| CHAPITRE 
        III  --------La grande 
        préoccupation du régime civil va être de façonner 
        une Algérie à l'image de la France. Il s'y efforcera pendant 
        une vingtaine d'années, calquant, pour ainsi dire, les lois métropolitaines, 
        les appliquant, autant que possible, telles quelles, ou avec un minimum 
        de modifications motivées par l'état de choses établi 
        ou par la composition de la population algérienne, en majorité 
        indigène.--------L'Algérie 
        forme trois départements : Alger, Constantine et Oran, soumis au 
        même régime que les départements métropolitains 
        et ayant une représentation au Parlement. Le décret de convocation 
        du 5 février 1871 les appellera à envoyer, chacun, à 
        l'Assemblée nationale, deux députés élus au 
        scrutin de liste. La loi organique du 30 novembre 1875 n'accordera plus 
        qu'un député au département algérien. La loi 
        du 28 juillet 1881 doublera cette représentation, qui sera élue 
        suivant le même mode de scrutin qu'en France. La loi constitutionnelle 
        du 24 février 1875 et la loi du 9 décembre 1884 doteront 
        encore le département algérien d'un sénateur élu 
        par un collège défini par l'article 11 de la loi organique 
        du 2 août 1875, qui ne comprend pas les membres des conseils d'arrondissements, 
        non institués en Algérie, et dont les délégués 
        communaux sont élus par les conseillers municipaux citoyens français, 
        à l'exclusion des conseillers municipaux indigènes.
 --------Ces 
        trois départements sont placés par le décret du 24 
        octobre 1870 sous l'autorité d'un gouverneur général 
        civil, rattaché au ministère de l'Intérieur et qui 
        centralise, à Alger, le gouvernement et la haute administration. 
        Les deux premiers gouverneurs généraux civils seront, d'ailleurs, 
        un amiral : de Gueydon, et un général: 
        Chanzy ; on les choisira ensuite, de préférence, 
        parmi les hauts fonctionnaires métropolitains : préfets, 
        conseillers d'État, ambassadeurs. Mais les deux militaires tiendront 
        à honneur de servir loyalement le régime; ils s'y efforceront 
        de telle manière qu'ils le marqueront profondément de leur 
        empreinte.
 
  --------En 
        mars 1871, lorsque l'amiral de Gueydon fut nommé gouverneur général, 
        l'Algérie était profondément troublée. La 
        mutinerie des membres affiliés à la Commune de Paris avait, 
        en révélant aux indigènes nos dissensions intérieures, 
        déchaîné l'insurrection. La Kabylie tout entière 
        se révoltait et commençait à déferler sur 
        Alger dégarnie de troupes régulières. On sait de 
        quel cur intrépide l'homme de guerre prit le commandement, 
        avec quel sang-froid il jugea la situation et comment il s'en rendit maître 
        en quelques semaines. L'administrateur allait rendre au pays des services 
        plus grands encore. Son intelligence vaste et lucide lui montra très 
        vite les points sur lesquels devait principalement porter l'effort de 
        réorganisation. Substituer le gouvernement au commandement sans 
        diminuer le prestige de l'armée; remplacer la justice militaire 
        et les commissions disciplinaires par les tribunaux ordinaires sans affaiblir 
        la répression par une extension prématurée aux indigènes 
        du régime de droit commun; châtier les rebelles sans sévérité 
        excessive et ramener la sécurité indispensable au développement 
        de la colonisation; telles sont les grandes lignes de sa politique. A 
        la mettre en couvre il employa toutes les ressources de son esprit à 
        la fois cultivé et pratique, poursuivant toujours les buts les 
        plus élevés dans les vues les plus larges, servi par une 
        volonté tenace, sagace et circonspecte. Son action prudente apaisa 
        les esprits, rétablit l'ordre moral après l'ordre matériel, 
        régénéra pour ainsi dire, l'Algérie. Partout 
        les villages détruits par l'insurrection se relevèrent de 
        leurs ruines. Un programme de création de nouveaux villages de 
        colonisation fut amorcé par des prélèvements sur 
        les terres séquestrées. Les résultats obtenus par 
        lui en 27 mois, et les nombreux projets qu'il a élaborés 
        avec une connaissance et une compréhension remarquables des choses 
        algériennes, autorisent à penser que si l'amiral était 
        demeuré quelques années de plus à la tête de 
        la Colonie, l'Algérie eût peut-être réalisé 
        bien vite les progrès qu'elle a mis si longtemps à accomplir. 
        « C'est le malheur de l'Algérie, 
        disait Thiers, qu'on n'y laisse jamais ceux qui ont eu le temps de l'apprendre 
        et l'intelligence de la comprendre. » Et Chanzy : 
        « Il a fait, en deux ans, ce que nous, soldats, 
        aurions mis vingt ans à accomplir. »
 --------Ce 
        dernier était, du moins, l'homme le plus qualifié pour continuer 
        l'uvre commencée. Son prestige était immense ' il 
        s'était couvert de gloire pendant la guerre franco-allemande et 
        son républicanisme venait d'être consacré par la présidence 
        du centre gauche. Son expérience du pays où il avait fait 
        toute sa carrière lui conférait une autorité considérable. 
        Puissant organisateur, il donna à la colonisation officielle une 
        impulsion dont elle devait longtemps conserver la vigueur; il acheva sans 
        à-coup la transition du régime militaire au régime 
        civil en dotant l'Algérie de ce cadre administratif qui lui attribue, 
        vraiment, la physionomie d'une autre France. Partisan convaincu de l'assimilation, 
        c'est lui qui en définit le système dans les deux formules 
        : initiative et exécution à Alger; décision et contrôle 
        à Paris.
 
 --------Or, 
        l'application de cette formule va réduire à bien peu de 
        chose le rôle du Gouverneur Général.
 Si, en effet, la décision devait être prise à Paris, 
        elle ne le pouvait être en connaissance de cause par le Ministre 
        de l'Intérieur que dans les matières de sa compétence; 
        pour les autres matières, il fallait faire intervenir les différents 
        ministres responsables devant le Parlement. Ainsi devait-on en arriver 
        au système, dit « des rattachements », défini 
        par le décret du 26 août 1881, dans lequel les services de 
        l'Algérie sont placés sous l'autorité directe des 
        Ministres, qui suivent de Paris, chacun en ce qui le concerne, les affaires 
        relevant de son département, transmettent des instructions au Gouverneur 
        Général, sollicitent ses avis et propositions et décident 
        ensuite eux-mêmes ou font prendre la décision par le chef 
        de l'État.
 
