| Préface Je rouvre le rapport général 
        de clôture des travaux du Comité métropolitain du 
        Centenaire de l'Algérie (rapport publié dans le XIIe 
        Cahier du Centenaire (p. 59-p. 71), pour y inscrire cet épilogue 
        : le résumé des rapports des 200 boursiers du Comité, 
        sortes de délégués de l'Université de France, 
        envoyés à l'étude de l'Algérie du Centenaire.
 Il n'est pas de professeur classique qui, le jour où il peut visiter 
        la Rome éternelle, jusque-là enseignée sans avoir 
        été vue, ne sente immédiatement que de sa visite 
        naissent une vie. et une valeur nouvelle pour son enseignement.
 
 Le Comité a pensé qu'il en serait de même, en ce qui 
        concerne l'Algérie, pour tous ses boursiers, à qui il a 
        demandé de dire spécialement comment ils enseignaient Algérie 
        avant leur visite, et comment ils l'enseigneraient après. L'un 
        d'entre eux a dépouillé toutes leurs réponses et 
        en a fait cette analyse, qui devient un nouveau Cahier du Centenaire, 
        cahier complémentaire, cahier pédagogique, destiné 
        à rendre l'expérience de quelques-uns profitable pour tous.
 
 Chacun pourra juger que l'institution de ces bourses de voyage a été 
        heureuse et que l'Algérie est appelée à en bénéficier. 
        Il ne reste plus qu'à souhaiter que l'expérience puisse 
        s'en étendre à toutes les colonies françaises pour 
        le plus grand profit de l'enseignement universitaire comme de notre empire 
        colonial.
 Le Président de la Commission 
        d'Exécution :Paul CROUZET,
 Inspecteur de l'Académie de Paris,
 Inspecteur-Conseil de l'Instruction Publique au Ministère des Colonies.
 INTRODUCTION Le Comité du Centenaire de l'Algérie 
        a mis à la disposition du Ministère de l'Instruction Publique 
        des bourses de voyage pour être attribuées aux membres du 
        corps enseignant. Ces bourses ont permis à environ deux cents institutrices, 
        instituteurs et professeurs de visiter l'Algérie pendant les grandes 
        vacances de 1930 ou celles de Pâques 1931. L'unique obligation imposée 
        aux boursiers était d'adresser au Ministère de l'Instruction 
        publique un rapport sur le voyage effectué ( Voir 
        la circulaire ministérielle à ce sujet dans le rapport général, 
        publié dans le XIIe Cahier du centenaire, p.68)). Les 
        circonstances ayant empêché quelques-uns d'entre eux de faire 
        le voyage, nous avons reçu 169 rapports dont les auteurs peuvent 
        être classés ainsi :- Enseignement primaire : 88.
 a) 
        Instituteurs et institutrices : 20;
 b) 
        Professeurs d'École primaire supérieure et d'École 
        normale : 66 ;
 c) 
        Inspecteurs de l'Enseignement primaire : 2.
 - Enseignement technique : 7
 - Enseignement secondaire : 65
 - Inspecteur d'Académie : 1
 - Enseignement supérieur : 8.
 
 Nous avons lu avec beaucoup d'intérêt ces travaux d'inspiration, 
        de longueur, de présentation très diverses. Au moment d'en 
        tirer la substantifique moelle" un découragement nous saisit 
        : il y a dans tous ces documents empilés sur notre table de travail 
        une telle richesse d'observations, une si sincère originalité 
        que le choix des citations est difficile, presque 'impossible. Notre travail 
        de seconde main ne va-t-il pas " banaliser " tout, perdre le 
        fruit de tant d'efforts heureux?
 
 Pour que notre compte-rendu soit lisible, il faut qu'il soit établi 
        selon un plan méthodique. Sera-t-il possible de le faire sortir 
        de tant de pages, dont les auteurs n'ont ni la même formation intellectuelle, 
        ni les mêmes préoccupations? Le grand danger pour nous est 
        de nous substituer aux auteurs et par conséquent de les trahir.
 
 Une lecture attentive des notes prises au cours de la lecture de ces rapports 
        vient heureusement dissiper ces doutes. Il y a dans ces relations si diverses 
        quelques éléments d'unité.
 
 D'abord le souci honorable de voir le plus possible et de bien voir. Beaucoup 
        de boursiers et boursières ont préparé très 
        soigneusement leur itinéraire par des lectures étendues 
        et par des études de cartes. Nous avons été très 
        frappé par l'ingéniosité qu'ont déployée 
        des instituteurs et institutrices pour allonger autant que possible leur 
        voyage. Nous aurons l'occasion de citer plus loin quelques exemples typiques. 
        Tous les missionnaires ont compris du reste que la libéralité 
        du Comité ne devait être considérée que comme 
        une aide et qu'un effort financier personnel leur était implicitement 
        demandé. Ils ont voulu voir beaucoup, sinon tout - et surtout bien 
        voir.
 
 Mais tous ne sont pas partis avec le même dessein. Il se dégage 
        une impression fort curieuse des rapports envoyés et assez nette, 
        en somme, quand on prend soin de les classer non par " ordre 
        " (ce mot fort employé autrefois est aujourd'hui honni), mais 
        par " degré" d'enseignement. Les maîtres 
        du premier degré ont eu la vocation pédagogique la plus 
        marquée. Ils sont allés en Algérie, non pas tant 
        pour satisfaire une curiosité légitime, pour enrichir leur 
        bagage de souvenirs et de connaissances, mais surtout pour augmenter leur 
        valeur professionnelle; pour mieux enseigner au retour l'Afrique du Nord 
        et la colonisation française. Ce sentiment élevé 
        de leur devoir d'éducateur, ce dévouement à leurs 
        élèves nous a profondément ému et il nous 
        a paru digne d'être signalé en ces pages liminaires. Nous 
        verrons plus loin combien cette foi et cette quasi- abnégation 
        a élargi la vision des voyageurs. Il nous faut noter ici tout de 
        suite que, ce faisant, ils répondaient pleinement à la pensée 
        qui inspira le Comité du Centenaire et le Ministère de l'Instruction 
        publique atteindre les élues par-delà les maîtres.
 
