| IMMIGRATION 
        MAHONNAISE  en ALGÉRIE
 Cette immigration mahonnaise est originaire 
        de l'île de Minorque qui fait partie des îles Baléares. 
        C'est un grand rocher de 692 km2 posé sur la Méditerranée, 
        une petite île, aride, caillouteuse, balayée par la Tramontane. 
        Cette immigration devrait s'intituler " immigration minorquine ", 
        mais c'est de la plus grande ville, Mahon, que découle son nom 
        et à partir de là, tous les Minorquins venus en Algérie 
        sont appelés " Mahonnais ". Les Baléares ont été 
        occupées par différents pays au fil des siècles, 
        mais depuis 1802, elles appartiennent à l'Espagne. Pourtant, lorsque 
        l'on étudie les immigrations en Algérie, on dissocie l'espagnole 
        et la mahonnaise.
 Relation entre Mahon et la conquête de 
        l'Algérie
 
 Mahon est un port naturel au fond d'un goulet qui se termine par un large 
        estuaire. C'est donc un lieu de refuge sûr en cas de tempête. 
        En outre, il est situé à égale distance de Toulon 
        d'où partent les vaisseaux français pour la conquête 
        de l'Algérie, et Alger. Les Français y ont créé 
        une base d'intendance ainsi qu'un hôpital.
 
 Les causes de l'émigration
 
 La principale cause en est la misère. Elle est la grande responsable 
        de ces départs. Le Minorquin a faim : terre aride, sécheresses 
        prolongées qui engendrent la perte des récoltes et la mortalité 
        du bétail, pénurie de blé depuis l'interdiction de 
        son commerce en 1820, explosion démographique. À cette raison 
        primordiale s'ajoute la peur du tirage au sort pour le service militaire, 
        les Minorquins hostiles. S'ensuit une émigration spontanée 
        vers cette Algérie proche, riche en terres de cultures et en emplois, 
        notamment dans le bâtiment et l'agriculture. " Les Mahonnais 
        furent attirés en Algérie au lendemain de la conquête. 
        Leur arrivée fut joyeusement saluée par l'armée d'occupation 
        qui fut peu de temps après abondamment pourvue de légumes 
        frais et variés " (E. Violard).
 
 Cette émigration a peut-être même commencé avant 
        la conquête car, lorsqu'on interroge certains pieds- noirs d'origine 
        mahonnaise, ils parlent de la 6ème ou 7ème génération, 
        et donc d'une époque antérieure à 1830.
 
 Certains ne viennent que pour quelques mois ou années puis retournent 
        sur leur île, mais la plupart s'installent définitivement 
        et dès 1833, ils sont déjà plus nombreux que les 
        Maltais et les Italiens. En 1834, Alger possède sa rue de Mahon.
 
 Organisation de l'immigration mahonnaise
 
 Les Minorquins ( en fait les habitants des îles Baléares 
        ) font partie des tout premiers étrangers à venir en Algérie 
        sur les traces de l'armée française. C'est un exode en général 
        familial, certaines familles arrivant sur leurs propres barques de pêche. 
        Une fois en place, ils ont tendance à se regrouper. Ils s'installent 
        plutôt dans la région algéroise.
 
 C'est une immigration libre.
 
 Dès septembre 1830, le général Clauzel, en fervent 
        partisan, tente d'organiser la colonisation en promettant le voyage gratuit 
        sur les bateaux français à des hommes et à des femmes 
        honorables, désireux de travailler en Algérie. Mais son 
        projet n'aboutit pas. Il est remplacé par Berthezène, nouveau 
        Gouverneur Général, lui-même hostile à la colonisation.
 
 Au nouveau changement de gouvernement, en 1834, le Comte d'Erlon, nommé 
        Gouverneur Général de l'Algérie, prend, par décret, 
        des mesures strictes tant il est vrai, qu'avec une immigration anarchique, 
        toutes sortes d'individus débarquent en Algérie, sans ressources, 
        sans profession, sans emploi, cela provoque de nombreux troubles : vols, 
        assassinats, etc... ( Décret 
        du Comte d'Erlon :
 1 - Pendant le mois de décembre se fera un recensement de toutes 
        les personnes sans emploi ou sans moyen de subsistance. Selon les résultats 
        obtenus, l'administration décidera de leur admission ou non dans 
        la colonie.
 2 - Les autorités françaises se réservent le droit 
        de refuser l'admission de ceux qui ne possèdent pas de passeports 
        réguliers délivrés par les autorités du pays 
        où ils se sont embarqués...
 3 - Tout passeport de n'importe quel étranger devra être 
        visé par le Consul français. Une fois dans la possession 
        (en Algérie), il obtiendra une carte de sécurité. 
        ")
 
