| CHAPITRE VALLER ET RETOUR A CHEZ MADAME PINAUD
 Je sais pas quoi il a dit le médecin. 
        Mais en côté le lit, ma mère et ma soeur elles disaient 
        la prière, et dans le fond de la chambre, assis dessur une chaise, 
        mon père, qu'il est aveugle, y se tenait la tête dedans ses 
        mains pour pas qu'on voit qui pleurait, le pôvre !
 On s'avait emmagataillé mon dos de chiffons blancs, longs, qui 
        m'attrapaient un bras pour l'empêcher qui bouge. Et ça sentait 
        l'odeur de l'hôpital qui me faisait chaud dans la tête et 
        pis froid, et pis chaud.
 
 Tout d'un coup, en voulant tourner, y me sort un mal qu'on s'aurait dit 
        qu'on me rentre une pointe de l'aloès dedans la viande. Alors la 
        nuit elle a descendu dans mes yeux, et j'ai tombé je sais pas où. 
        Pareil qu'on m'aurait "lis un costume des scaphandres, j'ai descendu 
        dans le fond de la mer, en bas, en bas tout le temps... Des gros poissons 
        qui z'avaient des têtes qui faisaient peur, y venaient m'enfoncer 
        leurs épines dans la potrine... Des oursins y rentraient dedans 
        la bouche, des orties elles s'attrapaient dessur ma peau... Aïe qué 
        sale rêve !...
 
 Quand j'ai vu clair, des femmes, qu'elles restent dans la même maison 
        que nous autes, elles me régardaient sans rien dire, avec la figure 
        triste qu'on se croyait je serais mort.
 Après, ma mère elle a venu pour me donner un bol de la tisane 
        d'une herbe qu'une vieille elle y avait dit. Cette herbe-là on 
        s'en a fait des cataplasses qu'on s'a posé dessur le trou que le 
        couteau y m'avait fait. Et quand le médecin y s'amenait on se les 
        ôtait vite pour pas qui voye.
 
 Un mois j'a resté couché. Qué maigre j'a venu ! Qué 
        mesquine ma figure y s'avait fait !
 
 Quand j'ai commencé marcher un peu dedans la chambre, mes camarades 
        y z'ont rentré pour me parler et me dire bonjour.
 
 Y m'ont dit que Bacora on l'avait empoigné, et que la poulice elle 
        viendrait à la maison pour me demander des choses.
 
 Qu'elle vient. Ç'empêche pas que quand je me rencontre Bacora 
        j'y rentre mon couteau dedans son ventre jusqu'à le manche.
 
 En tendant ça, mon père y s'a levé, il a marché 
        de mon côté, et quand il a trouvé ma tête vec 
        ses mains, pourquoi le pôvre ses yeux y voient plus le soleil, il 
        a embrassé mes cheveux, pareil que quand j'étais petit, 
        et y m'a parlé que je laisse tranquille Bacora, que le Bon Dieu 
        il y rendra le coup qui m'a donné.
 CHAPITRE VIOUSQUE CAGAYOUS Y SE RENCONTRE UNE TYPESSE QUI SE CONNAÎT
 Huit jours après que j'a sorti de 
        la maison, guari tout à fait, y tombe la mouna.
 A la maison de nous autes toujours on fait la fête des mounès, 
        pourquoi mon père qu'il est français y s'a habitué 
        vec ma mère que sa mère à elle, elle est spagnole. 
        Moi je suis "champoreau ".
 
 Ça fait qu'on s'avait commencé préparer les gâteaux 
        vec des ufs pour aller à la plage, tous ensemble, un tas 
        des camarades.
 
 Nous avons sorti deux compagnies oùsque y avait des femmes vieilles, 
        des femmes jeunes, des hommes, Gasparette, Çuilà qu'il a 
        la calotte jaune, Niai, Loulou, Ugène le louette, des gargoulettes, 
        des guitares, des accordéïons, des couffins pleins du manger, 
        des barils de vin, des couvertures pour qu'on fait des baraquettes des 
        fois que le soleil y tape ou que la pluie elle pisse.
 
 Le matin nous avons parti, chargés comme des bourriquots, et nous 
        sommes été plus loin de Saint-Ugène, à cause 
        que toutes les places bonnes elles étaient prises par ceuss-là 
        qui z'avaient venu dans la nuit.
 