 Les membres de l'enseignement secondaire - dont le dévouement à 
        leurs élèves n'est pas moindre - ont eu, pour la plupart, 
        des préoccupations qui les ont conduits à rechercher moins 
        directement ce but utilitaire. Humanistes, historiens, professeurs de 
        sciences, ils ont cherché d'abord à étendre leur 
        culture. On retrouve chez eux une préoccupation scientifique qui 
        les porte à restreindre le champ de leur vision pour observer en 
        détail. Les historiens ont été intéressés 
        surtout soit par l'Afrique romaine, soit par la civilisation musulmane, 
        soit encore par la colonisation française. Les géographes 
        ont étudié avec soin quelques régions algériennes 
        ou les manifestations de la vie économique de l'Algérie; 
        les naturalistes ont fait d'intéressantes observations sur la géologie, 
        sur la faune et la flore. Il ne faudrait rien exagérer cependant: 
        chez tous ces tendances sont tempérées par un sens de la 
        mesure, par un désir d'apprécier les ensembles et aussi, 
        semble-t-il, par un goût de l'enseignement qui, même pendant 
        le temps réservé aux travaux personnels, fait penser à 
        la classe.
 
 Plus dégagés de préoccupations pédagogiques, 
        apparaissent les professeurs de Facultés ou de nos grandes Écoles. 
        Ils sont allés en Algérie chercher de nouveaux matériaux 
        d'étude ; et leurs élèves qu'ils forment aux méthodes 
        scientifiques en les initiant à leurs recherches, n'y perdront 
        rien.
 
 Chez les uns comme chez les autres, nul dilettantisme. Un égal 
        désir de savoir, un même dévouement à leurs 
        disciples. Tous ont rapporté quelque chose de ce voyage, qui apparaît 
        vraiment comme ayant été utile. Tous sont revenus avec des 
        idées neuves ou renouvelées, aucun n'enseignera l'Algérie 
        comme avant.
 
 Et cela est le meilleur éloge de l'initiative du Comité 
        du Centenaire.
 
 Pour rendre compte aussi exactement que possible de tant de travaux si 
        différents, j'ai dû chercher une méthode compréhensive 
        mais simple.
 
 Bien qu'il ne soit plus guère de mode de classer les enseignements 
        et que les barrières qui séparent le primaire supérieur 
        du secondaire et le secondaire du supérieur soient fort abaissées, 
        que le technique, sorte d'enfant terrible, se soit étendu en brisant 
        tous les compartiments traditionnels, il nous paraît d'une grande 
        simplicité de classer les rapports selon la catégorie universitaire 
        à laquelle appartiennent leurs auteurs.
 
 A l'intérieur de chaque division nous suivrons un plan analogue, 
        essayant de dégager en quoi l'enseignement de l'Algérie 
        dans la métropole a profité ou profitera de l'initiative 
        du Comité.
 1.-ENSEIGNEMENT 
        PRIMAIRE ET PRIMAIRE SUPÉRIEUR La plus grande partie des rapports a pour 
        auteurs des maîtres de l'Enseignement primaire supérieur 
        : professeurs d'Écoles primaires supérieures ou d'Écoles 
        normales. Les instituteurs et les institutrices ont donc hésité, 
        et finalement renoncé à solliciter une bourse qu'ils auraient 
        certainement obtenue, toutes les demandes ayant été examinées 
        avec bienveillance, et le Comité, comme l'Administration de l'Instruction 
        publique, ayant eu le désir très légitime de donner 
        au plus grand nombre possible de maîtres de notre enseignement élémentaire 
        cette vision de l'Algérie afin qu'ils la fassent passer devant 
        les yeux de leurs élèves.
 Cette regrettable abstention s'explique à la fois par la modestie 
        exagérée des instituteurs ( Elle 
        s'explique peut-être aussi par le fait que la circulaire proposant 
        les bourses a dû leur parvenir par la voie des Bulletins départementaux 
        et les a touchés par suite un peu plus tard. (Note du Comité.) 
        et sans doute par l'insuffisance de leurs ressources pécuniaires 
        qui les a empêchés d'envisager un voyage assez coûteux, 
        malgré l'aide offerte. La timidité que nous déplorons 
        a été bien évoquée par un instituteur boursier, 
        M. Chabridon, qui; a su la vaincre personnellement, mais qui, ayant rencontré 
        en Algérie presque exclusivement des collègues appartenant 
        aux degrés supérieurs de l'enseignement, note dans son rapport 
        : ils sont " tous plus qualifiés que moi pour montrer dans 
        leurs rapports ou les charmes de l'Algérie, ou les belles manifestations 
        de notre effort colonisateur dont les effets en maints endroits m'ont 
        paru si heureux " -
 
