculape, Vénus, Hercule, etc.; des satyres et des pans, 
        compagnons de Bacchus, personnages aussi familiers à l'art gréco-romain 
        que les amours à notre art du dix-huitième siècle 
        ; des sujets de genre, comme le Tireur d'épine; des femmes drapées 
        dans de larges manteaux, aux plis harmonieux. La plupart de ces statues 
        ont été transportées au musée, où nous 
        les retrouverons. Elles sont d'un travail fort inégal, car les 
        commandes furent données à divers artistes qui ne se valaient 
        pas tous; il semble aussi qu'un certain nombre d'entre elles aient été, 
        lors de la construction des thermes, enlevées à des monuments 
        datant d'une époque plus ancienne, où l'habileté 
        des sculpteurs était plus grande. On ne les avait pas disséminées 
        au hasard dans ce vaste édifice : elles paraissent, au contraire, 
        avoir été groupées de telle sorte que, dans les diverses 
        pièces et dans les niches symétriques de chaque salle, les 
        figures semblables ou analogues se fissent pendant ou vis-à-vis 
        : dieux avec déesses, satyres avec satyres, etc. Aux premiers siècles 
        de notre ère, les thermes ne servaient pas seulement à prendre 
        des bains, dont les Romains, il faut le dire, ressentaient le besoin beaucoup 
        plus fréquemment que nous ; c'étaient aussi des lieux de 
        rendez-vous, ayant sur les places l'avantage de pouvoir être fréquentés 
        en tout temps : l'on y venait causer, flâner, jouer, essayer les 
        modes nouvelles, parfois traiter d'affaires sérieuses. C'étaient 
        les cafés de l'époque, avec cette différence que 
        les thermes étaient des établissements publics, construits 
        par des municipalités soucieuses de l'hygiène et, plus encore, 
        de l'agrément de leurs concitoyens. Aussi ne doit-on pas s'étonner 
        des grandes dimensions et de la magnificence de ces monuments, que l'on 
        rencontre partout dans le monde romain. A Cherchel, il y en avait au moins 
        trois, répartis dans divers quartiers ; mais ceux dont nous parlons 
        en ce moment étaient certainement les plus importants.
 L'entrée principale se trouvait, croit-on, à l'est, à 
        l'endroit où s'élève actuellement la manutention. 
        On a exhumé là les restes d'un beau .portique, auquel plusieurs 
        marches donnaient accès. Les colonnes, en granit vert, avaient 
        plus de huit mètres de hauteur, et des chapiteaux à volutes, 
        de l'ordre que l'on appelle ionique, les surmontaient. La tradition veut 
        qu'au seizième siècle, les constructeurs de la grande mosquée 
        ( hôpital militaire, n° 14 sur la carte), y aient pris les fûts 
        qui ont fait donner à ce monument religieux le nom de mosquée 
        aux cent colonnes. Il est possible que d'autres portiques, dont il ne 
        reste plus trace, aient fait le tour des thermes tout entiers.
 
 Dans la partie que l'on peut visiter aujourd'hui, la principale salle, 
        longue de vingt-quatre mètres, large de quatorze, est indiquée 
        sur notre plan par la lettre A. Le sol en était recouvert de dalles 
        faites d'un bel onyx, aux veines jaunes, brunes et blanches, provenant 
        de carrières situées dans la province d'Oran. Quatre énormes 
        colonnes de granit, d'un mètre de diamètre, soutenaient 
        le toit; quelques débris en sont conservés. Cette salle 
        était ornée de statues de satyres, représentés 
        dans diverses attitudes : tenant une flûte, jouant avec une panthère, 
        ou groupés avec de voluptueux hermaphrodites, au sexe ambigu . 
        En avant, s'étend une grande piscine pour les bains froids, B, 
        pavée d'une mosaïque grossière et plaquée de 
        marbre. On y descendait par quatre marches. Les niches latérales 
        étaient occupées par des images de femmes drapées 
        ; celles du fond, probablement par quatre grandes statues de dieux : un 
        Jupiter, qui est maintenant au Louvre ; un Neptune, qu'on a transporté 
        à Alger, et deux Vénus nues, dont l'une se trouve au musée 
        de Cherchel (no 20 de notre catalogue, au chapitre III), tandis que le 
        torse de l'autre fait l'ornement du musée d'Alger. Ce bassin a 
        été plus tard rétréci, nous ne savons pourquoi 
        (Les deux murs d'époque postérieure 
        sont indiqués sur notre plan par des traits inclinés. ). 
        - La salle A était aussi flanquée de deux autres bassins 
        plus petits, C et D, jadis surmontés de statues de femmes analogues 
        à celles de la piscine principale.
 