 --------Dans 
        cette conception, le Gouverneur Général n'est qu'un agent 
        des ministres, chargé par eux de provoquer les décisions 
        nécessaires et de les exécuter quand elles ont été 
        prises. Il n'a même pas le droit, en principe, de nommer et révoquer 
        le personnel des bureaux du Gouvernement général, lesquels 
        sont considérés comme des bureaux détachés 
        des différents ministères et dirigés par le Secrétaire 
        général du gouvernement; il donne seulement son avis et 
        fait des propositions sur les mutations et nominations. Il établit 
        le projet de budget concernant les services civils, le soumet au Conseil 
        supérieur du gouvernement, lequel, réorganisé et 
        élargi par le décret du 11 août 1875, comprenant, 
        désormais, outre les quatorze hauts fonctionnaires - quinze à 
        partir de 1883 - du Conseil de gouvernement, les trois préfets, 
        les trois généraux commandant les divisions et dix-huit 
        conseillers généraux, examine les propositions budgétaires, 
        l'assiette et la répartition des impôts. Les Ministres arrêtent 
        ensuite ces propositions. Les crédits ouverts à l'Algérie, 
        par la loi de finances, pour les dépenses 
        de l'exercice, sont répartis entre les budgets des différents 
        ministères qui en disposent dans les mêmes formes et conditions 
        et sous les mêmes responsabilités que pour le budget spécial; 
        ils forment une annexe du budget général de l'État. 
        Finalement, le Gouverneur Général n'a de pouvoirs autonomes 
        que ceux qui lui sont conférés par des lois spéciales 
        ou par les ministres, sur les objets déterminés par une 
        série de décrets portant la même date - 26 août 
        1881 - que le décret posant le principe des rattachements. Il pourra, 
        dans ces matières, prendre des décisions, mais à 
        charge d'en rendre compte aux ministres compétents, qui pourront, 
        eux-mêmes, les annuler ou les réformer selon les cas.
 
 --------Il 
        y a, dans chaque département, un conseil général 
        dont l'effectif sera porté, successivement, à 30 membres 
        citoyens français pour Alger et Constantine, et à 27 pour 
        Oran. L'organisation en est définie par le décret du 29 
        septembre 1875, qui reproduit les dispositions des lois métropolitaines 
        du 10 août 1871 et du 31 juillet 1875, sauf quelques modifications 
        dont les plus importantes sont la présence de six assesseurs musulmans 
        ayant voix délibérative, nommés par le Gouverneur 
        général, et la participation du général commandant 
        la division aux travaux du conseil général pour les affaires 
        concernant le territoire militaire.
 
