| CHAPITRE 
        III ÉVOLUTION DES INDIGÈNES
 --------Les 
        colons ont été l'élément actif de transformation 
        dans le bouleversement profond de l'Afrique du Nord de 1830 à 1930. 
        Les toxines redoutables de la civilisation occidentale ont été 
        sécrétées dans une société préexistante, 
        la société indigène. Dans quelle mesure a-t-elle 
        réagi, c'est-à-dire collaboré ? Démographie --------Ici 
        quelques chiffres sont inévitables et il est commode de les grouper 
        en une courbe graphique. --------Cette courbe 
        serait passionnante, s'il était possible au public de se passionner 
        pour une courbe démographique. --------Elle est 
        sérieusement établie, basée sur des dénombrements 
        quinquennaux qui ont été faits régulièrement, 
        sauf en 1917, à cause de la guerre. 
 --------Ce qui est 
        passionnant, c'est l'allure de la courbe entre 1856 et 1872. En 1861 le 
        recensement a donné 2.750.000. En 1866, 2.700.000 âmes. --------Immédiatement 
        après se place une énorme oscillation négative. Le 
        recensement de 1872 a donné un chiffre d'indigènes inférieur 
        d'un demi-million à celui de 1861, soit 2.125.062. Ce fléchissement 
        a causé à l'époque une grosse émotion et a 
        entraîné des généralisations hâtives. 
        Des gens sérieux se sont imaginé que cette dure population 
        Maugrebine, au contact de notre civilisation, allait fondre progressivement, 
        comme la population des îles Polynésiennes. --------Ils étaient 
        loin de compte. Depuis 1872 la population indigène algérienne 
        a doublé en un demi-siècle. L'ascension de la courbe est 
        régulière. Elle s'est à peine ralentie entre 1911 
        et 1921, pendant les terribles années de la grande guerre, 5.113.096 
        au recensement de 1926. --------Entre 
        1856 et 1872, il y a eu en succession plusieurs 
        années de disettes, accompagnées comme d'habitude d'épidémies 
        meurtrières. C'est une explication, mais elle n'est pas satisfaisante 
        à elle toute seule. Sous le climat capricieux du Maghreb, les mauvaises 
        années sont une éventualité avec laquelle il faut 
        toujours compter. Il y a eu d'autres disettes depuis 1872. --------Ce que la 
        période 1856 à 1872 a de particulier, c'est que c'est la 
        période du second Empire. La politique algérienne du second 
        Empire a été celle du « Royaume Arabe », un 
        peu ce que nous appelons aujourd'hui le protectorat. On s'est efforcé 
        d'isoler, comme sous cloche, la société indigène, 
        de la laisser évoluer toute seule et on y a tenu la main avec la 
        rigueur d'un gouvernement autoritaire. Le résultat de cette mise 
        sous cloche a été un effondrement démographique. 
        La colonisation européenne n'a pris son essor qu'à partir 
        de 1872 et la courbe de la population indigène aussi. Cette courbe 
        à elle toute seule fait l'éloge de la colonisation avec 
        plus d'éloquence qu'une longue dissertation. Elle devrait être 
        plus connue qu'elle n'est. Elle est péremptoire. --------De 
        1872 à 1930 la population indigène 
        a plus que doublé, c'est un fait brutal, parfaitement indéniable. L'Influence 
        des Colons --------Pourtant, 
        quand il s'agit d'un groupe humain, compter les têtes n'est pas 
        tout. Il faudrait pouvoir peser l'accroissement ou la diminution de valeur 
        individuelle. Une tâche délicate, en cette matière 
        il n'y a guère de dynamomètre sûr.--------Une 
        chose est certaine, c'est que les conditions générales seraient 
        tout à fait favorables à l'influence profonde du colon sur 
        l'indigène ; à tout le moins les conditions générales 
        matérielles; celles qui se laissent mesurer aisément.
 --------Et 
        d'abord la proportion numérique des colons et des indigènes. 