 A droite comme à gauche de cet ensemble, deux grandes pièces, 
        E et F, G et H, sont pavées de mosaïques présentant 
        des ornements divers, aux brillantes couleurs : lignes brisées, 
        losanges, tresses, rosaces enfermées dans des cercles et dans des 
        hexagones, croix aux branches recourbées. On n'y trouve aucun bassin 
        : c'étaient sans doute soit des vestibules, soit des salles de 
        conversation ou de jeu. Les cabinets ou couloirs I, J, K étaient 
        aussi décorés de mosaïques. Dans de petits réduits, 
        L et M, s'élèvent des cages d'escaliers qui menaient aux 
        parties hautes de l'édifice : sur une terrasse, ou à des 
        chambres situées au-dessus des pièces B, S, T, car les dimensions 
        de la salle A ne comportaient certainement pas d'étage supérieur.
 
 Par derrière, deux grands vestibules, N et 0, pavés aussi 
        de mosaïques, d'une facture assez grossière (On 
        ne voit actuellement que celles de la salle 0; le sol de la salle N est 
        recouvert de terre.), occupent les deux extrémités 
        d'une longue série de chambres, P, Q, H, S, T, U, V, qui pouvaient 
        être chauffées : on y prenait des bains chauds ou tièdes 
        dans des baignoires Mobiles, qui ne sont pas conservées. Les murs 
        en étaient doublés par des tuiles, posées verticalement 
        et qui formaient, quelques centimètres en avant, une sorte de paroi 
        ou rideau, de telle manière qu'un vide étroit fût 
        ménagé dans l'intervalle. Sur l'aire des chambres, se dressaient, 
        à des distances égales, de nombreuses piles de petites briques, 
        hautes d'environ un mètre, qui supportaient un deuxième 
        sol en béton, aujourd'hui disparu dans les salles R, S, T, U,
 
 A travers ces couloirs latéraux et ce sous-sol, circulait la vapeur 
        d'eau produite par des fourneaux voisins, et ainsi un température 
        douce, humide, semblable à celle des bains maures, régnait 
        dans les chambres. Il y a au fond de salle Q une vaste baignoire, maçonnée 
        sans doute à une époque tardive ; on y entrait après 
        avoir franchi trois marches. En face, dans une niche
 carrée, une statue représentant une divinité, Vénus 
        drapée ou Coré (Voir le 
        n° 29 du musée, au chapitre III.), s'élevait 
        sur une base de marbre blanc, encore en place. De l'autre côté 
        des thermes, dans la salle 13, symétrique celle-là, la niche 
        paraît avoir été occupée par un Hercule. En 
        l'état actuel, il est impossible de reconnaître avec certitude 
        la destination précise des diverses pièces. Celle qui est 
        indiquée par la lettre S, et dont le sol se trouvait jadis de plain- 
        pied avec les seuils, encore apparents, des portes, était flanquée 
        de deux cabinets; elle mettait en communication la salle dallée 
        d'onyx A avec une autre grande salle, X. Cette dernière pièce, 
        qui pouvait aussi être chauffée, et dont la voûte reposait 
        sur d'énormes massifs de maçonnerie, se terminait à 
        l'ouest par un espace en forme de demi-cercle. A droite et à gauche, 
        étaient des couloirs de dégagement, des conduites amenant 
        les eaux aux thermes ou les évacuant vers la mer (l'égout 
        Y Y Y est très reconnaissable), des réservoirs, probablement 
        aussi de vastes fourneaux.
 
 Nos thermes n'eurent sans doute pas trop à souffrir des dévastations 
        de Firmus. Aux derniers temps de la domination romaine, ils semblent être 
        devenus une sorte de musée, un asile pour les statues des dieux 
        déchus, anciennes idoles qui n'étaient plus maintenant que 
        des uvres d'art. Plusieurs piédestaux, que l'on a trouvés 
        dans les fouilles, et dont l'un, de forme hexagonale, est encore aux thermes 
        (salle G), portent l'inscription : "translata de sordentibus lotis" 
        c'est-à-dire : statue transportée des lieux de souillure 
        . Ces mots désignent-ils des temples tombés presque en ruines? 
        ou bien des cachettes, des grottes dans lesquelles des païens dévots 
        auraient porté jadis secrètement leurs idoles, pour les 
        soustraire aux profanations des chrétiens triomphants? ou bien 
        encore des cloaques dans lesquels des fanatiques de la religion nouvelle 
        auraient jeté ces pauvres images, et d'où elles auraient 
        été tirées longtemps après, quand les passions 
        se furent calmées ?. Il est bien difficile de se décider 
        pour l'une ou l'autre de ces hypothèses.
 
