| DEUXIÈME 
        PARTIE L'ALGÉRIE ET L' 
        ISLAM I.-L'introduction de l'Islam 
        en Algérie
 -------La première 
        grande invasion arabe se produit en Algérie à la fin du 
        vite siècle et l'islamisation commence dès le début 
        du siècle suivant. Le flot musulman déferle sur toute l'Afrique 
        du Nord, souvent à la suite d'appels qui en viennent. L'Algérie 
        musulmane n'a pas d'existence propre. Elle se trouve influencée 
        et dominée par des États qui se fondent soit à l'Ouest, 
        soit à l'Est, soit en Espagne Ommeyades de Cordoue, Fatimides de 
        Kairouan, Almoravides, Almohades. -------La nomenclature 
        géographique enregistre elle-même ce fait. Elle ne comporte 
        que deux noms : l'Ifrigya et le Maghreb. Dans le premier, qui désigne 
        la Tunisie et la partie orientale de l'Algérie, on retrouve l'ancien 
        nom de la province romaine d'Afrique. Le second désigne les pays 
        d'occident, que l'on divise en Maghreb central (départements actuels 
        d'Alger et d'Oran) et Maghreb extrême (Maroc). -------Il se constitue 
        cependant, à différentes époques, des royaumes algériens, 
        en ce sens que leur territoire est situé dans les limites de l'Algérie 
        actuelle; mais ils sont très loin d'englober toute celle-ci. Leur 
        existence est souvent menacée par les puissants voisins de l'Est 
        et de l'Ouest. -------Les invasions, 
        puis les guerres, avec les mouvements de population et l'insécurité 
        qu'elles entraînent, aboutissent à un état d'instabilité 
        qui provoque un affaiblissement indéniable du pays et une diminution 
        de ses ressources. Aussi, au XVè siècle, quand la « 
        Reconquista » espagnole met en péril les destinées 
        africaines, les villes et les petits États algériens se 
        trouvent incapables de lutter seuls contre les chrétiens. C'est 
        ainsi qu'Alger appelle les frères Barberousse. La domination turque, 
        bien vite exécrée, amène entre l'élément 
        berbère et l'élément arabe une fusion plus complète 
        que par le passé. 
 -------Comme 
        les Romains, les Arabes semblent avoir éprouvé quelque hésitation 
        à pénétrer en Afrique du Nord. Omar, le second Khalife, 
        le grand conquérant et organisateur musulman, vainqueur des Byzantins 
        et des Persans, s'opposa jusqu'à sa mort (644) à ce que 
        la Tripolitaine fût dépassée vers l'Ouest.
 -------Sous son 
        successeur Othman, qui avait levé l'interdiction, le gouverneur 
        de l'Égypte lança les premières reconnaissances contre 
        l'Ifriqya. Elles se heurtèrent seulement aux Byzantins, les Berbères 
        ne prenant pas part à la lutte, et aboutirent à la victoire 
        des Arabes, près de Sufetula (647) : dans la bataille, le Patrice 
        Grégoire fut tué; mais les Arabes ne s'installèrent 
        pas dans le pays. -------Ils y revinrent 
        dix-sept ans plus tard, appelés par le successeur du Patrice Grégoire 
        en lutte avec un compétiteur. Ils n'atteignirent pas encore les 
        régions algériennes d'aujourd'hui, pas plus qu'au cours 
        de la troisième expédition dans laquelle Oqba ben Nafi se 
        heurta pour la première fois à la résistance des 
        Berbères : du moins le futur conquérant laissa-t-il une 
        trace matérielle de son passage e n fondant Kairouan. -------Abou'l Mohajir, 
        qui succéda à ce moment à Oqba dans la direction 
        des opérations militaires en Afrique du Nord, â trouva encore 
        devant lui les Berbères appelés aux armes par l'un d'entre 
        eux, Kossayla, qui se convertit à l'islamisme et apostasia plusieurs 
        fois, et fut battu près de Tlemcen. -------Peu après 
        (681) se produisit à travers le Maghreb la grande chevauchée 
        héroïque d'Ogba, rappelé au commandement par un nouveau 
        Khalife. Les poètes et les chroniqueurs ont embelli cette glorieuse 
        et légendaire expédition : elle mena Oqba, après 
        plusieurs victoires sur les Berbères, à Ceuta, d'abord, 
        que lui livra le gouverneur byzantin, puis jusqu'à l'Atlantique 
        dans le Sous. -------Pour rentrer 
        à Kairouan, le conquérant divisa son armée en deux 
        fractions. Kossayla,, dont Oqba avait fait son prisonnier, réussit 
        à recouvrer sa liberté. Il réunit les Berbères, 
        les Byzantins, gagna les montagnards de l'Aurès . Tous se jetèrent 
        sur Oqba, qui fut battu et tué à Tehouda (près de 
        Biskra). Kossayla entra à Kairouan, d'où il fut chassé 
        par une nouvelle armée arabe (688). La bataille de Tehouda avait 
        montré que Berbères et Byzantins unis pouvaient être 
        redoutables. Il importait d'en finir au plus vite avec l'un de ces deux 
        adversaires, Les Arabes s'attaquèrent d'abord aux Byzantins. En 
        697, Hassan ben en Noman, à la tête d'une armée importante, 
        s'empare de Carthage; les Byzantins de Constantinople sentent le danger 
        et reprennent la ville. Succès sans lendemain : l'année 
        suivante Carthage tombait de nouveau aux mains des Arabes. C'était 
        la fin de la domination byzantine en Afrique du Nord. -------Contre les 
        Berbères, la lutte fut plus longue et plus difficile. Ses épisodes 
        sont mal connus, et on se trouve surtout en présence de légendes. 