 Clauzel, devenu Maréchal, est nommé Gouverneur Général 
        de l'Algérie et souhaite une politique de colonisation. En 1836, 
        V. de Zugasti, agent consulaire d'Espagne, écrit au sous-secrétariat 
        d'Etat : " Son Excellence, le Maréchal Clauzel, dès 
        qu'il est arrivé ici, au mois d'août dernier, souhaitait 
        donner une meilleure contention à la colonisation; persuadé 
        sans aucun doute que beaucoup de capitalistes se rassembleraient, il leva 
        cette interdiction. Il s'adressa au Consulat pour dire que, sur cette 
        côte, iraient tous les cultivateurs, travailleurs et artisans qui 
        voudraient y venir. Il ordonna aux Consuls français et en particulier 
        à celui de Mahon de viser sans aucune difficulté autant 
        de passeports qu'on leur présenterait pour ici. Pour conséquence, 
        sont venus de l'île de Minorque, depuis le mois de novembre dernier, 
        plus de mille neuf cents personnes de toutes classes, d'âges, religions, 
        enfants et personnes âgées dans l'impossibilité de 
        travailler; il ne m'est pas possible et je vous prie de m'en excuser, 
        de vous faire un portrait exact de l'état de dénuement et 
        de misère dans lesquels sont arrivés ces malheureux ".
 
 On tente de leur donner du travail, notamment dans les travaux publics, 
        l'agriculture et la marine.
 
 En 1832, alors qu'il allait en Egypte, le baron de Vialar fait escale 
        à Alger. Séduit par cette terre il décide de s'y 
        installer. En 1835, il est chargé par la Société 
        Coloniale de se rendre à Paris pour y défendre la colonisation. 
        Pris dans une tempête, son bateau fait escale à Mahon où 
        il rencontre Don Costa, secrétaire à la police du Gouverneur 
        de l'île. Ensemble, ils décident d'organiser l'immigration 
        : Don Costa recrute les familles, s'assure que le gouvernement espagnol 
        ne fait pas obstacle tandis que le Baron de Vialar s'occupe du transport 
        et du travail. Le mouvement migratoire s'accélère donc.
 
 Ralentissement de l'immigration
 
 A partir de 1840, avec la nomination au poste de Gouverneur Général 
        de l'Algérie du Général Bugeaud, la colonisation 
        prend une autre tournure. Il réalise que la colonisation par les 
        militaires est un échec, selon G.Tudury, " à cause 
        de l'inexpérience, de l'abandon ou de la désertion des colons 
        ".
 
 Il décide donc d'organiser une colonisation civile aidée 
        et protégée par l'armée. Ainsi des fermes sont créées 
        dans la Mitidja et dans la plaine du Chélif. Mais avant de faire 
        venir des cultivateurs, il favorise l'immigration de terrassiers et autres 
        ouvriers d'art. Ne doivent partir en Algérie que ceux qui payent 
        leur voyage, cette décision freine le départ des Minorquins. 
        D'autant que beaucoup d'ouvriers français débarquent en 
        Algérie. La politique coloniale devient de plus en plus restrictive.
 
 En 1851, il est décidé que : " il n'y aura plus 
        de délivrance de passeport pour les possessions françaises 
        d'Afrique du Nord que pour les individus de moralité sûre 
        et habitués surtout à la réalisation de travaux en 
        relation avec l'agriculture ". Cette décision stricte 
        est prise parce que nombre de ressortissants espagnols commettent des 
        actes répréhensibles en Oranie.
 
 En 1858, les dispositions deviennent encore plus strictes.
 
 Parallèlement, une industrie de la chaussure est fondée 
        à Minorque, créant des emplois. L'émigration des 
        Mahonnais cesse alors pratiquement. Mais à cette époque 
        plus de 20.000 personnes d'origine minorquine vivent en Algérie 
        .
 
 Un village typiquement mahonnais : Fort de l'Eau
 (note du Déjanté - qui 
        ne l'est plus tellement - : voir  
          Fort de l'Eau sur 
        ce magnifiqie site)
 
 Les Turcs installés au Maghreb construisent entre 1556 et 1582 
        un fort sur un rocher au bord de la mer à 17 km à l'est 
        d'Alger dans le but de protéger la baie d'Alger. Ils l'appellent 
        Bordj el Kiffan, le " fort des coteaux ". Dès 
        le début de la conquête française, les militaires 
        l'occupent et l'appellent " Fort de l'Eau ".
 
 En 1835, Fort de l'Eau fait partie d'un territoire étendu appelé 
        " La Rassauta ".
 
 Les habitants de Minorque et de Majorque contribuent largement à 
        la colonisation de ce territoire au cours des années 1830 et 1840.
 