 L'édifice intéressant que nous venons de décrire, 
        et qui est laissé aujourd'hui dans un si complet abandon, mériterait 
        de redevenir le musée de Césarée. Il suffirait pour 
        cela d'aménager deux ou trois salles en les couvrant d'une toiture 
        légère. Les statues, entassées dans la cour qui leur 
        sert aujourd'hui de dépôt, retrouveraient là un cadre 
        digne d'elles.
 
 
 LE PORT
 
 Des thermes, on peut descendre vers le port. On rencontre en chemin, à 
        gauche, un bassin rectangulaire, long de trente-cinq mètres, large 
        de dix, profond d'un peu moins de deux mètres, dont les parois 
        sont entièrement recouvertes de ciment (n° 2 sur la carte). 
        On y descend par des escaliers en pierre, placés aux angles ; au 
        centre, émerge un massif de maçonnerie triangulaire. Il 
        semble qu'il y ait eu là une réserve de poissons, un vivier.
 
 Le port actuel, très exigu, n'ayant que trois ,u quatre mètres 
        de fond, n'est pas toujours sûr, par les mauvais temps, son entrée 
        devient très difficileà franchir, à cause des écueils 
        qui la tanguent. Quelques barques s'y abritent et il est visité 
        de temps en temps par de petits vapeurs venant prendre des chargements 
        de vin ou de poisson salé. A l'époque romaine, Césarée 
        avait deux bassins. L'un, le port militaire servant à la division 
        navale de Maurétanie, correspondait au port actuel, mais était 
        encore plus petit (no 3 de la carte). Il était protégé 
        au nord par l'îlot Joinville, et à l'ouest par une jetée 
        unissant l'îlot à la terre. Actuellement, il ne reste à 
        l'entour aucun vestige de constructions antiques. Mais au dix-huitième 
        siècle, d'après le célèbre voyageur anglais 
        Shaw, ce bassin se montrait encore avec une enceinte de grands magasins 
        et de beaux portiques. Ajoutons que l'on a trouvé dans la vase, 
        il y a une quarantaine d'années, deux carcasses de galères 
        romaines. Le port marchand (no 4) était beaucoup plus vaste. Il 
        s'ouvrait entre deux môles dont les assises ont été 
        retrouvées : l'un partait de la pointe nord-est de l'îlot 
        Joinville et se dirigeait vers le large, tandis que l'autre se détachait 
        du rivage et courait à l'encontre du premier.
 
 L'ESPLANADE
 
 La place de l'esplanade (no 5 sur la carte), plantée de vigoureux 
        bellombras, est ornée de quelques beaux fragments d'architecture 
        antique, en marbre blanc: colonnes, chapiteaux à feuilles d'acanthe, 
        bases aux moulures élégantes, corniches richement décorées. 
        Tout récemment, la municipalité de Cherchel y a fait construire 
        une grande fontaine, dans laquelle on a très malencontreusement 
        encastré des sculptures, des corniches et des pilastres, enlevés 
        au musée, mais découverts jadis en arrière de l'esplanade, 
        comme ces autres débris architecturaux. Ce sont quatre figures 
        colossales, masques qui ont dû être appliqués, de distance 
        en distance, à la partie supérieure d'un édifice, 
        le long d'une corniche droite, dont ils rompaient l'uniformité. 
        Ces belles oeuvres décoratives sont d'une exécution large, 
        dédaignant le détail, mais exprimant avec une grande énergie 
        les traits caractéristiques. La bouche est entrouverte; les yeux, 
        profondément enfoncés sous les arcades sourcilières, 
        se relèvent pour porter leurs regards dans le lointain ; la tête 
        est fortement inclinée ; les cheveux, groupés en masses 
        épaisses que divisent de profonds sillons, paraissent flotter au 
        gré des vents : de cet ensemble se dégage une expression 
        de vie intense. Ce sont là de bonnes copies d'oeuvres faites probablement 
        au second siècle avant notre ère. Elles représentent 
        un vieillard et trois jeunes femmes. Devons-nous chercher à donner 
        à ces personnages des noms mythologiques? et lesquels ? ou bien 
        ne faut-il y voir que des figures décoratives, sans signification 
        précise ? C'est ce dernier parti qui nous paraît le plus 
        sage. Quant aux pilastres employés dans la fontaine avec ces masques, 
        ils offrent des motifs très élégants: rinceaux, arabesques, 
        frêles tiges fleuries, entremêlées d'oiseaux becquetant 
        des fruits.
 