        La plus célèbre est celle de la Kahina, prophétesse 
        qui commandait aux tribus de l'Aurès; elle est présentée 
        comme juive; ce qui est certain, c'est qu'elle n'était pas chrétienne; 
        elle adorait peut-être les anciens dieux que saint Augustin s'était 
        efforcé de faire disparaître. Elle battit Hassan ; et, de 
        tous les nobles musulmans qu'elle captura, elle ne garda que le seul Khalid 
        ben Yazid. La légende veut qu'elle ait eu deux fils, l'un berbère, 
        l'autre grec : elle entendit faire de Khalid leur frère : on voit 
        la valeur du symbole. -------La Kahina 
        ne se serait pas fait d'illusion sur la portée probable de son 
        succès sur Hassan. Désespérant de le renouveler dans 
        la bataille, elle résolut d'empêcher l'invasion en faisant 
        le désert devant les Arabes; elle ordonna des destructions systématiques 
        dans les plaines environnant les villes. Il est vraisemblable que la légende 
        a ici enjolivé de simples razzias exécutées par les 
        montagnards de l'Aurès momentanément débarrassés 
        de la menace arabe. -------En tout cas, 
        le procédé attribué à la Kahina n'eut aucun 
        succès. Les dévastations ne firent que lui aliéner 
        la population des villes: elles ne réussirent pas à arrêter 
        la marche d'Hassan ben en Noman qui revint dans le pays et mit en complète 
        déroute les Berbères soulevés par la Kahina. -------Un certain 
        nombre de conversions à l'Islam s'étaient déjà 
        produites, comme le montre l'exemple de Kossayla, quand les Arabes, au 
        début du VIIIè siècle, entreprirent l'islamisation 
        systématique des Berbères. Le prosélytisme arabe 
        se manifestait en liant étroitement la religion et la guerre : 
        il s'agissait, par la violence et la conquête, de propager la foi. -------Les grandes 
        expéditions militaires, comme celle qui mena d'un bout à 
        l'autre de l'Afrique du Nord Mousa ben Noçayr, comportaient 
        la capture de nombreux prisonniers Les populations avaient le choix entre 
        la conversion et l'exil ou la mort. La conversion s'accompagnait en principe 
        de l'acquisition des droits communs à tous les musulmans, notamment 
        la dispense de la capitation (jiziya) et de l'impôt foncier (kharadj). 
        Ce procédé fut employé systématiquement à 
        partir de 718.Cependant, et l'exemple de Kossayla le montre encore, en dépit 
        des avantages acquis aux nouveaux convertis, les conversions n'étaient 
        pas toujours durables. Suivant un texte célèbre, les Berbères 
        apostasièrent douze fois en 70 ans. C'est alors qu'intervint à 
        leur profit l'application d' un autre principe de la guerre sainte : les 
        territoires nouveaux, soumis par les armes, restaient la possession des 
        conquérants. C'est ainsi que, mêlant la foi à l'intérêt, 
        les Berbères furent lancés à la conquête de 
        l'Espagne.
 -------Ceux qui 
        restèrent en Afrique du Nord, et en Algérie, furent contraints 
        d'accepter la domination arabe, qui, outre la religion, comportait l'adoption 
        de la langue du vainqueur. Ce nouveau changement linguistique fut admis 
        sans plus de difficulté et dans les mêmes conditions que 
        les changements antérieurs : les sédentaires et les gens 
        des villes s'y plièrent aisément; les montagnards des massifs 
        difficiles à réduire continuèrent à parler 
        leur langue. Néanmoins l'islamisation de l'Algérie connut 
        des débuts rapides. 
 II.-Le 
        Royaume de Tahert (VIII-IXè siècles) -------Le royaume 
        de Tahert est le premier État indépendant qui se soit formé 
        sur le territoire de l'Algérie musulmane. Sa constitution a trouvé 
        en partie son origine dans un mouvement berbère dirigé contre 
        l'occupant arabe. Mais elle ne représente rien qui puisse se comparer 
        à une réaction contre l'Islam triomphant. Au contraire, 
        son fondateur appartenait à une secte qui se piquait de rétablir 
        l'islamisme dans toute sa pureté originelle.
 -------Au 
        début du VIIIè siècle, à l'époque où 
        l'Islam s'affermissait en Afrique du Nord, les causes de malentendus entre 
        Arabes et Berbères étaient nombreuses. Ceux-ci auraient 
        accepté la domination de ceux-là si les nouveaux maîtres 
        n'avaient ouvertement marqué leur dédain pour les populations 
        conquises, dédain que ne compensaient pas des bienfaits matériels 
        dus à l'administration du territoire.
 La politique des gouverneurs qui régnaient sur les pays au nom 
        des Khalifes ne paraît pas avoir été non plus très 
        habile. La faute ne leur incombe peut-être pas personnellement, 
        mais elle eut des conséquences graves. Pour mener la guerre sainte, 
        l'Islam avait besoin d'argent. Ce besoin devint bientôt si pressant 
        que, adoptant un expédient déjà utilisé ailleurs 
        dans l'empire musulman, mais contraire aux règles normales de l'Islam, 
        le représentant du Khalife décida que les nouveaux convertis 
        auraient, même après leur conversion, à payer la capitation 
        et l'impôt foncier.
 -------Le mécontentement 
        grandit vite et aboutit à l'assassinat du gouverneur Yazid, suivi 
        de révoltes sur plusieurs points et pendant une période 
        assez longue. -------Les Arabes, 
        en effet, étaient divisés entre eux. Le grand effort de 
        Mahomet, on le sait, avait eu d'abord pour but de faire l'unité 
        entre les différentes tribus. Maintenue dans la guerre sainte, 
        pour elle et par elle, cette unité tendit rapidement à s'affaiblir, 
        Les Arabes installés en Afrique du Nord n'avaient pas entièrement 
        perdu le souvenir des haines qui avaient longtemps armé leurs tribus 
        les unes contre les autres. L'installation des Khalifes à Bagdad, 
        en éloignant le pouvoir central de l'Afrique du Nord, laissait 
        le champ libre à ces dissensions intestines auxquelles les Berbères 
        se trouvèrent mêlés. -------Un mouvement 
        populaire, pour être redoutable, doit avoir pour substrat une grande 
        idée. Les exactions des gouverneurs n'auraient pas suffi sans l'influence 
        du Karidjisme. Rappelons brièvement les origines de cette secte. -------Ali, quatrième 
        successeur du Prophète, dont il avait épousé la fille 
        aînée Fatima, avait été élu par les 
        gens de Médine (656), ce qui lui valut l'inimitié des gens 
        de la Mecque. Ceux-ci cherchèrent des appuis; le principal adversaire 
        d'Ali fut le gouverneur de Syrie, Moawya, de la famille des Ommeya, soutenu 
        par la « Mère des fidèles », Aicha, la femme 
        favorite de Mahomet. La lutte entre Ali et Moawya enraya les conquêtes 
        de l'Islam Dans le camp même d'Ali, l'unité ne dura pas; 
        en face des gens de son parti (Chia), légitimistes ne voulant reconnaître 
        le droit au Khalifa qu'à lui et à ses descendants parce 
        qu'ils étaient du sang du Prophète, se dressèrent 
        des musulmans qui entendaient rester fidèles aux principes fondamentaux 
        de l'Islam démocratique et égalitaire, en particulier au 
        principe de l'élection du Khalife, choisi seulement en vertu de 
        ses qualités religieuses. Ceux-ci s'appelèrent les Kharidjites, 
        « Ceux qui sortent sur le chemin de Dieu 
        ». -------Ali périt 
        assassiné en 661, mais sa mort n'amena pas la fin du Kharidjisme. 
