Yusuf 
          (1)
          Esclave, mamelouk et général de l'armée d'Afrique
          Auteur :Alain Gibergues
        
           
            |  Général Yusuf
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          Giuseppe Ventini, né vers 1808 sur l'île d'Elbe, garda 
          le souvenir de son père le conduisant très souvent au 
          palais habité par une grande dame, la princesse Pauline, seconde 
          soeur de Napoléon Ier.
          
          Le jeune Giuseppe avait fait la conquête de la princesse Pauline 
          qui le comblait de gentillesses et lui consacrait beaucoup de temps, 
          cet attachement à l'enfant était d'autant plus grand que 
          la mère de ce dernier était morte.
          
          Giuseppe Ventini, à l'intelligence vive, apprit le français 
          au palais et l'italien sa langue natale.
          
          Alors qu'il avait six ans, se posa la question de l'éducation 
          à lui donner, c'est ainsi que la princesse Pauline incita son 
          père à envoyer son fils dans un collège de Florence. 
          Giuseppe fut confié à une dame polonaise qui rejoignait 
          l'Italie, via Livourne, et qui devait le conduire ensuite à Florence.
          
          Cette traversée de faible distance de l'île d'Elbe à 
          Livourne, s'annonçait calme et sans embuches. C'était 
          sans compter sur la présence des pirates barbaresques qui écumaient 
          toutes les côtes occidentales de la Méditerranée, 
          dont les côtes italiennes.
          
          La balancelle, voguant, les côtes de l'île d'Elbe ayant 
          disparu de l'horizon et les côtes de l'Italie n'étant pas 
          encore en vue, les immenses voiles d'un Chebec - de nationalité 
          tunisienne et armé de 30 canons - firent irruption sur cet horizon 
          paisible.
          
          La balancelle sur laquelle se trouvait Giuseppe Ventini fut arraisonnée 
          par les corsaires qui l'accostèrent, armés de pistolets 
          à la ceinture et de yatagan à la main, transbordant sur 
          le Chebec tous les passagers de la balancelle et contraignant le capitaine 
          à mettre les voiles sur la Tunisie. C'est ainsi que Giuseppe 
          fut enlevé et vendu au bey de Tunis.
          
          Vers l'âge de douze ans, repéré pour son intelligence, 
          Giuseppe Ventini, destiné à rejoindre ultérieurement 
          la garde prétorienne du bey et à devenir mamelouk, dut 
          adopter la religion islamique, prenant le nom de Yusuf.
          
          Il reçut une instruction soignée, traditionnel-lement 
          réservée aux fils de famille : connaissance approfondie 
          du Coran, étude de la calligraphie et du dessin oriental, étude 
          de la jurisprudence musulmane et pratique courante de la langue turque.
          
          Yusuf, apprécié par la femme du souverain, devint le compagnon 
          de jeu de sa fille, la princesse Kabboura, de six ans sa cadette. Au 
          fil des années l'amitié que se portaient Yusuf et Kabboura 
          ne cessa de grandir, jusqu'au jour, à treize ans, où Yusuf 
          devenu viril dut quitter à contre coeur le séjour des 
          femmes pour entrer au service du Khanadzar, le ministre des finances 
          du bey, en qualité de Khodja, il devint mamelouk et reçut 
          deux ans plus tard le " turban ", suprême honneur, au 
          palais de la Manouba.
          
          Une intrigue amoureuse entre Yusuf et Kabboura, déjà mariée, 
          se noua discrètement avant d'être dévoilée 
          par un Khaznadar jaloux.
          Le bey, humilié et trahi par son protégé, fait 
          emprisonner Yusuf qui réussit à s'évader avec le 
          concours du Consulat de France - car il était né sur l'île 
          d'Elbe, territoire français depuis le traité d'Amiens 
          de 1802 - et rejoindra, à bord du brick français, l'Adonis, 
          la flotte française qui s'apprêtait à débarquer 
          sur le sol de la régence d'Alger le 13 juin 1830 au soir.
          
          Il est intégré au sein de l'Armée d'Afrique, admis 
          par arrêté en date du 1er août 1830 dans le corps 
          des interprètes puis, nommé par le Maréchal de 
          Bourmont, khalifa (lieutenant) de l'Agha des Arabes.
          
          Le 18 février 1838, son dévouement et sa bravoure lui 
          permettent d'être élevé au grade de lieutenant-colonel.
          
          Le 12 mai 1839 il reçoit ses lettres de natu-ralisation, il venait 
          d'avoir trente ans.
        Lettre 
          de Naturalisation 
          LOUIS PHILIPPE, Roi des Français 
        À tous présents et à 
          venir, Salut I
          
          Le Sieur Jusuph, Mameluck, Lieutenant-Colonel, Commandant le Corps des 
          Spahis, à Oran, en Afrique, Officier de la Légion d'Honneur, 
          nous expose que par notre ordonnance du 2 mars 1839 il a été 
          naturalisé en vertu et par application du senatus consulte du 
          19 février 1808, que son plus vif désir est de consacrer 
          le reste de ses jours à notre service et à celui d'une 
          patrie qui est la seule qu'il connaisse aujourd'hui; et nous supplie, 
          en conséquence, de vouloir bien lui accorder des lettres de Naturalisation, 
          en vertu de notre ordonnance susdite du 2 mars 1839.
          
