| PREMIÈRE 
        PARTIE L'ALGÉRIE AVANT 
        L'ISLAM  I.-Les Populations PrimitivesLes Phéniciens et les Carthaginois
   --------La première 
        civilisation venue du dehors qui ait marqué son empreinte en Algérie, 
        comme dans le reste de l'Afrique du Nord, est la civilisation phénicienne, 
        d'abord par l'emprise commerciale des négociants de Tyr, puis, 
        une fois la métropole disparue, par l'emprise politique de Carthage, 
        sa florissante colonie. ------Il y a cependant 
        des traces de civilisations préhistoriques, dont les caractéristiques 
        générales sont les mêmes que dans tout le bassin méditerranéen 
        : armes et outils de pierre plus ou moins primitifs, emplacements de stations 
        en plein air, abris sous roches, tumuli, sépultures de pierre brute 
        ou peu travaillée, dolmens, se rencontrent en Algérie. Les 
        sépultures sont attribuées par les Berbères à 
        des peuples plus anciens qu'eux-mêmes, aujourd'hui disparus, qu'ils 
        appellent les Djouhala et les Beni Sfao, ce qui tend à confirmer 
        l'hypothèse suivant laquelle les Berbères ne seraient pas 
        des autochtones. ------Ce qui semble 
        certain, c'est que, de très bonne heure, la distinction s'établit 
        entre les populations sédentaires des plaines côtières, 
        et les nomades ayant leurs terrains de parcours plus au sud. De même 
        aussi, on peut démêler des rapports évidents entre 
        l'Algérie primitive et l'Égypte antique : la langue des 
        Berbères est de la même famille que 
        celle des Égyptiens, des Nubiens et des Abyssins; la religion des 
        premiers Algériens, après avoir suivi les cultes naturistes, 
        adopta le Dieu Ammon, personnification égyptienne du soleil.
 ------Les 
        Phéniciens, qui furent les premiers à prendre pied sur la 
        côte, semblent avoir établi leurs comptoirs en Algérie 
        vers le XIIème siècle avant notre ère. Il s'agissait 
        uniquement de places de commerce maritime.
 
 ------L'effort 
        des Phéniciens fut prolongé par celui des Carthaginois, 
        dont l'activité fut assez grande en Afrique du Nord pour écarter 
        les Grecs, eux-mêmes colonisateurs dans tout le bassin méditerranéen 
        à partir du VIIIè siècle. Mais, contrairement à 
        leurs devanciers, les Carthaginois ne purent s'en tenir à l'activité 
        commerciale.
 ------Leur territoire 
        proprement dit ne dépassa jamais vers l'Ouest les limites occidentales 
        de la Tunisie actuelle. Si réduit que fût ce territoire, 
        le voisinage des Berbères à la périphérie 
        obligea les Carthaginois à pratiquer ce que nous appelons aujourd'hui 
        une politique indigène. Sans reculer leurs frontières, ils 
        travaillèrent activement les tribus et réussirent à 
        s'en concilier un grand nombre, notamment en donnant en mariage des filles 
        de l'aristocratie à des chefs indigènes. Ceux-ci fournirent 
        des contingents auxiliaires. La cavalerie qu'Hannibal emmena contre Rome 
        était en grande partie composée de Numides.L'influence de Carthage se fit sentir loin de son territoire. La langue 
        punique devint la langue officielle dans les tribus.
 ------Nombreux furent 
        les Maures et les Numides qui prirent des noms carthaginois. Au temps 
        de saint Augustin encore (fin du IVè siècle de notre ère, 
        début du Vè), les paysans des environs de Bône et 
        de Guelma parlaient le punique. Certaines cités de l'intérieur 
        adoptèrent des institutions copiées sur celles de Carthage. 