        Rappelons ces chiffres.
 --------En 
        Algérie 833.000 Européens en face de 5.1 13.000 indigènes 
        : c'est une proportion très forte, presque 1 sur 6.
 --------En 
        Tunisie, le dernier recensement accuse 173.000 Européens et 1.966.000 
        indigènes (environ 1/12.)
 --------Au 
        Maroc, si le chiffre de 4.411.000 indigènes est approximatif, celui 
        de 95.000 Européens est certain (60.000 Français) (environ 
        1745).
 --------Pour l'ensemble 
        du Maghreb c'est un total de 1 million 101.000 Européens 
        mêlés à une population indigène de 11.415.000. 
        La proportion totale est à peu près d'un sur dix. L'avance 
        particulière de l'Algérie est considérable. --------Qu'il y 
        ait en Algérie un Européen pour six 
        indigènes, c'est déjà une proportion énorme, 
        suffisante pour faire présumer une action profonde. Par surcroît 
        ce sixième de la population totale n'est pas seulement prépondérant 
        au point de vue politique, il est prépondérant aussi au 
        point de vue social. --------Quand l'armée 
        française a débarqué en Algérie en 1830, elle 
        y a trouvé les Turcs installés depuis trois siècles. 
        Ils avaient refoulé dans les métiers manuels, et dans l'humble 
        existence de paysans arabes, à peu près toute la masse des 
        indigènes berbères et arabes; ils avaient la fortune; ils 
        occupaient les postes importants ; ils étaient la bourgeoisie. --------Ce qui pouvait 
        subsister de cette bourgeoisie n'a pas survécu longtemps à 
        la suppression de la piraterie, source principale des fortunes privées. --------L'Algérie 
        indigène est presque toute entière rurale; elle n'a rien, 
        même à Tlemcen, qui se laisse comparer à la culture 
        musulmane urbaine de Tunis ou de Fez, pour ne rien dire du Caire. Il y 
        a naturellement des bourgeois musulmans; ils ne sont pas une classe distincte. --------Il y a là 
        une situation très particulière qu'on ne retrouverait ni 
        en Tunisie ni au Maroc. Cette situation n'a pas été créée 
        par la conquête française; ni même à la rigueur 
        par la conquête turque. Elle est l'aboutissement d'une très 
        longue histoire au cours de laquelle il n'a jamais poussé en Algérie 
        un équivalent de Tunis ou de Fez, une cité-monstre musulmane, 
        condition indispensable d'une bourgeoisie. --------Les conséquences 
        sont considérables. Il y a en Algérie une plèbe rurale 
        et pastorale, et, pour encadrer cette plèbe, rien d'autre que les 
        833.000 colons, seule classe bourgeoise constituée. --------Un délégué 
        financier, M. Motard, affirmait l'autre jour, dans une revue locale, que 
        les colons, sixième partie de l'Algérie, payaient à 
        eux tout seuls les cinq sixièmes des impôts. Mais M. Motard 
        se gardait bien de déplorer cette inégalité dés 
        charges fiscales. Tout au contraire; il s'en enorgueillissait. Sous sa 
        plume, le colon affirme la conscience de sa prédominance sociale, 
        il en revendique les responsabilités, et en accepte les charges.
 --------Une 
        situation extraordinairement forte.
 --------En face 
        de cette aristocratie colon, si solidement constituée, les indigènes 
        sont fractionnés en compartiments. --------Ils n'ont 
        même pas réalisé l'unité de langue. Un tiers 
        de l'Algérie indigène parle berbère, la langue de 
        Massinissa, et ignore l'arabe, que les deux autres tiers ont adopté. 
        Ce n'est pas une simple différence de langue, ce qui serait déjà 
        grave à soi tout seul, puisque la langue modèle le cerveau. 