        Loin de là. Les Kharidjites, bientôt divisés eux-mêmes 
        en deux sectes, les Cofrites et les Abadhites, se livrèrent à 
        une propagande intense dans toutes les parties de l'Empire musulman. Ils 
        envoyèrent des émissaires qui prêchèrent non 
        seulement la révolte contre le Khalife, mais l'observation rigoureuse 
        de la doctrine. Leur attitude dans l'Islam a été comparée 
        à celles des puritains dans le protestantisme. -------Des émissaires 
        Kharidjites vinrent en Afrique du Nord. Il y vint aussi de véritables 
        colonies d'émigrés Kharidjites qui s'y établirent 
        et continuèrent la propagande. Les Berbères ont toujours 
        eu un sentiment développé de l'égalité, et 
        le dédain des Arabes, ainsi que les mesures vexatoires des gouverneurs, 
        les préparait à accueillir une doctrine qui, tout en flattant 
        leurs sentiments intimes, tendait à rétablir les bases véritables 
        de la religion. Leur mouvement fut un mouvement Kharidjite, au moins autant 
        qu'une réaction nationale. -------Aussi, quand 
        une tribu du sud tunisien, les Ourfedjouma, se jeta sur Kairouan, elle 
        eut l'appui des Çofrites. La ville prise, ceux-ci se rendirent 
        intolérables par leurs actes. Pour en venir à bout, on fit 
        appel à des Abadhites de Tripolitaine qui envoyèrent, pour 
        rétablir l'ordre et gouverner le pays, le persan Ibn Rostem, un 
        Kharidjite vivant parmi eux. -------Mais les 
        luttes provoquées par le Kharidjisme continuaient encore: les musulmans 
        malékites d'Égypte constituèrent une armée 
        destinée à extirper l'hérésie de l'Ifrigya. 
        Cette armée marcha d'abord sur Kairouan, d'où elle chassa 
        Ibn Rostem (761). Le nouveau gouverneur, Ibn et Achath, poursuivit sa 
        tâche et réussit assez vite à faire disparaître, 
        au moins en apparence, les Kharidjites de l'Ifrigya. Un de ses successeurs 
        voulut rétablir l'orthodoxie dans le Maghreb: mais, dans le Zab, 
        il se trouva encerclé par les Kharidjites, dont il ne put empêcher 
        une partie de venir assiéger Kairouan et même de l'occuper 
        un certain temps.
 -------Parmi 
        les Kharidjites ligués contre lui se trouvait Ibn Rostem, qui, 
        après sa fuite de Kairouan en 761, avait fondé, près 
        de Tiaret, la ville de Tahert, et organisé dans la région 
        un État indépendant.
 -------Cet État, 
        dont le fondateur avait entendu restaurer la doctrine primitive, était 
        gouverné par un Imam, un « directeur de la prière 
        ». Son pouvoir est fondé uniquement sur ce titre, 
        qui lui confère une autorité absolue, mais à condition 
        que ses décisions soient toujours conformes au Coran et aux traditions. 
        De ce fait, il est soumis à l'autorité morale, mais effective, 
        de la caste religieuse locale, qui s'est peu à peu constituée, 
        et à celle des autres communautés abadhites existant dans 
        le monde musulman. En cas de dissentiment entre l'Imam et cette caste, 
        dissentiment dont les conséquences peuvent être fort graves, 
        puisqu'il s'agit toujours, étant donné la forme du gouvernement, 
        d'une question intéressant la religion, on fait trancher la difficulté 
        par une communauté de l'extérieur, par les Abadhites d'Orient. -------À 
        la vérité, le principe plébiscitaire n'était 
        pas entièrement respecté : les Imams de Tahert, élus 
        conformément aux principes, appartenaient toujours à la 
        même famille. Mais c'est, semble-t-il, la seule entorse donnée 
        à la pure doctrine. La rigidité des murs dans l'État 
        de Tahert fait l'étonnement d'une ambassade des Abadhites de Bassorah, 
        qui se voit refuser des cadeaux précieux; peut-être ne faut-il 
        voir dans cette anecdote qu'une légende elle serait une nouvelle 
        preuve du fréquent désir des « hérétiques 
        » de marquer la différence entre leur vie simple et le luxe 
        déployé par les " orthodoxes " (en l'espèce 
        les Aghlabides de Kairouan). -------Cette simplicité 
        de vie n'empêcha pas les gens de Tahert de s'adonner à l'étude 
        des sciences religieuses ou profanes. Parmi celles-ci l'astronomie paraît 
        avoir été particulièrement en honneur. -------Elle n'empêcha 
        pas non plus une vie commerciale et agricole assez développée. 
        A côté des théologiens, des " laïcs " 
        donnent à l'État une prospérité matérielle 
        indéniable. De par sa situation, Tahert est en relation avec les 
        sédentaires du Nord comme avec les nomades du désert, et 
        elle intervient fructueusement dans le trafic qui s'établit entre 
        eux par son intermédiaire. Des Abadhhites orientaux viennent s'y 
        établir et y introduisent un certain luxe. -------L' 
        État de Tahert n'a pas laissé de traces matérielles 
        de son existence. Il paraît cependant avoir vécu plus paisiblement 
        que l'autre royaume de l'Algérie kharidjite, fondé à 
        Tlemcen par Abou Qorra, et assez mal connu. Ni l'un ni l'autre, d'ailleurs, 
        ne saurait être comparé aux puissants royaumes des Idrissides 
        de Fez et des Aghlabides de Kairouan, qui donnèrent à l'Islam 
        en Afrique du Nord un éclat incomparable au IXè siècle. 