        Cirta (Constantine) et Calama (Guelma) étaient gouvernées 
        par des Suffètes. ------Dans le domaine 
        religieux également, l'emprise de Carthage fut manifeste. L'Ammon 
        égyptien se confondit avec le Baal Hammon phénicien; de 
        même, fut introduit le culte de l'Astarté phénicienne.Si l'emprise politique des Grecs fut écartée de l'Algérie 
        par Carthage, ce fut par l'intermédiaire de la grande cité 
        punique que l'art grec s'y introduisit, et, avec lui, certains cultes. 
        Des monuments comme le Médracen, le mausolée du Kroub et 
        le " tombeau de la Chrétienne " (qui sont des sépultures 
        de rois indigènes) témoignent de l'influence hellénique. 
        Celle-ci se traduisit encore par l'introduction des cultes de Démèter 
        et de Perséphone, de Dionysos, de Hadès.
 
 ------Dès 
        cette époque l'Algérie semble avoir connu une grande prospérité. 
        Le Tell était déjà producteur de blé et l'agriculture 
        se développa largement : la vigne, l'olivier étaient florissants. 
        Les richesses minières étaient exploitées.
 ------La nature 
        spéciale de la domination punique n'empêchait pas les indigènes 
        de s'organiser suivant leurs tendances. Carthage entendait seulement assurer 
        sa sécurité : de grands royaumes indigènes se constituèrent, 
        ou plutôt englobèrent des tribus unies en confédérations 
        sous l'autorité d'un souverain commun. ------L'histoire 
        des débuts de ces royaumes indigènes est assez mal connue. 
        Ce qui semble établi, c'est que, au fur et à mesure de l'affaiblissement 
        de Carthage, absorbée par sa lutte contre Rome, ces royaumes devinrent 
        de plus en plus puissants, au point de pouvoir imposer leur autorité 
        à certaines cités phéniciennes englobées dans 
        leur territoire. ------À 
        la fin du IIIè siècle avant notre ère, l'Afrique 
        du Nord comprend, en dehors du territoire carthaginois, deux grands royaumes. 
        Celui des Massyles, situé vers l'Est, a comme ville principale 
        Cirta, et comme souverain Massinissa ; celui des 
        Massessyles, à l'Ouest, est gouverné par Syphax. La puissance 
        de celui-ci est montrée par le fait qu'il prit parti contre Rome 
        et entra en campagne contre Scipion l'Africain, à la tête 
        de 60.000 hommes. ------La bataille 
        de Zama (202 av. Jésus-Christ) et la ruine dé Carthage allaient 
        marquer 1e début d'une période agitée dans l'histoire 
        de l'Algérie. II.-La 
        Conquête Romaine ------L'installation 
        définitive de Rome en Afrique du Nord se fit par étapes 
        et dura deux siècles et demi, si l'on compte à partir de 
        la bataille de Zama.
 ------Au 
        début, les Romains se contentèrent de détrôner 
        Syphax, et de donner son royaume à Massinissa qui se trouva régner 
        ainsi du Maroc à la Tripolitaine. En 146, trois ans après 
        sa mort, Rome annexa le territoire de Carthage (province d'Afrique ou 
        Proconsulaire).
 
 ------À 
        la mort de son successeur Micipsa, qui avait été comme lui 
        fidèle à l'alliance, ou mieux à la domination de 
        Rome, le grand royaume fut partagé entre plusieurs prétendants. 
        L'unité fut reconstituée par Jugurtha, qui fit assassiner 
        ses cousins Adherbal et Hiempsal. Jugurtha n'accepta pas la vassalité 
        de ses prédécesseurs vis-à-vis de Rome. Celle-ci 
        subit un certain temps les manifestations violentes de son indépendance 
        (assassinat d'Italiens amis de Hiempsal, corruption des envoyés 
        du Sénat, puis de magistrats dans Rome, et, dans cette même 
        ville, assassinat d'un prince indigène rival). Après la 
        défaite d'une première armée romaine, il fallut quatre 
        ans de dures campagnes pour réduire Jugurtha, et encore par trahison. 
        La province romaine fut agrandie et le royaume partagé entre Hiempsal 
        II et Mandrestal.