 Tous les restes dont nous venons de parler proviennent d'un vaste monument, 
        peut-être d'un temple, qui occupait l'espace compris entre la mairie 
        et l'église. Le plan nous en échappe ; mais sa construction 
        en belles pierres de taille, bien ajustées, sa décoration 
        luxueuse, la valeur artistique et l'âge que l'on peut attribuer 
        aux. sculptures qui y ont été trouvées permettent 
        de croire qu'il date de l'époque du roi Juba. Peut- être 
        sommes-nous sur l'emplacement de ce grand temple, qu'au seizième 
        siècle, l'Espagnol Marmot signale ' sur le bord de la mer " 
        et qui était bâti de marbre et d'albâtre ( Il 
        se pourrait cependant que Marmot ait voulu parler des thermes.).
 
 LES THERMES DE L'EST
 
 En sortant de Cherchel par la porte d'Alger, on arrive au champ de manuvres, 
        à l'extrémité duquel de grands pans de murs attirent 
        il. La construction rappelle les thermes de l'ouest, et ce sont 
        aussi des thermes (no 6 sur la carte).
 
 La salle principale, dallée de marbre, qui mesure vingt mètres 
        sur douze, est flanquée au sud de deux grandes niches. On entrait 
        dans cette salle par deux portes, s'ouvrant à l'ouest. En face, 
        un bassin arrondi servait aux bains froids ; il était surmonté 
        d'une statue d'homme vêtu du costume national romain, la toge : 
        c'était peut-être le portrait du généreux citoyen 
        dont la munificence avait gratifié ses compatriotes de ce bel édifice. 
        D'autres salles voisines, dont les murs sont à peine apparents, 
        pouvaient être chauffées par les procédés que 
        nous avons indiqués plus haut dans la description des autres thermes 
        ; des plaques de marbre et des stucs peints en ornaient les parois.
 
 Sur les pentes qui dominent cette ruine, 
        des maisons s'élevaient jadis, plus clairsemées qu'ailleurs, 
        mais plus luxueuses. C'était là, semble-t-il, que se trouvait 
        le quartier aristocratique de Césarée. Dans la ferme Nicolas 
        (no 7), une riche demeure a livré à ceux qui l'ont fouillée 
        quelques sculptures, dont une statue du dieu Bacchus, et d'intéressantes 
        mosaïques, que l'on a recouvertes de terre pour les préserver 
        : l'une d'elles représente un cavalier qui donne la chasse à 
        un cerf et à un lion ; une autre, le groupe des trois Grâces, 
        nues, souriantes et étroitement enlacées, copie d'un célèbre 
        tableau grec, du quatrième siècle avant notre ère, 
        qui, à l'époque romaine, fut très populaire et imité 
        partout, en peinture, en statuaire, en bas-relief, sur des monnaies, des 
        lampes et des pierres gravées.
 L'AMPHITHÉATRE
 
 Après avoir jeté un coup il sur les thermes de l'est, 
        le visiteur n'aura qu'à suivre un sentier qui se détache 
        à cet endroit de l'extrémité du champ de manuvres, 
        dans la direction du levant, et, après cinq minutes de marche, 
        il arrivera à la hauteur de l'amphithéâtre, qui se 
        trouve à une centaine de mètres sur la gauche. Ce monument 
        servait dans l'antiquité aux combats de gladiateurs, aux chasses 
        d'apparat, aux luttes contre les bêtes féroces. De forme 
        ovale, selon l'usage, il mesure cent vingt mètres de long sur quarante 
        de large ; les deux entrées se trouvaient aux extrémités 
        du grand axe. Il y a une cinquantaine d'années, c'était 
        le mieux conservé des édifices antiques de Cherchel, mais 
        on y a pris tant de pierres, qu'il ne reste plus en ce lieu que quelques 
        décombres, envahis par les oliviers, les aloès, les acanthes, 
        les cactus, les absinthes ; au centre, s'étend un champ de maïs.
 