 En 1847, le Baron de Vialar, reconnaissant la capacité des travailleurs 
        minorquins, écrit au Ministère de la guerre pour demander 
        la fondation d'un petit centre de population à Fort de l'Eau, près 
        du fort, dans le quartier de La Rassauta. Le but serait d'en faire un 
        village agricole. Cette demande est refusée, car ces colons ne 
        sont pas de nationalité française et que d'autres difficultés, 
        notamment financières, existent. Devant leur insistance, soutenue 
        par le Dr. Jaume Moll, l'autorisation est obtenue en 1849 et le 11 janvier 
        1850 Louis-Napoléon Bonaparte signe le décret de création 
        de "Fort de l'Eau" qui devient commune de plein exercice par 
        le décret de juin 1881.
 
 Cinq cents hectares sont attribués. 45 familles s'y installent 
        avec des titres de concessions, dont les lots sont attribués dès 
        1849, soit 230 habitants officiellement, 250 à 300 officieusement. 
        Lors d'une deuxième distribution par tirage au sort, ils reçoivent 
        en moyenne six ares constructibles, vingt pour le jardin potager, deux 
        terrains de culture de deux et six hectares, plus quarante cinq hectares 
        communaux. Ils ont un délai de trois mois pour prendre possession 
        de la propriété, six mois pour construire leur maison et 
        deux ans pour préparer leurs terres cultivables et planter 25 arbres 
        fruitiers ou forestiers. Ensuite l'exploitant obtient la propriété 
        des biens immobiliers.
 
 En raison de l'insécurité, ils se regroupent pour construire 
        et défricher. Très vite toute la région est cultivée 
        et Fort de l'Eau devient un village très prospère, ce qui 
        amène l'expansion tout le long du littoral. Les produits maraîchers 
        de Fort de l'Eau alimentent Alger et sont même exportés en 
        métropole. En 1884 Fort de l'Eau possède déjà 
        une école, une église ; on y trouve aussi un poste
 de douaniers, mais ne sont Français dans ce village que le maire, 
        les régisseurs et le maître d'école.
 
 Dans les années 1890, un journaliste, E. Mallebay, suggère 
        à la municipalité de créer une station balnéaire 
        qui accueillerait les Algérois. La municipalité offre alors 
        des terrains à bâtir et, en 3 ans, sont construits un casino, 
        un hôtel de luxe, ainsi que de belles villas face à la mer.
 
 En 1908 Fort de l'Eau est classé station estivale.
 
 C'est devenu un village riche et très fréquenté. 
        Les vieilles maisons rurales ont été remplacées par 
        de belles demeures et Fort de l'Eau devient un lieu incontournable pour 
        la dégustation de sa kémia et surtout de ses brochettes 
        accompagnées de pain mahonnais.
 
 Développement des villages et du paysage maraîcher dans la 
        région d'Alger
 
 La majorité des Minorquins ont une vocation agricole. Au début, 
        ils vont travailler dans des propriétés appartenant à 
        des citoyens français. Ils économisent pour acheter leurs 
        propres terres, souvent arides, qu'il faut, au prix de gros efforts, défricher, 
        en assécher les marais et en même temps se protéger 
        des attaques des tribus arabes. Ils créent des puits, des norias, 
        des haies de roseaux si caractéristiques de leurs campagnes. Ceux 
        de Fort de l'Eau créent même la route qui les relie à 
        Maison-Carrée, marché agricole et de bestiaux.
 
 Ils se regroupent, s'entraident, et s'acclimatent bien. Très vite 
        ils développent la culture maraîchère, plantent des 
        arbres fruitiers puis de la vigne. Ils envoient leurs légumes à 
        Alger, et, lorsque les moyens de communication entre l'Algérie 
        et la métropole deviennent plus réguliers et plus rapides, 
        ils développent les primeurs.
 
 Voici un extrait de ce qu'écrivait au sujet des Mahonnais le Baron 
        de Vialar lors de sa demande au ministre pour la création de Fort 
        de l'Eau : " tandis que les villages fondés par l'administration 
        n'offrent que des cultures encore bien rares et plutôt plus onéreuses 
        que productives pour les concessionnaires qui y ont été 
        placés, les Mahonnais, plus acclimatés, plus sobres et plus 
        habiles dans la petite culture, ont trouvé le moyen de vivre dans 
        l'aisance sur les propriétés des autres européens 
        en leur payant des fermages assez élevés. Ce sont eux réellement 
        qui ont doté le massif de la culture et de la vie ".
 
