| Histoire 
        d'un tableau« Première messe en Kabylie »d'Horace Vernet
 
         
          |  La première messe en Kabylie par Horace 
              Vernet 1854.
 Musée des Beaux-Arts de Lausanne.
 |  Le tableau d'Horace 
        Vernet " Première messe en Kabylie " peut être 
        considéré comme l'expression de la grande amitié 
        entre le peintre et le père Dom François Régis, fondateur 
        de le Trappe 
        de Staouêli. Il évoque également un événement 
        important dans la conquête de la Kabylie.
 Les hommes
 
 Dom François Régis (1808-1881)). 
        Fondateur en 1843 et premier Abbé de la Trappe de N.D. de Staouêli 
        (pose de la première pierre le 20 août 1843). Son contact 
        chaleureux lui apporta l'estime de l'ensemble des personnalités 
        religieuses et militaires qui l'aidèrent dans la réalisation 
        de l'abbaye de N.D. de Staouêli. Il resta jusqu'en 1854.
 
 Horace Vernet (1789-1863). A été 
        l'un des plus célèbres peintres du 19ème siècle, 
        le dernier d'une famille de quatre générations de grands 
        peintres. Il est né au Louvre le 30 juin 1789, dans les appartements 
        qui servaient également d'atelier à son grand-père 
        et à son père; il était doué d'une prodigieuse 
        mémoire qui lui permettait de peindre presque toujours sans modèle. 
        Il se présentait comme peintre des batailles ". H. Roujon 
        termine son ouvrage sur le peintre par cette phrase : " Il possède 
        le mérite, le plus grand aux yeux de beaucoup, celui d'avoir chanté 
        nos gloires nationales et d'avoir fait aimer la France dans sa grandeur 
        et ses victoires. "
 
 Horace Vernet séjourna à Boufarik 
        où il possédait une propriété, du nom de Haouch 
        ben Kouba qui lui servait de rendez-vous de chasse. Le nom d'Horace Vernet 
        fut donné en 1897 à un village de Grande Kabylie dominant 
        l'oued Sebaou.
 
 La rencontre
 
 Nous sommes en 1853. Dom François Régis, passant sur la 
        place du Gouvernement, voit venir à lui le général 
        Randon, gouverneur de l'Algérie, accompagné du général 
        Yusuf et d'un civil, Horace Vernet. Ce dernier, présenté 
        au religieux par le Gouverneur, lui dit gracieusement : " Mon père, 
        j'ai quitté Paris avec l'intention d'aller vous voir à Staouëli 
        ". Et moi, ajoute Yusuf, " je cherchais l'occasion de vous connaître, 
        nous irons vous visiter ".
 Quelques semaines plus tard, la veille du dimanche des Rameaux, Horace 
        Vernet rend visite au père.
 
 Celui-ci, après un long entretien, lui propose de passer la semaine 
        sainte à Staouéli. Quoique venu avec la pensée de 
        faire une simple partie de chasse, en sortant de la messe, tout ému 
        de la solennelle attitude des religieux, il n'hésite plus à 
        accepter l'invitation du Père abbé.
 
 Pendant ces huit jours, tout entier à de pieux exercices, il oublie 
        ses amis d'Alger qui s'inquiétaient de sa disparition. Toute la 
        colonie se demandait ce qu'était devenu le joyeux et aimable causeur 
        que la société algérienne se disputait. Quand on 
        apprit qu'il vivait à la Trappe avec la régularité 
        d'un religieux, ce ne fut qu'un cri de surprise et d'incrédulité.
 
 Ce jour est le plus beau de ma vie " dit-il avec émotion en 
        quittant les religieux qui l'accompagnaient. L'amitié qui naquit 
        au cours de cette semaine de ferveur religieuse ne connut pas de défection 
        dans le coeur d'Horace Vernet...
 
 La campagne des Babors (1853)
 
 Le général Randon préparait une expédition 
        pour aller en Kabylie, dans les Babors, châtier quelques tribus 
        insoumises. Il pressa Horace Vernet d'accompagner l'armée : " 
        J'y consens, répondit le peintre, mais je voudrais emmener le Père 
        Régis ". Un chasseur partit aussitôt pour Staouéli, 
        chargé d'une lettre du Gouverneur, qui invitait le Père 
        abbé à se joindre au corps expéditionnaire.
 
 Celui-ci hésita quelque temps, trouvant cette demande insolite 
        ; il consulta ses religieux qui furent d'avis qu'il devait accepter la 
        proposition, mais c'est Mgr Pavy qui acheva de le convaincre par ces mots 
        : " Allez, mon Père, il est convenable que la religion accompagne 
        en Kabylie le drapeau français ".
 