 Plusieurs gradins sont encore visibles au nord- est. Un bas-relief, trouvé 
        à Cherchel, nous fait connaître un certain Flavius Sigerus, 
        maître des gladiateurs qui combattaient dans cette arène 
        ; il est figuré debout, tenant à la main la longue baguette 
        qui lui servait à tracer sur le sable les limites de l'espace assigné 
        aux exercices de ses élèves. Un autre souvenir, plus intéressant, 
        se rattache à notre amphithéâtre. Ce fut là 
        qu'eut lieu le martyre de la vierge Martienne. On en a gardé le 
        récit, écrit, il est vrai, longtemps après l'événement 
        et entremêlé de détails fort suspects ; il mérite 
        néanmoins quelque créance, car l'auteur qui le composa connaissait 
        certainement très bien Césarée. Cette jeune fille, 
        née à Rusuccuru, aujourd'hui Tigzirt, sur la côte 
        de la grande Kabylie, était d'une rare beauté et d'une noble 
        naissance ; cependant elle avait voulu se consacrer à Dieu. Étant 
        venue à Césarée, elle y vivait loin du monde, dans 
        une cellule. Un jour, pourtant, elle céda à la tentation 
        de visiter la ville. Arrivée devant l'amphithéâtre, 
        non loin de la porte de Tipasa, elle remarqua sur une place une statue 
        de la déesse Diane, ornant une fontaine. Saisie de colère 
        à la vue de cette idole, elle lui brisa la tête et la renversa. 
        La foule s'empara d'elle, la roua de coups et l'entraîna auprès 
        du gouverneur. Celui-ci ordonna qu'elle fût livrée à 
        des gladiateurs, mais un mur qui s'éleva à plusieurs reprises 
        entre eux et la vierge les empêcha d'attenter à sa chasteté. 
        Au milieu de ces épreuves, elle fut insultée lâchement 
        par un juif et par sa famille, dont la maison était voisine de 
        la caserne des gladiateurs. Marcienne alors supplia Dieu d'incendier cette 
        demeure, prière qui, comme nous allons le voir, fut exaucée. 
        Le jour suivant, on la mena à l'amphithéâtre. Elle 
        y fut attachée à un poteau et présentée à 
        un lion, qui ne voulut pas d'elle. Mais le juif et ses amis, qui s'acharnaient 
        contre elle, demandèrent à grands cris qu'on la livrât 
        à un taureau : ce qui fut fait. La bête furieuse la blessa 
        au sein ; puis survint un léopard, qui l'acheva. En ce moment même, 
        la maison du juif prit feu. Bien souvent, plus tard, on essaya de la reconstruire, 
        mais toujours elle retomba en ruines. - Sainte Marcienne périt 
        ainsi le 9 janvier ou le 11 juillet, on ne sait pas en quelle année, 
        ni sous quel empereur. Aux yeux des docteurs de l'Église, l'acte 
        qu'elle avait commis était répréhensible : ils condamnaient 
        le zèle téméraire des chrétiens, qui couraient 
        au-devant de la mort en renversant des idoles et risquaient, par leur 
        imprudence, d'attirer de grands malheurs sur toute la communauté. 
        Cependant de tels traits d'héroïsme excitaient tant d'admiration 
        parmi les fidèles, que l'autorité ecclésiastique 
        devait souvent céder à la pression du peuple et accorder 
        le titre glorieux de martyrs à ceux qui étaient morts pour 
        ce motif. La mémoire de Marcienne fut vénérée 
        non seulement en Afrique, mais même en Espagne, en particulier à 
        Tolède, où l'on composa à sa louange une hymne que 
        nous avons conservée.
 
 A peu de distance de l'amphithéâtre, se trouvait, comme nous 
        l'apprend l'écrit que nous venons d'analyser, la porte de Tipasa 
        : de là partait la route qui allait rejoindre cette ville et, plus 
        loin, lcosium (Alger). Des deux côtés de la chaussée, 
        s'étendaient de vastes cimetières, où l'on a trouvé 
        un très grand nombre de tombes païennes et chrétiennes, 
        semblables à celles des cimetières occidentaux dont nous 
        parlerons tout à l'heure. L'une de ces sépultures était 
        recouverte d'une mosaïque où l'on voyait Orphée charmant 
        les animaux par sa divine musique : image commune aux chrétiens 
        et aux païens, car elle était, pour les uns et les autres, 
        l'affirmation de la croyance à l'immortalité de l'âme, 
        qu'Orphée passait pour avoir enseignée aux hommes.
 
