| L'autrucherie 
        de Zéralda Ce jour-là, 2 mai 1883, Henri Drouet et 
        son neveu décidaient de visiter, l'autrucherie de Zéralda. 
        Voici le récit de leur visite.
 
 " Nous avions appris que, dès 1879, quelques éleveurs 
        avaient essayé de domestiquer des autruches au 
        jardin d'acclimatation du Hamma. Ils avaient commencé 
        avec huit couples et fournissaient les parcs zoologiques de l'Europe, 
        concurrençant avec succès le commerce anglais lequel, bénéficiait 
        des apports de la colonie d'Afrique du Sud.
 
 Nous avons donc emprunté le corricolo (1) à huit heures, 
        place du Gouvernement. Il y avait déjà du monde 
        mais nous avons quand même trouvé deux places. Quand le véhicule 
        fut complet, le cocher lança un vigoureux coup de fouet et le convoi 
        s'ébranla. Les chevaux peinaient dans la montée des 
        tournants de Rovigo, puis ce fut la longue promenade dans le 
        Sahel.
 
 Vers onze heures, après avoir traversé la Forêt des 
        Planteurs qui comprend 800 hectares dont les espèces dominantes 
        sont le chêne- liège, le pin d'Alep, le pin maritime et surtout 
        les eucalyptus, nous atteignîmes la ferme de M. Camille Marchai. 
        C'était le directeur de l'établissement.
 
 Les installations étaient situées à proximité 
        d'un marabout, dans une ancienne maison forestière, près 
        d'une source abondante captée sous le creux d'un rocher. À 
        quelques pas plus loin, se trouvait une petite koubba dont le marabout 
        nous fit les honneurs. C'est là que, dit-on, à l'ombre des 
        figuiers vénérables, repose Sidi Ferruch dont le nom a retenti 
        souvent au temps de la conquête. Le marabout nous apprit aussi que 
        les indigènes aimaient bien consommer les oeufs ainsi que la chair 
        de l'autruche mais ils n'auraient, pour rien au monde, mangé la 
        cervelle de l'animal car cela rendait fou. En revanche ils en gardaient 
        la graisse car c'était, nous dit-il, la panacée souveraine 
        pour les maladies des yeux et de la locomotion.
 
 Après avoir écouté avec gravité ce cours magistral 
        de médecine locale, nous nous dirigeâmes vers une maison 
        forestière située sur une petite colline pour rejoindre 
        M. Marchal.
 
 Cet homme, une vraie force de la nature, nous introduisit dans les bâtiments 
        de son autrucherie en nous donnant forces explications sur les installations. 
        Sur le territoire de la forêt l'État lui avait concédé 
        150 hectares pour créer une station d'élevage.
 L'établissement avait commencé ses activités en 1883 
        avec, au départ, une vingtaine de volatiles.
 
 Pour ce genre d'activité il faut beaucoup de place ; c'est pourquoi 
        les concepteurs se sont appliqués à laisser aux couples 
        reproducteurs le maximum d'espace pour évoluer. Les autruches, 
        mâles et femelles, sont logées dans une grande clairière 
        de forme carrée dans laquelle elles se déplacent librement 
        dans des espaces entourés de haies de roseaux. Au centre, un pavillon, 
        bâtiment couvert entouré de quelques arbres assez spacieux, 
        abrite les volatiles pendant la couvaison.
 
 L'accouplement des autruches commence en novembre et finit en avril ; 
        plus rarement il se prolonge jusqu'en mai, et s'opère dans les 
        mêmes conditions que les gallinacés de nos basses-cours. 
        La ponte commence vingt ou trente jours après l'accouplement et 
        atteint trente à quarante oeufs par an, parfois soixante. Un nombre 
        excessif d'oeufs fatigue beaucoup les pondeuses, c'est pourquoi, les éleveurs 
        les empêchent, par divers procédés, de continuer ce 
        travail lorsqu'elles sont arrivées à trente ou trente-cinq 
        oeufs. L'incubation naturelle avec de bons mâles est préférable 
        à tout autre procédé. La couvaison artificielle est 
        un procédé fréquemment utilisé car une autruche 
        ne peut couvrir que dix-huit oeufs au maximum. L'incubation dure quarante 
        jours au minimum, mais on a vu parfois des mâles couver jusqu'à 
        neuf semaines. Le germe ne commence à évoluer qu'à 
        la température de quarante degrés. L'embryon ne peut se 
        développer et croître qu'avec une chaleur régulière, 
        surtout dans les premiers jours. De la bonne pratique de l'incubation 
        artificielle, dépend la réussite de l'éclosion des 
        autruchons.
 
