|  L'Organisation Commune des
 Régions Sahariennes ( OCRS)
 Le Sahara est considéré par 
        les spécialistes de la décolonisation comme " un 
        cas de décolonisation sans heurts " et, objectivement, 
        les " événements " n'ont que très peu concerné 
        le Sahara. Cette région, que le FLN appelait la wilaya VI, ne fut 
        pas un lieu de confrontations armées répétées. 
        La seule action d'envergure fut la destruction d'un convoi de la compagnie 
        pétrolière algérienne aux alentours de Timimoun, 
        en novembre 1957.
 Cela peut paraître paradoxal, étant donné l'importance 
        stratégique et économique croissante de ce territoire au 
        cours des années 1954-1962, tant pour la France que pour le FLN.
 
 Les négociations entre la France et le GPRA échouèrent 
        à plusieurs reprises sur la question du Sahara, que la France tenta 
        de séparer du reste de l'Algérie, de manière à 
        conserver un contrôle direct sur les ressources en hydrocarbures 
        ainsi que sur les bases de Reggane et d'In Ekker, centres d'essais nucléaires 
        aériens et souterrains et de lancements de fusées, éléments 
        essentiels d'une force de frappe nucléaire indépendante. 
        Et pourtant, dans sa volonté de mettre un terme rapide au conflit 
        algérien, De Gaulle abandonna les prétentions de la France 
        sur le Sahara, s'en remettant à un accord d'association illusoire 
        qui, selon lui, sauvegarderait les intérêts de la France.
 
 L'OCRS, tentative de conserver le Sahara à 
        la France
 
 Entre les mois de mars 1952 et mars 1956, la question de la création 
        d'une Afrique saharienne française regroupant les territoires du 
        Sud algérien, AOF et AEF, avait fait l'objet de propositions destinées 
        à moderniser le mode de gestion de ces territoires, gérés 
        par trois gouverneurs différents. De nombreux débats eurent 
        lieu, qui n'aboutirent pas, tant au sein de l'Assemblée Nationale 
        française qu'au sein de l'Assemblée de l'Union française.
 
 Il faudra attendre la loi 57-27 du 10 janvier 1957 pour assister à 
        la création de l'OCRS, dont " l'objet est la mise en valeur, 
        l'expansion économique et la promotion sociale des zones sahariennes 
        de la République Française, et à la gestion de laquelle 
        participent l'Algérie, la Mauritanie, le Soudan, le Niger et le 
        Tchad ".
 
         
          |  Liaisons hertziennes et aériennes.. |  Concrètement, le " bureau du 
        Sahara ", qui existait à Alger, fut remplacé par un 
        Ministère du Sahara, localisé à Paris, et confié 
        d'abord à Jacques Soustelle, puis à Max Lejeune, qui exerça 
        également la fonction de Délégué général 
        de l'OCRS, à partir du 13 juin 1957.
 Parvenu au pouvoir, De Gaulle attacha personnellement une très 
        grande importance au Sahara, et en août 1960, il nomma à 
        la tête de l'OCRS Olivier Guichard, un de ses fidèles compagnons.
 
 De son côté, le FLN avait affirmé, dès le 20 
        août 1956, lors de la plate-forme de la Soummam, qu'il recherchait 
        l'indépendance absolue de l'ensemble Algérie-Sahara. Il 
        se montra d'emblée violemment opposé aux principes mêmes 
        de l'OCRS, soutenu en cela par toutes les radios du monde arabe.
 
