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        CHAPITRE III  LES FILS DE LOUIS-PHILIPPE  Le duc d'Orléans, le duc de 
          Nemours, le prince de Joinville, le duc d'Aumale  -------Louis-Philippe, 
          qui réalisa presque entièrement sous son règne, 
          de 1830 à 1848, la conquête militaire de l'Algérie, 
          envoya ses fils à maintes reprises participer aux expéditions; 
          il tenait à ce qu'ils fissent l'apprentissage du métier 
          des armes; il voulait aussi montrer à l'armée et au pays 
          qu'ils savaient partager les dangers et les peines des enfants du peuple. 
           Le duc d'Orléans 
           -------L'aîné 
          d'entre eux, le duc d'Orléans, héritier de la couronne, 
          reçut en 1835 un commandement sous les ordres du maréchal 
          Clauzel, dans le corps expéditionnaire chargé de s'emparer 
          de Mascara. Ce prince, populaire à cause de sa simplicité 
          et de sa bonté, eut comme premier soin de visiter les hôpitaux. 
          Pendant l'expédition, il voulut, pour l'exemple, vivre comme 
          le soldat, manger le même pain, boire la même eau; mais 
          il tomba malade et dut, dès son retour à Mostaganem, être 
          rapatrié en France.-------Il 
          revint en Algérie en 1839, sous le gouvernement du maréchal 
          Valée, pour commander une division dans l'expédition des 
          Portes de Fer. La colonne passa sans encombre par le fameux défilé 
          qui tient la grande route de communication de Constantine à Alger. 
          Elle n'eut de difficultés qu'au retour vers Alger; le prince, 
          toujours à l'avant-garde, put à ce moment montrer sa bravoure. 
          " Tant que dura l'engagement, dit un de 
          ses historiens, il se tint au milieu des tirailleurs, affrontant les 
          balles des Arabes, auxquels son képi rouge, le seul de l'armée 
          qui fût découvert, l'écarlate de sa selle et sa 
          plaque de la Légion d'honneur, servaient naturellement de point 
          de mire. " Une telle attitude, très appréciée 
          à cette époque, le faisait aimer des troupiers; mais elle 
          a coûté par la suite, en raison des progrès de l'armement, 
          trop d'officiers à l'armée pour n'être pas considérée 
          aujourd'hui comme une imprudence inutile.
 -------Lorsque 
          la colonne arriva près d'Alger, à hauteur de Maison-Carrée, 
          le duc d'Orléans réunit les officiers, et, dans une allocution 
          pleine de modestie et d'affection, il leur promit de faire connaître 
          en France la tâche accomplie par l'armée d'Afrique : 
          " Je dirai toutes les grandes choses que l'armée a faites 
          en Afrique, toutes les épreuves qu'elle subit, avec un dévouement 
          d'autant plus admirable qu'il est souvent ignoré et quelquefois 
          méconnu. " Il ajouta : " Je 
          ne me suis pas cru éloigné de ma famille, car j'en ai 
          trouvé une au milieu de vous et parmi les soldats dont j'ai admiré 
          la persévérance dans les fatigues, la résignation 
          dans les souffrances, le courage dans le combat. "
 -------A 
          Alger, où un accueil enthousiaste lui fut fait par les Français 
          et les Indigènes, il répondit aux compliments des représentants 
          de la population : " Je m'enorgueillis 
          de rentrer par la bonne porte, par la porte de terre, dans la capitale 
          de cette nouvelle France que l'armée a conquise, sillonnée 
          de routes, couverte de beaux et d'utiles travaux, et que vous saurez 
          tous féconder, peupler et rendre digne de la mère-patrie... 