         III.-L' 
        État Hammadite (Xè-XIIè siècles) -------Les hérésies 
        jointes aux ambitions personnelles continuaient à ébranler 
        l'Islam en le morcelant. Tahert, née dit Kharidjisme, périt 
        par le Chiisme. -------La Chia légitimiste 
        du quatrième Khalife, Ali, appelait au pouvoir ses descendants, 
        les Fatimides. Les Chiites vivaient dans l'espoir d'un Mahdi et se livraient 
        en sa faveur à une ardente propagande. Un de leurs émissaires, 
        Abou Abdallah, crut discerner les instruments de Dieu dans les Kotamas, 
        montagnards de la Petite Kabylie. De fait, ceux-ci réussirent à 
        prendre Kairouan, Tahert (909) et à ramener à Kairouan un 
        Mahdi Fatimide, alors prisonnier chez un prince kharidjite du Tafilalet. -------Ce fut l'origine 
        de nouvelles luttes. Les Algériens furent englobés dans 
        la rivalité entre les Ommeyades de Cordoue et les Fatimides de 
        Kairouan, et se divisèrent pour suivre le parti de ceux-ci ou de 
        ceux-là. Aux Kotamas Chiites se joignirent les Senhadja, sédentaires 
        de l'actuel département d'Alger, s'étendant jusqu'au Hodna, 
        qui se rallièrent aux Fatimides; leur principal ennemi était 
        le bloc des Zenata, nomades ayant leurs terrains de parcours plus à 
        l'ouest et au sud, fidèles aux Ommeyades. Les Senhadja, et au premier 
        rang les Beni Ziri, l'emportèrent. -------Les Beni 
        Ziri s'occupèrent alors de faire régner la sécurité 
        sur leur territoire. Ils y arrivèrent en bâtissant des forteresses, 
        dont la principale, Achir, dans les Monts du Tittery, devint leur capitale. -------Ils restèrent 
        fidèles aux Fatimides et allèrent les soutenir en Ifriqya. 
        Les nouveaux maîtres de Kairouan n'avaient pas tardé, pour 
        subvenir aux besoins de la guerre, à lever des impôts non 
        coraniques. D'où leur impopularité, qui trouvait un autre 
        aliment dans le ressentiment des Kharidjites et des Malékites. 
        Une révolte se produisit chez les Berbères, menée 
        par Abou Yazid, l'homme à la chèvre, qui, ayant étudié 
        à Tahert, rêvait de chasser les Fatimides et d'établir 
        un régime théocratique. Il en résulta une crise grave 
        qui dura de 943 à 947. Abou Yazid marcha sur Kairouan, puis sur 
        Mahdiya, port construit sur la côte tunisienne où se réfugièrent 
        les Fatimides. Les Beni Ziri délivrèrent la ville, poursuivirent 
        Abou Yazid, et le prirent dans les hauteurs dominant le Hodna. Le projet 
        des Fatimides était de répandre le Chiisme en Orient, et 
        d'abord en Égypte. Après un premier échec, ils reprirent 
        leur dessein. Pour assurer leur liberté de mouvement, ils confièrent 
        l'Ifriqya à Bologguin, fils de Ziri. Tout en tenant leur place, 
        celui-ci devait continuer la lutte contre les Zenata. Tâche écrasante, 
        que son fils désespéra de mener à bien : à 
        son tour, usant du même procédé que les Fatimides, 
        il abandonna une partie de son territoire, le Maghreb central, à 
        son oncle Hammad, avec mission de contenir les Zenata, lui-même 
        s'installant à Kairouan. -------Hammad ne 
        tarda pas à vouloir se rendre indépendant. Il fonda dans 
        les hauteurs du Hodna la Qala des Beni Ziri, qui, à l'origine simple 
        forteresse, se développa et devint une véritable capitale. 
        En 1017, après une guerre, le sultan de Kairouan dut reconnaître 
        l'indépendance de l'État Hammadite. -------La Qala, 
        peuplée d'abord grâce à des déportations en 
        masse, connut une grande prospérité. Cette prospérité, 
        certaine et brillante, mais éphémère, lui vint en 
        partie de ce qui devait causer sa ruine et celle de l'Algérie : 
        l'invasion des Arabes hilaliens. Les Senhadja de Kairouan, dont les convictions 
        chiites étaient devenues assez tièdes, n'avaient pas tardé 
        à rompre avec le Fatimide d'Égypte. Occupé de ses 
        projets orientaux, celui-ci lança contre eux les nomades hilaliens, 
        alors cantonnés dans la Haute-Egypte. Le sultan de Kairouan les 
        accueillit d'abord favorablement; mais ils ne tardèrent pas à 
        être les maîtres. Les Beni Ziri durent abandonner Kairouan, 
        pour se retirer, comme avant eux les Fatimides, à Mahdiya. -------La ruine 
        de Kairouan profita d'abord à la Qala Hammadite. Un flot d'émigrés 
        vint augmenter sa population. Il en arriva même d'Égypte 
        et de Syrie, du Hedjaz, et de l'Irak L' Émir En Nacir put ainsi 
        faire de la Qala une capitale, avec dés monuments très importants 
        (Palais du Fanal, Palais de la Mer), aussi remarquables par leurs proportions 
        architecturales, que par leur décoration. -------Mais l'invasion 
        hilalienne continuait : sans cesse de nouvelles tribus arrivaient, et 
        les nomades poussaient de l'avant, détruisant tout sur leur passage 
        : à leur tour, les Hammadites durent céder la place, ou 
        tout au moins chercher un refuge sur la côte. En 1090, El Mançour 
        se réfugia à Bougie. Il n'était pas, à vrai 
        dire, complètement chassé de la Qala, et, pendant un certain 
        temps, les Hammadites eurent deux capitales. --------Ils 
        firent de Bougie une ville florissante. Sous la pression des circonstances, 
        ces terriens se tournent vers la mer. Ils encouragent d'abord le commerce, 
        particulièrement avec l'Orient. Des chantiers de construction bâtissent 
        des galères rapides et des bâtiments de transport. Le commerce 
        de Bougie s'étend avec l'Europe : ses souverains établissent 
        des relations diplomatiques même avec le Pape. Mais, dans la Méditerranée, 
        ils se rencontrent avec les Normands; et leurs rapports avec eux ne tardent 
        pas à devenir hostiles. Le vieil atavisme guerrier finit par reprendre 
        le dessus : ils se livrent à la piraterie. Du moins, d' après 
        les chroniques, la Bougie hammadite rappelait-elle les splendeurs de la 
        Qala. Il n'en reste plus trace aujourd'hui. -------La grandeur 
        des deux villes hammadites, puis leur décadence, eurent pour cause 
        directe, on le voit, l'invasion des Arabes hilaliens. Cette invasion représente 
        le plus important apport de sang arabe dans l'Afrique du Nord. On a calculé 
        qu'il est venu environ un million de ces nomades. La façon dont 
        ils s'établirent dans le pays a eu plus d'influence que leur nombre. -------Bien qu'agitée 
        et déchirée encore par des guerres, l'Afrique du Nord, aux 
        IXè, Xè et XIè siècles, avait connu une civilisation 
        sinon originale (les influences orientales sont très nettes), du 
        moins assez développée et florissante : un dernier reflet 
        de la prospérité romaine illustrait le pays. Avec les Hilaliens, 
        le tableau change et s'assombrit. Parlant des Hilaliens, Ibn Khaldoun 
        a écrit : « Tout pays conquis par les Arabes est ruiné. 