 Mû que rigolade ! Nous avons fait tomber les filles dessur le sable 
        jusqu'à temps que les jambes elles touchent la mer ; nous avons 
        joué à saute-mouton vec une aouella qu'on crevait de rire.
 
 Nous nous avons battu à coup des oeufs, et j'a poché un 
        oeil à Ugène pendant que lui y se mettait le sable dans 
        la casserole oùsqu'on se faisait le riz.
 Le pôvre Tape-à-l'oeil on s'y a ôté le pantalon, 
        la chemise et tout, et pis on l'a attaché et on se l'a enterré 
        dedans la plage que seule la tête elle sort. Après chacun 
        on prend une paille et vingà d'y chatouiller les oreilles et le 
        nez. Lui qui peut pas se gratter, y vient fou. A la fin nous y avons fait 
        boire l'anisette naturelle par force, et pour pas qu'il y vient la tasse 
        nous li avons renversé la gargoulette dessur le caillou.
 
 Qué rire !
 Darrière un gros rocher y se tenait une autre compagnie qu'on la 
        voyait pas bien. Mais pour savoir qui c'était, je commence grimper 
        les blocs, et qui je me trouve en bas ?
 Vicenta !
 
 D'un peu je tombe.
 
 Pour pas que le monde y nous régarre, je fais semblant que je la 
        connais pas, et je descends à la mer soisandisant pour faire des 
        arapètes.
 
 Elle qu'elle m'avait vu, elle s'enlève les souliers et elle rentre 
        dedans l'eau pour en ramasser aussi.
 
 Comme ça nous avons parlé ensemble sans qu'aucun y sait 
        ça que nous disons, parce tous on croit que nous faisons des arapètes.
 - Pourquoi vous êtes pas venu l'aute dimanche ? J'a cherché 
        partout et je vous a pas trouvé ?
 - Je m'a battu vec Bacora et y m'a f... un coup de couteau que j'a resté 
        couché pluss qu'un mois. D'un peu je clapse.
 - Oh ! si c'est possible ! Vous êtes guari à présent 
        ?
 - Et alorss ! Moi j'a cherché après vous et j'a pas pu vous 
        dénicher.
 - Je travaille plus chez Mme Muscat. Cette saleté-là, est-ce 
        qu'elle n'a pas dit que moi j'y avais volé une cuillère 
        en argent et une bague !
 - Oùsque vous êtes à présent ?
 - Je reste à la maison, en tendant qu'on fasse la noce pour mon 
        mariage.
 - Bientôt c'est ?
 -- L'autre samedi en huit.
 - Il est ici votre... novio ?
 - Non. Son patron il a pas voulu qui se fait remplacer à cause 
        des fêtes.
 - Taïba ! Y a pas moyen parler ce soir, hein ?
 - Et si on nous verrait ?
 - Qui y nous voit ? Tous y z'ont la tasse. Disez à la compagnie 
        qu'elle s'amène à côté nous autres, quand les 
        guitares et les accordéïons y commenceront ronfler. Nous faisons 
        grand bal.
 - J'y dirai. Dessez-moi que je m'en vais pourquoi on nous régarre.
 
 Le goût ! Le goût ! Le goût !
 Ma parole, le Gouverneur il est pas mon camarade !
 CHAPITRE VIIOÙSQUE UN SALE MEC Y FAIT LE SOUPRIEUX PAR FORCE
 Vicenta, qui la connaît dans les coins, 
        elle a embrouillé si tant bien la compagnie d'elle, que le soir 
        tous y s'ont amenés à côté nous autres pour 
        danser.
 Tout de suite on s'a fait camarades.
 
 Reusement la lune s'avait couché à bonne heure et y faisait 
        noir pareil chez le diable.
 
 Les autres y se f... à faire la polka dessur le sable qu'à 
        chaque coup y tombent et que tous on se tordaient. Moi je m'attrape Vicenta 
        et nous faisons semblant danser jusqu'à temps qu'on nous voye plus.
 
 Moment après, escapa par en haut le rocher et nous nous assions 
        dedans un endroit qui ressemble une chambre.
 
 Tout le temps Vicenta elle se tenait la peur que quelqu'un y vient.
 - Vous avez pas entendu qu'on remue dedans l'herbe d'en haut ?
 - Laissez, c'est un rat.
 - Non, c'est quelqu'un. Partons.
 - Le Bon Dieu y m'enlève pas d'ici.
 - Cagayous...
 - Ho ! combien des histoires...
 