          J'espère que les résultats obtenus feront des Algériens 
          de tant d'hommes qui, jusqu'à présent, n'ont pas eu foi 
          dans l'Afrique, et je regarde comme un grand honneur et un grand bonheur 
          pour moi d'avoir pu concourir à un des plus grands événements 
          de ce siècle, à la conversion en province française 
          et civilisée de cette terre jusqu'à présent barbare 
          et hostile. "
 -------Au 
          banquet offert par la colonie, le duc d'Orléans déclara, 
          dans la réponse qu'il fit au toast en son honneur " 
          La conquête de l'Afrique est, à mes yeux, la plus grande 
          chance qui se soit offerte depuis longtemps à la France... Tous 
          ceux qui se consacrent à cette noble tâche ont bien mérité 
          de la Patrie. Plus les travaux sont pénibles et les obstacles 
          grands, et plus aussi il faut honorer leur persévérance; 
          car, dans une société dont le travail est la loi fondamentale, 
          chacun doit être classé selon la part pour laquelle il 
          contribue au bien général. "
 
           
            | Ferdinand Philippe Louis Charles 
                Henri, duc D'ORLÉANSNé à Palerme le 3 septembre 1810
 Grand croix de la Légion d'honneur le 3 août 1830
 Général de division le ler janvier 1834
 Décédé le 13 juillet 1842 à Neuilly-sur-Seine
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          ------- Le Prince Royal invita le lendemain 
            à un banquet sur la place Bab-el-Oued toute la division qu'il 
            avait commandée pendant l'expédition, officiers, sous-officiers 
            et soldats, soit 3 242 convives. Vers la fin du repas, montant sur 
            une table, il porta un toast à l'armée qui résumait 
            bien l'uvre accomplie par elle :
 ------- " 
            A cette armée, s'écria-t-il, qui a conquis à 
            la France un vaste et bel empire, ouvert un champ illimité 
            à la civilisation, dont elle est l'avant-garde ! À la 
            colonisation, dont elle est la première garantie!
 ------- " 
            À cette armée qui, maniant tour à tour la pioche 
            et le fusil, combattant alternativement les Arabes et la fièvre, 
            a su affronter avec une résignation stoïque la mort sans 
            gloire de l'hôpital, et dont la brillante valeur conserve dans 
            notre jeune armée les traditions de nos légions les 
            plus célèbres!
 ------- " 
            À cette armée, compagne d'élite de la grande 
            armée française, qui, sur le seul champ de bataille 
            réservé à nos armes, doit devenir la pépinière 
            des chefs futurs de l'armée française, et qui s'enorgueillit 
            justement de ceux qui ont déjà percé à 
            travers ses rangs
 ------- " 
            À cette armée qui, loin de la patrie, a le bonheur de 
            ne connaître les discordes intestines de la France que pour 
            les maudire, et qui, servant d'asile à ceux qui les fuient, 
            ne leur donne à combattre, pour les intérêts généraux 
            de la France, que contre la nature, les Arabes et le climat! "
 
 ------- Après le repas, le prince fit le tour des tables, 
            parlant aux soldats avec sa simplicité et son affabilité 
            coutumières, trouvant pour chaque unité ou même 
            pour chaque homme le mot qui convenait. C'est par cette attitude familière, 
            comme par son endurance et son courage, qu'il savait conquérir 
            les curs.
 ------- L'expédition des Portes 
            de Fer ayant été l'occasion d'une reprise des hostilités 
            par Abd -el- Kader, le duc d'Orléans vint de France en 1840 
            pour la troisième fois participer à la tâche de 
            l'armée d'Afrique. Dans l'expédition ayant pour but 
            d'occuper Médéa et Miliana, il reçut le commandement 
            d'une division : c'est lui qui enleva le 12 mai le col de Mouzaïa 
            avec trois colonnes que commandaient Duvivier, la Moricière 
            et d'Houdetot.
 ------- Revenu en France, le prince s'occupait 
            avec ardeur de l'organisation et de l'instruction de l'armée, 
            lorsqu'il mourut d'un accident de voiture le 13 juillet 1842, à 
            Neuilly. Il fut unanimement regretté, et particulièrement 
            dans l'armée; du moins son nom fut-il donné aux chasseurs 
            à pied qui s'appelèrent, jusqu'à la Révolution 
            de 1848, les " chasseurs d'Orléans 
            ", du nom de leur créateur, et qui s'illustrèrent 
            en Afrique dans maints glorieux combats, tels que l'Isly et Sidi Brahim.