        » La future Tunisie, envahie la première, fut effectivement 
        ruinée, et l'Algérie orientale eut le même sort. -------Avant l'arrivée 
        des Hilaliens, les souverains de l'Afrique du Nord semblent avoir éprouvé 
        des difficultés toujours croissantes à recruter les guerriers 
        nécessaires pour faire reconnaître leur autorité dans 
        les pays qui leur étaient en principe soumis, et pour se défendre 
        contre leurs voisins. Les nomades fournissaient des contingents tout disposés 
        à se battre. Dans bien des cas, ils intervinrent donc à 
        la demande des Berbères. Mais les Fatimides, en les lançant 
        sur l'Ifrigya, leur avaient concédé, suivant l'usage, la 
        propriété des territoires qu'ils viendraient à conquérir. 
        Par la suite, en se mettant au service de tel ou tel chef ou prince, les 
        Hilaliens acquirent des avantages comparables à ceux des " 
        tribus maghzen " des époques récentes : mariages entre 
        les familles de leurs chefs et celles des roitelets secourus, surtout 
        concessions de terres ou de revenus spéciaux, sous des formes variables, 
        mais voisines des usages féodaux. Ces avantages ne purent leur 
        être acquis qu'au détriment des populations anciennes. L'insécurité, 
        l'instabilité revinrent plus que jamais à l'ordre du jour 
        : l'agriculture disparut, ainsi que le commerce normal. -------L'invasion 
        hilalienne ouvrit une période de désordres et de combats. 
        Car, en même temps que la ruine de Kairouan, puis de la Qala, elle 
        produisit un reflux des nomades Zenata, qui commença la dévastation. 
        L'Ifrigya ne s'en releva pas. Le Maghreb central ne connut plus d'État 
        indépendant pendant de longues années. Le flambeau de la 
        civilisation passa, avec la puissance politique, aux dynasties occidentales 
        des Almoravides et des Almohades.  |  | IV.-Le 
        Royaume de Tlemcen (XIVè-XVè siècles)  -------Les dynasties 
        almoravide, et almohade, qui ont brillé surtout en Espagne et au 
        Maroc, et: laissé des traces imposantes sur la terre algérienne, 
        doivent, elles aussi, leur naissance à une idée religieuse. -------Les futurs 
        Almoravides, Senhadja nomades du désert, commencèrent par 
        lutter contre les païens du Sahara. Ayant découvert, au cours 
        d'un pèlerinage à la Mecque, qu'ils ne connaissaient pas 
        suffisamment la doctrine de l' Islam, certains de leurs chefs demandèrent 
        un réformateur, qui . fut Ibn Yasin. Celui-ci instaura un système 
        comprenant, d'une part, la soumission à l'élément 
        religieux, d'autre part, la vie dans des casernes (ribat, d'où 
        le nom de morabitoun et, par corruption, almoravides) et un dévouement 
        absolu au triomphe de l'Islam. -------Ils se développèrent 
        d'abord au Maroc, combattant les enata Maghraoua alors maîtres de 
        Fez. Dans la seconde moitié du XIè siècle, Ibn Tachfin, 
        d'ailleurs très soumis à l'élément religieux, 
        se rendit maître de Tlemcen, puis d'Oran, de Ténès, 
        de l'Ouarensenis et finalement d'Alger (1082). Appelé en Espagne 
        deux ans plus tard par le sultan de Séville, il réduisit 
        les Espagnols à l'impuissance au bout de quatre expéditions, 
        mais il resta dans le pays et prit la place des princes qui l'avaient 
        appelé. -------La brillante 
        civilisation des Almoravides resta fidèle à ses origines 
        sur un point au moins, le sentiment religieux très développé. 
        Ibn Tachfin lui-même fit construire des mosquées notamment 
        à Nedroma et à Alger. Son successeur créa 
        la grande mosquée de Tlemcen, que le temps a respectée presque 
        entièrement, et amorça le développement de la ville. -------Les Almoravides 
        étaient malékites, ce qui provoqua la réaction des 
        Almohades. Leur premier chef, le Berbère Ibn Toumert, jeta les 
        bases de son système à Tinmel, dans les chaînes occidentales 
        de l'Atlas marocain (entre Marrakech et Taroudant). II entendait organiser 
        le monde musulman d'après les principes largement interprétés 
        du Coran et de la tradition. Une des caractéristiques est l'emploi 
        du berbère comme langue religieuse. -------L'empreinte 
        religieuse primitive persista chez les Almohades ; mais elle fut par la 
        suite une cause de difficultés intérieures : les cheikhs 
        dépositaires de la pensée d'Ibn Toumert s'opposèrent 
        au chef militaire et politique. Ces difficultés n'empêchèrent 
        cependant pas le premier successeur d'Ibn Toumert, Abd el Moumin, de fonder 
        l'empire des Almohades. -------En peu d'années, 
        tout en combattant au Maroc et en Espagne, Abd el Moumin se rendit maître 
        du Maghreb central. Appelé d'abord par un clan Zenata (les Ouamamou) 
        en lutte contre le gouverneur almoravide, il battit celui-ci près 
        de Tlemcen et occupa Oran (1145). Sept ans plus tard il s'empara de Bougie, 
        les Hammadites n'ayant pu tenir la campagne et leur armée ayant 
        pris la fuite à la simple vue de son avant-garde. Au retour, il 
        fut attaqué par les Hilaliens qui, malgré leur supériorité 
        numérique, se dispersèrent au matin du quatrième 
        jour de bataille. En 1158 une nouvelle campagne donnait l'Ifriqya à 
        Abd el Moumin. -------L'Algérie 
        reçut une véritable organisation administrative. Divisée 
        en deux provinces ayant pour villes principales l'une Bougie et l'autre 
        Tlemcen, elle fut soumise au système financier des Almohades. Pour 
        subvenir aux besoins de la guerre, ceux-ci ne purent se contenter des 
        impôts coraniques et du butin : ils perçurent l'impôt 
        foncier (kharadj) et organisèrent à cet effet un système 
        d'arpentage. Le maintien de l'autorité était confié 