 --------L'ancienne 
        division subsiste, en effet, du département en territoire civil 
        et territoire militaire. Mais le premier a considérablement gagné 
        au détriment du second. Étendu jusqu'aux limites du Tell 
        par le décret du 24 octobre 1870, il comprendra trois millions 
        d'hectares à partir de 1873 et cinq millions et demi en 1876. Comment 
        pourvoir à l'administration de ce nouveau territoire civil ? On 
        ne pouvait songer, faute d'une population française suffisante 
        pour constituer des conseils municipaux, 'ni à l'ériger 
        en communes de plein exercice, ni à le rattacher aux communes existantes, 
        dont les circonscriptions se seraient trouvées démesurément 
        agrandies. On chercha d'abord la solution de la difficulté dans 
        une combinaison provisoire des régimes civil et militaire, et on 
        ne la trouva que dans une suspension momentanée de l'application 
        du décret. Puis, Chanzy reprenant l'idée qui avait présidé, 
        sous le régime militaire, à la création du corps 
        des commissairescivils, s'en servit pour adapter au régime 
        civil la commune mixte du territoire militaire. Il y eut, désormais, 
        en territoire civil, deux catégories de communes :
 ----- la commune de 
        plein exercice, administrée par un maire et un conseil municipal 
        dont la composition est la même que dans la Métropole et 
        à laquelle on appliquera la loi du 5 avril 1884, sauf sur un petit 
        nombre de points définis par le décret du 7 avril 1884, 
        et qui concernent, notamment, la présence, au sein de l'assemblée, 
        de représentants indigènes élus au suffrage direct 
        par un collège restreint;
 ----- - et la commune mixte, dont l'organisation 
        est, en principe, celle fixée par l'arrêté du Gouverneur 
        général, en date du 20 mai 1868, pour le Territoire militaire, 
        mais qui est gérée par des fonctionnaires appelés 
        «administrateurs», assistés 
        d'une commission municipale où les centres européens compris 
        dans le périmètre communal sont représentés 
        par des adjoints et membres français élus par les citoyens 
        inscrits sur les listes électorales. Les administrateurs de commune 
        mixte hériteront de la plupart des attributions des officiers des 
        Bureaux arabes. La loi du 28 juin 1881 leur confiera même, pour 
        sept ans, la répression, par voie disciplinaire, des infractions 
        à l'indigénat et ces pouvoirs leur seront renouvelés 
        par des lois successives. Mais il faudra une quarantaine d'années 
        pour fondre les administrateurs et leurs adjoints dans un corps homogène, 
        ayant son esprit, ses méthodes, ses traditions et, finalement, 
        le prestige et l'autorité nécessaires pour en imposer aux 
        indigènes. On n'improvise pas une administration dont les cadres 
        comprendront, dés l'année 1880, 180 administrateurs, adjoints 
        et stagiaires. Son recrutement, principalement composé, au début, 
        d'officiers et de fonctionnaires des services civils de l'Algérie 
        connaissant l'arabe, ne perdra son caractère disparate qu'à 
        partir de 1897, avec l'institution du concours.
 --------Le territoire 
        militaire, devenu le territoire de commandement, a perdu dans le Tell 
        toute la superficie attribuée au territoire civil. Il reculera 
        encore devant la colonisation - on n'y comptera plus, dés 1876, 
        que 10.000 Européens - regagnant, en s'étendant vers le 
        Sud, ce qu'il abandonne dans le Nord. Il a conservé son ancienne 
        division en cercles, annexes et postes. La répartition municipale, 
        seulement, se trouve modifiée par la suppression des anciennes 
        communes subdivisionnaires, circonscriptions trop étendues que 
        l'arrêté du Gouverneur général, en date du 
        13 novembre 1874, découpe en communes, dites 
        « indigènes », formées des cercles 
        et annexes dotés de ressources suffisantes. 
  --------Le 
        système des rattachements, élaboré de 1870 à 
        1881, a fonctionné sans soulever de récriminations de 1881 
        à 1890; mais, à partir de ce moment, il a été 
        violemment attaqué devant le Parlement. Ses résultats ont 
        donné lieu à des critiques sévères, consignées 
        dans les rapports de Burdeau, en 1892, et de Jonnart, en 1893, sur le 
        budget, et ceux de Jules Ferry, de Combes, de Franck-Chauveau et de Labiche, 
        publiés, de 1892 à 1896, comme suite aux travaux de la commission 
        des XVIII.
 --------Ces 
        critiques empruntaient à la personnalité de leurs auteurs 
        une autorité trop considérable pour ne pas emporter la condamnation 
        du système. Le Sénat, d'abord, la Chambre des députés, 
        ensuite, invitèrent le gouvernement à rapporter les décrets 
        de rattachement et à réorganiser la haute administration 
        de l'Algérie dans le sens d'une augmentation des pouvoirs du gouverneur, 
        « décor coûteux », 
        disait Jules Ferry, « inspecteur de la 
        colonisation dans le palais d'un roi fainéant ». 
        Comme il arrive toujours, en pareil cas, l'opinion a généralisé 
        et étendu cette condamnation à l'uvre, elle-même, 
        de la France en Algérie, pendant la période qui va de 1870 
        à 1890. Sur elle se sont acharnés, tour à tour, les 
        partisans de la décentralisation algérienne et ceux de la 
        politique tunisienne de protectorat Le dénigrement a été 
        poussé si longtemps et si loin que le public métropolitain 
        et le Parlement conservent encore, malgré la prospérité 
        de la colonie et son développement prodigieux, un peu de prévention 
        et de méfiance à l'égard de la gestion des affaires 
        algériennes et que les ouvrages les plus sérieux et les 
        plus récents semblent hésiter à reconnaître 
        le fait, pourtant évident, que la situation actuelle de l'Algérie 
        découle directement des mesures édictées et des positions 
        prises pendant les vingt premières années du régime 
        civil. Ne serait-ce que par esprit de justice distributive, il faut, comme 
        nous l'avons fait précédemment pour le régime militaire, 
        réviser le procès de la politique d'assimilation et corriger 
        la sévérité, vraiment excessive, du jugement prononcé.
 --------L'appellation 
        de « politique d'assimilation » 
        désigne, à la fois, un but et une méthode. Le but 
        d'assimilation est, en lui-même, très concevable; il est 
        tout à fait conforme à l'idéal qu'on peut s'attendre 
        à trouver chez un peuple composé, comme le nôtre, 
        d'éléments empruntés à toutes les communautés 
        voisines et lentement fondus en une unité robuste au creuset du 
        sol de la France. Quant à la méthode, elle procède 
        de l'idée, évidemment erronée, que l'Algérie 
        est le prolongement de la France, qu'elle forme trois départements 
        français, et que la population algérienne peut être 
        gouvernée et administrée comme la population métropolitaine. 
        Mais il faut bien remarquer que l'erreur est limitée au milieu 
        indigène, qui représente une société séparée, 
        ayant sa mentalité et ses habitudes particulières, ses intérêts 
        moraux et matériels propres; et que les Européens sont, 
        au contraire, réunis en un groupement dans lequel se retrouvent 
        tous les caractères fondamentaux du peuple français. Cette 
        observation, exacte aujourd'hui encore, après l'évolution 
        qui s'est accomplie en Algérie, était particulièrement 
        topique, il y a un demi-siècle, alors qu'un grand effort de colonisation 
        venait de transporter sur le sol algérien une majorité d'immigrants 
        français et que colons et indigènes, ne se connaissant pas 
        ou se comprenant à peine, vivaient dans le souvenir de l'insurrection 
        de 1871. Elle permet de faire un équitable départ entre 
        les mérites et les faiblesses de l'uvre d'assimilation poursuivie 
        pendant une vingtaine d'années, en y distinguant ce qui a été 
        accompli dans l'intérêt du peuplement européen et 
        ce qui a été tenté en faveur des indigènes. --------Il faut 
        d'abord proclamer bien haut que la politique d'assimilation a pleinement 
        atteint son but de peuplement français de l'Algérie. Quelques 
        chiffres suffisent à donner la mesure de l'effort accompli et des 
        résultats obtenus : 200 villages créés et 30.000 
        colons établis entre 1871 et 1877; 400.000 hectares répartis 
        entre 264 périmètres de colonisation, de 1871 à 1881; 
        la population européenne passant de 245.000 individus, dont 130.000 
        Français et 115.000 étrangers, en 1871, à 376.000, 
        dont 195.000 Français et 181.000 étrangers, en 1881, et 
        à 536.000, dont 318.000 Français et 218.000 étrangers, 
        en 1896; la population rurale atteignant, à ces deux mêmes 
        dates, 146.000 individus, puis 200.000. Cet effort, principalement soutenu 
        par la colonisation officielle, a été complété 
        par des mesures comme la loi foncière du 26 juillet 1873, qui a 
        facilité l'acquisition des terres par les Européens, le 
        décret du 24 octobre 1870, qui a fait accéder, en bloc, 
        les indigènes israélites à la qualité de citoyens 
        français; et la loi du 26 juin 1889, qui a appliqué le jus 
        soli et la naturalisation automatique aux étrangers nés 
        en Algérie. Mesures trop radicales, sans doute, - on aurait pu, 
        en ménageant les paliers et les transitions nécessaires, 
        éviter la crise qui a profondément troublé l'atmosphère 
        politique algérienne, de 1893 à 1898; ce « 
        mal de l'Algérie » qu'ont été l'antisémitisme 
        et le « péril 
        étranger » - mais qui procédaient de vues 
        très justes et d'une intelligente prévision de l'avenir 
        du pays. Enfin, en encadrant ce milieu européen, de provenance 
        si diverse, d'une administration imitée de la Métropole, 
        la politique d'assimilation l'a plié à nos habitudes de 
        penser et d'agir et, finalement, a imprégné d'esprit français 
        cette masse, alors inconsistante. --------Elle a été 
        moins heureuse dans ses réformes indigènes. On peut, il 
        est vrai, lui reconnaître le mérite d'avoir organisé 
        la justice civile indigène par les décrets du 29 août 
        1874, pour la Kabylie, et du 17 avril 1889, pour le reste du territoire 
        civil. Mais elle n'est parvenue à rétablir les désordres 
        de l'insurrection qu'au prix de cette déviation de sa ligne de 
        conduite qu'a été L'institution de la commune mixte du territoire 
        civil; elle est tombée dans le ridicule en appliquant un moment, 
        sans adaptation préalable, la loi du 30 octobre 1886, sur l'instruction 
        primaire, et ses programmes métropolitains du certificat d'études, 
        y compris les dynasties mérovingiennes, l'accord des participes 
        et les énigmes arithmétiques; elle s'est encore trompée, 
        enfin, avec les lois du 26 juillet 1873 et du 28 avril 1887, en poursuivant 
        sur plus de deux millions d'hectares des opérations qui ont soumis 
        prématurément la propriété foncière 
        indigène à la loi française et favorisé des 
        spéculations et des spoliations. Ces derniers faits, portés 
        à la tribune du Parlement et divulgués par la presse, ont 
        soulevé en France une véritable indignation et amené 
        l'échec du grand projet, dit des « cinquante millions », 
        par lequel le Gouvernement proposait de créer 300 nouveaux centres 
        de colonisation et d'établir 15.000 familles françaises, 
        soit 60.000 à 70.000 personnes.
 --------Le 
        mal accompli n'était, certes, pas tellement étendu qu'il 
        n'ait pu être rapidement enrayé par des dispositions comme 
        la loi du 16 février 1897, sur la propriété foncière, 
        et le décret du 18 octobre 1892, sur l'instruction primaire. Ses 
        effets, déplorables mais beaucoup plus limités qu'on ne 
        l'a cru en France, dans le premier mouvement d'une généreuse 
        émotion, ont même été réparés 
        dans une certaine mesure par les salaires dont le développement 
        de la colonisation a rémunéré la main-d'uvre 
        indigène. De grands travaux publics ont été, en effet, 
        exécutés; par exemple, le programme de construction de voies 
        ferrées, tracé par la loi du 18 juillet 1889 qui a porté 
        le réseau algérien, de 1.600 km, en 1881, à 3.000 
        kilomètres environ, en 1892, Et c'est pendant la même période 
        qu'a été plantée la moitié - soit 100.000 
        hectares - du vignoble algérien actuel. La vigne, cet arbre-roi 
        qui assujettit à sa culture le colon et l'indigène, deviendra, 
        désormais, aussi indispensable à ce dernier que le blé, 
        cette herbe sacrée!
 Mais la France était lasse de l'effort qu'elle fournissait depuis 
        vingt ans. Pour reconquérir l'Algérie insurgée elle 
        avait, au lendemain même de la défaite, mobilisé 85.000 
        hommes; elle s'était imposé ensuite d'onéreux sacrifices 
        pour l'organiser. Le Français - c'est chose bien connue - est généreux 
        de son sang et économe de son argent. Or, les résultats 
        de la colonisation algérienne paraissaient faibles, au contraste 
        de la Tunisie, si facilement soumise, organisée avec les seules 
        ressources du pays et dont l'essor remarquable autorisait les plus beaux 
        espoirs d'avenir.
 