 ------La période 
        des guerres civiles qui marquèrent la fin de la République 
        romaine donna quelque répit aux souverains indigènes de 
        l'Afrique du Nord. L'un d'eux, Juba 1er, prit parti contre César 
        et se mit à la tête de 30.000 fantassins et de 20.000 cavaliers. 
        La bataille de Thapsus (46 av. Jésus-Christ) ruina ses espérances, 
        mais sans que Rome se décidât à annexer tout le pays. 
        Une nouvelle province, dite deNumidie, dont l'historien Salluste fut le premier gouverneur, fut créée. 
        Mais Sittius, un chef de bande italien, et un prince Numide, Bocchus, 
        qui avaient affaibli Juba Ier, en se jetant sur ses États, eurent 
        en récompense, le premier Cirta, le second Sétif.
 Après la mort de Bocchus, Auguste, son héritier, établit 
        dans ses États des colonies de vétérans, mais, en 
        25 après Jésus-Christ, il donna son royaume, augmenté 
        de territoires au sud de Cirta et dés provinces romaines, à 
        Juba II. Profondément imprégné de culture gréco-latine, 
        artiste et littérateur avant tout, Juba II, dans sa capitale Caeserea 
        (Cherchell), fut toute sa vie fidèle à l'alliance romaine.
 ------Son fils et 
        successeur Ptolémée le fut aussi. Mais les politiques de 
        Rome jugeaient le moment venu d'annexer toute l'Afrique du Nord. Le faste 
        que le roi déploya dans un voyage à Rome suscita la jalousie 
        de l'empereur Caligula, qui le fit jeter en prison et assassiner. Deux 
        nouvelles provinces furent constituées : la Maurétanie Tingitane 
        (partie septentrionale du Maroc, moins le Riff, qui resta indépendant) 
        et la Maurétanie Césarienne (partie septentrionale dés 
        départements d'Oran et d'Alger, partie occidentale du département 
        de Constantine. ------Même 
        après la réduction complète en provinces, l'apport 
        ethnique des Romains fut extrêmement faible. Il y avait eu déjà 
        les bandes italiennes de Sittius à Cirta, puis les colonies fondées 
        par Auguste pour établir ses vétérans : sur la côte 
        Igilgili (Djidjelli), Saldae (Bougie), Rusazu (Azeffoun), Rusguniae (Matifou), 
        Gunugu (Gouraya), Carteinnae (Ténés), et, à l'intérieur, 
        Aquae (Hammam Rirha), Zucchabar (Miliana), Tubusuctu (Tiklat, au sud-ouest 
        de Bougie). ------Dans la plupart 
        des cas, comme les noms mêmes l'indiquent, il s'agit d'établissements 
        effectués dans des centres indigènes déjà 
        existants. Il en fut de même par la suite. On connaît Oppidum 
        Novum (Duperie), sur le Chélif, Madauros (au sud de Soukh Ahras), 
        Sitifis (Sétif), Cuicul (Djemila). ------L'administration 
        romaine en Afrique du Nord se caractérise par le petit nombre des 
        fonctionnaires. La base de la vie publique était la Cité 
        ; suivant sa politique ordinaire, Rome reconnaissait plusieurs espèces 
        de cités jouissant de droits particuliers et plus ou moins étendus, 
        élisant annuellement leurs magistrats assistés d'un conseil 
        de décurions. La collation des diverses dignités entraînait 
        l'obligation de verser une somme importante au trésor, et les fonctions 
        étaient exercées gratuitement. 
  ------En 
        dehors des Cités, les tribus étaient administrées 
        par leurs chefs, désignés par l'Empereur, ce qui assurait 
        leur indépendance, mais choisis dans les mêmes familles, 
        ce qui assurait la permanence de l'autorité. Ces chefs, connus 
        officiellement sous le nom de préfets ou princes, prenaient souvent 
        le titre de roi et avaient auprès d'eux une assemblée des 
        anciens. ------Au-dessus 
        des cadres locaux, l'administration romaine était représentée 
        d'abord par le gouverneur de la province et sa maison (familia) : son 
        domaine comprend, outre la vérification de la comptabilité, 
        la justice criminelle, et la justice civile pour les affaires importantes. 