 LE THÉÂTRE. - LES THERMES DU CENTRE. 
        - LES CITERNES
 
 En quittant l'amphithéâtre, on pourra se diriger du côté 
        de la mer, jusqu'à la grande route, qu'on suivra ensuite pour revenir 
        en ville par la porte d'Alger. Après avoir longé l'esplanade 
        et fait une centaine de pas dans la rue principale, on tournera à 
        gauche par la rue du Théâtre. A l'extrémité 
        de cette rue, on arrivera en face d'une carrière de tuf (n* 9 sur 
        la carte). C'est l'emplacement du théâtre romain qui, en 
        1840, était encore bien conservé. Vingt- sept gradins superposés 
        recevaient autrefois les spectateurs; en avant, régnait un portique, 
        avec des colonnes de granit et de marbre blanc. Les matériaux ont 
        été pris pour construire la caserne que l'on voit au-dessus, 
        et actuellement ce théâtre n'a plus laissé d'autre 
        souvenir que le nom de la rue qui y conduisait. De pareils actes de vandalisme 
        ont été malheureusement trop fréquents en Algérie 
        depuis notre conquête.
 
 Non loin de là, à l'intersection des rues du Centre et du 
        Caire, s'élevaient des thermes, décorés avec luxe 
        comme les deux établissements semblables dont nous avons déjà 
        parlé (no 10). Près du croisement des deux rues, on voit 
        encore un pilier ayant appartenu à cet édifice et émergeant 
        au milieu d'une maison arabe. Là aussi, on a trouvé diverses 
        sculptures, entre autres une statue de la déesse Diane se livrant 
        à son plaisir favori, la chasse.
 
 La caserne des tirailleurs (no 11) ,a été bâtie sur 
        de vastes citernes, consistant en six salles contiguës, dont chacune 
        a vingt mètres de long, six mètres de large et environ huit 
        mètres de hauteur. Elles sont fort bien conservées et sont 
        encore employées à l'alimentation de la ville. A l'époque 
        romaine, elles recevaient l'eau de diverses sources voisines et surtout 
        d'un aqueduc, long de sept lieues, qui prenait naissance au village actuel 
        de Marceau, à la partie supérieure de la rivière 
        appelée l'oued El-Hachem. Le tracé de cet aqueduc est facile 
        à reconnaître. La conduite, large d'un mètre et plus 
        haute qu'un homme, couverte par de grandes dalles plates et éclairée 
        par de nombreux regards, était tantôt souterraine, tantôt 
        soutenue par des arcades. A trois lieues de Cherchel, on admire, près 
        de la route d'Alger ( Sur la gauche, 
        quand on vient de Marengo), les restes majestueux d'un vaste 
        pont à trois étages qui, portant l'aqueduc, traversait à 
        cet endroit la vallée d'un affluent de l'oued El-Hachera. Ce sont 
        dix-sept arches, hautes d'une vingtaine de mètres, en belles pierres 
        de taille, que les siècles ont dorées. Plus près, 
        à cinq kilomètres de la ville, un autre pont, qui était 
        moins élevé et dont il ne reste que quelques piliers, franchissait 
        la plaine étroite de l'oued Bellah. On voit que les Romains n'avaient 
        pas reculé devant un travail gigantesque afin de doter Césarée 
        d'une excellente eau.
 
 LE CIRQUE
 
 Pour visiter les ruines du cirque (no 12 sur la carte), voisin du cimetière 
        arabe, il faut monter à droite de la caserne et sortir par la porte 
        de Miliana. On fait une centaine de pas sur la route, puis on prend, à 
        droite, un sentier bordé d'aloès et de cyprès, que 
        l'on suit pendant environ trois minutes. Le cirque, qui a plus de quatre 
        cents mètres de longueur, présente la forme d'un rectangle, 
        dont un des petits côtés, le plus rapproché de la 
        ville, est arrondi. Au sud, les gradins s'adossaient aux pentes qui dominaient 
        l'arène ; au nord, au contraire, ils étaient soutenus par 
        des voûtes, maintenant perdues au milieu des ronces et des aloès.
 