        Mais il y a là-dessous des différences totales de genres 
        de vie. D'une part des villageois montagnards, fixés au sol, d'instincts 
        démocratiques, avec un sens aigu de la propriété 
        privée. D'autre part des nomades de grande tente, avec des instincts 
        communistes, avec une organisation aristocratique et princière. --------À 
        travers toute l'histoire, les millénaires, ces deux groupes, constitués 
        par les nécessités du climat et du sol, se sont éternellement 
        pillés, massacrés, sans merci et sans trêve. Chaque 
        groupe a eu ses victoires sans lendemain, ses grands hommes à lui, 
        ses gloires propres. --------Ce sont 
        bien en effet deux espèces de groupes nationaux. Mais ce ne sont 
        pas deux nations constituées. Il s'en faut de tout. Chacun des 
        deux blocs est hétérogène.--------Le 
        Kabyle, dans ses montagnes humides, boisées, 
        est un paysan, tout près des nôtres, un jardinier, propriétaire 
        de sa chaumière et de son jardin, enraciné en un point déterminé 
        du sol.
 --------Le 
        Chaouïa de l'Aurès, dans ses montagnes 
        sèches, est pâtre de moutons, un transhumant dans un tout 
        petit rayon de transhumance. Le village Chaouïa n'a ni la disposition, 
        ni l'architecture du village kabyle.--------Le 
        Chaouïa et le Kabyle ont beau parler tous les deux des dialectes 
        berbères, d'ailleurs assez aberrants, il n'y a aucun rapport entre 
        les deux psychologies. Deux petites planètes distinctes.
 --------Le bloc 
        arabe est peut-être encore plus profondément émietté. 
        Dans les premières décades de la conquête, nos pères 
        ont très naturellement groupé à part, dans les statistiques, 
        ceux qu'ils appelaient les Maures, c'est-à-dire 
        les citadins, les bourgeois. Le costume extériorisait en ce temps-là 
        leur originalité : c'était en somme le costume turc, celui 
        que nos zouaves ont porté jusqu'en 1914, un costume ajusté. --------Le grand 
        nomade du Sud, homme ou femme, a une silhouette toute différente; 
        même lorsqu'il est en loques, ce qui est habituel, il est magnifiquement 
        vêtu de draperies flottantes, joie de l'il. Le corps qui se 
        devine sous ces draperies ajoute à leur effet : un corps alerte, 
        musculeux, un corps de grand air et de vie dure. --------Ce sont 
        deux humanités que toute l'histoire a violemment opposées. 
        Le nomade de grande tente est le grand fauve humain. A travers les millénaires, 
        il a toujours fait le rêve, souvent réalisé, de mettre 
        à sac les « villes puantes ». Et le citadin a toujours 
        eu la même préoccupation: se créer une organisation 
        qui le mette à l'abri de l'éternel, du seul ennemi, le grand 
        nomade. --------Depuis trois 
        ou quatre siècles, pas davantage, ces deux humanités parlent 
        la même langue, l'arabe. Mais la communauté du langage n'a 
        pas entraîné la fraternité des sentiments communs. --------Notez d'ailleurs 
        qu'il y a une infinité dé tribus nomades. Et chacune d'elles, 
        toutes les fois qu'elle l'a pu, s'est toujours fait les griffes sur la 
        tribu voisine. --------Ce sont 
        là de grandes divisions, imposées par la nature, par l'interpénétration 
        des montagnes et des plaines, de la steppe et du pays arable. A ces divisions 
        géographiques, d'autres sont venues s'ajouter, religieuses. --------Il y a en 
        Algérie des Mzabites et des Juifs, et ce sont des groupes humains 
        très particuliers et très importants. Ce ne sont pas des 
        groupes territoriaux attachés à un point déterminé 
        du sol. Ils vivent un peu partout, disséminés en noyaux 
        mobiles. Malgré l'éparpillement chaque groupe reste profondément 
        conscient de son individualité, ardemment patriote, cimenté 
        par des conceptions communes de la société et de la vie, 
        à base religieuse. --------Parce que 
        ces nations éparpillées vont au rebours de nos habitudes 
        occidentales, nous ne comprenons rien au « miracle juif », 
        comme disait Bossuet. Mais en Orient, ce type de nations est banal; le 
        Levant a ses Arméniens, l'Inde a ses Parsis. --------Les Mzabites 
        sont le dernier résidu en Algérie d'une grande secte musulmane 
        bien connue, les Kharedjites, qui a fondé l'Empire Maugrebin de 
        Tiaret au Xè siècle. --------Les Kharedjites, 
        qu'on appelle quelquefois les protestants de l'Islam, ont le plus profond 
        mépris pour les autres musulmans. Ils ont développé 
        surtout, comme les autres sectes persécutées, Arméniens, 
        Parsis, Juifs, un sens aigu du commerce et de l'argent. Dans toutes les 
        villes d'Algérie on voit le boutiquier Mzabite.