 Elle s'a ensauvée la première pour pas qu'on nous voye tous 
        les deux, et moi j'a monté par un aute chemin par en haut.
 
 Quand j'ai arrivé en dessur le rocher, tout d'un coup je me vois 
        un homme qui sort de la broussaille et qui me saute dessur.
 
 J'y empoigne le cou et j'y serre de toute ma force. Alors je me reconnais 
        Bacora ! La rage y me tordait les nerfs. Lui y parlait pas ; moi non plus. 
        Mais y me poussait fort pour que je fais la cabriole dessur les rochers 
        d'en bas.
 
 Entre moi-même je me pensais : si moi je tombe lui y faut qui tombe 
        avec, bessif !
 
 Comme y pouvait pas me jeter, oilà qui m'attrape l'épaule 
        vec les dents. Je m'abaisse presta ; y lâche, j'y empoigne les jambes 
        et j'y f... une poussée. Patatrac ! y dégringole par en 
        bas, la même chose un fagot des boulangers.
 - Maintenant que les crapes y te mangent la cervelle, si ti en as !
 CHAPITRE VIIIPOUR FAIRE VOIR QUE CAGAYOUS Y SE CONNAÎT TRAVAILLER MÉDECIN
 Le bal il était fini. Presque tous 
        y s'avaient couché dessur des couvertures. Mingo basta, y jouait 
        la guitare devant une bougie qui s'avait enfoncée dedans une bouteille.
 Mingo, quand même, il est plus vieux de moi, qu'il a la barbe et 
        tout, il est mon camarade.
 
 J'y dis doucement :
 - Mingo, écoute.
 
 Lui y se lève et y parle :
 - Qu'est-ce que tu veux ?
 - Ecoute.
 - Laisse la guitare ici, souffle la bougie et viens vec moi.
 - Pour quoi faire ?
 - Tu veux venir ou non ?
 - Oilà, je viens.
 - Marche. Parle pas fort. Tout-à-l'heure un homme y m'a serché 
        dispute dessur la montagne oùsque j'a été faire les 
        besoins. J'y ai f... une poussée et y s'a piqué une tête 
        de l'autre côté du rocher.
 - Tu le connais ?
 - Non...
 - Alors qu'ça te f... ! Laisse-le qui crève !
 - Ça fait rien. Allons...
 - Qué couyon ti es toi !
 - Marche, on te dit !
 
 Moi et Mingo nous avons rentré dans la mer et nous avons passé 
        l'autre côté de le rocher.
 
 Nous allumons la bougie et nous nous voyons Bacora assis par terre qui 
        se mettait de l'eau de la mer dessur la tête qu'elle était 
        pleine de sang.
 
 Tout de suite y s'a caché la figure pour qu'on le connaît 
        pas. Mais moi, j'y enlève le mouchoir et j'y parle :
 - Qu'est-ce ti viens faire ici, toi ? Lui y répond pas.
 - Allez, parle ! D'aoùsque tu sors et qui c'est qui t'a fendu la 
        carabasse ?
 - J'a tombé en promenant...
 - Ti as tombé et ti dis rien à personne ? Une supposition 
        que tu tombes dessur la pointe de le rocher, où c'est que tu vas 
        après ?
 
 Bacora y me régarre sans rien répondre.
 - Ecoute, une autre fois que tu veux te piquer une tête numéro 
        un, dis-y à Cagayous qui te donne un coup de main : jamais tu remontes 
        plus. Ti entends ! Ce coup-là ça compte pas, et pour qui 
        te vient le goût de recommencer, nous allons, moi et Mingo, te raccommoder 
        la pastèque bien comme y faut.
 
 Comme ce rosse de Bacora il avait pas des chiffons, je m'a déchiré 
        un morceau la ceinture, j'y a nettoyé la saleté de la tête 
        vec de l'eau de la mer et nous y avons serré la fente pour qu'elle 
        se recolle.
 
 Ma parole, vec le mouchoir et le bout de la ceinture, y se ressemblait 
        un Arabe.
 
 - A présent, si tu veux un matelas et un coussin pour coucher, 
        y en a partout par terre. Bonne nuit, oh ! Mecieu Alacoupe !
 
 Et nous avons parti moi et Mingo.
 
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