*** La qualité médiocre 
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          Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. 
          " Algeria " en particulier.
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          LES DERNIERS MOMENTS DE SAINT-SAENS 
        Une belle existence... 
          une belle mort, pourront écrire plus tard les hommes qui résumeront 
          pour les générations futures la vide 
          ce prodigieux musicien. Ayant connu, de son vivant, la popularité, 
          la gloire et tout ce qu'on peut en attendre, Saint-Saëns n'a pas 
          connu les affres du trépas. Sans une plainte, sans l'ombre de 
          la moindre souffrance, il s'est doucement endormi et comme après 
          un magnifique soir d'été l'ombre apaisante couvre la terre, 
          l'éternelle nuit est descendue sur lui. 
          
          Revenant à Alger, dont il avait fait sa terre de prédilection 
          depuis plusieurs années, Saint-Saëns descendait à 
          l'Hôtel de l'Oasis, où il aimait rêver, durant ses 
          moments de loisir, en considérant de son balcon le grandiose 
          panorama de la baie d'Alger qui se déroulait à ses pieds. 
          
          
          Et dans cette maison, où il était bien connu de tous, 
          il allait, passant inaperçu, car sachant dans quelle terreur 
          il tenait les importuns et les curieux, on affectait de ne point remarquer 
          sa présence. 
          
          Il descendait souvent dans les salons et, s'asseyant au piano qui s'y 
          trouvait, de ses doigts agiles courant sur le clavier, il emplissait 
          les vastes pièces de trilles et d'arpèges magistralement 
          exécutés. Puis, sur son désir, un piano fut monté 
          dans sa chambre et c'est là, désormais, qu'il fit ses 
          exercices. 
          Jusqu'à son dernier jour il ne cessa - que les jeunes méditent 
          cet exemple - de poursuivre inlassablement des éludes que d'autres 
          ont dédaigneusement abandonnées depuis longtemps déjà. 
          
          Le 16 décembre, date de sa mort, il dîna comme de coutume 
          malgré un léger rhume qu'il avait contracté depuis 
          trois jours, mais pour lequel, après une auscultation, son médecin 
          reconnut qu'aucun danger n'était à craindre. 
          
          Après le repas, ainsi qu'il en avait l'habitude, le maître 
          engagea une partie de dominos, jeu qu'il adorait et où il se 
          montrait d'une habileté surprenante. 
          
          Sa science ne fut pas en défaut ce soir là. Il gagna. 
          
          
          Heureux du bon tour qu'il venait de jouer à son adversaire, s'armant 
          d'un crayon, il traçait sur le papier qui avait servi à 
          marquer les points, une fleurette finement dessinée. 
          
          Épris de la nature, Saint-Saëns adorait les fleurs et connaissait, 
          en botaniste consommé, les moindres détails de toutes 
          les familles florales. Puis, vers neuf heures, il se coucha. Rien ne 
          faisait prévoir alors, à ce moment, dans l'attitude du 
          maître, que l'heure de mort allait bientôt sonner pour lui. 
          
          
          Peu de temps après qu'il fut couché, son intendant allait 
          vers lui et ne le voyant pas encore endormi, lui demandait s'il n'avait 
          besoin de rien et s'il se sentait bien. 
          
          Souriant, Saint-Saëns, lui répondait en faisant mine de 
          gronder : " Mais non, .Jean, ne me réveille pas pour venir 
          prendre de mes nouvelles. Ça va bien. " Et, déclinant 
          l'offre de celui-ci, qui voulait lui faire absorber une tisane chaude, 
          le vieillard essayait de trouver le sommeil. 
          
          Cependant, quelques minutes après, l'attention de son serviteur 
          était attiré, par un léger râle qui s'élevait 
          de la chambre du maître. Il se précipitait vers lui, appelait 
          à l'aide. 
          
          Un docteur était mandé en hâte. Peine inutile ! 
          Après avoir murmuré : " Non, Jean..., c'est fini 
          ", malgré les réactifs employés pour essayer 
          de le ranimer, Charles-Camille Saint-Saëns rendait l'âme. 
          
          
          Il était près de dix heures du soir. 
          
          En bas, dans les salons de l'hôtel, où un dîner-concert 
          suivi d'une sauterie réunissait de gais convives, l'orchestre 
          Demanche - Desbrosses charmait de sa musique impeccable les couples 
          de danseurs tourbillonnant sous la clarté des plafonniers électriques. 
          
          
          Tout était à la joie, lorsque l'horrible nouvelle parvint. 
          
          
          Ce fut une minute de consternation. Le bal prit fin. L'allégresse 
          faisait place au chagrin, et tandis que la foule s'écoulait lentement, 
          les exécutants de l'orchestre Demanche et Desbrosses, amis personnels 
          du défunt, se rendaient au chevet du maître pour veiller, 
          la nuit entière, sa dépouille. 
          Sur son lit de mort, l'auguste vieillard reposait, les traits calmes, 
          aussi purs et aussi nets que si la vie n'avait pas encore quitté 
          ce corps inerte. 
          
          Le piano, sur lequel restait encore ouverte une partition inachevée, 
          fut voilé de crêpe. 
          
          Le lendemain, le corps du maître disparaissait sous un amas de 
          ces fleurs odoriférantes qu'il aimait, de son vivant, avec toute 
          sa ferveur d'artiste épris de la nature. 
          
          Une foule émue et pieusement recueillie a tenu à apporter 
          un dernier hommage au maître en l'accompagnant jusqu'à 
          la chapelle ardente édifiée sur les quais, où son 
          cercueil attendit le départ du courrier qui devait le ramener 
          en France. 
          
          Qu'il nous soit permis d'ajouter encore à la fin de ces lignes, 
          un détail que beaucoup de ses admirateurs ignorèrent toujours 
          : c'est l'immense bonté de Saint-Saëns. 
          
          Sous l'anonymat le plus absolu et le mieux gardé, on ne peut 
          s'imaginer combien d'infortunes et de détresses furent soulagées 
          de sa main. 
          
          Un seul homme, qui l'approcha de très près, peut dire 
          la grande pitié du maître envers les déshérités 
          de la vie : son intendant dévoué qui le surprit souvent, 
          se cachant pour faire le bien. 
          Et cette qualité, méritait d'être connue du grand 
          public... Celui qui se cache pour faire le bien ne meurt jamais, son 
          nom reste toujours gravé au fond des curs. 
          
          Ch. BROUTY.