        Il existe des préfets militaires, chargés des rapports avec 
        les tribus, ou pour mieux dire de leur surveillance; des agents du cadastre, 
        des agents du recrutement. Le personnel de l'administration financière 
        et fiscale est réduit au minimum, les impôts étant 
        affermés. ------Les forces 
        militaires romaines, dans la partie soumise de l'Algérie, ne furent 
        jamais très considérables, elles étaient essentiellement 
        formées par une seule légion, la Tertia Augusta, qui, stationnée 
        sous Auguste à Ammaedara. En Tunisie, au nord-est de Tébessa, 
        fut transportée de bonne heure dans cette dernière ville. 
        La légion était renforcée par des auxiliaires qui, 
        au début, étaient recrutés dans les autres parties 
        de l'Empire romain, et par des formations indigènes, à effectifs 
        variables, appelées en cas de besoin. ------Ces forces 
        suffisaient pour tenir les régions occupées, dont la frontière, 
        au début du premier siècle, restait au nord de l'Aurès, 
        englobait les plaines de Sétif et de la Medjana, et était 
        jalonnée plus à l'ouest par Berrouaghia, le Chélif, 
        Relizane, Perrégaux et l'embouchure de la Moulouya. ------Par la suite, 
        sous la pression des insoumis et pour mettre les provinces à l'abri 
        de leurs incursions, la légion fut portée à Lambèse, 
        avec des postes au sud de l'Aurès, qui ne fut réduit qu'après 
        50 ans de luttes; et la frontière militaire atteignit (au IIIè 
        siècle) la région sud-ouest du Hodna, Boghar, Teniet, Tiaret, 
        Chanzy, Lamoricière, Tlemcen et Lalla Maghrnia. Les troupes tenaient 
        alors un système de défense constitué par un fossé 
        continu avec, au moins par place, un remblai; des voies de communications 
        permettaient des liaisons faciles entre les postes et les camps. Quelques 
        postes se trouvaient aux avancées, à Laghouat, Djelfa, Sfissifa. III.-La 
        Paix Romaine en Algérie ------Si mince que 
        nous paraisse aujourd'hui cette armature de sécurité, elle 
        suffit cependant pour assurer à l'Algérie pendant des siècles 
        le bénéfice de la paix romaine. Le trait essentiel est la 
        romanisation des populations africaines. Cette romanisation, qui fut poussée 
        très loin dans les régions de plaines de la partie soumise, 
        se réalisa de plusieurs façons. ------Un de ses 
        agents les plus efficaces fut l'armée. Dès l'origine la 
        Tertia Augusta amena à sa suite des mercantis déjà 
        formés à la vie romaine; puis, suivant la politique en honneur 
        dans tout l'Empire, des légionnaires recrutés sur place 
        remplacèrent les Gaulois, qui au début avaient composé 
        la Légion. Il en fut de même plus tard pour les auxiliaires. 
        La colonisation des confins militaires trouva dans les anciens soldats 
        de précieux pionniers. Ces volontaires, qui servaient 25 ans, et 
        pouvaient se marier, touchaient une retraite et recevaient des terres 
        elles-mêmes exemptes d'impôts à la condition que les 
        fils fussent militaires à leur tour. ------À 
        l'intérieur, le principal moyen de romanisation fut la hiérarchie 
        des droits variés conférés aux cités et aux 
        individus. Les villes nouvelles (Thamugadi, Lambèse, Mascula, Bagai, 
        Diana Veteranorum, Gemellae, etc ... ), des villes anciennes furent dotées 
        plus ou moins vite de l'organisation municipale, latine ou romaine, l'accession 
        à l'échelon supérieur étant considérée 
        comme une récompense très enviée. ------Les particuliers 
        pouvaient eux aussi s'assurer des privilèges toujours croissants 
        : le titre glorieux de citoyen romain n'en marquait pas le terme. 