 Le 
            duc de Nemours et le prince de Joinville  ------- Louis-Philippe 
            ne voulait pas que le duc de Nemours, le second de ses fils, fût 
            plus ménagé que son aîné. Alors que le 
            maréchal Clauzel préparait en 1836 la première 
            expédition de Constantine, le ministre de la Guerre lui écrivait 
            le 22 octobre : " L'intention de Sa 
            Majesté est que Mgr le duc de Nemours assiste à l'expédition 
            de Constantine, comme Mgr le prince royal a assisté à 
            celle de Mascara. " Clauzel, en annonçant cette 
            nouvelle aux troupes, dans son ordre du 2 novembre, ajoutait : " 
            Chacun verra dans cette circonstance une preuve de plus le l'affection 
            que le Roi porte à l'armée et, selon les expressions 
            de Sa Majesté, du désir qu'éprouvent ses enfants 
            de s'identifier partout à sa fortune et à sa gloire. 
            " 
             
              | Louis Charles Philippe Raphaël 
                  D'ORLÉANS, duc DE NEMOURSNé le 25 octobre 1814 à Paris
 Grand croix de la Légion d'honneur le 3 août 1830
 Général de division le 11 novembre 1837
 Décédé à Versailles le 26 juin 1896
 |  ------ Le duc de Nemours 
            accompagna Clauzel dans cette pénible expédition; il 
            endura stoïquement les souffrances causées par le froid, 
            la pluie, la neige, le bivouac dans la boue, et s'avança au 
            moment de l'attaque de la ville, jusqu'à la première 
            ligne des tirailleurs, au mépris de tout danger. Pendant la 
            pénible retraite, il témoigna sa bonté envers 
            les soldats, abandonnant ses bagages pour donner un mulet de plus 
            à l'ambulance. Il repartit dès le 10 décembre 
            d'Alger pour la France.------- Lorsque la deuxième expédition 
            de Constantine fut décidée en 1837, trois fils du Roi 
            briguèrent à la fois l'honneur d'en faire partie : le 
            duc d'Orléans, le duc de Nemours, et le prince de Joinville. 
            Mais le duc de Nemours, qui avait assisté à l'échec, 
            sembla avoir un droit spécial à participer au succès 
            espéré et fut nommé à la tête d'une 
            brigade, celle dans laquelle servait le lieutenant-colonel de la Moricière.
 ------- Devant Constantine, où 
            la colonne arriva le 6 octobre, il fut chargé du commandement 
            du siège : le 12, lorsque le gouverneur général, 
            le général de Damrémont, fut tué par un 
            boulet turc, et le général Perrégaux mortellement 
            blessé par une balle, il était à leurs côtés 
            et eut sa capote trouée par les balles; ce fut lui qui, commandant 
            du siège, lança le lendemain les trois colonnes d'assaut 
            commandées par La Moricière, Combe et Corbin, qui s'emparèrent 
            de la ville.
 ------- Alors que, le 16 octobre, il 
            passait une revue, arriva le prince de Joinville, qui avait touché 
            à Bône, et avait demandé au commandant de l'Hercule 
            l'autorisation de se joindre à une colonne de secours en marche 
            vers Constantine. Il arrivait trop tard pour assister à l'assaut; 
            mais il revint du moins avec la colonne, où Nemours commandait 
            l'arrière-garde, et où tous deux montrèrent la 
            plus touchante sollicitude pour les malheureux qui tombaient atteints 
            du choléra. Le duc de Nemours fit le 3 novembre ses adieux 
            à sa brigade, après avoir fait citer à l'ordre, 
            parmi d'autres, quatre officiers qui devaient devenir maréchaux 
            de France : Canrobert, Mac-Mahon, Saint-Arnaud et Niel. II fut lui-même 
            nommé lieutenant général.
 ------- Tandis qu'il rentrait en France, 
            Joinville voguait vers le Brésil. C'est lui qui devait quelques 
            années plus tard, en 1844, au moment où Bugeaud attaquait 
            le Maroc par terre et remportait la victoire de l'Isly, aller avec 
            une escadre bombarder les batteries de Tanger lé 6 août 
            et le port de Mogador le 15 août.
 ------- Lorsque Bugeaud eût été 
            nommé gouverneur de l'Algérie en février 1841, 
            le duc de Nemours vint pour la troisième fois en Algérie, 
            afin de participer aux opérations contre Abd-el-Kader.