 Quelle erreur ! Les comptes rendus faits par les membres de l'enseignement 
        élémentaire sont parmi les plus intéressants, quelques-uns 
        même sont des travaux d'un vif intérêt scientifique 
        ou littéraire. Du este, il ne s'agissait pas de rapporter d'Algérie 
        des pages définitives, mais des impressions justes destinées 
        à vivifie' l'enseignement ultérieur des voyageurs. Et quant 
        aux difficultés financières, ce sont les plus modestes Universitaires 
        qui les ont apparemment les mieux résolues puisqu'ils ont fait 
        les plus beaux voyages !...
 *******************   Avant d'analyser les travaux qui nous ont 
        été communiqués, qu'il nous soit permis de louer 
        le soin qui a été apporté à leur rédaction 
        et souvent même à leur présentation. Quelques-uns, 
        en particulier ceux de Mlle Savignat, professeur à l'École 
        supérieure de garçons de Saint-Léonard (Haute-Vienne), 
        de Mlle Montigaud, professeur à l'École primaire supérieure 
        de jeunes filles de Talence (Gironde), de M. Dès, professeur à 
        l'École primaire supérieure de Saint-Aignan (Loir-et-Cher), 
        de M"° Baudoin, professeur adjoint à l'École primaire 
        supérieure de Gourdon (Lot), sont accompagnés d'excellentes 
        photographies. Mlle Jean a encarté le sien dans une couverture 
        décorée d'une aquarelle ( 
        l'aquarelle et les photographies qui illustrent ces pages sont extraites 
        des rapports des boursiers.). Un professeur adjoint de l'École 
        primaire supérieure de Thaon, M. Aumégeas, a édité 
        une brochure dédiée aux membres de l'Enseignement primaire 
        : L'évolution économique de l'Algérie. D'autres ont 
        été visités, au retour, par la Muse de l'Afrique 
        du Nord. Manifestations diverses d'un bel enthousiasme.
 Déterminons d'abord, en faisant une moyenne, ce qu'ont vu nos voyageurs. 
        Tous, ou presque, ont visité Alger, Oran, Constantine et le Tell. 
        Cela représente un honnête voyage et une bonne utilisation 
        de la Bourse que le Comité avait, à juste titre, modestement 
        remplie (2.000 francs), afin de disperser davantage la précieuse 
        manne. Mais beaucoup d'autres ont résolument vide leur bas de laine 
        pour augmenter le viatique. Ils ont sacrifié leur goût du 
        confortable et pris monture modeste pour aller plus loin. Ils sont restés 
        un mois, plus même, dans notre grande France de l'Afrique du Nord. 
        Encore se plaignent-ils, avec mesure, d'avoir été prévenus 
        trop tard, fin août seulement, dans certaines Académies. 
        Ils ont donc poussé jusqu'à Biskra, même jusqu'à 
        Touggourt, ou bien ont pénétré dans le Sud-Oranais, 
        ils ont parcouru la Grande et la Petite Kabylie, et ils ont eu ainsi une 
        vision assez complète de l'Algérie.
 
 Essayons maintenant de déterminer ce qui, dans ce voyage, court 
        ou prolongé, a surtout intéressé nos missionnaires, 
        en quoi les idées qu'ils avaient emportées ont été 
        modifiées :
 
 a) Le pays d'abord
 
 Tous les boursiers, ou presque, avaient lu les descriptions enthousiastes 
        d'Alger, d'Oran, de Constantine que donnent les manuels de géographie, 
        admiré les photographies du Défilé des Portes de 
        Fer, ou du Ravin des Singes, voire de quelque village kabyle ou d'une 
        oasis heureuse. Ils se faisaient donc de l'Algérie une idée 
        très favorable, s'attendant à trouver partout des sites 
        pittoresques, ou des champs bien cultivés près de villages 
        d'un exotisme de bon ton. Aussi peut-on " noter souvent " 
        quelque déception en présence de l'aridité générale 
        des paysages nord-africains... le pays nous a déçu.Pour 
        quelques centaines d'hectares fertiles, que d'étendues désertiques 
        ; que de rocs à nu, arides et brûlés. La nature algérienne 
        - est-ce la faute du moment (?), nous a semblé avare de richesses 
        et d'aptitudes agricoles, pour tout dire d'un mot, hostile ", 
        écrit M. Monlau, professeur à l'École primaire supérieure 
        d'Oloron, qui pourtant a été séduit par le pittoresque 
        de la vie indigène et en parle en poète. Mais beaucoup ont 
        compris l'âpre grandeur de ces sites et apprécié leur 
        tristesse. Du reste, tous notent le contraste existant entre les parties 
        cultivées et les étendues stériles ou laissées 
        en jachère. La Mitidja et ses riches villages, ses champs prospères, 
        ses vignes leur ont donné une grande idée de uvre 
        française de colonisation. Beaucoup s'attardent à décrire 
        le charme de 
        Blida, la ville des roses, de Boufarik 
        et de ses orangers, la fertilité de certaines régions de 
        l'Oranais, l'agriculture tenace de la Kabylie. La magie des pays du soleil 
        ne les a pas laissés indifférents : " Ce que le 
        Français du Nord ne peut imaginer
 " avant de l'avoir vue, c'est la couleur des paysages Ici, le soleil 
        et la sécheresse marquent le sol d'une " forte empreinte et 
        le font très différent de ceux auxquels nos yeux sont accoutumés. 
        Sous le soleil de midi, la route de Bougie à Djidjelli offre aux 
        regards émerveillés les couleurs les plus opposées. 
        Au pied des falaises rouges, les oueds gonflés par le dernier orage 
        apportent à la mer une boue sanglante colorée de larges 
        taches chocolat. Puis les tons s'adoucissent en des ocres et des beiges 
        plus neutres qui tournent insensiblement au vert, tandis que, dans le 
        lointain, la mer se teinte d'outremer et de violet. Le soir, à 
        cc l'heure où le soleil rase la cime des montagnes, le même 
        paysage apparaît entièrement décoloré, méconnaissable. 
        Les montagnes, le ciel, la mer endormie ont pris les teintes translucides 
        de l'opale et hésitent entre des bleus, " des jaunes, des 
        roses très doux "..., écrit avec un enthousiasme 
        sincère Mlle Legrand, professeur à l'Ecole primaire supérieure 
        de Bar-le-Duc.
 
 Mais plus que les paysages de la campagne algérienne, les spectacles 
        urbains ont retenu l'attention des visiteurs. Leur caractère est, 
        en effet, beaucoup plus frappant pour l'Européen et le dépayse 
        davantage.
 
 Le 
        port magnifique d'Alger suscite une admiration générale. 
        La ville française aux larges rues claires et propres plaît 
        aussi par contre le quartier de la Casbahs'il 
        séduit les amateurs de pittoresque et fait rêver les amoureux 
        des choses du passé, révolte par la saleté bien arabe 
        de ses ruelles, par la puanteur de son marché, les touristes délicats. 
        Beaucoup, mais pas tous, sont sensibles à la fraîcheur paisible 
        des mosquées, à la délicatesse de leur décoration. 
        Remarque curieuse, la poétique douceur des cimetières musulmans, 
        celle surtout de cet adorable cimetière de la Princesse, où 
        assis sur une tombe, à l'ombre du figuier du bonheur, il fait si 
        bon rêver, n'a été appréciée que par 
        quelques pèlerins. Par contre, beaucoup ont décrit complaisamment 
        l'organisation moderne du port et n'ont pas négligé les 
        statistiques concernant l'évolution de son trafic ; c'est une manifestation 
        de cette tendance vers la recherche d'une documentation pédagogique 
        que nous avons notée déjà et dont nous dirons plus 
        loin les résultats.
 