 --------Numériquement 
        les Mzabites seraient insignifiants, mais une tribu de manieurs d'argent 
        a un rôle qui ne se mesure pas à son importance numérique.
 --------Les juifs 
        algériens ont une importance du même ordre, mais plus grande. 
        Ils sont là à peu près ce qu'ils sont plus ou moins 
        dans l'univers entier, un corps étranger enkysté. Nulle 
        part ailleurs pourtant les juifs n'ont tourné le dos aussi complètement, 
        immédiatement, aux indigènes du pays où ils sont 
        pourtant fixés eux-mêmes depuis quinze cents ans, depuis 
        toujours. |  | --------Voilà 
        donc en présence d'une part le colon, fort de son importance numérique, 
        de sa prépondérance politique et sociale, et d'autre part 
        une société indigène extraordinairement émiettée 
        en groupes hétérogènes, que séparent des haines 
        millénaires. C'est une situation admirable. Les conditions matérielles 
        semblent devoir rendre aisée et profonde l'influence du colon. --------Elle a été 
        décisive en ce qui concerne l'élément israélite. 
        Les juifs algériens ont adopté la langue, les murs 
        et la nationalité françaises. Dans les statistiques depuis 
        le décret Crémieux (1871), ils figurent comme Français. 
        Dans le cours ordinaire de la vie quotidienne, à des nuances près, 
        bien entendu, ils font figure de Français. L'assimilation est aussi 
        complète que possible. --------Malheureusement 
        les autres indigènes, à l'exception de quelques bourgeois 
        musulmans, n'ont pas suivi du tout l'exemple juif. --------En face 
        du bloc colon, le bloc indigène musulman reste à part, clos 
        et imperméable en gros. Il y a là deux blocs juxtaposés 
        qui, après un siècle écoulé, ne fusionnent 
        toujours pas. --------Ce n'est 
        pas simplement parce qu'un des deux blocs est conquérant et l'autre 
        conquis. C'est que l'un est musulman et l'autre chrétien. Une différence de foi religieuse est toujours grave, 
        on s'est massacré entre catholiques et protestants. 
        Mais ce qui est en cause ici, entre la chrétienté et l'Islam, 
        ce n'est pas tant une divergence de dogme, de catéchisme. C'est 
        quelque chose de bien plus profond. Une opposition totale dans 1 organisation 
        de la famille, de la justice, de l'État. Deux sociétés 
        entrent en contact immédiat après des millénaires 
        d'évolution indépendante : l'Orient et l'Occident.
 C'est toute la question de l'Islam, on ne peut pas la traiter en passant, 
        dans un alinéa.
 Les 
        Efforts officiels :Assistance, Instruction
 --------Cette étanchéité 
        du bloc musulman est particulièrement pénible à la 
        métropole; elle cause à Paris des explosions périodiques 
        d'irritation, parce que Paris est trop loin pour discerner la nature de 
        l'obstacle ; il s'imagine volontiers que la Société Européenne, 
        représentée par des pouvoirs publics locaux, ne fait pas 
        le nécessaire pour combler l'abîme. --------Le gouvernement 
        général d'Algérie n'aurait pas eu besoin des incitations 
        métropolitaines pour essayer d'agir. Qui n'est conscient des devoirs 
        que la conquête nous impose vis-à-vis de nos sujets musulmans 
        ? Qui n'est ardemment désireux d'amener entre les deux blocs une 
        fusion dont les énormes avantages sont évidents ?