 ------L'aristocratie 
        formée dans les magistratures locales fut admise peu à peu 
        à exercer les grandes fonctions romaines. Un habitant de Cirta 
        devint consul sous l'Empereur Titus. Par la suite, un nombre important 
        de ses compatriotes siégèrent au Sénat. Dès 
        le début du IIIè siècle, Macrin, originaire de Caesarea, 
        devint empereur.
 |  |  ------Cette 
        accession au droit de cité et de citoyen romain avait comme base 
        la langue. Le latin fut accepté, au moins dans les villes, avec 
        la même facilité que l'avait été auparavant 
        le punique. Avec lui s'intronisa le culte de Rome et des Empereurs, fondement 
        moral de la puissance impériale; en même 
        temps l'ancien Baal Hammon se confondit avec Saturnus Augustus et même 
        avec Jupiter Optimus Maximus, et d'autres cultes romains furent acceptés 
        (la Victoire, la Fortune, la Paix). La facilité avec laquelle ces 
        différents cultes s'ajoutèrent aux cultes anciens, ou se 
        confondirent avec eux, permet de mesurer par comparaison 
        la transformation que la conquête musulmane a fait subir à 
        l'âme algérienne. ------L'adoption 
        du latin à une époque où Rome possédait une 
        langue classique complètement formée fut un puissant agent 
        du développement cultuel en Algérie. Dans les villes s'établirent 
        des écoles où l'on étudia les grands auteurs grecs 
        et latins : en tête de ceux-ci, comme dans tout le monde romain, 
        Virgile. Certaines cités furent célèbres comme centres 
        intellectuels. Tel fut le cas de Madaure et de Cirta. La future Algérie 
        et la future Tunisie (Césarienne, Numidie, Proconsulaire) fournirent 
        de nombreux médecins, de nombreux légistes, surtout de nombreux 
        littérateurs. Beaucoup de ceux-ci vinrent tenter la fortune à 
        Rome. Le plus célèbre d'entre eux fut Apulée, né 
        à Madaure. Saint Augustin, avant sa conversion, enseigna la rhétorique 
        à Rome et à Milan. ------Dans le domaine 
        de l'art, les Africains romanisés rivalisèrent avec les 
        autres peuples soumis à Rome. Ils ne semblent pas, d'ailleurs, 
        avoir apporté rien de nouveau, ni d'original. Toutes les richesses 
        artistiques de l'époque romaine retrouvées sur le sol algérien 
        relèvent du goût hellénistique de l'époque. 
        Du moins attestent-elles le niveau élevé de civilisation 
        atteint par les Africains. Les ruines de Timgad et plus encore peut-être 
        celles de Cuicul (Djemila) en sont d'éloquents témoins.
 ------Le développement 
        de la culture latine en Algérie favorisa, comme dans le reste de 
        l'Empire, celui du christianisme. Au commencement du 111e siècle, 
        on signale la présence d'évêques de Numidie dans les 
        Conciles tenus à Carthage, celle d'évêques de Maurétanie 
        au Concile de 256; six ans auparavant un concile s'était tenu à 
        Lambèse. La future Algérie fournit de nombreux martyrs dans 
        les persécutions, notamment, de Valérien et de Dioclétien. 
        Et, dès le moment où la conversion de Constantin assura 
        l'appui officiel au christianisme, celui-ci connut une floraison considérable 
        en Algérie.