 Oran, le grand port de l'ouest, a un type de ville trop espagnol pour 
        avoir été aussi généralement compris qu'Alger. 
        La ville est loin de présenter le même pittoresque, bien 
        que les jardins qui dominent le port au pied de la forteresse, soient 
        de toute beauté. Il faut noter que l'érudition de nos visiteurs 
        a été souvent en défaut : ils n'ont pas toujours 
        justement mesuré l'importance de son port, dont le trafic, en rapide 
        progrès, dépasse celui d'Alger. Cela n'a rien de surprenant, 
        du reste. Beaucoup plus ramassé que celui d'Alger, avec des docks 
        entassés aux pieds du " cerro " de Santa-Cruz, 
        il n'a pas l'imposante beauté de celui d'Alger. Les Oranais, hommes 
        d'affaires uniquement préoccupés de leurs négoces, 
        se soucient beaucoup moins que les Algérois de faire admirer aux 
        étrangers les installations de leur port. C'est par la faute de 
        cette médiocre information que, sauf quelques exceptions, peu de 
        visiteurs ont deviné le rôle considérable que prend 
        Oran, tête de la ligne d'Oudja-Fez-Casablanca, comme port d'entrée 
        des marchandises et même des voyageurs pressés à destination 
        du Maroc oriental et central.
 
 Constantine a séduit tous les amis du pittoresque et tous l'ont 
        visitée, hantés par le souvenir des deux sièges. 
        Le contraste entre la ville européenne et le quartier indigène 
        a été complaisamment décrit.
 
 Il est digne de remarque que les images qui nous sont données des 
        trois villes sont assez différentes. Les amateurs de pittoresque, 
        les plus nombreux, y ont promené le dilettantisme du voyageur artiste. 
        Leurs impressions sont souvent vigoureuses, parfois poétiques, 
        et dans cette masse de documents il y a à glaner tout un florilège.
 
 Nous devons noter une disposition d'esprit assez fréquente qui 
        atteste la valeur de l'enseignement géographique qu'ont reçu 
        les maîtres de notre enseignement primaire. Les méthodes 
        de la science géographique la plus récente leur sont bien 
        connues et ils ont tenté d'en faire l'application pour interpréter 
        ce qu'ils voyaient. Mlle Bouchan, professeur à l'École normale 
        de Guéret, laisse " de côté toutes les impressions 
        artistiques ou pittoresques pour se borner à signaler quelques 
        faits de géographie physique, humaine et économique 
        ". M. Fénelon, professeur à l'École primaire 
        supérieure de Belvès, fait un cours judicieux de géographie 
        physique. D'autres sont préoccupés davantage de géographie 
        économique : la culture de la vigne en Mitidja, le problème 
        des communications, le mouvement des ports sont étudiés 
        avec une précision digne de spécialistes.
 
 Un grand effort pour apprécier uvre colonisatrice de la France 
        est remarquable partout. Les voyageurs ont compris que c'était 
        cela surtout que le Comité du Centenaire leur demandait d'observer 
        afin d'en rendre compte plus tard à leurs élèves. 
        La colonisation de la Mitidja a été bien étudiée 
        et, les souvenirs de lecture aidant, de suggestives comparaisons établies 
        entre la stérilité de 1830 et la prospérité 
        d'un siècle plus tard. En revanche les grands travaux d'irrigation 
        du Tell n'ont pas été mentionnés, les voyageurs ayant 
        grande hâte (hâte bien légitime du reste) d'aller vers 
        le sud contempler le désert.
 
 Ils en rêvaient tous, du désert ! de son immensité 
        mouvante chauffée à blanc par le soleil. Tous voulaient 
        goûter la fraîcheur miraculeuse des oasis perdues au milieu 
        de la fournaise. C'est à Biskra, particulièrement accessible 
        grâce aux chemins de fer, qu'ils sont généralement 
        allés chercher cette impression du grand sud. L'émotion 
        chez tous a été vive, encore que fortement influencée 
        par les souvenirs littéraires : il est si difficile à un 
        intellectuel de regarder quoi que ce soit avec des yeux ingénus 
        ! Mais pourtant quelle conquête a faite l'Algérie de ces 
        âmes occidentales ! J'en veux la preuve dans ces vers qu'un professeur 
        de Lyon, m. Forest, joint à son rapport : ils sont beaux, bien 
        que n'obéissant pas à la loi de la rime, ils ont un rythme 
        souple et rare et paraissent empreints d'une vraie nostalgie :
 TOZEURJe suis, si vous voulez, une Bédouine bleue,
 Mon chemin est de sable et les murs sont dorés,
 Mon chemin et les murs ont la même couleur.
 L'horizon, fil ténu plus haut que le Djerid
 Et, si limpide. l'or de ce lac ignoré,
 Une lente oasis qui se dessine et meurt
 Pour reparaître ici et là et s'évanouir.
 Mon âme, elle, a choisi les mirages du sud
 Et les vêtements bleus des femmes de Tozeur.
 Mon âme, elle, a choisi cette halte dorée
 Dans la lumière pure et le ciel toujours bleu,
 Mais les soirs, le couchant devient de sable rouge
 Et mon chemin sans ombre a la même splendeur.
 Soudain, tout l'occident pour une étoile seule,
 Haute lampe d'Allah veillant l'immensité
 Dans un instant divin de parfaite unité
 Où l'air a pris au sol son ardente pâleur!
 Ineffable tourment sanglotant sur ma bouche.
 Mon âme, elle, a choisi le Sud illimité.
 M. Forest (qui termine son rapport par une 
        déclaration catégorique: " J'aime l'Afrique ! 
        " et prouve la sincérité de sa conversion en partant 
        en guerre contre... les mouches, fléau de sa terre d'élection) 
        est une conquête que l'Algérie a faite sur la France et les 
        jeunes filles lyonnaises, ses élèves, apprendront certainement 
        à aimer sa patrie d'adoption. Et cette conquête n'est pas 
        unique. Il n'est pas un seul de ces voyageurs qui n'aient été 
        séduits par la magie de l'Afrique du nord, et plusieurs déclarent 
        : " je reviendrai ". M. Baudouin, (E. P. S. de Gourdon) 
        dont l'intéressant rapport est orné de photographies, veut 
        servir l'Algérie non seulement dans sa classe, car il a rapporté 
        " ample provision de gravures, de livraisons et d'affiches ", 
        mais aussi en dehors et il nous promet un travail : sur " les 
        arbres et les bois d'Algérie " et une étude sur 
        " les thermes et la question hydraulique chez les Romains d'Afrique 
        ".
 En somme si la terre algérienne a déçu quelques amateurs 
        de frais ombrages et de vertes campagnes, elle a séduit le plus 
        grand nombre de nos boursiers et a fait de quelques-uns des pèlerins 
        passionnés de l'Afrique du Nord.
 