 --------L'administration 
        s'est servie des armes dont elle peut disposer.
 --------Elle s'est 
        occupée du bien-être physique, de l'hygiène, de l'assistance 
        publique.--------Dispensaires, 
        infirmeries et hôpitaux indigènes; cités, asiles, 
        orphelinats et uvres multiples d'assistance. L'Algérie déclare 
        consacrer à l'hygiène 70 millions de son budget d'un milliard.
 --------On a confié 
        aux administrateurs l'organisation de sociétés indigènes 
        de prévoyance et de prêts mutuels. Il s'agit, dans la mesure 
        du possible, de faire la guerre aux usuriers, aux terribles usuriers, 
        héritage du passé oriental.--------Fidèle 
        à sa doctrine, la 3è République a donné ses 
        soins particuliers à l'instruction publique.
 --------Naturellement 
        les lycées, les collèges, les écoles primaires européennes 
        sont ouverts aux indigènes. Mais cela ne suffisait pas. On a ouvert 
        des écoles primaires indigènes.--------Ces 
        efforts administratifs, si suivis qu'ils soient, ne sont que des efforts 
        administratifs. L'énormité du problème à résoudre 
        dépasse trop évidemment les pouvoirs de réalisation 
        d'une administration.
 --------Ces 
        efforts sont étayés pourtant par les instincts du colon. 
        Même lorsqu'il n'est pas d'origine, il est d'éducation française. 
        Vis-à-vis de l'indigène, il n'a pas la morgue anglo-saxonne. 
        Vis-à-vis du musulman, il n'a pas les préjugés de 
        l'Espagnol.
 --------Dans l'élan 
        économique d'ailleurs le colon vis-à-vis de l'indigène 
        fait office d'entraîneur. Même sans le vouloir, par la concurrence 
        même et le choc des intérêts, il a modifié dans 
        le sens du mieux-être la situation des Indigènes. --------L'Algérie 
        s'est attachée à la tâche terrible d'occidentaliser 
        un morceau d'Orient. S'est-elle efforcée tout à fait en 
        pure perte ? Le 
        Métarmorphisme  --------À 
        vrai dire certains résultats très partiels ont été 
        obtenus. M. Milliot vient de nous faire connaître en 1926 un phénomène 
        curieux qui atteste les progrès du Français parmi les Kabyles. --------Les Kabyles 
        du Djurdjura ont toujours eu, à travers les siècles, un 
        droit coutumier qui leur est propre. Ils lui donnent le nom de « 
        Kanoun », oui est à lui seul un brevet d'antiquité, 
        puisqu'il remonte évidemment à l'époque chrétienne 
        : les canons de l'Église. Ces « kanouns » sont doublement 
        illégaux : en droit musulman, parce que la loi musulmane tient 
        tout entière dans le Coran; en droit français, parce que 
        toute la loi française est enfermée dans le code. Cette 
        double illégalité n'a d'ailleurs aucune importance pratique 
        : elle n'a jamais gêné sérieusement personne en Kabylie. --------Le gouvernement 
        algérien, sous la pression des assemblées parlementaires 
        parisiennes, a diminué les pouvoirs de police des administrateurs; 
        cela s'est appelé suppression du code de l'indigénat. Pour 
        contrebalancer l'affaiblissement de l'autorité administrative, 
        les communautés kabyles ont voulu renforcer l'autorité, 
        en quelque sorte syndicale, de leurs kanouns. Et pour y parvenir elles 
        se sont mises à les écrire, à les codifier, si on 
        peut dire. --------Le droit 
        coutumier des kanouns s'est transmis à travers les 
        siècles par voie orale. L'idée de les écrire serait 
        déjà, à soi toute seule, une trace d'évolution 
        métamorphique. Mais en quelle langue rédiger les kanouns 
        ? En kabyle ? mais le kabyle est un dialecte berbère qui ne s'est 
        jamais écrit. En arabe ? mais personne en Kabylie ne parle l'arabe, 
        et a fortiori ne l'écrit. Il ne reste que le français.--------Les Kabyles ont donc écrit 
        leurs kanouns en français. Non pas dans un français officiel 
        de traducteur assermenté. Les Kabyles ont écrit eux-mêmes, 
        avec leurs propres ressources philologiques, dans leur français 
        quotidien, en jargon.