 C'est pourquoi Fort de l'Eau une fois créé, toute la région 
        se développe rapidement. Les concessions ne demandant qu'à 
        s'agrandir, c'est toute la côte à l'est d'Alger qui est mise 
        en valeur avec la création de nouveaux villages : 
        Aïn-Taya, 
        Cap Matifou, Suffren, Surcouf. 
        L'agriculture se développe également dans les régions 
        de 
        Rouïba, Réghaïa, 
        Maison-Blanche etc...
 
 Plus tard, quand le gouvernement français réservera les 
        concessions de terres à ses seuls ressortissants, les grands propriétaires 
        terriens rechercheront de préférence les colons mahonnais 
        à qui ils louent une partie de leurs terres pour 15 ans avec option 
        d'achat.
 
 Cependant les Minorquins ne sont pas tous agriculteurs. Dans beaucoup 
        de villages et à Alger, on trouve de nombreux commerçants. 
        Rien qu'à Alger, on en dénombre 3.000 en 1888.
 
 Style de vie des Mahonnais
 
 Dans ses souvenirs sur les Mahonnais de Fort de l'Eau, Lucienne Pons cite 
        souvent le père Roger Duvollet, Père Blanc de Maison- Carrée, 
        qui a écrit 24 volumes sur les régions et les communautés 
        d'Afrique du Nord : " les nouveaux colons (les Mahonnais) construisirent 
        non un gourbi ou une cabane comme le faisait la plupart des immigrants, 
        mais une véritable maisonnette, la maison mahonnaise, d'apparence 
        proprette, passée au lait de chaux, parfaitement adaptée 
        au climat africain ".
 
 Il explique que se connaissant tous, ils préfèrent, en général, 
        pour leur sécurité, se regrouper en village plutôt 
        qu'habiter des fermes isolées. Leur foi et leur esprit de famille 
        sont un atout pour lutter contre leurs dures conditions de vie. Lorsque 
        leur labeur acharné commence à porter ses fruits " 
        l'aisance règne dans chaque famille. Elle se traduit par une remarquable 
        propreté au-dehors et en-dedans de chaque habitation. La Mahonnaise, 
        spécialement chargée des soins du ménage et d'élever 
        les enfants, procède chaque samedi à la toilette de la maison, 
        l'extérieur et l'intérieur sont, dans les plus petits détails, 
        blanchis à la chaux, les meubles cirés...
 
 Les Mahonnaises sont également de fines brodeuses, de bonnes 
        cuisinières et de bonnes pâtissières, elles pétrissent 
        leur pain qu'elles font cuire dans des fours traditionnels installés 
        dans le jardin de chaque maison.
 
 Certaines vieilles Mahonnaises, au tout début, faisaient parfois 
        des kilomètres avec des légumes et des fruits dans leur 
        tablier pour aller les vendre au marché.
 
 " Quant aux Mahonnais, à moins que vous ne passiez par 
        là un dimanche, ne le cherchez pas dans l'habitation, ni aux alentours, 
        et encore moins dans un café. Il est aux champs avec tous ses fils, 
        travaillant sous le soleil ardent avec cette assiduité et cette 
        persévérance sans lesquelles il n'y a pas de vrais cultivateurs 
        ". Ils emploient rarement des musulmans sauf lorsqu'ils n'ont pas 
        suffisamment de fils.
 
 Ils forment un groupe ethnique fermé qui maintient de bonnes relations 
        avec les Français des alentours parce que ce sont des relations 
        indispensables. Sinon, ils font tout par eux-mêmes, n'ont recours 
        qu'aux autres Minorquins, et aident les nouveaux immigrants pour leur 
        permettre l'accession à la propriété. Dans les villes, 
        ils ont leurs propres représentants pour leurs affaires et peu 
        de contact avec les commerçants français. Économes, 
        ils ont la réputation d'être " un peu près de 
        leurs sous ", ce qui leur permet peut-être une ascension plus 
        rapide.
 
 En général, ils ne se mêlent pas de politique. Bien 
        que gros travailleurs, ce ne sont pas des personnes austères, et 
        les pique-niques du dimanche sur la plage pour ceux qui habitent au bord 
        de la mer, sont très animés, joyeux... et les repas copieux.
 Nicole Domenech-Lenzini Bibliographie :
 Guy Tudury, La prodigieuse histoire des Mahonnais en Algérie à 
        partir de 1830, Éd. Lacour (Nîmes), 1992.
 Achille Fillias, Dictionnaire des communes, villes et villages de l'Algérie, 
        Imp. J. Lavagne (Alger), 1878.
 Jean-Jacques Jordi, Les Mahonnais en Algérie, Article.
 Lucienne Pons, Les Mahonnais de Fort de l'Eau, Textes de souvenirs d'une 
        descendante des pionniers, 2008.
 
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