 b) La vie indigène
 
 La vie indigène a plus encore que le pittoresque du sol et que 
        la beauté des villes intéressé les boursiers.
 
 M. Chabridon,. instituteur à Huriel (Allier), note l'impression 
        désagréable que produisent sur l'étranger les indigènes 
        qui, à l'arrivée du bateau " se ruent, nombreux, 
        loqueteux, sordides, à la descente des voyageurs, se disputant 
        les valises, offrant leurs services avec une insistance et une persistance 
        d'affamés. Et les petits cireurs donc ! Puis le long des
 quais contre les parapets, tous ces êtres indolents, pieds nus, 
        drapés de burnous d'un blanc douteux, la tête protégée 
        du soleil par quelque méchante chéchia ou quelque enroulement 
        de toile, sont peu sympathiques. "
 
 A ces critiques, un Algérien répondra que ces indigènes 
        ne sont pas des inutiles : ils travaillent à leur manière. 
        Quand arrive un bateau marchand, ils accourent et ne marchandent pas leur 
        peine jusqu'à ce que le déchargement en soit terminé. 
        Après quoi, ils fl â n e n t attendant qu'une autre tâche 
        s'offre à eux. C'est assez naturel et il n'y a pas trop à 
        redire là-dessus.
 
 La mendicité surtout, exercée par les enfants, a peiné 
        les curs sensibles. P'tit sou. P'tit sou, tel est le cri 
        de l'Algérie, note une boursière. Nous comprenons parfaitement 
        cette tristesse, mais là encore il vaut mieux essayer d'expliquer 
        que de vitupérer la faiblesse en ce point de l'âme indigène 
        : la religion musulmane n'interdit pas, au contraire, la demande de l'aumône 
        et fait de l'assistance des indigents et de la pratique de l'hospitalité 
        des devoirs impérieux du fidèle.
 
 De même il faut considérer que les conquêtes de l'hygiène 
        moderne sont difficiles à imposer et que le soleil, grand purificateur, 
        est le meilleur antiseptique qui permet à l'Algérie, comme 
        à tous les pays du midi, d'être sale autant qu'il lui plaît. 
        Cependant certaines révoltes sont justifiées. Mlle Rossignol, 
        directrice d'Écoleà Lyon, note, comme beaucoup de ses collègues 
        féminins, l'abandon où est laissée l'enfance : " 
        les enfants surtout excitent notre pitié : des chapelets de mouches 
        sont collés autour de leurs yeux, semble-t-il, car c'est l'époque 
        où lest dattes vont mûrir et les mouches foisonnent ". 
        Certes, pour nos institutrices penchées avec tant de dévouement 
        sur l'enfance, ce spectacle est pénible et il est juste de dire 
        que, si l'école algérienne fait ce qu'elle peut, il reste 
        encore beaucoup de progrès à réaliser.
 
 Ces critiques faites - où il y a bien de la sympathie latente - 
        les voyageurs constatent qu'ils ont à peine aperçu, u par 
        quelques portes ouvertes " qu'ils ne franchirent pas, la vie des 
        indigènes, renfermée dans le mystère des maisons 
        bien défendues contre la curiosité des étrangers, 
        impénétrables comme le regard des Arabes, dont l'âme 
        est cachée dans ce regard absent comme leur corps est dissimulé 
        sous les amples plis du burnous. Pourtant quelques-uns d'entre eux ont 
        été fort aimablement reçus par Si Mohammed ben Dridi, 
        cheik de Bou-Chagrouh, qui trouvera ici et les remerciements de ses invités 
        et ceux du Comité du Centenaire. Mlle Collas (E. P. S. de Mayenne) 
        et Mlle Loustau (Cours complémentaire de Salies-de-Béarn) 
        font de cette belle réception un tableau pittoresque et ému 
        : Si Mohammed leur a donné une haute idée de la courtoisie 
        et de la dignité de vie des Algériens bien nés.
 