          À ces causes, voulant traiter favorablement l'exposant, sur le 
          Rapport de notre Garde des Sceaux, Ministre de la Justice - vu notre 
          ordonnance du 31 mars 1836, qui admet le déclarant à établir 
          son domicile en France,
          
          - Vu le senatus consulte du 19 février 1808,
          
          - vu notre ordonnance susdite du 2 mars 1839.
          
          De notre grâce spéciale voulons et nous plait qu'il soit 
          admis, comme nous admettons par ces présentes, signées 
          de notre main, qui seront publiées et insérées 
          au Bulletin des Lois, à jouir des franchises, privilèges, 
          droits civils et politiques attachés à la qualité 
          de Français ; défendons de le troubler dans la jouissance 
          d'iceux, sous quelque prétexte que ce puisse être.
          
          
          Ici, deux illustrations (voir PDF)
          Lettre de Naturalisation de Yusuf du 12 mai 1839
          Signature du roi Louis Philippe
          
          
          Mandons et ordonnons à nos cours et tribunaux, Préfets, 
          Corps administratifs et autres, que ces présentes ils gardent 
          et maintien-nent, fassent garder, observer et maintenir et, pour les 
          rendre plus notoires à tous, les fassent publier et enregistrer 
          toutes les fois qu'ils en seront requis ; et afin que ce soit chose 
          ferme et stable à toujours, nous y avons fait mettre notre sceau.
          
          Donné au Palais des Tuileries, le douzième jour de mai 
          mil huit cent trente neuf.
        LOUIS-PHILIPPE
          Par le Roi
          Le Garde des Sceaux
          Ministre Secrétaire d'Etat au
          département de la Justice et des
          Cultes
          Vu au Sceau GIROD de L'AIN
          Le Garde des Sceaux
          GIROD de L'AIN
        
          Le général Clauzel lui demanda de constituer un escadron 
          de Cavaliers Indigènes - devenu par la suite, les Spahis -. Au 
          fil des ans, son tempérament et ses faits d'armes le rendent 
          célèbre : prise de la Kasbah de Bône en 1832, qui 
          lui vaut la croix de chevalier de la Légion d'honneur, poursuite 
          d'Abd-elKader, bataille d'Isly, combats de Crimée...
          
          Lors d'un voyage à Paris le colonel Yusuf, officier indigène, 
          fait la connaissance de Melle Weyer, fille d'une vieille famille rhénane, 
          catholique. Séduit, il décide de l'épouser et se 
          convertit au catholicisme.
          
          Quelques années plus tard, après un haut fait d'armes 
          contre Abd-el-Kader, il obtient sa 19ème citation, mais il reçoit 
          également une vive satisfaction d'ordre personnel, qu'il espérait 
          depuis longtemps.
          
          Il était certes naturalisé depuis douze ans, avait servi 
          la France depuis vingt et un ans, toujours à la pointe des combats, 
          depuis six ans Général de brigade, mais en 1851 il n'était 
          toujours pas classé dans le corps des officiers français. 
          Il servait, à titre indigène.
          
          Il avait sollicité à de nombreuses reprises son intégration 
          dans les cadres français, mais la bureaucratie était plus 
          forte que les maréchaux qui appuyaient sa demande. Les règlements, 
          et en particulier la loi Soult de 1832, s'y opposaient.
          
          Enfin, le 24 décembre 1851, Louis Napoléon, signe un décret 
          régularisant sa situation et adresse à Yousouf une lettre 
          :
          
          " Mon cher Général,
          Il était juste que la France adoptât celui qui, depuis 
          de longues années, la défend en Algérie avec tant 
          de courage et de dévoue-ment. Je suis heureux d'avoir pu vous 
          confé-rer le titre de général français et 
          de naturali-sation la plus glorieuse de toutes. Elle vous inspire des 
          sentiments dont la vive expres-sion me touche. Je vous remercie et je 
          vous offre l'assurance de mes sentiments très dis-tingués.
          Louis Napoléon "
          
          Après l'expédition d'Orient, le siège de Sébastopol, 
          la bataille de l'Alma, ce fut le retour en Afrique où il reçut 
          sa troisième étoile avec vingt-cinq citations à 
          l'ordre de l'Armée et la grand-croix de la Légion d'Honneur.
          
          Yusuf jalousé, calomnié, fut muté par Mac Mahon 
          à Montpellier.Miné par les soucis et la tristesse, sa 
          santé se dégrada. Il s'installa à Cannes où 
          il s'éteignit le 16 mars 1866.
        Alain 
          Gibergues
        (1) Souvant orthographié 
          Yousouf en Italie le u se prononce ou.
        SOURCES :
          E. Jouhaux " Yusuf esclave, mamelouk et général de 
          l'armée d'Afrique " (1980)
          MAN, Les Cahiers d'Afrique du Nord n°9, " Yusuf ".