 Les limites de la Régence turque en 1830 ne dépassaient 
        pas 300.000 km, et l'autorité des Deys d'Alger n'avait jamais porté 
        sur les régions sahariennes. C'est grâce à l'expansion 
        réalisée par la France vers le sud, que l'Algérie 
        de 1962 couvrait 2.381.741 km2. D'autre part, en 1957-58, les populations 
        sahariennes nomades refusèrent catégoriquement d'appartenir 
        à un autre gouvernement que celui de la France, qu'il soit d'Afrique 
        du Nord ou du Soudan, les chefs traditionnels et religieux de la région 
        d'Ouargla allant jusqu'à écrire au Président de la 
        République française, le 30-121957 : "... Nous avons 
        l'honneur de vous exprimer très sincèrement que nous voulons 
        rester toujours Français-Musulmans, partie intégrale de 
        la République Française... Nous n'accepterons à aucun 
        prix que la France glorieuse nous considère comme une partie de 
        l'Algérie, ou d'une partie quelconque de l'Afrique du Nord ".
 
 Il n'a pas échappé non plus aux observateurs américains 
        que la création de l'OCRS trahissait l'intention de la France de 
        " couper complètement le Sahara du reste de l'Algérie 
        ". Toutefois, bien que les Etats- Unis aient soutenu les nationalistes 
        algériens, ils ne s'opposèrent pas à la création 
        de l'OCRS, " par sympathie à l'égard d'un projet 
        dont l'objectif principal annoncé était l'avancement de 
        la population d'une partie sous-développée du monde, dans 
        une démarche exemplaire d'utilisation des revenus pétroliers 
        dans le domaine du développement socio-économique ".
 
 L'OCRS concerna dans ses débuts les deux départements algériens 
        des Oasis et de la Saoura, ainsi que le Niger et le Tchad, qui avaient 
        accepté de signer une convention de coopération, ce que 
        refusèrent la Mauritanie et le Soudan. L'Organisation fut remplacée, 
        après l'indépendance, et pour peu de temps, par un Organisme 
        saharien algérofrançais, présidé par Lamine 
        Khene ( futur secrétaire général de l'OPEP ) et dirigé 
        par Claude Cheysson ( futur ministre des affaires étrangères 
        de Mitterrand ). Moins d'un an après l'indépendance, le 
        décret 63-111 du 24 mai 1963 mit fin à l'OCRS et organisa 
        la liquidation de ses services, ce qui prendra presque quatre ans. La 
        dissolution de l'OCRS sera constatée par un décret du 17 
        mars 1967.
 
 Les réalisations de l'OCRS
 
 Au départ, le budget annuel de l'OCRS était de l'ordre de 
        200 millions de NF, d'abord entièrement assuré par le budget 
        de l'Etat français puis, à partir de 1960, de plus en plus 
        par la redevance pétrolière. Le budget prévu pour 
        1962 était de 400 millions de NF avec une prévision de redevance 
        pétrolière à hauteur de 130 millions de NF.
 
 En 1957, l'OCRS consacra tous ses efforts à la mise en place de 
        l'infrastructure indispensable à l'exploitation du sous-sol saharien. 
        Le système d'évacuation de la production d'Hassi-Messaoud 
        nécessitera 63 milliards d'anciens francs d'investissements. Celui 
        d'Edjeleh, un oléoduc reliant In-Amenas à La Skirah dans 
        le golfe de Gabès, achevé en octobre 1960, demandera encore 
        55 milliards d'anciens francs.
 
 Pour assurer le développement socio-économique des populations 
        sahariennes, l'OCRS investit dans les infrastructures hydrauliques, l'aéronautique, 
        les télécommunications, les liaisons hertziennes et aériennes, 
        les infrastructures routières, l'urbanisme, l'habitat, l'électrification, 
        l'action culturelle et sociale, mais aussi l'hôtellerie et les petits 
        travaux d'infrastructure légère.
 
 L'ordonnance n° 58-1248, du 18 décembre 1958 a conduit à 
        la création de la Compagnie Française du Sahara ( 
        CFS ) et de la Société pour le Développement des 
        Régions Sahariennes ( SDRS ).
 
 Le décret du 31 décembre 1959 institua une Caisse Saharienne 
        de Solidarité. Recentré en 1959 sur les territoires 
        sahariens, le Bureau des Investissements en Afrique ( BIA ), autorisa 
        les participations de l'Etat dans les sociétés qu'il créa 
        ou contribua à créer en accordant des prêts, des garanties 
        ou en contractant des emprunts.
 