 Les maîtres de notre éducation populaire ont été 
        naturellement portés à se demander quelle influence a exercée 
        l'enseignement des indigènes. Ils ont rapporté, il faut 
        le dire, des avis contradictoires. Les uns sont très optimistes 
        : M. Bouzid (Directeur d'École à Mauguio), très fier 
        d'être " un enfant d'Algérie " et d'enseigner 
        maintenant les enfants de France, le proclame, MlleGeneviève Denssède 
        (Cours complémentaire de La Roche à Saint-Eloy-les-Mines) 
        croit volontiers le bon vieillard qui lui fait visiter les bâtiments 
        de l'école d'El Kantara. " Elle a transformé, nous 
        dit-il, le pays et les enfants, cette " écoule 
        " ! La" jeunesse est réfléchie. moins turbulente 
        et si savante, les jeunes gens plus respectueux et le service militaire 
        en France est le rêve de chacun ". Hum ! Nous nous serions 
        quelque peu méfié de ce docteur Pangloss indigène 
        ! Nous serions plus disposé à croire M. Saillard, instituteur 
        à Villiers-sous-Chalamont, qui, ancien élève de la 
        section spéciale de 
        l'École normale de La Bouzaréa, a été 
        instituteur à Sétif. Il a noté un heureux changement 
        de la situation qu'il observait il y a 20 ans, un progrès qui " 
        a dépassé mon attente ", écrit-il. Et M. 
        Ruayres, professeur à l'École normale de Montauban, qui 
        a conversé avec des instituteurs algériens, estime que " 
        les programmes de l'enseignement indigène semblent maintenant insuffisants 
        : pas de géographie ni d'histoire, alors
 que les enfants indigènes instruits dans les écoles d'Européens 
        manifestent un vif intérêt pour l'histoire de France et s'enthousiasment 
        pour la Révolution française ; un enseignement du français 
        sans base grammaticale; pas de leçons de sciences à proprement 
        parler, etc. " C'est évidemment par l'éducation 
        que nous gagnerons peu-à-peu le cur des populations musulmanes 
        : déjà des résultats ont été obtenus 
        ; notre langue est partout comprise, parlée partout, plus ou moins 
        correctement, et les résultats obtenus sont mesurés par 
        un boursier qui, dans une famille kabyle de Michelet, trouve un grand-père 
        ignorant tout du français, un homme mûr le comprenant mais 
        le parlant à peine, et un jeune homme le parlant et l'écrivant 
        correctement. Aussi nous semble-t-il comme à la majorité 
        des auteurs des rapports, qu'il n'y a pas lieu de désespérer 
        et nous ne souscrivons pas au jugement pessimiste de Mlle Desclaux, directrice 
        de l'École normale de Saint-Brieuc, qui constate " une 
        imperméabilité (sic) trop certaine du moins chez les masses 
        populaires ", ni au regret de M. Ladoune, inspecteur primaire 
        à Montpellier : " les Arabes ne consentent jamais à 
        se laisser assimiler à la vie européenne ". Vous jamais 
        connaître les Arabes ", dit un guide indigène de 
        Tlemcen à Mlle Savignat. Pas en quelques jours évidemment, 
        ni avec l'esprit colon trop souvent porté à dénigrer 
        l'employé qui ne donne pas toute satisfaction. Mais nous croyons 
        que les appréciations les plus sages sur ce grave sujet ont été 
        écrites par M. Gilles, instituteur au Cours complémentaire 
        de Langogne, bien préparé à comprendre la vie indigène 
        par son service militaire pendant la guerre dans des régiments 
        de zouaves et de tirailleurs. " Trop de différences, et 
        trop profondes, nous séparent c, encore... Sans doute l'indigène 
        hésite à entrer dans le courant de la civilisation, mais 
        nous n'en doutons pas, il y sera bientôt tout-à-fait quand 
        l'instruction répandue et les uvres sociales créées 
        à son profit auront donné leurs fruits. La France peut être 
        fière de son uvre."
 
 Les populations juives ont beaucoup intéressé certains voyageurs 
        qui connaissaient les critiques faites au décret
 Crémieux. L'assimilation - au moins apparente - des Israélites 
        d'Algérie les a beaucoup frappés. Les jeunes portent le 
        costume européen, participent à toutes les manifestations 
        de la vie coloniale européenne, ont une activité en tous 
        points comparable à celle de colon. Et cette évolution est 
        assez récente, dans les villes de l'intérieur, pour que 
        Mlle Savignat ait pu prendre à Tlemcen l'intéressante photographie 
        montrant un grand-père juif en costume oriental menant par la main 
        un petit-fils vêtu à la dernière mode de Paris. Electeur, 
        travaillant dans la paix, enrichi par ses négoces, le juif est 
        un des plus sûrs bénéficiaires de la conquête. 
        Il est sans doute rallié à la France. Mais nos boursiers 
        l'ont constaté, il reste fidèle dans l'intimité à 
        ses murs d'autrefois. Cela n'a rien d'étonnant - la race 
        juive n'a-t-elle pas toujours été fortement attachée 
        à ses traditions : qu'en serait-il resté sans cela? - ni 
        d'inquiétant, et cette " vie double " nous apparaît 
        pittoresque, sans plus.
 
 Du reste ces deux populations algériennes peuvent se rapprocher, 
        malgré le mépris du Musulman pour le Juif, et la défiance 
        de l'un et de l'autre à l'égard du colon, et communier dans 
        le patriotisme algérien dont Mile Paparel, professeur à 
        l'École normale d'Institutrices de Nîmes, note justement 
        la force. " Qu'il soit colon ancien ou de venue récente, 
        instituteur indigène ou Français impeccable (?), adolescent 
        très fier de son certificat d'études, ou pasteur à 
        demi nomade, rassemblant tout son savoir pour décider " la 
        dame européenne " à aller visiter Djelfa, il pense 
        toujours que l'on ne peut venir " en Algérie que pour s'y 
        fixer et qu'on-y est plus heureux qu'en France et qu'on ne saurait quitter 
        la terre d'Afrique quand on y est venu. Cet amour du pays est le gage 
        le plus sûr de la bonne entente et de la prospérité 
        ".
 c) La colonisation
 La plupart de nos boursiers ont eu le désir de contempler les ruines 
        grandioses des villes romaines de Mauritanie et de la Province d'Afrique, 
        et beaucoup se sont imposé de longs voyages en autobus ou en automobile 
        pour y accéder.
 
 Tous ont été émerveillés et ils ont découvert 
        avec M. Belaud, professeur à l'École supérieure de 
        Saint-Jean d'Angely, qu'on y avait une " vie raffinée 
        " plus agréable que celle que Européens et Indigènes 
        mènent aujourd'hui. Ils en ont conclu que nous n'avons pas encore 
        "fait aussi bien que les Romains ". Sans doute, mais 
        il faut penser que nous sommes en Algérie depuis seulement cent 
        ans, tandis que les Romains y sont restés cinq siècles - 
        et que nous devons réparer les ruines de plusieurs siècles 
        de domination arabe, et de régence turque. La conquête arabe 
        a créé une Afrique musulmane et la défiance, sinon 
        la haine du Croissant pour la Croix ne facilite pas notre tâche.
 
