| CHAPITRE 
        7 --------En 
        1911, M. Charles Lutaud avait remplacé M. Jonnart comme Gouverneur 
        général de l'Algérie. Cet homme' de grand caractère, 
        ce diplomate éclairé, prenait aussitôt les rênes 
        du pays algérien avec une maîtrise qu'encourageait et soutenait 
        l'amitié de M. Étienne, député d'Oran, et 
        de M. Thomson, député de Constantine.--------Il 
        voulait que oeuvre de Lyautey et celle de Laperrine fussent continuées 
        dans le même esprit de fermeté et de maintien des droits 
        de la France, aussi bien vers l'Ouest, à Colomb-Béchar, 
        qu'à l'Est vis-à-vis de la Tripolitaine dans laquelle l'Italie 
        avait pénétré avec quelque brusquerie au lendemain 
        de la déclaration de la guerre balkanique de 1912.
 --------Pour 
        mieux marquer encore tout l'intérêt qu'il attachait à 
        ces questions, il désira que deux de ses amis et plus fidèles 
        collaborateurs fussent nommés au commandement du territoire d'Aïn-Sefra 
        et de celui des Oasis.
 --------Le 
        colonel Levé fut envoyé à Aïn-Sefra. Jeune commandant 
        d'infanterie, je fus désigné pour remplacer, à In-Salah, 
        le commandant Payn dont le séjour touchait à sa fin.
 --------Vers 
        l'Ouest, depuis le départ du général Lyautey appelé, 
        après avoir pris le commandement de la division d'Oran, à 
        celui du XIIè Corps d'armée, qu'il devait bientôt 
        abandonner pour être nommé résident général 
        de France au Maroc, la situation politique et militaire était demeurée 
        instable.
 --------Oulad 
        Djerir et Doui-Ménia, laissés libres à l'Ouest de 
        la ligne immédiate de nos postes, ne se faisaient pas faute d'accueillir, 
        de renseigner et aussi sans doute de soutenir parfois d'un concours plus 
        effectif les Beraber du Tafilalet. Le général Levé 
        s'attacha à gagner les chefs de ces tribus, à les mettre 
        plus complètement de notre côté. C'est de son temps 
        que Kenadsa, Meridja et Abadla rentrèrent dans le rayon normal 
        de notre action.
 --------Au 
        territoire des Oasis, le combat d'Esseyen semblait avoir arrêté 
        pour un temps les menaces des Senoussistes, le Hoggar était tranquille. 
        Il paraissait seulement désirable de ce côté d'organiser 
        au mieux la collaboration la plus cordiale entre troupes sahariennes de 
        l'Algérie du côté du Nord, du Hoggar et du Soudan 
        français du côté du Sud.
 --------D'ailleurs, 
        les Italiens, par l'occupation de Ghadamès en 1913 et de Chat en 
        août 1914, allaient introduire un élément nouveau 
        dans le cycle de notre politique. Mais il ne semblait pas que cet élément 
        dut être nuisible, car l'Italie en était à la période 
        du sourire et une-collaboration toute amicale, sans autre réserve 
        que celle obligatoire à tenir vis-à-vis de l'un des membres 
        principaux de la Triplice, paraissait devoir s'instituer.
 --------En 
        plusieurs voyages consécutifs, de novembre 1913 à juillet 
        1914, le nouveau commandant militaire des Oasis put prendre les contacts 
        utiles avec les autorités italiennes et les camarades soudanais 
        rencontrés à Tin-Zaouaten (commandant Cauvin).
 --------Bref, 
        en juillet 1914, la situation politique et militaire paraissait tellement 
        bien assise que, revenu pour la deuxième fois auprès du 
        Père de Foucauld, nous commençâmes à parler 
        d'une question qui lui tenait bien à coeur celle de la pénétration 
        saharienne par les moyens de la technique moderne. Créations de 
        réseaux de T. S. F. Tracés de routes et pistes automobilisables 
        permettant de relier facilement Alger aux points les plus extrêmes 
        du Sahara algérien et même aux postes français du 
        Niger et de Zinder. Je me souviendrai longtemps de cette longue soirée 
        du 21 juillet que nous passâmes ensemble, sous une nuit calmement 
        étoilée de l'été saharien, à dessiner 
        pour l'avenir.
 --------J'avais 
        vu en même temps Moussa Ag Amastane, dont j'avais pu apprécier 
        et aimer la loyauté et la vaillance de sentiments. Je retournais 
        vers le Nord, après un court repos passé sous les ombrages 
        de Tazerôuk, lorsque la nouvelle de la déclaration de guerre 
        allemande vint m'atteindre le 25 août à Amguid, et retarder, 
        d'un seul coup, de plus de dix ans, la réalisation des beaux projets 
        ébauchés.
 --------L'état 
        de guerre ne paraissait pas, a priori, devoir influer sensiblement sur 
        la situation politique du Sahara : nomades et sédentaires, bien 
        protégés contre toutes agressions par des troupes de police 
        de premier ordre, ne bougeraient certainement pas, s'ils étaient 
        défendus de tout contact avec des éléments extérieurs.
 --------Au 
        dehors, l'état d'anarchie complète où se trouvait 
        le Sud marocain semblait devoir empêcher les dissidents de tenter 
        quelque entreprise d'envergure. Le seul point noir existait dans l'Est.
 --------La 
        première question, angoissante au premier chef pour les territoires 
        des Oasis, était celle de savoir si l'Italie maintiendrait l'attitude 
        de neutralité amicale qu'elle avait adoptée tout d'abord. 