        à des tribus, qui, suivant l'usage implanté dans le pays, 
        eurent les charges et les avantages des tribus maghzen. Ce furent les 
        Zenata Beni Abd el Ouad à Tlemcen, une tribu arabe à Bougie. -------On connaît 
        la fortune des Almohades en Espagne et au Maroc. L'Algérie fut 
        quelque peu laissée de côté : l'empire était 
        trop vaste. Dès 1184, les deux frères Ali et Yahya Beni 
        Ghaniya, apparentés aux anciens émirs almoravides, entamèrent 
        la lutte dans la région de Bougie. Après avoir pillé 
        la Berbérie, ils se jetèrent sur Tunis, et, quand ils en 
        furent chassés, continuèrent à ravager notamment 
        la vallée du Chélif, la région d'Alger, le Sahel, 
        et les environs de Bougie. -------La disparition 
        des frères Beni Ghaniya ne ramena pas le calme en Algérie 
        : les faiblesses de l'empire almohade subsistaient. Elles aboutirent à 
        la division de l'Afrique du Nord. Suivant l'expédient ordinaire, 
        les Almohades commencèrent par confier l'Ifrigya, avec pleins pouvoirs, 
        aux Beni Hafç, descendants d'un des compagnons d'Ibn Toumert, qui 
        se proclamèrent indépendants dans Tunis. Leur Etat engloba 
        sur le territoire algérien Bougie et Constantine. Au Maroc se constitua 
        le royaume des Beni Merin (Zenata nomades du désert). Entre les 
        deux, les Beni Abd el Ouad de Tlemcen cherchèrent eux aussi à 
        assurer leur indépendance. -------Le royaume 
        de Tlemcen mena une existence agitée entre ses deux voisins qui, 
        l'un et l'autre, revendiquaient son territoire en souvenir de la puissance 
        almohade. De plus, l'émir de Tlemcen et le souverain mérinide 
        du Maroc sont tous deux des Zenata : ils ont hérité de vieilles 
        querelles datant de l'époque où les ancêtres vivaient 
        au désert. -------Yaghmorasan 
        Ben Zaïan, le premier émir de Tlemcen, est vassal des Mérinides. 
        Il est attaqué par les Beni Hafç, qui envoient une armée 
        sous Tlemcen. En même temps il est menacé par le Marocain. 
        Toute son existence et celle de ses successeurs va se passer à 
        contenir le voisin de l'ouest et à chercher l'extension du territoire 
        vers l'est, vers le Chélif et Bougie. Programme tellement difficile 
        qu'il pousse les descendants de Yaghmorasan aux expédients politiques 
        les plus surprenants : l'un d'eux va jusqu'à conclure une alliance 
        avec le roi musulman de Grenade et avec le roi chrétien de Castille, 
        acceptant le rôle ingrat d'écarter les Mérinides de 
        l'Espagne par des diversions sur leur frontière orientale. -------À 
        ce jeu, les descendants de Yaghmorasan ne connaissent guère l'indépendance. 
        Ils sont parfois vassaux du Mérinide ou du Hafçide, parfois 
        même chassés de leur domaine; leur ville est fréquemment 
        assiégée; leur palais est une forteresse : le Méchouar. 
        A ces sièges souvent prolongés, Tlemcen gagne d'être 
        agrandie. Les Marocains installent leur camp aux environs, et ce camp 
        devient une ville, Tlemcen-la-Neuve, Mançourah. Les deux souverains 
        rivalisent de luxe chacun pour sa ville. -------Il 
        se présente parfois des chances favorables. La grande chevauchée 
        d'Abd el Moumin, fondateur de la dynastie almohade, a laissé des 
        souvenirs chez les Mérinides du Maroc : en 
        1347, l'un d'eux, Aboul Hassan, se lance sur les traces glorieuses du 
        successeur d' Ibn Toumert et rêve de soumettre toute l'Afrique du 
        Nord. Il atteint effectivement l'Ifrigya, mais il est battu près 
        de Kairouan (1348). Le prétendant Beni Abd el Ouad rentre à 
        Tlemcen. Aussitôt il reprend la politique traditionnelle d'hostilités 
        à l'ouest et à l'est, et ne réussit pas mieux que 
        ses prédécesseurs. -------Ce n'est 
        qu'un exemple. La vie du royaume de Tlemcen n'est politiquement qu'une 
        succession de coups d'État, de fortunes subites et de revers soudains. 
        Les prétendants de tout ordre se disputent la ville, pour le plus 
        grand profit des Hilaliens, qui restent toujours les hommes de main et 
        se trouvent être les instruments ordinaires et les principaux bénéficiaires 
        des restaurations successives.
 -------Malgré 
        toutes ces traverses, Tlemcen trouva le moyen de devenir une cité 
        commerciale et industrielle florissante, en même temps qu'un centre 
        d'études très vivant. Le développement de son commerce 
        est dû à sa situation comme point de transit avec le pays 
        des noirs, d'où elle recevait de l'ivoire, de l'or, des esclaves, 
        qu'elle échangeait avec des objets fabriqués, surtout des 
        armes, et contre des chevaux. Son industrie était limitée 
        aux tissus, mais ces tissus étaient réputés. Les 
        bourgeois de la ville étaient riches et le trésor du souverain 
        participait à cette richesse. Les fêtes égayaient 
        le Méchouar. Les monuments ornaient la ville. Il en reste des traces, 
        moins nombreuses que celles qu'ont laissées les Mérinides 
        à Mançourah, mais suffisantes pour donner une idée 
        de l'art tlemcenien, fortement influencé, d'ailleurs, par l'art 
        andalou. Les médersas de Tlemcen abritaient de nombreux étudiants, 
        dont les études théologiques étaient teintées 
        de mysticisme : le plus fameux de ces ascètes, Sidi Mou Medyen, 
        a sa sépulture tout près de la ville, à El Eubbad.
 V.-La 
        Domination Turque -------L'éclat 
        d'une ville comme Tlemcen ne saurait pallier l'état de faiblesse 
        dans lequel des luttes perpétuelles avaient mis l'Algérie. 
        Cet état devint manifeste quand les Espagnols, ayant chassé 
        les musulmans de leur pays, entreprirent de les poursuivre sur la terre 
        africaine.