 ------- Débarqué à 
            Alger au début d'avril, il mena d'abord, avec Bugeaud, des 
            convois de ravitaillement à Médéa et Miliana, 
            et mérita cette citation : " En 
            toute circonstance, pourrait servir d'exemple à l'armée 
            pour la discipline comme pour le courage; a chargé, le 3 mai, 
            à la tête de deux bataillons et a bien vite mis en fuite 
            les Kabyles qui se trouvaient devant lui "
 ------- Il accompagna ensuite Bugeaud 
            dans la province d'Oran, et y prit, sous ses ordres, le commandement 
            d'une division, dans la colonne qui alla détruire Tagdempt, 
            place d'approvisionnement d'Abd-el-Kader, et occuper Mascara, son 
            ancienne capitale. Lorsqu'il se rembarqua pour la France le 3 juin, 
            il fut salué par un ordre de la colonne expéditionnaire 
            dans lequel Bugeaud s'exprimait ainsi : " 
            L'armée a déjà appris à connaître 
            le prince à 
            Constantine; son nouveau séjour dans ses rangs n'a pu que resserrer 
            les liens qui l'unissent à elle. Son souvenir vivra dans les 
            trois provinces, car il a fait la guerre avec les trois grandes divisions 
            de cette armée... L'armée vivra aussi dans son cur; 
            il dira au Roi combien elle a mérité et peut mériter 
            encore l'estime de la patrie qui est le mobile de ses actions. 
            "
 Le duc d'Aumale -------Le 
          duc d'Aumale devait marcher glorieusement sur les traces de ses frères 
          en Algérie. C'est comme officier d'ordonnance du duc d'Orléans 
          qu'il y fit ses premières armes en 1840. Il n'avait alors que 
          18 ans et comptait au 4è léger comme chef de bataillon. 
          Le 27 avril 1840, à l'Oued Djer, il reçut le baptême 
          du feu en chargeant bravement avec un escadron; le 12 mai, il prit part 
          à l'attaque du col de Mouzaïa.-------Lorsque 
          Bugeaud entreprit de soumettre Abd-el-Kader, le duc d'Aumale, lieutenant-colonel 
          au 240 de ligne, fut autorisé à faire campagne sous ses 
          ordres. Il écrivit le 25 février 1841 au nouveau gouverneur 
          : " Je vous prierai, mon général, 
          de ne m'épargner ni fatigues, ni quoi que ce soit. Je suis jeune 
          et robuste et, en vrai cadet de Gascogne, il faut que je gagne mes éperons. 
          Je ne vous demande qu'une chose, c'est de ne pas oublier le régiment 
          du duc d'Aumale, quand il y aura des coups à recevoir et à 
          donner. "
 
 |  |  -------Il 
        reçut de Bugeaud cette réponse : " 
        Vous ne voulez pas être ménagé, mon prince, je n'en 
        eus jamais la pensée. Je vous ferai votre juste part de fatigues 
        et de dangers; vous saurez faire vous-même votre part de gloire. 
        " Le prince se distingua, en effet, avec le 24è 
        aux expéditions auxquelles prit part le régiment au printemps 
        de 1841.-------Fatigué 
        par le climat, le duc d'Aumale fut chargé en juillet, avec le grade 
        de colonel, de ramener à Paris le 17è léger, et ne 
        revint en Algérie qu'à la fin de 1842, comme maréchal 
        de camp. Ce jeune général de 20 ans prit part à la 
        tête d'une colonne à une expédition conduite par Bugeaud 
        dans l'Ouarsenis, puis reçut le commandement de la province de 
        Titteri, avec résidence à Médéa. De là, 
        il rayonna avec succès dans diverses directions.
 -------En 
        mai 1843, il entreprit à la tête de 1 300 zouaves et fantassins, 
        de 600 cavaliers, spahis, chasseurs et gendarmes, d'une section d'artillerie 
        et d'un convoi de 800 chevaux et mulets, son expédition contre 
        la smala d'Abd-el-Kader. Cette smala, gardée par des réguliers, 
        comprenait une population s'élevant à 60 000 âmes, 
        ainsi que la famille et les trésors de l'Émir.
 -------Le 
        duc d'Aumale la surprit le 16 mai dans le Sahara, à Taguin; il 
        avait, pour la rejoindre, laissé son infanterie en arrière, 
        et n'avait avec lui que ses cavaliers ! Il n'avait pas été 
        aperçu, et, comme sa colonne était divisée en trois 
        tronçons très éloignés l'un de l'autre, il 
        n'avait qu'une chanté de salut : charger! Il courut cette chance 
        sans hésitation. Les chasseurs d'Afrique du lieutenant-colonel 
        Morris et les spahis du colonel Yusuf s'élancèrent, et mirent 
        le désarroi dans cette multitude. Le nombre des prisonniers fut 
        considérable et le butin fut immense.