 Notre effort a pourtant été grand et malgré nos hésitations, 
        malgré que nous ayons fait trop souvent de l'Algérie une 
        terre d'expériences en matière de colonisation, que trop 
        de rêves se soient interposés entre ce pays et les nécessités 
        du moment (rêve de colonisation 
        à la romaine de Clauzel à Bugeaud, de colonisation libre, 
        trop tôt, à l'époque de Vallée, de colonisation 
        dirigée, d'exploitation Saint-Simonienne, de colonisation pénale, 
        de mise en valeur par de puissantes sociétés par actions, 
        de proconsulat militaire et de royaume arabe, de colonisation patriotique 
        quand on y transporta les Alsaciens- Lorrains après 1871, pour 
        en revenir enfin à des systèmes moins théoriques 
        et plus modestes de mise en culture par le colon avec l'aide de l'indigène), 
        malgré bien des erreurs, dont quelques-unes ont été 
        tragiques, uvre accomplie par la France mérite l'admiration.
 
 Cette admiration, tous les boursiers ne l'ont pas ménagée. 
        Le riche jardin qu'est devenue la marécageuse et insalubre Mitidja, 
        a séduit les visiteurs et leur enthousiasme est grand. Boufarik, 
        Blida ont eu en presque tous des chantres sincères, même 
        en ceux qui ne les ont pas trouvées aussi poétiques que 
        les avait faites la fantaisie d'un grand écrivain.
 Nous répondrons à la question mélancolique posée 
        par Mlle Aymard, professeur à l'École normale d'Institutrices 
        d'Alençon : " Faut-il aller voir les lieux que les poètes 
        ont chantés ? " - Jamais. Mademoiselle, surtout quand 
        ils ont le tempérament de l'admirable écrivain qu'est André 
        Gide, qui partout ne voit que lui-même. Et c'est pourquoi, lectrice 
        des " Nourritures terrestres ", vous êtes allée, 
        amoureuse de Blida, contempler " la petite rose, fleur du Sahel 
        " et y avez trouvé un médiocre bois sacré " 
        qu'éclairent, ô sacrilège, 
        des réverbères à gaz ! " Mais quand, délaissant 
        Gide comme un simple " faux-monnayeur ", vous avez regardé 
        avec vos yeux, vous avez justement apprécié l'immense effort 
        accompli dans ce pays et noté de façon intéressante 
        les heureux résultats donnés par l'organisation agricole 
        coopérative. " Tout est ici sous le signe COOP ", 
        dites- vous, et cette notation est pleine d'enseignement.
 
 M. Anne, dont l'admiration est sans réserves, a visité la 
        ferme Sainte-Marguerite, et surtout " l'Usine Coopérative 
        pour le traitement des sous-produits de la vigne " . Pris d'un 
        zèle très louable, il se propose d'exaucer le vu de 
        l'ingénieur-agronome, directeur de cette usine : "Il nous 
        demanda de signaler à notre retour en France, ! à nos grands 
        élèves, le champ qui peut s'ouvrir en Algérie à 
        leur activité. Nous le lui avons promis et nous n'y manquerons 
        pas. "De même M. Sampy, professeur à l'Ecole primaire 
        supérieure de Colmar et président de l'Amicale des Instituteurs 
        et Institutrices du Haut-Rhin, qui a conduit en Algérie une excursion 
        de ses collègues alsaciens, se propose " d'orienter ses 
        anciens élèves vers l'Algérie où il y a des 
        possibilités d'existence innombrables ". Ce sera une excellente 
        initiative.
 
 M. Paul Francillon, professeur à l'École normale de Caen, 
        retrouve en Mitidja " les paysages familiers de France " 
        et Mlle Raymonde Perron, institutrice à l'École primaire 
        supérieure d'Embrun, y admire l'outillage moderne de l'agriculture. 
        Elle s'écrie : " Quelle douche pour mes préjugés 
        ! je croyais volontiers que seule la métropole était le 
        pays moderne entre tous... " C'est une douche fort salutaire. 
        Mlle Bret, (E. P. S. d'Albi). étudie avec soin la colonisation 
        alsacienne à Haussonviller et l'organisation de Camp Maréchal.
 
 Bien des voyageurs sont agréablement surpris en constatant que 
        les Hauts-Plateaux sont bien moins stériles qu'ils ne l'avaient 
        pensé, mais tous ceux qui ont osé aller jusqu'à Bou-Saada 
        ou jusqu'à Biskra 
        gardent une impression inoubliable des oasis. Ils ont pris contact avec 
        le désert et en ont senti l'attrait.
 
 Quelques-uns ont causé avec les colons. " Actuellement, 
        note M. Ruayres, la plupart des colons français me paraissent dans 
        l'aisance, mais déjà un certain nombre, trouvant que l'Algérie 
        n'est plus un pays assez neuf, vendent à un bon prix leurs terres 
        et vont au Maroc, avec la somme ainsi réalisée, acquérir 
        de vastes domaines. Mieux préparés que des immigrants venus 
        de France, plus entreprenants aussi, ce sont eux qui colonisent le Maroc. 
        " Nous laissons à son auteur la responsabilité de cette 
        affirmation. Nous constatons seulement que la même impression heureuse 
        causée par le spectacle de la prospérité des colons 
        français se retrouve dans tous les rapports. Quant aux colons étrangers, 
        M. Maugendre, Inspecteur primaire à Carpentras, nous parle avec 
        l'autorité d'un homme élevé en Oranie, de l'assimilation 
        des fils d'Espagnols et des fils d'Italiens qui est " parfaite 
        " et M. Bauberot, (E. P. S. de Bellac), n'a pas craint, pour enrichir 
        son étude sur le problème italien dans le département 
        de Constantine, de demander une interview au Consul général 
        d'Italie lui-même. Il nous rapporte les déclarations très 
        rassurantes de ce haut fonctionnaire italien, constatant l'excellence 
        des rapports entre colons italiens et français et la satisfaction 
        des Italiens. Cette collaboration, ajoute-t-il, pourrait être étendue 
        à d'autres pays que l'Algérie.
 