 ------Cette contrée 
        vit naître des pères de l'Église, dont le plus illustre, 
        saint Augustin, évêque d'Hippone (Hippo-Regius), fixa 
        la langue théologique et mystique du christianisme. Ses idées 
        ont été exploitées non seulement par l'Église 
        elle-même, mais encore par beaucoup de ceux qu'elle a condamnés 
        comme hérétiques. La puissance des chrétiens d'Afrique, 
        ainsi que leur attachement au latin, est marquée par le fait que 
        ce sont eux qui l'imposèrent comme langue liturgique à l'église 
        d'Occident. ------Païenne 
        ou chrétienne, grâce aux bienfaits de la paix romaine, l'Algérie 
        connut une prospérité qu'elle ne retrouva pas avant de longs 
        siècles. Quand on songe à ce qu'était l'Algérie 
        turque, on a peine à croire que l'Afrique du Nord ait pu fournir 
        à Rome la moitié ou les deux tiers de son blé, et 
        même la totalité après la fondation de Constantinople. ------La différence 
        est si frappante qu'on s'est demandé s'il n'y avait pas eu changement 
        de climat. On peut affirmer qu'il n'en est rien, et que la prospérité 
        romaine était due simplement à ce que nous appelons aujourd'hui 
        une politique de l'eau singulièrement efficace. Depuis l'époque 
        romaine, le régime des eaux a été modifié 
        par les déboisements qu'ont entraînés les dévastations 
        provenant des invasions successives. Surtout on a laissé se dégrader 
        des travaux hydrauliques qui avaient été réalisés 
        non pas à la diligence du gouvernement central, mais sur l'initiative 
        des Cités (dont le territoire comportait normalement une banlieue 
        étendue) et des particuliers, des grands propriétaires. 
        La distribution de l'eau avait été l'objet de soins particuliers, 
        et elle était soumise à une réglementation précise 
        empêchant le gaspillage et l'abus. ------En même 
        temps que la culture du blé, s'étaient développées 
        celles de la vigne, de l'olivier, de l'amandier, du figuier, encouragées 
        par des exemptions d'impôts et dans certains cas par la concession 
        d'un droit de propriété héréditaire. L'élevage 
        était aussi très florissant, celui du mouton, du buf, 
        et surtout celui du cheval. La petite histoire enregistre des victoires 
        de chevaux algériens sur les hippodromes de Rome; ce qui apporte 
        une confirmation à la théorie suivant laquelle les étalons 
        barbes, loin d'être des descendants du cheval arabe, ont au contraire 
        contribué à lui donner sa valeur. ------Les différentes 
        parties de l'Algérie étaient reliées entre elles 
        par des routes telles qu'en avait construit Rome dans toutes les autres 
        parties de son Empire. Nées de la conception stratégique 
        qui cherche la sécurité dans le mouvement, ces voies de 
        communication servaient également au commerce. On en comptait trois 
        principales allant de l'Est à l'Ouest et complétées 
        par des rameaux détachés et des rocades parallèles. 
        Ce réseau suffisait parfaitement aux besoins de l'époque. ------Bref, l'Algérie 
        romaine se présentait comme une contrée riche, peuplée, 
        civilisée. Son plus beau moment se place dans les dernières 
        décades du deuxième siècle et dans la première 
        moitié du troisième.  IV.-Les 
        Vandales et les Byzantins  ------Si avantageuse 
        qu'ait été, pour celles qui l'acceptèrent, l'administration 
        romaine, toutes les populations englobées dans la frontière 
        militaire ne s'y soumettaient pas avec une égale bonne volonté. 
        Dès le milieu du IIIè siècle, des révoltes 
        se produisirent chez les Maures, puis en Kabylie. Des erreurs administratives, 
        des exactions en furent peut-être l'occasion; la raison profonde 
        semble avoir été la romanisation moins profonde résultant 
        des conditions géographiques (Aurès, Djurdjura, Ouarensenis) 
        et provoquant le réveil des instincts ancestraux de pillage. Ces 
        premiers soulèvements furent réprimés péniblement.
 ------La décadence 
        progressive de l'Empire romain en favorisa de nouveaux par la suite jusqu'au 
        moment où elle permit l'invasion des Vandales. Les causes générales 
        de cette décadence sont assez connues. Elles prirent un aspect 
        particulier en Afrique du Nord et en Algérie. ------La tendance 
        à l'exploitation purement fiscale du pays se fit jour assez vite, 
        et la population ne trouva pas les appuis naturels sur lesquels elle aurait 
        pu compter. L'aristocratie romanisée constituée dans les 
        provinces de l'Afrique du Nord fut bientôt plus romaine qu'africaine. 