 Dom François Régis s'étant décidé à 
        rejoindre Horace Vernet, fit le voyage par mer et débarqua à 
        Bougie. Le colonel Dieu, commandant le secteur, les accueillit et les 
        retint quelques jours dans l'attente des ordres du quartier général 
        puis les convoya jusqu'au camp français. Les généraux 
        Bosquet et Rivet se détachèrent pour venir au devant du 
        convoi. Après avoir adressé des mots de bienvenue, le général 
        Bosquet, commandant la première division, présenta au Père 
        Régis un long bâton ferré, qui lui sera fort utile 
        en ce pays montagneux : " Voici, dit-il en souriant, votre bâton 
        pastoral. "
 
 Une vaste et confortable tente qu'Horace Vernet avait apportée 
        de Paris, fut dressée et le peintre invita le Père abbé 
        à partager sa demeure.
 
 Le 2 juin, la colonne expéditionnaire se mit en route à 
        midi pour se rendre à l'Etnin des Beni-Hassein, où les deux 
        divisions devaient faire leur jonction. La deuxième division, celle 
        du général de Mac-Mahon avait emprunté un chemin 
        difficile. Les environs des Babors présentaient des pentes extrêmement 
        raides et il fallait ouvrir la route à mesure que l'on avançait. 
        La marche de nos soldats à travers ces obstacles eut, cependant, 
        un heureux résultat, en ce sens qu'elle frappa les Kabyles de stupeur. 
        La jonction des deux divisions se fit le 4 juin sur les rives de l'Oued-Agrioun 
        où le camp fut dressé.
 
 Investiture des chefs kabyles
 
 C'est dans ce camp qu'eut lieu le 5 juin, la cérémonie de 
        l'investiture des chefs kabyles. Le gouverneur s'adressa aux représentants 
        kabyles :
 
        
          | Allocution du maréchal 
              Randon " Kabyles des Babors,
 Je vous ai annoncé de Sétif que nos troupes allaient 
              entrer dans votre pays ; que mon camp serait ouvert à ceux 
              qui viendraient faire leur soumission ; mais que nos soldats, s'il 
              le fallait, détruiraient toutes résistances.
 Maintenant vous voilà en face du drapeau de la France ; vous 
              avez promis de servir avec fidélité notre Empereur 
              et notre Patrie.
 
 Je vais vous fournir le moyen de remplir vos promesses, en vous 
              donnant l'investiture. Rappelez-vous que votre premier devoir sera 
              de faire respecter la justice et de protéger les faibles.
 
 Eloignez de vous tous les gens de désordre ; nos ennemis 
              doivent être les vôtres.
 
 Vos anciennes querelles doivent cesser, afin que la paix règne 
              dans le pays, et que vous puissiez fréquenter avec sécurité 
              les marchés.
 
 Voilà ce que je veux pour le bien de tous ; voilà 
              ce qu'il faut que vous rapportiez à vos frères, voilà 
              ce qui amènera sur vous les bénédictions de 
              Dieu, et nous montrera que vous méritez vraiment d'être 
              appelés les serviteurs de la France. "
 |  Après cette allocution, chaque chef, 
        revêtu du burnous rouge insigne du commandement, prononça 
        le serment de fidélité à la France. La soumission 
        des Babors était désormais un fait accompli.
 Le déroulement de la messe
 
 Cette imposante cérémonie eut lieu un dimanche, jour de 
        la Fête-Dieu. Le gouverneur se tournant vers le père François 
        Régis, lui dit : " A vous de terminer cette belle cérémonie 
        ".
 
 Ordre est alors donné de dresser un autel sur la partie la plus 
        élevée du camp. Horace Vernet prend l'initiative du choix 
        et de la disposition des lieux. Les sapeurs du génie abattent un 
        chêne dans la forêt avec lequel ils construisent une grande 
        croix rustique. Des tambours sont rangés les uns sur les autres 
        autour de l'autel, où quelques fleurs de lauriers roses cueillies 
        sur les bords du torrent servent de parure.
 
 A neuf heures, deux compagnies se portent en armes, avec la musique et 
        les drapeaux de leur régiment. La plupart des soldats sont rangés 
        derrière elles. Au milieu de cet appareil militaire, en présence 
        des états-majors des deux divisions, et dans ce cadre immense formé 
        par la mer et les montagnes, l'abbé Régis célèbre 
        la messe.
 
 Au moment de l'élévation, sous un roulement de tambours 
        et au son du canon, les soldats fléchissent le genou. Le " 
        peintre des batailles " profondément ému, promet de 
        mettre sur la toile et d'immortaliser par son pinceau cette belle scène.
 
 Cette solennité, ainsi que celle qui l'avait précédée, 
        frappèrent vivement les assistants et tout faisait espérer 
        que les Kabyles en conserveraient un profond souvenir.
 