 L'Afrique était la patrie des meilleurs chevaux de course et des 
        cochers les plus renommés ; les représentations du cirque 
        devaient donc être un grand attrait pour les citoyens de Césarée. 
        Une mosaïque trouvée dans une maison romaine, au-dessus du 
        champ de manuvres, montre un beau cheval bai, se dirigeant vers 
        un laurier, symbole des victoires qu'il avait remportées, sans 
        doute à Césarée même. C'est, comme l'indique 
        une inscription, Muccosus, le Morveux. Le Morveux t on aurait pu, sans 
        doute, donner à cette noble bête un nom plus flatteur. Sur 
        sa croupe, on a eu soin de tracer le nom de son maître, qui était 
        probablement aussi le propriétaire de la maison, Claudius Sabinus. 
        Enfin trois lettres (P R A), que l'on remarque sur son cou, nous apprennent 
        qu'il appartenait au parti des verts (prasiniani). Comme nos jockeys, 
        les cochers de cirque portaient en effet des casaques de différentes 
        couleurs, bleue, verte, blanche, rouge, et les partis que ces couleurs 
        représentaient avaient chacun leurs chevaux, leurs chars, leur 
        personnel, leurs amis passionnés dans le public.
 
 Si l'on en a le temps, on fera bien de monter jusqu'au sommet des crêtes 
        qui couronnent Cherchel et d'où une vue splendide embrasse la ville, 
        la mer, la côte dans la direction de Gouraya, à l'ouest, 
        et du Chenoua, à l'est. Le long de ces crêtes, se distinguent 
        çà et là des restes de la vaste muraille qui protégeait 
        Césarée. Semblable au rempart de Tipasa, qui est en moins 
        mauvais état,. elle avait deux mètres de largeur et présentait, 
        de distance en distance, de grosses tours rondes ou carrées; quatre 
        portes livraient passage à des routes menant à Tipasa, à 
        Gunugu (Gouraya), à Aqu (Hammam Righa) et à Zuccabar 
        (Miliana). En dehors de cette enceinte, les collines voisines étaient 
        surmontées de fortins, servant de postes-vigies.
 
 LES CIMETIÈRES DE L'OUEST
 
 A l'ouest de Cherchel, une route moderne, qui sort de la porte de Ténès, 
        se dirige parallèlement à la côte, et, au bout d'un 
        kilomètre environ, franchit un pont jeté sur un petit ravin 
        (El-Kantara). C'était dans cette région, aux abords de la 
        voie qui conduisait à Gunugu, que se trouvaient plusieurs cimetières, 
        correspondant à ceux qui bordaient, de l'autre côté 
        de Césarée, la voie de Tipasa et dlcosium. Les tombes, détruites 
        ou recouvertes de terre, ne sont plus visibles ( On 
        remarque cependant sur la route, à gauche, deux cents mètres 
        avant le pont, le soubassement, orné de moulures, d'un mausolée.). 
        Le commandant Archambeau, qui en a exhumé un très grand 
        nombre dans sa propriété d'El-Kantara, située à 
        gauche de la route, a constitué chez lui une intéressante 
        collection, formée des objets trouvés dans ses fouilles. 
        Les païens avaient, on le sait, l'habitude de déposer auprès 
        de leurs morts tout un mobilier funéraire : vaisselle, vases à 
        boire, fioles à parfums, lampes, objets de parure, instruments 
        de toilette, monnaies. Les poteries, très nombreuses, présentent 
        les formes les plus diverses, plats, écuelles, tasses, brocs, burettes, 
        bouteilles à goulot allongé, etc. Les unes ont été 
        fabriquées à Césarée même : elles sont 
        d'ordinaire d'une terre jaune assez grossière et de formes lourdes. 
        D'autres, légères, gracieuses de contours, recouvertes d'un 
        vernis rouge éclatant, parfois rehaussées d'ornements et 
        de figures, provenaient de fabriques célèbres d'Italie, 
        et elles portent des marques répandues dans tout le monde romain. 
        Les petites lampes, de forme ronde, avec un ou deux becs dans lesquels 
        étaient glissées les mèches, ont été 
        décorées de plantes, d'animaux divers, de personnages : 
        gladiateurs combattant, amoureux; divinités, etc. Les fioles de 
        verre, que l'on trouve rarement intactes, sont d'une finesse et d'une 
        élégance parfaites. Quant aux morts, tantôt on les 
        enterrait, tantôt on les brûlait. On déposait les premiers 
        sous une sorte de toit formé par des tuiles appuyées les 
        unes contre les autres, ou dans une cuve rectangulaire en briques maçonnées, 
        avec un couvercle de larges briques plates, ou bien encore à l'intérieur 
        d'une auge creusée dans une seule pierre. Les enfants recevaient 
        parfois une sépulture originale. On prenait une grande amphore 
        que l'on sciait par le milieu, dans le sens de la longueur : on plaçait 
        le petit corps dans l'une des moitiés, contre laquelle l'autre 
        était ensuite soudée, et, ainsi, ce vase-cercueil paraissait 
        intact. Les restes des morts incinérés étaient enfermés 
        dans des pots en argile ou en verre, qu'abritait soit un cadre de tuiles, 
        soit une sorte de caisson massif en maçonnerie, de forme demi-cylindrique, 
        soit une grosse boîte constituée par un bloc de tuf, en partie 
        évidé, et par un couvercle plein, de même matière. 
        Au-dessus du soi, on dressait souvent des plaques de marbre, ornées 
        d'une image qui était censée représenter le mort, 
        mais qui, généralement, n'était pas un portrait, 
        car on n'avait guère l'habitude de faire fabriquer ces bas-reliefs 
        sur commande ; on se contentait d'aller les choisir dans quelque magasin, 
        rempli d'articles tout confectionnés. Il suffisait d'ajouter au-dessous 
        le nom, la profession, l'âge et, si l'on voulait, l'éloge 
        du défunt avec les regrets de ses héritiers. Il y avait 
        aussi des sépultures de famille ou de corporation, consistant en 
        une ou plusieurs salles ; on y avait ménagé, le long des 
        parois, plusieurs séries de petites niches, qui ressemblaient assez 
        aux ouvertures d'un pigeonnier, et dans lesquelles étaient placés 
        les vases ou les petites boîtes de marbre contenant les cendres. 
        On appelait ces tombeaux des colombaires à cause de la forme des 
        niches. Les gens fortunés se faisaient construire des mausolées, 
        parfois luxueux, et, dans le cas où leurs restes étaient 
        inhumés, on les déposait clans des sarcophages décorés 
        de sculptures.
 