        Les grands domaines administrés par des intendants prirent une 
        extension toujours plus considérable, les moyens et petits cultivateurs 
        ne trouvant pas de crédit en cas de crise agricole et étant 
        obligés de vendre leurs terres. L'exploitation par les intendants 
        fut dirigée de manière à assurer non seulement les 
        revenus du maître, souvent absent, mais encore l'enrichissement 
        de son représentant. 
 ------L'affaiblissement 
        du pouvoir central fut également très marqué. Le 
        IVè siècle voit des indigènes alliés se proclamer 
        indépendants, et les campagnes entreprises pour les réduire, 
        dévastent le pays: des villes sont brûlées ou pillées, 
        entre autres Icosium (Alger). Cette instabilité encourage et facilite 
        les révoltes agraires et les soulèvements indigènes.
 ------L'autorité 
        des évêques parvint bien, pendant un certain temps, à 
        maintenir un cadre d'apparence régulière et à remplacer 
        en fait l'administration défaillante. Mais l'église d'Afrique 
        ne resta pas longtemps unie. La querelle des Traditeurs (on appelait ainsi 
        les personnes qui, lors de la persécution de Dioclétien, 
        avaient livré les livres sacrés aux autorités civiles) 
        se prolongea par celle des donatistes. Ceux-ci, condamnés dans 
        plusieurs conciles, ne se soumirent pas. A la fin du IVè siècle 
        et au début du Vè, saint Augustin lutte contre eux, obtient 
        des lois extrêmement sévères et réduit l'hérésie. 
        Il lutte en même temps contre les païens à qui s'appliquent 
        aussi des édits rigoureux. L'orthodoxie finit par triompher; mais 
        le souvenir de ces dissensions avait ruiné l'unité morale. ------L' Église 
        toute-puissante négligea, on se l'explique, les précautions 
        matérielles de défense, et notamment les précautions 
        militaires. L'organisation ancienne des confins s'était altérée 
        d'assez bonne heure. Dès le milieu du IIIè siècle, 
        après les premiers soulèvements, la Légion Tertia 
        Augusta avait été reconstituée. Mais les évêques 
        n'étaient pas faits pour organiser des troupes et pour se mettre 
        à leur tête : le service militaire, d'ailleurs battu en brèche 
        pour des raisons doctrinales, tomba peu à peu en désuétude, 
        l'impôt remplaçant la conscription, les citadins se jugeant 
        à l'abri derrière leurs murailles. ------Toutes ces 
        circonstances provoquèrent en Algérie un état de 
        choses voisin de l'anarchie, le banditisme se développant normalement 
        à la faveur de l'instabilité. C'est dans cette situation 
        que survient la première invasion, celle des Vandales.Ces Germains venant d'Espagne abordèrent l'Algérie par l'Ouest. 
        Il n'est pas impossible que ce fait leur ait donné des avantages 
        militaires particuliers : le système de défense des provinces 
        romaines (ou du moins ce qui en restait) était tout entier tourné 
        vers le sud, du côté d'où pouvait venir antérieurement 
        la menace principale, celle des nomades; et nous avons fait nous-mêmes, 
        en 1914, lors de la bataille des frontières, l'expérience 
        de la tyrannie qu'exerce sur les esprits un système de défense 
        stratégique traditionnel.