 L'instruction et règles portant dans ce livret sont acceptées 
        jusqu'aux petits aux grands du village de Tassaft, » etc...
 Dans le même ordre d'idées, la poste métropolitaine 
        .Voici un échantillon, un début de kanoun rédigé 
        par la djemmaâ (communauté, municipalité) de Tassaft 
        : « Livret de réunion de Tassait contenant les règles 
        générales et instructions nécessaires du village
 -------- L'instruction 
        et règles portant dans ce livret sont acceptées jusqu'aux 
        petits aux grands du village de Tassaft, » etc...
 -------- Dans le même 
        ordre d'idées, la poste métropolitaine a parfois à 
        déchiffrer des énigmes du genre de celle-ci « Monsieur 
        Mohammed ben Mohammed, la zizine-des-5-Chameaux (Loire).» 
        C'est l'usine de Saint-Chamond qui emploie des ouvriers 
        kabyles.
 -------- Nos instituteurs 
        ont le droit de s'enorgueillir. Ils auraient tort cependant d'oublier 
        que la vie apuissamment aidé l'école.
 -------- Depuis la 
        guerre, l'émigration temporaire a répandu sur la France, 
        bon an mal an, un très grand nombre d'indigènes algériens, 
        que l'argot parisien appelle les Sidis ; une centaine de mille peut - 
        être.
 -------- La majorité 
        sont des Kabyles. Ils reviennent coiffés d'une casquette qu'ils 
        échangent dès le débarquement contre la chéchia; 
        avec un vocabulaire extrêmement enrichi ; et sans doute aussi avec 
        un lot d'idées nouvelles, confuses et contradictoires, dont il 
        est trop tôt pour prévoir les répercussions variées. 
        
 -------- Il ne faut 
        pas oublier d'ailleurs que le service militaire obligatoire est désormais 
        appliqué aux indigènes. Quand une roche en fusion, venue 
        des profondeurs, monte à travers l'écorce 
        terrestre, les géologues constatent qu'il se produit, sur les parois 
        de la cheminée, ce qu'ils appellent des «phénomènes 
        de métamorphisme ». L'expression est commode pour 
        désigner ce qu'on observe en Algérie. On peut y noter déjà, 
        dans les deux sociétés, un « 
        métamorphisme de contact ».
 -------- Les indigènes 
        marocains y sont très sensibles : à leurs coreligionnaires 
        d'Algérie, ils font couramment le reproche d'être « 
        nouss-mselmin », des demi-musulmans. Certainement en 
        Algérie, depuis 1830, l'Islam, le granitique Islam, a joué 
        plus ou moins.
 -------- L'Autrichien 
        Oscar Lenz, voyageant au Maroc, déclare y avoir embauché, 
        quand il l'a pu, des domestiques ou des auxiliaires algériens, 
        de préférence aux marocains, parce que ceux-là sont 
        plus près de l'Européen. Et Lenz faisait cette expérience 
        curieuse, il y a déjà une quarantaine d'années.