 Nous voilà rassurés : il n'y a pas de question italienne 
        en Algérie malgré le voisinage de la Tunisie.
 
 Les rapports des colons français et étrangers avec les indigènes 
        ne sont pas toujours aussi bons qu'ils devraient être.
 
 Les colons se plaignent et pour avoir écouté leurs doléances, 
        M. Ruayres qui juge les Arabes " paresseux, menteurs, portés 
        au faux-témoignage ", nous paraît bien sévère. 
        Nous n'osons souscrire à cette opinion que " l'indigène 
        étant maintenant très efficacement protégé 
        contre la brutalité des colons, ce serait le colon qui maintenant 
        est exposé à des accusations injustifiées ".
 
 Enregistrons ces plaintes avec philosophie : Quel est le patron qui ne 
        se plaint pas de ses ouvriers ? Et puis voilà que l'indigène 
        achète de la terre, qu'il devient l'égal de l'Européen. 
        N'y a-t-il pas quelque jalousie dans cette sévérité 
        pour une population que l'on considérait comme subalterne ? Nous 
        avouons avoir été beaucoup plus choqué de la brutalité 
        de langage et de gestes de certains Européens de très basse 
        origine envers des Arabes qui valaient mieux qu'eux et notre indignation 
        nous place à côté de M. Marot, Directeur de l'Ecole 
        normale de Châteauroux, quand il critique la grossièreté 
        des employés des Compagnies de transport et de certains petits 
        fonctionnaires. " L'indigène paie sa place d'autocar, mais 
        on le rudoie, on le comprime sur le toit de la voiture, on le tasse à 
        coups de gueule et même de poings, et il accepte sans révolte 
        apparente ". Combien y a-t-il de Français parmi ces brutes? 
        N'y a-t-il, comme le déclare pudiquement M. Marot, parmi elles, 
        que des " métèques , Espagnols, Syriens, Mozabites 
        fraîchement naturalisés " ?
 
 Malgré ces ombres au tableau (quelle uvre humaine est sans 
        ombres ?), le spectacle de la colonisation française en Algérie 
        a causé à tous les maîtres de l'enseignement primaire 
        qui firent ce voyage, une impression profonde. Combien pourraient déclarer 
        avec M. Morel, professeur à l'École normale de La-Roche-sur-Yon 
        : " Il m'a débarrassé du préjugé anticolonialiste 
        auquel j'étais enclin ". Et ceci encore est un résultat 
        qui démontre la profonde utilité des Bourses de voyage. 
        Aucune propagande ne vaut le témoignage direct des faits.
 
 d) Bénéfices d'un pareil voyage 
        pour l'enseignement
 
 Tous les voyageurs déclarent: " Désormais je n'enseignerai 
        plus l'Algérie comme avant ". La plupart en parleront 
        avec un véritable amour. Quelques-uns sont devenus propagandistes. 
        A M. Aumégeas, dont nous avons lu l'intéressante brochure 
        destinée à ses collègues de Meurthe-et-Moselle, il 
        faut joindre MM. Gachon et Serrèze, Directeurs d'École dans 
        le Puy-de-Dôme, qui annoncent des publications dans " Nouvel 
        Âge " et "l'École libératrice 
        ", M. Anne qui organise, grâce au Comité Michelet des 
        Andelys et à la " Société gisorienne des Conférences 
        populaires ", un enseignement post-scolaire de notre grande colonie 
        de l'Afrique du Nord. Mlle Queyret, institutrice au Cours complémentaire 
        de Saintes, nous a donné une intéressante étude sur 
        le port d'Oran qui mériterait la publication, M. Morel, des notes 
        très précises sur la préhistoire nord-africaine, 
        M. Bais, Directeur du Cours complémentaire des Andelys, le texte 
        d'une conférence publique qu'il a faite sur son voyage, M. Sagittou, 
        professeur à I'Ecole primaire supérieure de Brignoles, un 
        travail sur les richesses minières de I'Aurès, etc.
 
 Comme l'écrit M. Dès (E. P. S. de Saint-Aignan), " 
        le professeur décrit avec plus de foi ce qu'il aime que ce qui 
        lui est indifférent... Il l'enseigne aussi avec plus d'assurance 
        ". M. Debesse, professeur à l'École normale de Châlons-sur-Marne, 
        a désormais l'idée de ce qu'est " une civilisation 
        de pays neuf " et saura la communiquer à ses élèves. 
        Tous ont rapporté d'abondants documents photographiques, quelques-uns 
        ont constitué un petit musée scolaire.
 
 En somme, il est impossible de ne pas être frappé par l'excellente 
        interprétation que tous les boursiers ont donnée à 
        la circulaire ministérielle exprimant les vues du Comité. 
        Même ce professeur qui se plaint d'avoir été " 
        hanté par \les limites étroites qu'une circulaire fixe 
        à nos rapports ", étroites et sinistres limites 
        qui ne l'ont pas empêché d'écrire d'intéressantes 
        pages, intelligemment illustrées, sur un voyage qu'il eut l'art 
        de pousser jusqu'à Carthage (ce qui était implicitement 
        désobéir à la terrible circulaire fixant aux voyageurs 
        comme limites extrêmes celles de l'Algérie), tous les maîtres 
        de l'enseignement primaire dont nous avons analysé les rapports 
        ont fait un beau et utile voyage, en pensant toujours à leurs élèves, 
        et de ce dévouement il convient de les féliciter. Dans ce 
        nombre considérable de travaux, nous n'avons trouvé qu'un 
        ou deux exercices littéraires, de ces recueils de tableautins, 
        où se complaît la fantaisie d'un passant, superficiel toujours, 
        injuste souvent. L'exception - si rare - confirme la règle.
 
 |