 --------En 
        Algérie même, le grand mouvement d'immigration avait fait 
        surgir un peuple jeune, vigoureux, sur lequel le régime des rattachements 
        pesait maintenant comme un malaise, décourageant son activité 
        par la centralisation à Paris des affaires, leur dispersion dans 
        les ministères et la lenteur apportée à leur solution 
        par des fonctionnaires irresponsables et ignorants des choses algériennes. 
        Le développement de la Colonie demandait l'exécution d'un 
        programme de travaux d'intérêt général. Comment 
        pourvoir à la création des ressources nécessaires, 
        en l'état d'une Algérie qui, formée de trois unités 
        administratives - les départements -- n'avait pas, elle-même, 
        la personnalité civile, un patrimoine, un budget? Les Algériens, 
        fatigués d'une tutelle trop étroite, réclamaient 
        des libertés, une autonomie.
 --------Ce malaise 
        général des esprits, nul, peut-être, n'en a mieux 
        compris les causes et aperçu les remèdes que Jules Cambon, 
        gouverneur général, d'avril 1891 à septembre 1897. 
        Administrateur de carrière, entré dans les services du Gouvernement 
        général en 1874, préfet de Constantine en 1878, délégué 
        du Gouverneur général à la commission extraparlementaire 
        qui étudia, en 1881, les modifications à apporter à 
        l'organisation de la Colonie, il était bien préparé 
        à la mission qu'on lui confiait. Il brisa l'oligarchie des hommes 
        politiques qui dominaient l'administration algérienne et avaient 
        contribué à user le prestige du précédent 
        gouverneur. Il exerça une influence pondératrice sur les 
        partis. II prit la défense des indigènes non représentés 
        au Parlement, s'efforçant de tenir égale la balance entre 
        leurs intérêts et ceux des Européens. Sa clairvoyance 
        lui montra que la tranquillité de l'Algérie dépendait 
        de l'occupation des oasis sahariennes et, s'il ne 
        réussit pas à faire partager cette opinion par le Gouvernement 
        métropolitain, du moins prépara-t-il l'uvre d'expansion 
        algérienne qui devait, pendant la période suivante, s'effectuer 
        dans le Sahara et sur les confins marocains. Enfin, prenant part, à 
        la Chambre, comme commissaire du Gouvernement, à toutes les discussions 
        auxquelles donnait lieu la réorganisation de l'Algérie; 
        s'élevant avec vigueur contre le système des rattachements 
        dont il éprouvait vivement les inconvénients; préconisant, 
        dés 1891, devant la Commission d'enquête sénatoriale, 
        une réforme consistant à doter l'Algérie d'un budget 
        spécial, soumis aux délibérations du Conseil supérieur, 
        allégé de toutes les dépenses, de souveraineté 
        qui appuient l'action politique de la France, et réduit à 
        des prévisions d'intérêt purement local, telles que: 
        agriculture, colonisation, travaux publics; Jules Cambon a été 
        un des promoteurs du mouvement de décentralisation algérienne.
 --------Après 
        avoir longtemps hésité, dans la crainte que les réclamations 
        algériennes ne fussent le prélude de tentatives d'indépendance, 
        le Gouvernement prit le décret du 31 décembre 1896, qui 
        mettait fin au régime des rattachements et réorganisait 
        la haute administration de l'Algérie dans le sens d'une décentralisation.
 
 --------La 
        méthode d'assimilation avait fait son temps. Elle disparaissait, 
        comme la méthode militaire, pour des raisons tenant, bien plus, 
        à ses qualités et à ses succès qu'à 
        ses faiblesses et à ses échecs. Elle avait été 
        indispensable, croyons-nous, à la formation du milieu néo-français. 
        Une décentralisation administrative octroyée beaucoup plus 
        tôt, un peuplement français moins abondant, une naturalisation 
        moins massive, auraient certainement aggravé ce « péril 
        étranger » dont la crainte a hanté la France à 
        la fin du siècle dernier.
 
 --------Mais 
        son action profonde avait préparé un nouvel état 
        de choses, qui exigeait l'avènement d'une autre méthode. 
        La décentralisation administrative de l'Algérie a été 
        opérée en trois étapes.
 
 --------Tout 
        d'abord, un décret du 23 août 1898, abrogeant et remplaçant 
        les dispositions provisoires de celui du 31 décembre 1896, a défini, 
        à nouveau, les pouvoirs du Gouverneur général; un 
        deuxième décret, puis un troisième, pris le même 
        jour, ont institué l'assemblée des Délégations 
        Financières et réorganisé le Conseil supérieur 
        du Gouvernement. La loi du 19 décembre 1900 a remanié l'ensemble 
        ainsi formé, en dotant l'Algérie de la personnalité 
        civile et d'un budget spécial. Enfin, la 
        loi du 24 décembre 1902 a aménagé une circonscription 
        administrative distincte de l'Algérie : les Territoires du Sud.
 