 
 -------Dans 
        les premières années du XVè siècle, les Espagnols 
        occupent Mers et Kébir (1505), Oran (1509). Bougie (1510) et obligent 
        les villes de la côte à envoyer en Espagne des émissaires 
        qui se soumettent au tribut. C'est le cas de Ténès, de Mostaganem, 
        de Cherchell, de Dellys. Alger, ville alors autonome, se laisse même 
        imposer l'humiliation d'une garnison sur l'îlot (alors séparé 
        de la terre ferme) sur lequel s'élève le Penon et où 
        s'installe une garnison espagnole.
 -------Si précaire 
        que fût la vie de cette garnison, suspendue aux relations par mer 
        avec la métropole; les Algérois étaient incapables 
        de la chasser. La puissance turque, qui s'était élevée 
        sur les ruines de la dynastie abasside, s'étendait alors sur la 
        péninsule balkanique, l'Asie occidentale, l'Égypte. Cependant 
        les Algérois ne s'adressèrent pas à elle pour obtenir 
        des secours. Ils demandèrent ceux des frères Barberousse. -------Ces quatre 
        frères, dont deux seulement, Arroudj et Khayr ed Din, appartiennent 
        à l'histoire, étaient des aventuriers. Fils d'un potier 
        de Metelin (Mytilène), ils devaient leur 
        richesse et leur renommée à la piraterie, qu'ils avaient 
        exercée d'abord, avec des alternatives de succès et de revers, 
        en Méditerranée orientale, puis, avec un plein succès, 
        en Méditerranée occidentale.  -------L'aîné, 
        Arroudj, fut appelé d'abord par un prince de la dynastie hafcide, 
        pour reconquérir Bougie. Il échoua une première fois 
        en 1512 et une seconde fois peu après. Mais l'époque était 
        favorable aux aventuriers. Arroudj fit triompher un prétendant 
        en Kabylie, et, avec les 5.000 hommes que lui fournit son obligé, 
        et qui vinrent renforcer ses compagnons, il entra dans Cherchell, puis 
        dans Alger.
 -------Là 
        se posait toujours la question du Penon. Arroudj, n'ayant pu la résoudre 
        immédiatement, fut menacé par une grave révolte, 
        qu'il mata énergiquement. Les Espagnols envoyèrent une nouvelle 
        expédition qui échoua complètement. Mais l'événement 
        avait montré les hésitations du sultan de Ténès, 
        et du Beni Abd el Ouad de Tlemcen après avoir soumis dans sa marche 
        Médéa et Miliana, Arroudj les battit l'un et l'autre, et 
        s'installa à leur place. II fut assiégé sans succès 
        par les Espagnols dans Tlemcen et mourut. Mais son domaine était 
        singulièrement étendu.
 -------Khayr ed 
        Din Barberousse, son frère, qu'il avait laissé dans Alger, 
        consolida définitivement sa puissance par un acte politique adroit 
        et par la prise du Penon. Il se reconnut le vassal de la Porte, qui lui 
        envoya 2.000 janissaires et permit à 4.000 volontaires turcs de 
        le rejoindre. Quant au Penon, après l'avoir enlevé, il réunit 
        l'îlot à la terre ferme par une digue, donnant ainsi à 
        Alger un port étroit mais sûr. Il quitta Alger pour aller 
        mourir à Constantinople (1546). Il avait désigné 
        comme son successeur I-lassan Agha, avec le titre de beylerbey (émir 
        des émirs). -------Toute la 
        puissance d'Alger à sa belle époque reposait sur la milice 
        des janissaires, toute sa richesse sur les corsaires. Ces conditions suffisent 
        à expliquer que le gouvernement n'ait jamais pu être fort. 
        La guerre sainte, qui était son principe le plus ferme, ne fut 
        qu'un prétexte à des exactions : à l'extérieur 
        par la course; à l'intérieur par une administration purement 
        fiscale. Le jour où la décadence de la course et de la milice 
        des janissaires fit disparaître le prétexte même, l'Alger 
        turque ne put plus se maintenir et son pouvoir ne fut plus considéré 
        que comme de l'oppression. -------Le moyen 
        de gouvernement de Barberousse et des beylerbey ses successeurs était 
        la milice (odjaq) des janissaires. C'était une troupe turbulente 
        et bien recrutée à l'origine; tous les grades étaient 
        acquis à l'ancienneté, y compris celui du chef suprême 
        (Agha), qui ne restait en fonction que deux mois. La plupart des janissaires 
        vivaient dans les casernes; ils ne se livraient à aucun exercice 
        militaire, leur emploi du temps étant réglé par années 
        (un an en garnison, un an en colonnes pour aider à la collecte 
        de l'impôt, un an de repos). Ils étaient administrés 
        par un divan, 
        et leurs chefs réussirent à s'introduire dans le grand divan, 
        conseil administratif du beylerbey, avec voix consultative d'abord, puis 
        en prenant une part grandissante au gouvernement. -------Barberousse 
        lui-même avait eu à se défendre contre leurs rempiétements. 
        Ses successeurs, dont le pouvoir était accru par le fait même 
        de leur éloignement de Constantinople et par l'autorité 
        qu'ils avaient à titre de beylerbeys d'Afrique sur les pachas de 
        Tunisie et de Tripoli, furent dans le même cas. L'un d'eux imagina 
        de former une garde indigène qui fût mieux dans sa main. 
        Ce fait donna lieu au dernier acte effectif de souveraineté de 
        Constantinople, qui, en 1587, remplaça le beylerbey par un pacha 
        nommé pour trois ans, et n'ayant plus autorité sur ses collègues 
        de Tunis et de Tripoli. -------À 
        cette époque, la course était florissante, et, encouragée 
        par les pachas, qui y trouvaient un bénéfice personnel en 
        même temps que celui du trésor et de la ville, elle prenait 
        une extension toujours croissante. Dès le milieu du XVè 
        siècle, ce fait avait inquiété l'Espagne. Mais la 
        grande expédition de Charles-Quint en 1541, contrariée par 
        la mer, se termina en désastre, et une nouvelle tentative en 1567 
        n'eut pas un meilleur sort. Le renom d'invincibilité d'Alger commença 
        à s'établir, encore favorisé par la politique française, 
        conciliante et pacifique à l'égard des musulmans. Cette 
        politique ne fut pas sans résultats locaux un consul installé 
        par Henri III obtenait des « concessions » (droit d'établissement 
        dans certains ports) et des privilèges (pêche du corail). -------Mais les 
        Algériens ne restèrent pas fidèles aux conventions. 