        A tout hasard, il fallait surveiller de près son activité 
        tout le long d'une frontière longue de plusieurs centaines de kilomètres 
        et sur laquelle on savait que d'importants mouvements de troupes avaient 
        lieu. Dès le 15 septembre, alors que l'entrée, des Italiens 
        à Ghat datait du 12 août, nous prenions contact avec les 
        autorités italiennes et nous pouvions constater que tout était 
        à la neutralité de ce côté.
 |  | --------Mais 
        quelques semaines ne s'étaient pas écoulées que déjà 
        les éléments de la situation politique et militaire se trouvaient 
        transformés. La pénétration des Italiens en Tripolitaine 
        avait été trop rapide et les arrières de leurs colonnes, 
        lancés à plus de 1.000 kilomètres au Sud de la côte, 
        n'étaient pas suffisamment couverts. D'ailleurs la résistance 
        depuis que les Turcs avaient cessé de la diriger, après 
        le traité d'Ouchy, était passée aux mains des dirigeants 
        senoussistes qui agissaient puissamment sur des milliers de fidèles 
        adeptes... Partout les convois italiens, les petits détachements 
        eux-mêmes étaient attaqués et malheureusement la résistance 
        n'était point de grand résultat. Bientôt on apprenait 
        que le Sud tripolitain avait été évacué par 
        les Italiens et que les postés de Ghat et de Ghadamès, adossés 
        à la frontière française, étaient directement 
        menacés.--------La 
        politique du gouvernement fut de conserver vis-à-vis des Italiens 
        une neutralité bienveillante et, sans combattre à leurs 
        côtés, de protéger ceux d'entre eux qui se confieraient 
        à nous. C'est ainsi qu'en décembre 1914 toute la garnison 
        de Ghat se replia sous la protection des feux de Fort Polignac et fut 
        défendue par nous lors de son 'long et pénible retour par 
        Temassinin et Ghadamès. Quelques mois plus tard, en juillet 1915, 
        la garnison de Ghadamès recevait à son tour l'ordre de se 
        replier le long de la frontière française et les méharistes 
        et goumiers algériens devaient encore protéger ce repli.
 --------Les 
        conséquences de ce repli qui fut malheureusement accompagné 
        de l'abandon de nombreuses armes : fusils, mitrailleuses, canons, allaient 
        être considérables. Un mois plus tard, les montagnards du 
        Djebel Tripolitain, conduits par Khalifa Ben Asker, furieux de ce que 
        nous avions accueilli les restes des garnisons de Nalout et de Sinaoun, 
        se portaient à l'attaque des postes du Sud tunisien vers Dehibat 
        et Oum Souigh. Une dure campagne, qui dura jusqu'au début de 1916 
        et entraîna des contingents algériens, fut à ce moment 
        engagée par la Tunisie qui dut, jusqu'à la fin de la guerre, 
        se conserver une sérieuse couverture de ce côté.
 --------Cependant 
        sur la frontière algéro-tripolitaine de Ghadamès 
        à Ghàt la situation, jusque-là assez calme, devenait 
        trouble. Les escarmouches devenaient plus nombreuses avec nos troupes 
        de couverture; en mars 1916, les Senoussistes, levant tous les masques 
        dont ils avaient essayé d'envelopper leur action, attaquèrent 
        et enlevèrent notre . poste extrême de Djanet.
 --------Ce 
        fut le prélude de très dures opérations au cours 
        desquelles la leçon infligée à Diane aux Senoussistes, 
        auxquels se joignirent peu à peu les Touaregs Ajjers, ne pouvait 
        être confirmée comme il l'eût fallu par une victoire 
        décisive sur les Senoussistes rassemblés à Ghat ; 
        au moment même de l'assaut, nous reçûmes l'ordre formel 
        de ne pas attaquer.
 --------Dès 
        . lors, la partie était' rendue difficile. Derrière les 
        colonnes françaises, les coupeurs de route, rendus chaque jour 
        plus hardis, enlevaient nos convois, nos courriers, attaquant même 
        nos détachements. La reprise de l'offensive commencée en 
        novembre 1916 ne pouvait aboutir, par suite de directives gouvernementales 
        de plus en plus restrictives qu'à évacuer la garnison de 
        Fort-Polignac.
 --------Partout 
        nos détachements tenaient, mais l'insurrection gagnait. Néanmoins 
        Flatters et Aïn-El-Hadjadj étaient solidement organisés 
        contre toutes attaques et les méharistes algériens allaient 
        se porter vers le Hoggar où les événements commençaient 
        à prendre mauvaise tournure, à cause de l'intrusion d'éléments 
        étrangers nouveaux, lorsque le gouvernement, prenant une décision 
        louable et sûre, mais qui arrêta sur le moment une action 
        qui pouvait être intéressante, confia au général 
        Laperrine, rappelé du front français, avec un commandement 
        très vaste qui s'étendait sur tout le Sahara français 
        depuis les rives soudanaises jusqu'à l'Algérie du Nord, 
        des attributions élargies.
 --------Malheureusement, 
        ni les liaisons télégraphiques nécessaires à 
        un tel commandement n'étaient encore réalisées, ni 
        les pistes utiles pour les automobiles n'étaient équipées, 
        et les deux dernières années de la guerre virent se continuer 
        sans arrêt la même suite d'attaques, de pillages et de combats 
        qui vinrent jusqu'aux portes mêmes d'In-Salah porter l'alarme.
 --------Du 
        moins, au point de vue politique, Laperrine avait repris barre sur les 
        Touareg Hoggar ramenés vers nous par Moussa Ag Amastane, honteux 
        de sa défaillance d'un moment, et, lorsqu'en 1920, le général 
        Laperrine revint, il retrouva le pays dans l'état où il 
        l'avait laissé en 1910.
 
 
 
 
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