 --------Le 
        nouveau régime s'inspire de l'idée que l'Algérie 
        n'est pas un simple prolongement de la France continentale; qu'au contraire 
        sa situation géographique, sa formation ethnique et son développement 
        économique lui donnent une physionomie propre; qu'il faut, d'autre 
        part, distinguer dé l'Algérie proprement dite, formée 
        du Tell et des Hauts Plateaux, le Sahara algérien, territoire immense, 
        désertique et impropre au développement d'un peuplement 
        européen. On fera, en conséquence, application à 
        l'Algérie de la mesure prise pour les autres possessions extérieures 
        de la France par la loi du 13 avril 1900, qui institue des budgets coloniaux 
        distincts de celui de l'État et fonctionnant avec des ressources 
        propres: Mais sa situation particulière, son importance exceptionnelle, 
        le caractère de ses institutions, bien différentes de celles 
        des colonies, comportent la nécessité d'une législation 
        budgétaire spéciale. On la distinguera, en outre, des Territoires 
        du Sud, qui forment une unité administrative séparée 
        ayant, elle aussi, la personnalité civile. Enfin, les libertés 
        octroyées seront soigneusement limitées. Il ne s'agit d'accorder 
        à l'Algérie, ni une autonomie, ni même une autonomie 
        financière. La gestion des intérêts, si elle est décentralisée, 
        demeure subordonnée aux pouvoirs publics français, dont 
        rien n'affaiblit l'initiative et le contrôle; l'unité politique 
        subsiste, la souveraineté française est intacte.
 --------Les mesures 
        prises dans cette perspective se ramènent à une augmentation 
        des pouvoirs du Gouverneur général; à l'institution 
        d'une assemblée élective : les Délégations 
        Financières; à l'élargissement du Conseil supérieur 
        du gouvernement et à l'organisation des Territoires du Sud. Elles 
        sont, pour la plupart, l'uvre de Laferrière, vice-président 
        du Conseil d'État, gouverneur général d'août 
        1898 à octobre 1900, qui, avec une véritable maîtrise 
        juridique et une expérience administrative consommée, sut 
        agencer le mécanisme compliqué, nécessaire à 
        leur application. Elles allaient fournir à l'Algérie un 
        aliment d'activité suffisant pour la détourner des agitations 
        consécutives aux troubles antisémites. 
   |  | --------Le 
        Gouvernement général de l'Algérie 
        devient une très importante institution.--------Nommé 
        par décret rendu en Conseil des Ministres, sur 
        là proposition du Ministre de l'Intérieur, c'est-à-dire, 
        suivant une procédure solennelle qui met en jeu la responsabilité 
        du cabinet tout entier, le Gouverneur général est un des 
        plus hauts fonctionnaires de la République. Sa fonction est entourée 
        d'un grand prestige; représentant du gouvernement français, 
        il a la préséance sur tous autres en Algérie. 
        Des honneurs y sont attachés; ceux auxquels a droit un général 
        commandant une ou plusieurs armées. Elle comporte encore l'avantage 
        d'un traitement élevé, 
        la libre disposition du crédit des fonds secrets, et la 
        jouissance de deux palais. Aussi sera-t-elle briguée par 
        les plus hautes personnalités de la politique et de l'administration. 
        Pour en charger des parlementaires, on tournera, jusqu'à ces derniers 
        temps, la règle constitutionnelle qui prohibe le cumul du mandat 
        avec une fonction rétribuée, - en leur confiant des missions 
        renouvelables de semestre en semestre.
 --------Les attributions 
        du Gouverneur général sont multiples. Elles débordent 
        largement les dispositions des décrets de 1898 et des lois de 1900 
        et 1902. Il faut aller les chercher jusque dans les décrets du 
        31 décembre 1896 et du 10 décembre 1860. On les trouve encore, 
        dispersées, dans quantité de textes de lois et de décrets 
        spéciaux. Dans l'ensemble, elles résultent d'une double 
        mission de représenter le gouvernement de la République 
        française et l'Algérie, personne civile. Agent régional 
        du gouvernement, le Gouverneur général veille au maintien 
        de l'unité politique française et aux grands intérêts 
        nationaux; il prend, à ce titre, toutes les mesures exceptionnelles 
        et urgentes que comporte l'exercice du droit de souveraineté. Agent 
        d'une administration locale décentralisée, il est chargé 
        de la gestion des intérêts généraux de l'Algérie, 
        fait les affaires courantes du public algérien, exerce la tutelle 
        administrative des départements et des communes. Comme tous les 
        représentants du pouvoir exécutif, il amalgame, d'ailleurs, 
        en un mélange intime, la fonction de gouvernement et la fonction 
        d'administration. Ses arrêtés réglementent des matières 
        qui, en France, feraient l'objet de décrets ou d'arrêtés 
        ministériels. Certaines de ses décisions supposent des pouvoirs 
        présidentiels; d'autres, en plus grand nombre, ceux d'un ministre. 
        Par exemple : il nomme les officiers ministériels, crée 
        les communes mixtes; il peut dissoudre l'assemblée des Délégations 
        Financières, déclarer l'état de siège en cas 
        d'interruption des communications entre l'Algérie et la Métropole, 
        disposer, en temps de paix comme en temps de guerre, pour la sûreté 
        et la défense du territoire, de l'armée de 
        terre et de mer, c'est-à-dire, décider s'il y a, ou non, 
        lieu de l'employer, sauf à en laisser la conduite aux commandants 
        placés sous sa haute autorité; il exerce sur les étrangers 
        et les indigènes musulmans les pouvoirs de haute police définis 
        par la loi du 3 décembre 1849; il correspond directement avec les 
        Résidents généraux de France en Tunisie et au Maroc 
        et notre Consul général de Tripoli. Pour opérer le 
        classement de ces attributions si diverses. Il faut distinguer celles 
        qui intéressent la gestion des services administratifs et financiers 
        de l'Algérie et celles qui concernent la participation du Gouverneur 
        général aux fonctions législative et judiciaire.
 --------Le 
        Gouverneur général est, tout d'abord, 
        un grand administrateur. Il représente l'Algérie, 
        personne civile, este en son nom en justice, signe pour elle de nombreux 
        actes tels que : marchés, ventes du domaine privé. Il dirige, 
        en principe, tous les services algériens. Échappent 
        seuls à sa direction : l'Armée, la Marine, les services 
        non musulmans de la justice et de l'Instruction publique et les services 
        de la Trésorerie. Les chefs militaires et maritimes relèvent 
        de leurs départements, pour toutes autres questions que la sécurité 
        et la défense du territoire, comme les autres commandants de corps 
        d'armée et de forces de mer. Les services civils, dits « 
        rattachés », doivent seulement tenir le chef de la Colonie 
        au courant de la marche des affaires, en lui communiquant leurs rapports, 
        instructions et circulaires, en lui rendant compte des événements 
        pouvant intéresser la police, et le consulter sur les modifications 
        apportées à leur organisation. Tous les autres services, 
        dits « particuliers à l'Algérie », sont placés 
        directement sous son autorité. Il pourvoit seul, dans la limite 
        des crédits budgétaires, à la création des 
        emplois, à leur suppression, à leur groupement, à 
        leur répartition; à la nomination et à la révocation 
        des fonctionnaires. Il élabore les règlements qui définissent 
        le statut des fonctionnaires algériens et ceux qui organisent leurs 
        bureaux. Le gouvernement général est agencé comme 
        une administration centrale de ministère, avec des directions et 
        des services et une hiérarchie de directeurs, sous-directeurs, 
        chefs et sous-chefs de, bureaux, rédacteurs, commis et dactylographes, 
        à la tête de laquelle se trouve placé un Secrétaire 
        général du gouvernement, nommé par décret, 
        vice-gouverneur et grand chef des bureaux, qui coordonne le travail et 
        traite toutes les affaires avec le Gouverneur général. La 
        réunion des directeurs, hauts fonctionnaires et conseillers rapporteurs 
        constitue le Conseil de gouvernement, comité consultatif d'une 
        vingtaine de membres, dont l'avis doit être requis dans un assez 
        grand nombre de matières, mais sans jamais être obligatoire.
 