 C'est le cas de la Société d'Equipement pour l'Infrastructure 
        Saharienne ( SELIS ) qui interviendra notamment dans :
 - la construction de logements pour la CILOF ( Compagnie Immobilière 
        pour le Logement des Fonctionnaires ), à Colomb Béchar, 
        Laghouat, Touggourt et Ouargla...
 
 - la réalisation de routes en gypse compacté, pour les voies 
        intérieures de la cité pétrolière d'Hassi 
        Messaoud,
 - la réalisation de la cité pétrolière d'In 
        Amenas,
 - la rénovation de la base de vie à Hassi Messaoud,
 - l'élaboration des plans de la future cité d'Hassi R'Mel,
 - l'étude de la base de vie des mines de phosphates du Djebel-Onk,
 - la réalisation de l'hôtel Transat à Ouargla, la 
        réalisation de l'alimentation en eau de l'agglomération 
        de Ouargla par forage dans la nappe albienne,
 - l'étude du village coopératif d'agriculteurs sur des terres 
        irriguées au voisinage de Ouargla, etc.
 
 
         
          |  Grandes infrastructures. |  En conclusion, utopie, échec programmé, 
        incurie ?
 
 Le premier paradoxe concernant la création de l'OCRS fut que six 
        mois plus tôt, en juin 1956, les états africains possédant 
        un espace saharien obtinrent leur autonomie interne, le Maroc et la Tunisie 
        venant de leur côté d'accéder en mars 1956 à 
        l'indépendance. Comment alors a-t-on pu concevoir, à ce 
        moment précis, un projet où l'ancienne puissance coloniale 
        proposait de reprendre la main sur une partie des mêmes territoires 
        devenus indépendants ou en voie de le devenir ?
 Le second paradoxe fut qu'en même temps que l'on cherchait, au travers 
        de la création de l'OCRS, à conserver le Sahara à 
        la France, à le traiter séparément de l'Algérie, 
        on instituait 6 mois plus tard, par le décret du 7 août 1957, 
        la départementalisation du Sahara, en transformant les " Territoires 
        du Sud ", créés en 1902, et jusque-là toujours 
        considérés " territoires militaires ", en deux 
        départements de la Saoura et des Oasis, donc à les ramener 
        juridiquement au niveau des autres
 départements algériens. On peut évidemment penser 
        que le maintien du statut de " Territoires du Sud ", sous administration 
        militaire, aurait été plus cohérent avec l'objectif 
        recherché.
 
 Il semble toutefois difficile d'évoquer un échec programmé.
 
 La raison profonde de cet échec est très certainement à 
        chercher dans l'évolution politique de De Gaulle lui-même, 
        concernant le Sahara. Le FLN n'a jamais varié dans ses prétentions, 
        et comme l'a écrit l'ancien président du GPRA, Ben Khedda 
        " Le pétrole va prolonger la guerre de trois ans ". Les 
        émissaires du GPRA, dans les négociations d'Evian, se présentaient 
        comme les délégués d'un Etat souverain disposant 
        d'un droit imprescriptible sur le Sahara. C'est bien De Gaulle qui, exaspéré 
        par ces prolongations, voulut mettre un terme au conflit algérien, 
        quoi qu'il en coûtat. Il était en effet persuadé que 
        prolonger la guerre équivalait à prendre un retard irrémédiable 
        dans la mise sur pied de la force de frappe nucléaire française.
 