 -------Cette journée fut certainement 
        la plus extraordinaire qui eut lieu au cours des guerres d'Afrique; il 
        fallait l'ardeur et l'insouciance d'un général de 21 ans 
        pour la risquer et la gagner. Un des prisonniers indigènes disait 
        ensuite: " Quand nous pûmes reconnaître 
        la faiblesse numérique du vainqueur, le rouge de la honte couvrit 
        nos visages; car si chaque homme de la Smala avait voulu combattre, ne 
        fût-ce qu'avec un bâton, les vainqueurs eussent été 
        les vaincus; mais les décrets de Dieu ont dû s'accomplir. 
        "
 -------Le 
        duc d'Aumale alla passer quelques mois en France, et revint, à 
        la fin de novembre 1843, prendre comme lieutenant-général 
        le commandement de la province de Constantine-. Au banquet que lui offrit 
        à son arrivée la population d'Alger, il déclara : 
        " Le Roi nous a envoyés ici, nous 
        ses fils, pour y payer à la Patrie notre dette de citoyens et de 
        soldats, et pour montrer que notre titre de princes était celui 
        de premiers serviteurs de la France. "
 -------Installé 
        à Constantine, il alla d'abord, en février 1844, occuper 
        Biskra, accompagné par son jeune frère le duc de Montpensier; 
        il s'occupa ensuite d'amener à la soumission quelques tribus récalcitrantes.
 -------Cette 
        pacification réalisée, il chercha à améliorer 
        l'administration des indigènes. Il recevait avec bonté ceux 
        qui avaient à lui présenter des réclamations, essayant 
        de faire en tout régner la justice. Il régularisa la perception 
        des impôts et empêcha les chefs locaux de pressurer leurs 
        administrés; il fit améliorer l'organisation des marchés, 
        par lesquels il tenait les nomades obligés de s'y approvisionner 
        et il les fit surveiller comme lieux de réunions politiques; il 
        s'occupa de la constitution de la propriété, autant 
        pour protéger les indigènes contre les spéculateurs 
        européens que pour fournir des terres aux colons; il fit de même 
        dans les villes : c'est ainsi que, par son ordonnance du 9 juin 1844, 
        il divisa Constantine en deux quartiers, l'un européen, accessible 
        à tous, l'autre indigène, dans lequel locations ou transactions 
        ne pouvaient être faites qu'entre Musulmans. La réputation 
        de sa bienveillante administration s'établit si bien que des tribus 
        tunisiennes lui demandèrent l'autorisation d'émigrer sur 
        son territoire; il ne put d'ailleurs la leur accorder.
 -------Les 
        qualités qu'il déploya dans cette sage administration lui 
        valurent plus tard, de la part d'un député de l'opposition, 
        Ferdinand Barrot, cet éloge à la tribune de la Chambre: 
        " Dans la province de Constantine, on a 
        entrepris le gouvernement dés races indigènes comme une 
        oeuvre de patience et de paix. Aussi, dans cette province, la soumission 
        est-elle plus intelligente et peut-être plus certaine. Il faut le 
        dire, car il est bon de rendre justice à tout le monde, même 
        aux princes. "
 -------Lorsque 
        Bugeaud, en désaccord avec la Chambre sur son système de 
        colonisation militaire, décida de résigner ses fonctions 
        de gouverneur général, il en informa le duc d'Aumale en 
        critiquant âprement le système des grands concessionnaires 
        qui avait des partisans : " On veut suivre 
        en Afrique, lui écrivait-il le 23 avril 1847, des systèmes 
        qui ne sont pas les miens : j'en fais ma question de cabinet et je m'en 
        vais... je ne veux pas immobiliser successivement toute l'armée 
        en la mettant en faction pour garder infructueusement les barons en gants 
        jaunes, mais sans casque, sans cuirasse et sans lance, qui veulent se 
        partager le sol de l'Algérie. "
 -------Bugeaud 
        rentra en France le 5 juin 1847. A ce moment, Changarnier commandait la 
        province d'Alger, La Moricière la province d'Oran, et Bedeau la 
        province de Constantine; il eût été difficile de choisir 
        le plus méritant, et il était d'ailleurs préférable, 
        pour donner satisfaction à la Chambre et à l'opinion, de 