 ------Les Vandales 
        furent appelés en Afrique par le comte Boniface qui s'était 
        révolté contre Placidie, tutrice de l'Empereur Valentinien 
        III. A leur tête Genséric s'empara de la Maurétanie, 
        et, quand Boniface, sur les remontrances de saint Augustin, voulut l'arrêter, 
        il était trop tard : en 430, l'Évêque d'Hippone, au 
        moment de sa mort, était assiégé dans sa ville épiscopale. ------Un essai de 
        négociation aboutissant à reconnaître à Genséric 
        la possession de ses conquêtes moyennant un tribut annuel et un 
        serment de fidélité n'eut pas de lendemain. En 439, le chef 
        vandale entrait dans Carthage et s'y installait : une fois de plus l'attraction 
        de la région orientale de l'Afrique du Nord se manifestait. En 
        455, au moment où il prit Rome, avec des auxiliaires berbères 
        (descendant des Numides, compagnons d'Hannibal, et des Africains qui avaient 
        servi l'Empire romain jusqu'en Dacie), toute l'Afrique du Nord reconnaissait 
        l'autorité de Genséric. ------Les Vandales 
        arrivés en petit nombre s'établirent en Tunisie. Pour administrer 
        le reste du pays, ils laissèrent en place ce qui subsistait de 
        l'ancienne organisation. Mais ils jetèrent aussi les bases d'un 
        système nouveau, le vasselage. Des comtés germains furent 
        chargés de missions d'inspection dans les provinces occidentales. 
        L'autorité de l'Église fut ruinée : les Vandales 
        étaient eux-mêmes des hérétiques chrétiens 
        et suivaient la doctrine d'Arius. Ils mirent en vigueur contre les orthodoxes 
        africains les lois que ceux-ci avaient appliquées aux donatistes. ------Mais ils ne 
        se souciaient guère d'administrer la contrée et d'y faire 
        régner l'ordre.
 ------Les 
        Berbères des montagnes se jetèrent sur les villes pour satisfaire 
        leur goût du pillage. Les Vandales de Tunis ne songèrent 
        pas à arrêter les gens de l'Aurès, quand ils dévastèrent 
        Lambèse, Bagai, Théveste, Timgad.
 
 ------Les 
        débris de la civilisation romaine semblaient à la veille 
        de disparaître. Ils furent sauvés pour un siècle encore 
        par l'intervention des Byzantins. Ceux-ci se considéraient comme 
        les successeurs des empereurs de Rome et voulurent refaire l'unité 
        de leur domaine.
 ------L' Empereur 
        Justinien envoya Bélisaire en Afrique (533) pour réduire 
        les Vandales. Il battit leur roi Gélimer à Tricaméron. 
        Les Byzantins arrivés par l'Est s'étendirent peu à 
        peu vers l'Ouest, mais ne purent reconstituer l'ancienne unité 
        romaine : l'Aurès, un moment occupé, leur échappa; 
        ils réussirent à s'installer au Hodna et jusqu'à 
        Sétif. Plus à l'ouest ils durent se contenter d'occuper 
        quelques points : Rusguniae, Tipasa, Caesarea, Cartennae. 
 ------Du moins s'attachèrent-ils 
        à rétablir l'ordre et la sécurité en construisant 
        des remparts et des forteresses (comme celle de Madaure). Ce travail considérable 
        fut accompli rapidement, les matériaux les plus divers étant 
        employés dans la maçonnerie, et d'abord ceux qui provenaient 
        des ruines déjà accumulées par les Vandales et les 
        Berbères. A cette uvre est attaché le nom de l'eunuque 
        Solomon. Les Byzantins tâchèrent de reprendre la politique 
        de défense des Romains, en particulier l'institution des soldats-colons; 
        ils surent exploiter les divisions entre les tribus. 
        Sans que le succès obtenu fût complet, un regain de prospérité 
        s'affirma dans l'ordre généralement rétabli.
 ------En dehors 
        de la domination byzantine, il se constitua des états berbères. 
        Ils sont mal connus, comme tout ce qui touche à cette période. 
        On sait toutefois qu'il exista un royaume indigène à Tiaret 
        ; son existence est attestée par celle de treize mausolées 
        dynastiques, dont le plus élevé (Djedar) atteint quarante-cinq 
        mètres de haut. Le christianisme se maintint dans certains de ces 
        États, qui reconnaissaient peut-être la suprématie 
        des Byzantins.
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