        Les Provençaux, exposés à leurs coups, se défendaient, 
        et leur politique particulière ne correspondait pas à la 
        politique royale. L'instabilité des musulmans et les fluctuations 
        des puissances européennes permirent à la course de devenir 
        vers 1620 un véritable fléau. L'Europe n'arrivait pas à 
        une action concertée : en 1622, les Anglais bombardaient Alger; 
        mais, vers la même époque, un Français, Sanson Napollon, 
        fut sur le point d'obtenir par des négociations l'établissement 
        de relations acceptables entre son pays et Alger. Rien n'y fit, et, vers 
        1650, on comptait dans Alger environ 30.000 captifs chrétiens enlevés 
        par les Corsaires. Un nouveau bombardement anglais en 1655 restait sans 
        effet. -------Alger s'enrichissait. 
        Cette richesse même devait faire sa ruine. La corporation des patrons 
        corsaires, sur qui reposait cette prospérité, était 
        en rivalité avec les janissaires; rivalité armée 
        qui dégénérait en émeutes fréquentes. 
        En 1659, la milice l'emporta, et le pacha, réduit à un rôle 
        purement honorifique, fut remplacé en fait, à la tête 
        du gouvernement par l'Agha, chef des janissaires. Caricature de gouvernement 
        : les pouvoirs de l'Agha ne duraient théoriquement que deux mois; 
        dans la pratique, c'était encore pire : tous furent successivement 
        assassinés. La faction des patrons corsaires 
        l'emporta en 1671 et confia le gouvernement à un dey (oncle) nommé 
        à vie : les quatre premiers furent des marins. -------Mais le beau 
        temps était passé. Ces révolutions affaiblissaient 
        Alger. De plus, sans qu'une action concertée des puissances européennes 
        se produisît, Français et Anglais bombardaient la ville, 
        ceux-ci en 1672, ceux-là en 1683 sous Duquesne, puis en 1688, sous 
        d'Estrées. Chacune de ces opérations en elle-même 
        n'obtenait pas le résultat décisif; dans l'ensemble, et 
        combinées avec des croisières fréquentes, elles arrivèrent 
        à diminuer notablement l'importance de la course. Dès le 
        XVIIIè siècle, le nombre des captifs dans Alger tombait 
        à 2.000. -------En 
        même temps, le recrutement des Corsaires, comme celui 
        des Janissaires, se faisait plus difficile. Les éléments 
        nouveaux étaient médiocres. Dans cette décadence 
        générale la milice conserva son importance avec sa turbulence; 
        la moitié des Deys furent assassinés, les janissaires, comme 
        les prétoriens de la fin de l'Empire romain, cherchant à 
        percevoir le plus souvent possible le don de joyeux avènement.
 -------À 
        ce régime incroyable, Alger ne pouvait retrouver sa splendeur. 
        Une tentative de débarquement espagnol échouait encore dans 
        la seconde moitié du XVIIIè siècle; les petites puissances 
        comme Naples, la Suède, le Danemark, la Hollande, se soumettaient 
        bien à l'humiliation d'acheter la sécurité de leurs 
        vaisseaux; mais les grandes assuraient par la force celle des leurs.
 -------Au début 
        du XIXè siècle, il ne restait plus dans Alger que 1.200 
        captifs, dont, en 1816, la plus grande partie dut être libérée 
        à la suite d'une démarche énergique de lord Exmouth 
        exigeant, au nom des puissances, l'abolition de l'esclavage.Le gouvernement du Dey subsista, tel qu'il avait été organisé 
        en principe en 1671, jusqu'en 1830. Les pouvoirs du Dey désigné 
        par la milice sont absolus, et, en fait, il est indépendant de 
        Constantinople, qui lui envoie tous les deux ou trois ans un caftan d'honneur. 
        Il est assisté de son « divan » comprenant les cinq 
        « puissances » ou ministres.
 -------L'organisation 
        des provinces de la régence paraît rationnelle en principe. 
        Le territoire est réparti entre la province d'Alger, dépendant 
        directement du Dey, et les trois beyliks de l'Ouest (Oran, après 
        la reprise sui les Espagnols en 1792), du Tittery (Médéa), 
        et de l'Est (Constantine). Chaque beylik est subdivisé en outan 
        à la tête desquels se trouve un Caïd turc et qui comprennent 
        des douars, dirigés par les Cheikhs et groupés en tribus. 
        Désignés par le Dey, les beys sont à peu prés 
        indépendants; pour se faire obéir, ils disposent, suivant 
        l'antique usage en Afrique du Nord, de tribus privilégiées 
        qui, en échange des services qu'elles rendent, sont exemptes des 
        impôts non coraniques, auxquelles restent soumises les autres. Des 
        colonnes de janissaires, en cas de besoin, participent à la perception 
        des contributions. -------Dans la pratique 
        cette organisation ne donne pas grand chose. L'autorité du Dey 
        est bafouée jusque dans la Mitidja. Il n'est même pas en 
        sécurité dans Alger, et, au début du XIXè 
        siècle, il doit abandonner son palais situé dans la principale 
        rue, pour se réfugier à la Casbah. En Kabylie, seule une 
        politique adroite fondée sur une parfaite connaissance des rivalités 
        locales permet aux Turcs de se maintenir. En dépit des procédés 
        brutaux qui sont employés (les janissaires et les tribus Maghzen 
        « mangent » les tribus récalcitrantes), l'argent rentre 
        mal; comme la course ne donne plus, le trésor s'appauvrit et ne 
        vit que grâce aux emprunts consentis par des négociants-banquiers 
        comme les Bacri et les Busnach : de là des compromissions d'où 
        naîtra, en somme, l'expédition française de 1830. -------L'administration 
        turque ne répara pas les dégâts causés en Algérie 
        par l'invasion hilalienne et les luttes incessantes qui suivirent ; la 
        prospérité, puis la décadence d'Alger ne touchèrent 
        en rien Berbères et Arabes. Seulement, la commune oppression atténua 
        les divergences entre les deux races et provoqua une fusion, en certains 
        cas, assez intime. Mais, en dépit d'un gouvernement réputé 
        unique (et en fait divisé), il ne se constitua pas une âme 
        algérienne. Ce qui subsista, ce fut l'islamisme. Toute prospérité, 
        toute civilisation vivante, a disparu. Il ne reste que des aspirations 
        religieuses mal définies, incapables de produire une évolution 
        vers le progrès, mais douées d'une considérable force 
        de résistance. Les anciens cadres locaux ont disparu, au profit 
        de la classe religieuse des Marabouts. 
             
 
 
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