 --------Une 
        gestion administrative aussi étendue exige naturellement de 
        grands pouvoirs financiers. Le Gouverneur général 
        prépare le budget, le présente, après l'avoir soumis 
        à l'agrément des ministres, à l'examen et au vote 
        des assemblées algériennes. Il ouvre les sessions par des 
        discours-programmes qui revêtent toujours une grande importance. 
        Il intervient en personne ou par l'organe de ses commissaires, dans la 
        discussion des propositions budgétaires. Il jouit, enfin, d'une 
        certaine initiative dans l'exécution du budget, grâce à 
        une application, moins rigoureuse en Algérie qu'en France, de la 
        règle de la spécialisation des crédits. Le détail 
        des articles n'est, en effet, soumis aux assemblées que pour faciliter 
        l'examen des commissions et éclairer le vote; et les crédits 
        sont mis par chapitres à la disposition du Gouverneur qui peut, 
        en conséquence, modifier leur emploi dans la limite de leur chiffre 
        total, pour l'exercice budgétaire en cours, seulement.
 --------Le Gouverneur 
        général est un administrateur qui participe dans une mesure 
        appréciable à l'exercice de la fonction législative. 
        En dehors du pouvoir réglementaire proprement dit, qui lui est 
        délégué dans un très grand nombre de matières, 
        il reçoit fréquemment, de décrets, et, parfois, de 
        lois, la mission de régler le détail de leur exécution 
        par des arrêtés qui, pris en Conseil de gouvernement, se 
        comportent, à l'égard des règlements législatifs 
        édictés pour l'Algérie, comme les règlements 
        d'administration publique à l'égard des lois. II arrive 
        même que les arrêtés du Gouverneur général 
        revêtent le caractère de véritables textes législatifs; 
        ainsi en est-il quand le chef de l'État lui a délégué, 
        dans une matière spéciale, son pouvoir de législateur 
        algérien. Cette pratique, très ancienne, perdue de vue sous 
        le régime des rattachements, mais dont on peut noter un regain 
        d'activité au cours des dernières années, s'est imposée 
        pour une raison identique à celle qui a rendu nécessaire, 
        dès l'origine, une délégation, par le Parlement au 
        Chef de l'État, du pouvoir de légiférer par décret 
        pour l'Algérie. L'arrêté-loi, comme le décret-loi, 
        marque un renoncement du législateur devant la complexité 
        de l'uvre à accomplir, et exprime l'obligation dans laquelle 
        il se trouve de se décharger d'une partie de son fardeau. --------Enfin, le 
        Gouverneur général est juge répressif, 
        avec le pouvoir de prononcer, dans de nombreux cas, des peines comme 
        l'internement, la mise en surveillance, le séquestre, l'amende 
        collective. Juge civil, il tranche, en premier ressort et sauf recours 
        devant le Conseil d'État, les litiges qui intéressent la 
        propriété collective dite « 
        arch » ou « sabega ».
 --------En 
        vérité ce sont des « pouvoirs 
        forts » que le Gouverneur général a reçus 
        du nouveau régime; d'autant plus forts que, subordonné aux 
        Ministres, il n'est pas responsable de ses actes devant le Parlement. 
        Il est vrai qu'il rend compte au Ministre de l'Intérieur, immédiatement 
        ou dans un rapport qu'il lui adresse chaque mois, de toutes les mesures 
        prises; et qu'il rédige, chaque année, un rapport qui est 
        communiqué aux Chambres; mais il s'agit là d'un simple contrôle. 
        Il est vrai, encore, que le Ministre peut toujours provoquer un décret 
        mettant fin à sa mission en lui désignant un remplaçant; 
        car le Gouverneur général est un fonctionnaire auquel l'État 
        ne garantit point la durée de ses fonctions. Mais, dans la réalité 
        des choses, après l'avoir choisi pour ce que l'on sait de ses aptitudes, 
        de ses opinions et de ses tendances, on lui laisse toute liberté 
        d'agir, tant que sa politique demeure dans la ligne générale 
        de celle du Ministère et que ses convenances personnelles, ou celles 
        du gouvernement, ne rendent pas désirable la nomination d'un successeur. 
        Le seul contrepoids de son autorité réside, finalement, 
        dans l'obligation générale de respecter la légalité, 
        fût-elle définie par ses propres règlements, à 
        peine de recours devant le Conseil d'État, en annulation de ses 
        décisions, et dans la force de résistance qu'opposent au 
        pouvoir de réforme des institutions stabilisées. L'action 
        du Gouverneur n'est possible que dans l'ambiance d'un consentement général 
        donné à sa politique par l'opinion publique algérienne.
 
 --------Les 
        assemblées algériennes - Conseil Supérieur et 
        Délégations Financières - ont été, 
        d'abord, de simples comités consultatifs, le premier réorganisé, 
        le deuxième créé en 1898, institués afin d'apporter 
        au Gouverneur général le concours d'opinions libres, d'avis 
        éclairés et de vux réfléchis émis 
        par des représentants qualifiés de la population. La loi 
        du 19 décembre 1900 les a associés à l'uvre 
        d'administration, en les appelant à participer à l'élaboration 
        du budget. Ce sont des assemblées délibérantes à 
        attributions bien définies, d'ordre exclusivement financier et 
        économique, et soigneusement limitées, sans pouvoir de décision 
        propre, n'ayant donc rien de commun avec des assemblées souveraines. 
        Le Gouverneur général est, au surplus, armé de pouvoirs 
        très énergiques : droit d'annulation des décisions 
        irrégulières et même de dissolution - pour les obliger 
        â demeurer dans le rôle qui leur est assigné et les 
        empêcher de s'ériger en un parlement local.
 --------Le 
        Conseil Supérieur de Gouvernement est le 
        Conseil de Gouvernement élargi par l'adjonction de membres qui, 
        pour la plus grande partie, sont élus, de telle sorte que la majorité 
        y appartient à l'élément électif. Il se compose 
        de 22 membres de droit - hauts fonctionnaires chefs de services; - de 
        16 délégués financiers, dont 4 indigènes, 
        choisis par les Délégations elles-mêmes; de 15 conseillers 
        généraux dont 5 élus par chacune des assemblées 
        départementales; et de 3 notables indigènes et 4 fonctionnaires 
        désignés par le Gouverneur général; au total 
        60 membres.
 
 --------Les 
        Délégations Financières, assemblée 
        purement élective, sont un essai de représentation sur la 
        base des intérêts et non du nombre. A cet effet, les contribuables 
        algériens sont partagés en trois grands groupes que l'on 
        considère comme ayant, à la fois, des intérêts 
        distincts et des intérêts communs. Ce sont : d'abord, le 
        groupe des colons, représentant les intérêts de la 
        terre et les différentes formes de la richesse agricole; ensuite, 
        le groupe des noncolons, formé du reste des contribuables 
        européens qui représentent, pour l'immense majorité, 
        les intérêts des villes et les divers aspects de la richesse 
        urbaine; enfin, le groupe des indigènes, qui se distingue des deux 
        autres par la race, les murs, l'organisation de la famille et de 
        la propriété foncière, et à l'intérieur 
        duquel on distinguera, pour tenir compte de certaines particularités 
        des coutumes, les deux sous-groupes arabe et kabyle.
 