 Trois points essentiels de son revirement sont à rappeler
 
 Tout d'abord, après avoir annoncé que la France n'entamerait 
        des négociations qu'après le cessez-le-feu, après 
        " la paix des braves " de sa conférence du 23 octobre 
        1958, De Gaulle accepta finalement que celles-ci démarrent, à 
        Melun, du 25 au 29 juin 1960. En second lieu, dans son discours du 16 
        septembre 1959 sur l'autodétermination, De Gaulle ne parla que 
        de douze départements, " ... je m'engage à demander, 
        d'une part aux Algériens, dans leurs douze départements, 
        ce qu'ils veulent être en définitive et, d'autre part, à 
        tous les Français d'entériner ce que sera ce choix... ". 
        Le Sahara fut donc exclu du dispositif. En revanche, dans sa conférence 
        de presse du 5 septembre 1961, la question du Sahara fut abordée 
        dans des termes nouveaux " La question de la souveraineté 
        du Sahara n'a pas à être considérée... ce qui 
        nous intéresse, c'est qu'il sorte de ces accords, s'ils doivent 
        se produire, une association qui sauvegarde nos intérêts.. 
        ". En réalité, comme le fait remarquer Xavier Yacono 
        " De Gaulle a renoncé au Sahara et à l'OCRS. Dès 
        le 13 septembre 1961 il informait de sa décision Olivier Guichard 
        et, début octobre, il renouait le dialogue avec le GPRA, devenu 
        l'allié objectif de De Gaulle contre l'OAS ".
 
 Enfin, et c'est peut-être l'argument qui l'emportera au bout du 
        compte, De Gaulle savait que pour la poursuite des essais nucléaires 
        français, il n'y avait que deux solutions, le Sahara et l'archipel 
        des Tuamotu, dans le Pacifique. En l'absence d'un aérodrome en 
        Polynésie française, la première solution s'imposa 
        à court terme. Or précisément, le 25 février 
        1962, quelques jours avant l'ouverture de la phase finale des négociations 
        d'Evian, le Général Jean Thiry, conduisant une équipe 
        de onze ingénieurs, partit pour le Pacifique et confirma la faisabilité 
        technique d'un projet de construction d'un aérodrome dans l'archipel 
        des Gambier... Coïncidence, deux jours plus tard, le 27 février 
        1962, l'ALN organisa à Ouargla une manifestation populaire monstre, 
        dans le but d'apporter la démonstration aux négociateurs 
        d'Evian de la volonté du peuple saharien de rejeter " les 
        visées de la France coloniale " de séparer le Sahara 
        du reste du pays. Comme l'a écrit Remy Kauffer, " les accords 
        d'Evian ont permis l'achèvement de la force de frappe ", 
        en autorisant la présence française au Sahara cinq années 
        de plus. Les essais nucléaires se déroulèrent tout 
        d'abord au Sahara, de 1960 à 1966, puis dans le Pacifique à 
        partir de 1966.
 Jean-Pierre Simon
       Sources- Démontage d'empires : Actes académiques d'un colloque 
        organisé sous la direction de Jean Fremigacci, Daniel Lefeuvre 
        et Marc Michel. Ed. Riveneuve, 2012, et particulièrement article 
        de Berny Sèbe ( lecteur à l'université de Birmingham 
        ) : Les Etats-Unis et la décolonisation du Sahara Français 
        : une non-intervention bienveillante ?
 - OCRS : Bilan, perspectives. Publié par l'OCRS fin 1960.
 - Frédéric Médard - Université Paul-Valéry 
        Montpellier III - Le Sahara, 1957-1962. Mutation administrative, économique 
        et sociologique. Session thématique France, guerre d'Algérie 
        et enjeux internationaux Mercredi 21 juin 2006.
 - Archives du CDHA. Témoignages d'Ingénieurs des Ponts et 
        Chaussées ayant travaillé en Algérie.
 - Xavier Yacono : De Gaulle et le FLN, 1958-1962. Ed. l'Atlanthrope, 1989, 
        127 p.
 - Document de travail du Ministère du Sahara sur le clivage entre 
        les populations blanches ( Touareg, Maures,... ) et noires du Sahara, 
        1957.
 - Yvan du Jonchay : L'infrastructure de départ du Sahara et de 
        l'OCRS. Revue de géographie de Lyon, 1957, n° 4. - Roger Faligot 
        et Jean Guisnel ( sous la direction de ) : Histoire secrète de 
        la V' République. La Découverte/Poche, 2007, 752 p.
 
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