 Plus tard, les chrétiens, dont le nombre augmentait sans cesse, 
        eurent aussi leurs cimetières contre les routes de Gunugu et de 
        Tipasa. Leurs tombes, qui ne renferment pas dé mobilier funéraire 
        et ne contiennent que des corps inhumés, sont en général 
        plus simples que celles des païens. On a cependant trouvé 
        quelques sarcophages où se voit le Christ en Bon Pasteur, avec 
        une brebis sur les épaules ; un autre, découvert dans la 
        région d'El-Kantara, représente l'adoration des Mages et 
        les trois Hébreux dans la fournaise : il est actuellement chez 
        le curé de Cherchel et sera encastré dans le maître 
        autel de la nouvelle église. C'est aussi près de la route 
        de Gouraya, à gauche, à un kilomètre et demi environ 
        de la porte de Ténès, que l'on a reconnu les ruines d'un 
        cimetière chrétien très ancien. Au milieu d'une sorte 
        de jardin, avait été ménagée une aire, longue 
        d'une trentaine de mètres, large de moitié, fermée 
        par des murs assez élevés pour en cacher l'intérieur, 
        et ne présentant qu'une entrée. Elle a servi de lieu de 
        repos : à certains endroits les tombes formaient jusqu'à 
        six étages superposés; elle a servi peut-être aussi 
        de lieu de réunion et de culte pour les fidèles, au temps 
        des persécutions, lorsqu'il leur était défendu de 
        s'assembler ailleurs qu'autour de leurs morts. Une petite chapelle voûtée 
        s'élevait, dit-on, au centre de cet espace. Une inscription, qu'on 
        y a trouvée et qui est aujourd'hui au musée d'Alger, nous 
        apprend que l'Église dut l'aire et la chapelle à la générosité 
        d'un certain Evelpius et qu'en cet endroit était enseveli M. Antonius 
        Julius Severianus. Le nom de ce personnage, qui était sénateur 
        et appartenait par conséquent à la plus haute aristocratie 
        de l'empire, figure aussi sur des listes de martyrs : il mourut pour sa 
        foi à Césarée, en même temps que sa femme Aquila, 
        un 23 janvier : on ignore en quelle année.
 
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