 --------Le 
        groupe des colons et celui des non-colons désignent, 
        chacun, 24 délégués pris parmi les électeurs. 
        L'élection a lieu, au sein de chaque collège, dans des circonscriptions 
        découpées sur le territoire par le Gouverneur général. 
        Le scrutin est individuel; le suffrage direct et restreint. Pour être 
        électeur, il faut réunir trois conditions répondant 
        à l'exigence d'une maturité d'esprit suffisante, d'une certaine 
        expérience des choses algériennes et d'une possession prolongée 
        de la nationalité française; soit : vingt-cinq ans; trois 
        années de résidence en Algérie; être Français 
        depuis douze ans au moins. Pour les non-colons, la qualité de contribuable 
        exige encore l'inscription au rôle des contributions directes ou 
        des taxes assimilées.
 
 --------Le 
        groupe des contribuables indigènes est représenté 
        par vingt et un délégués, dont six kabyles. La désignation 
        en a, d'abord, été faite par le Gouverneur général, 
        en territoire, de commandement; par les membres indigènes des conseils 
        municipaux et commissions municipales, en territoire civil; et par les 
        chefs des groupes de familles appelés " kharoûbâ 
        " en Kabylie. Depuis la loi du 4 février 1919 et la disparition, 
        au 1er janvier 1923, du territoire de commandement, tous les indigènes 
        de l'Algérie sont formés en un collège électoral 
        qui réunit les individus de sexe masculin, âgés de 
        vingt-cinq ans, ayant deux années de résidence dans la même 
        commune et se trouvant dans l'une quelconque des situations énumérées 
        par l'article 10 du décret du 6 février 1919 et qui peuvent 
        être groupées sous les rubriques suivantes : ancien soldat, 
        agriculteur, commerçant, fonctionnaire, lettré, titulaire 
        de certaines distinctions honorifiques. L'élection a lieu au scrutin 
        individuel dans les circonscriptions tracées par le Gouverneur 
        général. Le suffrage est direct dans les communes de plein 
        exercice; il est à deux degrés dans les communes mixtes, 
        où ce sont les membres des commissions municipales et des djamâ'â 
        de douar qui choisissent les délégués financiers 
        parmi les électeurs inscrits sur la liste de la circonscription 
        à représenter.
 
 --------Les 
        deux assemblées émettent des avis et formulent des vux 
        sur toutes les questions financières et économiques. Elles 
        délibèrent sur les projets d'emprunts et de concessions 
        de chemin de fer et autres travaux publics. Elles participent, enfin, 
        à l'élaboration du budget, mais dans une mesure inégale; 
        les Délégations Financières y jouent le rôle 
        prépondérant; le Conseil Supérieur n'a qu'un droit 
        de révision et de veto, sans initiative propre.
 
 --------La 
        délibération et le vote du budget par les assemblées 
        algériennes sont le moment le plus important d'une procédure 
        compliquée qui fait intervenir, successivement, le Gouverneur général, 
        les Ministres, les Délégations Financières, le Conseil 
        supérieur de gouvernement, le Chef de l'État, le Conseil 
        d'État et le Parlement. Le Gouverneur général prépare 
        les propositions et les soumet à l'agrément des Ministres; 
        les assemblées algériennes les discutent et votent; le Président 
        de la République homologue certaines décisions prises et 
        règle le budget voté; le Conseil d'État donne un 
        visa, selon le principe de la tutelle administrative ; le Parlement, enfin, 
        seul qualifié, suivant une pratique constitutionnelle constante, 
        pour consentir définitivement l'impôt, en autorise la perception 
        par une loi de finances spéciale et exerce, en même temps, 
        1e droit de regard et de contrôle que lui confère sa qualité 
        de représentant du suffrage universel. L'État français 
        est, d'ailleurs, un important contribuable algérien, puisqu'il 
        assume la charge de dépenses telles que l'entretien des forces 
        de terre et de mer et des subventions aux chemins de fer.
 
 --------Les 
        Délégations financières travaillant, d'abord, séparément 
        ou en commissions interdélégataires, puis, réunies 
        en assemblée plénière, examinent et discutent les 
        propositions de l'Administration. En matière de recettes elles 
        peuvent créer et supprimer les impôts, en modifier l'assiette, 
        le tarif, le mode de perception. Ces décisions sont homologuées 
        ensuite, par des décrets pris après avis du Conseil d'État. 
        En matière de dépenses, leur initiative est soumise à 
        deux limitations : d'une part, on applique au budget algérien, 
        comme à tous les budgets locaux - départementaux, communaux 
        ou coloniaux - qui doivent subvenir à des dépenses d'intérêt 
        général intéressant le fonctionnement des services 
        publics nécessaires au maintien de la souveraineté française, 
        la distinction des dépenses obligatoires et facultatives; le Gouverneur 
        général pourrait requérir du Conseil Supérieur 
        l'inscription des crédits de la première catégorie, 
        que les Délégations Financières auraient omis ou 
        diminués; les Ministres pourraient opérer d'office ce rétablissement, 
        s'il avait été refusé, - d'autre part, l'initiative 
        des propositions, en ce qui concerne les dépenses du personnel, 
        est réservée au Gouverneur général.
 
 --------Le 
        Conseil Supérieur de gouvernement a le droit de réduire 
        les crédits votés par les Délégations Financières. 
        Il ne peut qu'adopter ou rejeter en bloc les décisions prises en 
        matière de recettes.
 
 --------La 
        création des Territoires du Sud répond 
        à la préoccupation du gouvernement français, d'administrer 
        aux moindres frais le Sahara algérien, circonscription immense 
        et désertique, dix fois plus grande que l'Algérie et dix 
        fois moins peuplée, avec deux millions de kilomètres carrés 
        et un demi million, seulement, d'habitants, et dont l'occupation ne se 
        justifie que par la nécessité d'empêcher des agitations 
        et des désordres contagieux pour le pays voisin. Ces deux idées 
        de sécurité et d'économie commandent toute l'organisation 
        de la nouvelle unité administrative, telle qu'elle résulte 
        de la loi du 24 décembre 1902 et des décrets du 30 décembre 
        1903 et du 14 août 1905. 
  --------C'est 
        une formation militaire. Les territoires d'Aïn-Sefra, des Oasis, 
        de Ghardaïa et de Touggourt représentent, chacun, une marche 
        commandée par un officier général ou supérieur, 
        nommé par décret sur la présentation du Gouverneur 
        général et la proposition des Ministres de l'Intérieur 
        et de la Guerre. Ce commandant a sous ses ordres les forces militaires 
        et les bureaux des affaires indigènes, avec l'ancienne hiérarchie 
        des Bureaux arabes et la division en cercles, annexes et postes, dans 
        laquelle s'insère la répartition en communes mixtes et indigènes. 
        Comme chef militaire il a les pouvoirs d'un commandant de subdivision; 
        comme administrateur, ceux d'un sous-préfet auquel le préfet 
        aurait consenti de très larges délégations.
 --------Les 
        territoires sont, en effet, groupés en une unité administrative 
        ayant une personnalité civile distincte, un patrimoine propre et 
        un budget particulier; placée sous la haute autorité du 
        Gouverneur général de l'Algérie, qui l'administre 
        sans partage d'attributions avec les assemblées algériennes 
        et exerce, en outre, les pouvoirs préfectoraux qu'il n'a pas délégués 
        aux commandants des territoires. Le budget civil est alimenté par 
        les ressources locales. Les dépenses militaires, prises en charge 
        par la France, n'y figurent que pour mémoire. Un certain nombre 
        de services publics, comme les Travaux publics, l'Enseignement, les Postes, 
        Télégraphes et Téléphones, les Douanes, sont 
        assurés par les Directions algériennes et donnent lieu à 
        des règlements par contribution avec le budget de l'Algérie. 
        D'une manière générale, le voisinage des deux circonscriptions 
        entraîne, d'ailleurs, un chevauchement des institutions. Les services 
        spéciaux sont groupés à Alger dans une direction, 
        et un conseiller de gouvernement est chargé de leur inspection. 
        Pour le surplus, la réglementation est la même, et la législation 
        applicable à l'Algérie l'est également, en principe, 
        aux Territoires du Sud.
 