        ne pas désigner un militaire strictement professionnel. Le duc 
        d'Aumale, qui s'était montré aussi bon administrateur que 
        brillant soldat, fut nommé gouverneur général le 
        11 septembre 1847. -------Son 
        premier soin fut de demander modestement des conseils au maréchal 
        Bugeaud, qui se montra très touché de cette démarche 
        et lui répondit le 12 octobre de Dordogne : " 
        J'étais bien sûr qu'en votre qualité de prince de 
        la dynastie régnante, vous sentiriez plus qu'un simple général 
        la nécessité de vous conformer aux institutions de votre 
        pays. Ne vous ai-je pas vu le plus discipliné, le plus ponctuel 
        de mes lieutenants. "
 
         
          |  LE DUC D'AUMALE Henri Eugène Philippe Louis D'ORLEANS, duc D'AUMALE
 Né le 16 janvier 1822 à Paris
 Grand croix de la Légion d'honneur le 28 avril 1842
 Général de division le 3 juillet 1843
 Gouverneur général de l'Afrique du 11 septembre 1847 
              au 25 février 1848
 Député de l'Oise du 8 février 1871 à 
              décembre 1875
 Décédé à Zucco (Sicile) en 1897
 
 |  -------Les conseils 
        que le vieux maréchal lui donnait ensuite n'étaient d'ailleurs 
        pas ceux d'une aveugle discipline, puisqu'il lui écrivait : " 
        Il est des circonstances tellement impérieuses que, dans l'intérêt 
        du pays, il faut savoir dépasser les ordres du ministre de la Guerre. 
        Vous auriez comme moi livré la bataille d'Isly sur le territoire 
        marocain, malgré l'ordre de ne pas dépasser la frontière 
        qu'apporta la veille le colonel Foy. Vous auriez ainsi continué 
        la campagne de la grande Kabylie si, ayant lancé le général 
        Bedeau dans les montagnes et ne pouvant plus l'arrêter, vous aviez 
        reçu à une journée de Hamza l'ordre de suspendre 
        l'opération précédemment approuvée. " 
        Le duc d'Aumale n'eut pas à suivre ces conseils, qui sont cependant 
        d'une haute portée coloniale, vérifiée depuis à 
        maintes reprises... -------Accueilli 
        avec joie par la population civile à son débarquement, le 
        5 octobre, le duc d'Aumale s'imposa d'autre part aux indigènes 
        par le prestige si important pour eux de sa naissance. La proclamation 
        qu'il leur adressa témoignait d'une profonde connaissance de leurs 
        sentiments politiques et religieux : " 
        Vous avez compris, ô Musulmans, leur disait-il, combien le bras 
        de la France était puissant et redoutable, et combien son gouvernement 
        était juste et clément. Vous avez obéi à l'immuable 
        volonté de Dieu, qui donne les empires à qui bon lui semble 
        sur la terre. Vous avez fait votre soumission au Maréchal et vous 
        avez éprouvé la bonté de son gouvernement. Vous vous 
        souviendrez toujours qu'il honora les grands, qu'il protégea les 
        faibles et qu'il fut équitable avec tous. Rien ne sera changé 
        à ce qu'il avait fait...
 -------" 
        Remerciez Dieu de ce qu'il vous a donné les richesses et les jouissances 
        de la paix en échange des maux inséparables de la guerre. 
        C'est pour vous donner un gage encore plus éclatant de ses bonnes 
        intentions à votre égard, que le roi des Français 
        m'a envoyé au milieu de vous comme son représentant sur 
        cette terre qu'il aime à l'égal de la France. J'ai déjà 
        vécu parmi vous, je connais vos lois et vos usages, et tous mes 
        actes tendront à augmenter votre prospérité et celle 
        du pays... "
 -------Une 
        grande satisfaction était réservée au nouveau gouverneur, 
        celle de recevoir la soumission de l'émir Abd-el-Kader. L'adversaire 
        qui depuis quinze ans combattait les Français se rendit le 23 décembre 
        au général de La Moricière, et fut amené à 
        Nemours dans la soirée. Le duc d'Aumale, arrivé le matin 
        même, confirma à l'Émir la promesse donnée 
        par La Moricière de son transport à Alexandrie ou à 
        Saint-Jean d'Acre; puis il reçut le lendemain sa soumission solennelle, 
        marquée par la remise de son cheval. Ce fut un événement 
        d'une immense portée.