 -------- Évidemment 
        des taches de corrosion apparaissent sur la cloison étanche. Il 
        ne faudrait pas s'en exagérer l'importance. Ce serait horriblement 
        dangereux. Il n'y a rien de plus dangereux que de prendre ses désirs 
        pour des réalités.  L'Attitude 
        des indigènes vis-à-vis de Nous. -------- Il est 
        certain pourtant qu'un résultat considérable, encore que 
        négatif, a été obtenu. La domination française 
        en Algérie est admirablement supportée. -------- Pour comprendre 
        ce fait il est bon de ne pas perdre de vue le passé tout entier 
        de l'Afrique du Nord, du Maghreb.-------- L'histoire 
        du Maghreb, considérée dans son ensemble, offre une particularité 
        curieuse. Le Maghreb a été depuis deux mille ans dominé 
        successivement par Carthage, Rome, Les Vandales, les Byzantins, les Arabes, 
        les Turcs, les Français. Non seulement il ne s'est jamais appartenu, 
        mais le conquérant étranger n'a jamais été 
        chassé par une révolte des indigènes : il l'a toujours 
        été par un autre étranger, son successeur.
 -------- Tout cela 
        témoigne d'une difficulté à exister, à se 
        tenir sur ses propres pieds. Les Maugrebins n'ont jamais été 
        ni une nation, ni un empire autonome.
 Et dès lors, dans la vie pratique, qu'importe que l'étranger 
        maître de l'Algérie s'appelle aujourd'hui le Français 
        ? Il a remplacé un autre étranger, le Turc. C'est si vrai 
        que l'indigène continue à désigner l'administration 
        par un mot turc, il l'appelle le beylick. Et avant le Turc, un autre étranger, 
        l'Arabe.
 Et plus loin dans le passé, le Byzantin, le Vandale, 
        le Romain, le Carthaginois. -------- Non seulement 
        la conquête française n'a pas déplacé une classe 
        dirigeante autochtone qui resterait là, dans la coulisse, aigrie 
        de rancunes et de regrets amers. Mais encore, il n'y a jamais eu de classe 
        dirigeante autochtone, jamais au grand jamais à travers les millénaires. 
        Un fait énorme, qui a laissé indéveloppés 
        toute une catégorie de sentiments. -------- Assurément 
        il ne faut pas perdre de vue cette situation primordiale qui a singulièrement 
        facilité notre tâche. A elle toute seule je ne sais pas si 
        elle est une explication suffisante du phénomène observé, 
        qui est tout de même, à la réflexion, extraordinaire.Sur les questions algériennes on pourrait s'amuser à recueillir 
        un florilège de Parisiana. On y trouverait par exemple ceci : 
        « Dès qu'une menace de guerre se manifestera 
        en Europe, il nous faudra distraire 2 ou 300.000 hommes pour aller en 
        Algérie prévenir les insurrections ». Ces 
        lignes ont été écrites en 1913. On les trouvera à 
        la page 602 de la Revue Indigène.
 -------- La menace 
        de guerre s'est réalisée en 1914, et on eût difficilement 
        pu rêver pour l'Afrique Française une épreuve plus 
        sérieuse de solidité. Le bloc n'a pas bougé; entre 
        ces deux éléments, européen et indigène, aucune 
        fissure n'est apparue. Ils ont combattu côte à côte 
        sur le front avec une égale bravoure. -------- L'après-guerre 
        a confirmé les conclusions que la guerre a fait ressortir. Ailleurs, 
        en Égypte, en Syrie, en Turquie, en Perse, l'après-guerre 
        a déchaîné un ouragan de nationalisme. En Algérie, 
        rien. -------- La comparaison 
        avec l'Égypte est suggestive. Il ne faut pas se le dissimuler : 
        l'uvre des Anglais en Égypte, après un demi-siècle 
        d'occupation, est simplement admirable. Ils ont rendu aux Égyptiens 
        des services immenses; et ils les ont rendus sans effusion de sang. Ils 
        en sont payés par une haine inexpiable, injurieuse, étalée 
        au grand jour, prête à l'insurrection. -------- En Algérie 
        le parti indigène est un parti politique dans le cadre français, 
        parfaitement loyaliste.
 -------- On ne veut pas épiloguer 
        sur ce contraste curieux. Il suffit de le constater.
 
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