 Comme ses amis l'interrogeaient sur les projets de tableau qu'il emportait 
        de son expédition de Kabylie, Vernet répondit : " Je 
        veux faire un tableau religieux. Je dois bien quelque chose au Dieu qui 
        m'a rappelé à lui : je dois peindre la messe et sa consécration. 
        "
 
 A son retour à Paris, dans un courrier du 6 décembre 1853 
        adressé au père il écrit : " Je me suis engagé 
        à faire deux tableaux, dont le plus important sera celui de la 
        messe en Kabylie, sujet, vous le savez, pour lequel je me suis senti dès 
        le premier moment un vif attrait, et qui consacrera un fait intéressant 
        dans l'histoire de l'Algérie..."
 
 Le tableau
 
 En avril 1854 la guerre avec la Russie vient d'être déclarée, 
        il écrit : " Il est plus que probable que j'irai rejoindre 
        l'armée dans le courant du mois prochain. Il m'en coûte de 
        quitter mon atelier où je travaillais avec ardeur au tableau de 
        la messe en Kabylie... Non, non, ajoute-t-il, très cher et très 
        Révérend Père, je ne donne pas congé à 
        l'Afrique, je lui ai de très grandes obligations. C'est là 
        que j'ai retrouvé la paix du coeur... " (27 avril 1854). Aussi 
        le peintre ne se presse pas de quitter son atelier : " Tout est en 
        suspens. Il n'en est pas de même de mon atelier, j'y travaille avec 
        une ardeur de jeune homme à mon tableau de la Messe. J'espère 
        bien le terminer avant de partir pour l'Orient... Le moment que j'ai choisi 
        est celui de l'élévation, lorsque le canon remplaçait 
        la sonnette, et la fumée de la poudre l'encens " (25 mai 1854).
 
 Dans une lettre, postée deux semaines plus tard, il écrit 
        : " Je pars aujourd'hui pour l'Orient, et je quitte, momentanément, 
        j'espère, mon atelier, où je laisse inachevé notre 
        tableau de Kabylie. Les choses essentielles sont déjà terminées 
        ; c'est-à-dire que le paysage, le camp, l'autel et votre personne 
        pourraient rester. Il ne manque que les accessoires du premier plan. Je 
        ne pense pas que mon absence soit de longue durée... " (8 
        juin 1854).
 
 Il en revint souffrant pour prendre part à l'Exposition Universelle 
        de 1855 : " j'y ai exposé trente sujets, mais de ces trente, 
        il y en a un que je considère avec plus de complaisance : c'est 
        ma Messe ! C'est que ce tableau, je l'ai fait avec le coeur. "
 
 Dans cette oeuvre du maître, on trouve, reproduits avec une grande 
        fidélité, le père Régis, " avec sa crosse, 
        sa mitre brodée par Mme la baronne de Villefranche et prosterné 
        derrière lui, son frère, le père Thomas d'Aquin. 
        "
 
 Le 2 octobre 1861 le peintre fit une chute malheureuse, suivie de complications 
        qui ne tardèrent pas à mettre sa vie en danger. C'est en 
        septembre 1862, que le père Régis lui rendit sa dernière 
        visite.
 
 Le 17 janvier 1863 Horace Vernet s'éteignit et ses dernière 
        paroles furent pour le père. Il ne fut pas le seul homme illustre 
        sur lequel le Révérend Père Régis exerça 
        une influence religieuse. Ce fut également le cas pour le colonel 
        Marengo, le général Yusuf et les maréchaux Randon, 
        Vaillant et Pelissier.
 La maréchale Randon adressa le 12 juin 1871, au père Régis, 
        les mémoires du maréchal et elle termina sa lettre par ces 
        mots : " Il n'oublie pas la messe en Kabylie. Qui sait si, ce jour-là, 
        le désir de se faire catholique ne lui vint pas il y a vingt ans 
        ! ". Madame la générale Yusuf lui fit les mêmes 
        éloges :
 " ... c'est à vous que mon cher Yusuf doit ses meilleurs sentiments 
        chrétiens... ".
 
 En 1854, après onze années de travaux, d'épreuves 
        et de souffrances, le fondateur de Staouéli quitte l'Algérie 
        pour occuper à Rome la fonction de Procureur Général 
        de la Trappe. Il reviendra pour une courte et dernière visite en 
        juin 1860. Il décédera le 13 mai 1880 à Montauban 
        et son corps selon sa volonté, sera ramené le 30 mai à 
        Staouéli où il repose à côté du colonel 
        Marengo.
 Yves Marthot Sources : (consultables au CDHA)- J, BERSANGE, Dom François Régis, Paris, 1885, librairie 
        de D. Dumoulin, 451p.
 - Mémoires du maréchal Randon, Paris, 1875, Typographie 
        Lahure, tome 1 - 526 p, tome 2 -
 338 p.
 _ M. Vidal-Bué, Alger et ses peintres, Paris, 2000, édition 
        Paris-Méditerranée, 286 p.
 - E. de MIRECOURT, Horace Vernet, Paris, 1855, J. P. Robert et Cie, 95 
        p.
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