 -------Avec 
        sa modestie habituelle, le duc d'Aumale écrivit au maréchal 
        Bugeaud : " Lorsque ce grand fait s'est 
        accompli, votre nom a été dans tous les curs ; chacun 
        s'est rappelé avec reconnaissance que c'est vous qui avez mis fin 
        à cette lutte; que c'est l'excellente direction que vous avez donnée 
        à la guerre et à toutes les affaires de l'Algérie 
        qui a amené la ruine matérielle et morale d'Abd-el- Kader. 
        " Bugeaud fut très touché par cette lettre 
        et lui répondit le 15 janvier 1848 : " Comme 
        tous les hommes capables de faire de grandes choses, vous ne voulez que 
        votre juste part de gloire, et, au besoin, vous en céderiez un 
        peu aux autres. "
 -------Dans 
        l'organisation qu'il entreprit comme gouverneur général, 
        le duc d'Aumale a semé bien des idées qui ont germé 
        après lui.
 -------Il 
        décentralisa l'administration, qui dépendait jusqu'alors 
        entièrement du ministre de la Guerre; à cet effet, il établit 
        dans chacune des trois provinces des directeurs des affaires civiles, 
        ayant des attributions comparables à celles des préfets 
        de France, avec le droit de traiter certaines questions; les principales 
        questions seules furent dès lors envoyées au gouverneur 
        général à Alger ou au ministre de la Guerre à 
        Paris. Cette importante réforme permit de faire aboutir rapidement 
        nombre d'affaires depuis longtemps en suspens.
 -------Le 
        duc d'Aumale fit aussi décider par le Gouvernement que les maires, 
        adjoints et conseils municipaux d'Algérie auraient les mêmes 
        attributions qu'en France, mais avec la restriction que la nomination 
        des conseillers municipaux serait faite par le Roi ou par le Gouverneur 
        général.
 -------Il 
        s'occupa beaucoup de la colonisation, en sauvegardant toujours les droits 
        des indigènes; il chercha à dédommager d'une manière 
        équitable ceux qui avaient été expropriés; 
        il détermina dans quelles conditions de nouveaux terrains pourraient 
        être livrés aux colons, en cantonnant les indigènes 
        dans des zones convenablement choisies.
 -------Il 
        chercha à développer l'instruction et proposa dans ce but 
        au Ministre la création d'écoles arabes et françaises 
        à Constantine, Bône et Tlemcen.
 -------II 
        était ainsi occupé à tracer le plan d'une organisation 
        plus logique lorsqu'éclata la Révolution de février 
        1848. Apprenant qu'il était remplacé dans les fonctions 
        de gouverneur général par le général Cavaignac, 
        il lui écrivit le 2 mars : " Fidèle 
        à mes devoirs de citoyen et de soldat, j'étais resté 
        à mon poste tant que j'avais pu croire ma présence utile 
        au service du pays. Aujourd'hui elle pourrait devenir un embarras. Soumis 
        à la volonté nationale, j'aurai quitté demain la 
        terre française "
 -------Le 
        lendemain 3 mars, il disait dans son ordre du jour à ses troupes 
        : " En me séparant d'une armée 
        modèle d'honneur et de courage, dans les rangs de laquelle j'ai 
        passé les plus beaux jours de ma vie, je ne puis que lui souhaiter 
        de nouveaux succès... Du fond de l'exil, mon cur vous suivra 
        partout où vous appellera la volonté nationale... Tous mes 
        vux seront toujours pour la gloire et le bonheur de la France. 
        "
 -------Le 
        duc d'Aumale s'embarqua le 5 mars avec les siens pour Gibraltar. La dignité 
        et la simplicité avec lesquelles il accepta sa disgrâce ne 
        peuvent qu'ajouter à l'éclat des actes militaires et administratifs 
        qui avaient fait de lui, à 26 ans, un grand Africain.
 
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