 Les poussins cassent eux-mêmes leur coquille au moyen d'une dent 
        adventive dont leur bec est armé. Lorsqu'ils sortent, ils sont 
        déjà vigoureux. Pendant cinq ou six jours ils sont nourris 
        uniquement de gravier, et c'est dans le fumier des parents qu'ils cherchent 
        leur pitance. Après cinq jours d'abstinence, on leur donne du blé 
        tendre et du chou haché, ou quelque autre verdure. En outre, pour 
        qu'au moment de la ponte l'oeuf acquière la consistance et l'épaisseur 
        convenables, sont ajoutées à leur nourriture des coquilles 
        de mollusques marins que ces oiseaux avalent très volontiers et 
        qu'ils digèrent avec une facilité proverbiale. Avec des 
        soins, de l'espace, du soleil, l'élevage peut être conduit 
        à bon terme. Le parc de Zéralda, lorsque nous le visitâmes, 
        ne comptait pas moins de soixante sujets.
 
 Après avoir recueilli ces détails de la bouche de M. Marchal, 
        nous avons assisté à l'arrachage des plumes qui vont parer 
        les belles algéroises. C'est à partir de la troisième 
        année que les autruches produisent leurs plus belles parures. Deux 
        gardiens arrivent en poussant un animal dans un box de bois destiné 
        à l'immobiliser. Puis les deux hommes pénètrent dans 
        le compartiment avec l'animal, tandis que l'un d'eux lui présente 
        du blé pour l'amadouer. Au moment où l'attention de l'oiseau, 
        qui est très friand de cette nourriture, se trouve ainsi détournée, 
        le deuxième assistant le terrasse en lui maintenant le cou replié. 
        C'est alors que l'autre gardien armé d'une pince arrache prestement 
        une plume. Dans cette opération, il faut déployer de la 
        force, de l'adresse et de la promptitude, autrement l'animal, qui mesure 
        de 1,70 à 2 mètres et qui défend vigoureusement ses 
        attributs par de violents coups de pattes, pourrait finir par s'échapper. 
        Le mâle possède des plumes courtes et noires sur sa partie 
        dorsale et blanches aux ailes et à la queue. Ce sont les plumes 
        d'ailes, longues et blanches, qui sont les plus recherchées. Les 
        femelles, quant à elles, portent des plumes grises et ternes de 
        moindre valeur.
 
 En passant devant un compartiment, M. Marchal croit remarquer que l'éclosion 
        de l'un des ufs est imminente. Il prend cet uf qui pèse 
        plus d'un kilo et demi, détache un fragment de la coque et aperçoit 
        un jeune poussin prêt à éclore. A ce moment, l'autruchon 
        brise lui-même sa coquille en plusieurs morceaux avec la dent adventive 
        dont nous avons parlé et on le recueille dans nos mains. A peine 
        est-il dehors qu'il essaye de se dresser sur ses pattes, puis il reste 
        pendant quelques instants dans une position repliée. Son duvet, 
        gris et dur au toucher, semblable à du crin frisé, se soulève 
        sous l'ardeur du soleil. En voyant sa taille et sa vigueur, on se demande 
        comment l'ceuf, dont les débris jonchent le sol, a pu le contenir. 
        Il ressemble à un gros hérisson monté sur deux pattes 
        massives. Récemment, l'autrucherie a perdu quatre sujets adultes 
        dans des circonstances malheureuses. A titre d'essai, l'éleveur 
        avait fait sortir des parcs vingt-trois autruches, dans une clairière 
        voisine de l'établissement. Les volatiles se répandirent 
        dans l'enclos. C'était un spectacle curieux que celui d'un pareil 
        troupeau picorant au milieu des pins et des chênes. C'est alors 
        qu'un jeune veau, échappé soudain d'un enclos voisin, se 
        jeta au beau milieu des autruches, semant la panique. Les volatiles se 
        dispersèrent en quelques instants. Aussitôt, les assistants 
        de M. Marchal se mirent en chasse pour récupérer chaque 
        animal à travers l'immense forêt de Saint- Ferdinand. La 
        capture fut difficile. Après deux jours de recherches et d'efforts 
        persévérants, les gardes parvinrent à en récupérer 
        dix-neuf tandis que quelques autruches revinrent spontanément dans 
        le parc. Le reste fut capturé plus tard au milieu des bois. Sur 
        les quatre restantes, trois n'ont jamais reparu. Elles ont peut-être 
        été dévorées par les chacals qui rodent nombreux 
        dans les bois ou furent simplement volées et mangées par 
        les paysans du coin.
 L'établissement a subi là une perte conséquente car 
        une autruche vaut très cher.
 
 Le retour s'effectua en trois heures par 
        Chéragas et El-Biar. Les figuiers de Barbarie, parés 
        de leurs fleurs jaunes, égayaient les bords du chemin et les champs 
        de chardons ".
 Gérard 
        Séguy (1) Corricolo : viendrait de l'espagnol carro 
        (chariot) ; transport hippomobile de l'époque.Source :
 - Alger et le Sahel par Henri Drouet 1887.
 - Travaux de l'Institut de recherches sahariennes. A.Dupuy.
 - Géographie Économique Paul Laffond.
 
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