 --------Dans l'esprit 
        du législateur, l'organisation, ainsi réalisée de 
        1896 à 1902, était une formation provisoire; or, après 
        plusieurs lustres, elle demeure à peu près intacte. Il faut 
        noter, seulement : la lente disparition du territoire de commandement, 
        consommée depuis le 1er janvier 1923 la progression correspondante 
        du territoire civil, aujourd'hui réparti entre 296 communes de 
        plein exercice, représentant plus de 2 millions et demi d'hectares 
        et de deux millions d'habitants; et 78 communes mixtes, avec 18 millions 
        d'hectares et près de trois millions et demi d'habitants; la décentralisation 
        de la justice par la création des tribunaux répressifs indigènes 
        et des cours criminelles; et la loi du 4 février 1919, qui a considérablement 
        accru les droits civils et politiques des indigènes et porté 
        leur collège électoral à 420.000 électeurs.
 --------L'Algérie 
        est certainement redevable au nouveau régime, d'un développement 
        de sa richesse qui, ralenti par la guerre, a pris, au cours des dix dernières 
        années, un remarquable essor. La population totale est passée, 
        de moins de 4 millions, en 1886, à plus de 6 millions, en 1926. 
        Les Européens étaient 538.907 en 18%; 680.263 en 1906; 752.043 
        en 1911 ; 791.433 en 1921 et 833.359 en 1926. Ils possèdent 2.400.000 
        hectares. dont 223.000 sont plantés en vigne. Les agriculteurs 
        indigènes cultivent deux millions et demi d'hectares et en détiennent 
        9 millions; ils emploient plus de 50.000 charrues françaises et 
        habitent 70.000 maisons bâties à l'européenne. La 
        colonisation leur payait déjà, avant la guerre, plus de 
        cent millions de salaires. Le budget de l'Algérie, qui s'équilibrait, 
        en recettes et en dépenses, par 55 millions, en 1901, et par 175 
        millions, en 1910, a atteint 1.320 millions, en 1929, dont 865 pour le 
        budget ordinaire, 455 pour le budget extraordinaire et 150 pour le budget 
        spécial des Postes, Télégraphes et Téléphones.
 --------Deux gouverneurs 
        : Lutaud et Jonnart, ont leur nom marqué 
        sur cette page d'histoire algérienne. --------Lutaud 
        avait montré, comme préfet d'Alger, 
        en 1898, beaucoup d'énergie et de décision; il avait rétabli 
        l'ordre dans les rues et ramené les esprits au respect de l'autorité. 
        C'était un esprit précis et cultivé, un homme du 
        monde qui dissimulait sous une sévérité apparente 
        un grand fond de bonté et de sensibilité. Sa désignation 
        comme gouverneur, en mars 1911, avait été bien accueillie; 
        ses débuts devant les Assemblées algériennes s'annonçaient 
        favorables. Il aurait mis au service de l'Algérie de brillantes 
        qualités d'administrateur si la guerre n'était venue limiter 
        son activité au recrutement indigène et au ravitaillement 
        de la métropole. Dans ces circonstances difficiles, il sut conserver 
        à la France la confiance de ses sujets. Il fit appel à leur 
        loyauté; il leur rappela les liens de fraternité noués 
        sur les champs de bataille; il leur montra leurs destinées étroitement 
        unies aux nôtres et, finalement, réussit à leur communiquer 
        sa foi robuste dans la victoire.. Lorsque l'insurrection éclata 
        dans l'Aurès, en novembre 1916, il se rendit aussitôt dans 
        le pays, le parcourut presque sans escorte, dédaignant 
        les dangers auxquels il s'exposait, prit contact, avec les insurgés, 
        leur parla, les raisonna, les apaisa et, pour pacifier définitivement 
        le massif montagneux, ouvrit des routes et des écoles, créa 
        des services automobiles. Un parlementaire algérien a pu dire de 
        lui, à ses obsèques : " La collaboration intime de 
        l'élément indigène au triomphe de notre cause a été 
        son uvre essentielle. " Ses idées sur la réforme 
        électorale indigène étant en désaccord avec 
        les projets du gouvernement de la métropole, il quitta le pouvoir 
        en janvier 1918. --------Jonnart, 
        qu'il avait remplacé et qui lui succéda, revenait en Algérie 
        comme Gouverneur pour la troisième fois. Nommé d'abord en 
        octobre 1900, il avait été obligé de rentrer en France 
        au bout de quelques mois, pour des raisons d'ordre familial. Désigné 
        de nouveau, en mai 1903, il avait conservé le pouvoir jusqu'en 
        1911. Il le reprit pour dix-huit mois encore, le temps, seulement, d'organiser, 
        dans le milieu indigène, les institutions politiques nouvelles 
        qu'exigeait l'évolution de l'esprit public, consécutive 
        aux grands remous de la guerre. C'est un de nos plus grands administrateurs. 
        Directeur pendant trois ans du cabinet de Tirman, rapporteur du budget 
        de l'Algérie, en 1893, avec un rapport qui a souvent servi de modèle, 
        il connaissait à fond toutes les questions algériennes. 
        Comprenant le pays, l'aimant de tout son cur, il le servit de toute 
        son âme. Parlementaire influent, habile et souple, autoritaire à 
        l'occasion, il y a accompli une oeuvre laborieuse et intelligente. Son 
        action puissante s'est partout exercée; à l'extérieur 
        comme à l'intérieur : dans la pénétration 
        saharienne et sur les confins algéro-marocains ; sur les assemblées 
        algériennes qu'il dominait de haut et qui, sous sa direction, acquirent 
        du prestige et prirent du relief; dans le développement de la colonisation 
        et l'exécution' des programmes de travaux publics. Il a montré 
        une sollicitude particulière pour les indigènes, s'efforçant 
        d'améliorer leur condition matérielle et morale par l'assistance, 
        l'hygiène et l'instruction publique. Son souvenir demeurera attaché 
        à l'évolution de notre politique indigène dans un 
        sens très libéral et à la réforme, opérée 
        en 1919, dans le statut de nos sujets algériens.                    
 
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