| CHAPITRE IIION SE VERRA ICI
 COMMENT Y FAUT PARLER A UNE FILLE
 En route, la tête elle me faisait hou, 
        hou, la même chose que quand le chemin de fer y se prend de l'eau 
        dedans la machine.
 Quoi c'est plus mieur de faire, je me pense ? J'y f... une tannée 
        à Bacora, ou j'y lève deux ou trois dents à Vicenta 
        ?
 
 Bacora y s'a connu cette fille avant o moi, pourquoi j'y tape à 
        lui que des fois il en pince depis plus longtemps. A elle basta, c'est 
        la faute ! Pourquoi elle m'a parlé la même chose que si elle 
        serait une bacorette qu'elle sait rien ? Ma parole, le goût y me 
        vient que j'y crève la paillasse ! Attends que la nuit y soye bien 
        arrivée et je monte à la rue la Lyre. Moi j'y parle bien 
        comme y faut à ce chouarri qui me fait faire le mauvais sang à 
        l'oeil.
 
 Pendant une heure, comme ça, j'a adropé par Alger, en bas 
        la Marine, côté le square, côté la place du 
        cheval, et après je commence rentrer dans les arcades de la rue 
        la Lyre et je je donne fond juste en devant la maison oùsqu'elle 
        travaille Vicenta.
 
 Oilà qu'on se met à sortir un peu à peu les chiquettas 
        qu'elles sont bonnes à chez les Juifs, pour aller à la maison 
        d'elles, par en bas la Cantère. Beaucoup elles se tenaient des 
        casseroles et des petits pots en fer pour qu'elles portent du lait le 
        matin qui vient. Y en a qu'elles me connaissaient et qui me parlaient 
        des choses pour rigoler quand elles passaient en devant de moi.
 
 Une que son frère y fait camarade vec moi, et qu'elle est sortière, 
        louette et tout, elle me dit que ma novia elle s'a ensauvée vec 
        l'Arabe qui porte de l'eau et qu'elle s'enreviendra demain.
 
 Moi je réponds rien à cause que le noir de sépia 
        y m'embaroufait la cervelle.
 
 Des autres filles aussi elles se mêlent de se f... de ma fiole en 
        me parlant quand c'est qu'on fait l'enterrement de mon petit frère, 
        pour qu'elle se sort la robe blanche...
 - Allez-vous en dans le bain maure à faire nager vos poux, spèces 
        de tombereaux des ordures que vous êtes ! Vous avez pas honte parler 
        comme ça !
 
 Elles, elles se f... à rigoler, et vingà de courir en faisant 
        bacchanal vec les casseroles.
 
 C'est pas pour dire : y en a qu'elles étaient jolies, allez ! A 
        présent que je connais oùsqu'elles travaillent, une aute 
        fois je viens. Pantience !...
 
 Demi-heure je mange le fourrage dans la rue et oilà qu'elle sort 
        Vicenta. Même coup, le coeur y me traboque la même chose un 
        bateau en liège que les enfants y s'amusent en bas la Marine...
 
 Christo ! une fille elle me fait perdre la figure à moi ? Alorss 
        oui ! Allez vogue !
 - Bonsoir, ça va bien ? - -
 - Comme ça. Vous aussi ?
 - Oh ! si vous sauriez comme ma patronne elle m'a crié à 
        cause que j'ai resté longtemps dehiors. D'un peu elle me sort la 
        place.
 - Qué ! jetez-là ! Vous avez besoin rester là dedans 
        cette sale maison. Dessur le boulevard, moi je vous trouve de l'embauche 
        chez des femmes riches.
 - Non, je veux pas. Dans les places de le boulevard tout le temps on se 
        frotte l'argenterie, les plaques et tout, et jamais on fait le marché. 
        Là oùsque je travaille, Madame elle crie des fois, mais 
        elle est pas méchante. Ça qui me fait plaisir, je fais. 
        Dans les maisons que vous parlez, y faut qu'on couche. Moi je veux pas.
 - Faisez ça que vous voulez, chandifik. Ou c'est que vous restez 
        ?
 - A la Carrière, dedans une baraquette qu'elle est à Mecieu 
        Micalef, par en haut le chemin de Ceinture.
 - Moi je marche avec vous?
 - Non, per Dios, que si mon fiancé y me verrait, y me tue à 
        moi et à vous aussi.
 - Quel fiancé ? D'aoùsque y sort çuilà-là 
        ?
 - Vous vous croyez c'est pour de rire, alors ?
 - On me le met pas à moi !
 - Je vous jure sur la tombe de ma aouella que c'est la vérité.
 - Comment y s'appelle, allez ?
 - Vous voulez je vous dis comment y s'ap- pelle, hein ? Eh ben y s'appelle 
        Pépé Pardal et y fait cocher des tramvayes.
 - C'est pas ce nom-là, moi je le dis !
 - Aïe, mira ! vous voulez connaître pluss de moi çuilà 
        que moi et lui nous fréquentons depis quatre ans !
 - Moi, je me le connais.
 - Je dis pas. Mais c'est pas un aute nom.
 - Vous voulez je vous dis comment on l'y dit ?
 - A voir.
 - On l'y dit Bacora.
 Quand elle entend ça, Vicenta elle vient rouge pareille un zarbouze. 
        Après elle parle
 - Je connais pas cet homme que vous me disez.
 - Allez ! pas besoin dire des mensonges ici.
 Vous y avez donné le portrait.
 - Moi ?
 - Oui, vous ! Mais ça fait rien. Si vous en pincez pour lui, ça 
        me régarre pas ; vous, vous commandez. Seurement moi qui me venait 
        le goût pour vous, que je m'aurais fait couper les... à cause 
        de vous, quand on m'a dit ça y m'a rentré de l'eau de l'oued 
        Merdha dedans le sang, et l'envie y m'a venue de vous taper un coup de 
        couteau en plein la peau de bouc.
 - Maria santissima !
 - N'ayez pas peur. Moi je tape pas les femmes qu'elles m'aiment pas. Je 
        les jette, basta !
 - Qui c'est qui vous a dit tout ça ?
 - C'est mon affaire à moi. Je sais ça que je dis.
 - Vous voulez je vous dis la vérité ? Eh ben Bacora y me 
        serche tout le temps et moi je veux pas. L'aute jour, il a voulu m'emmener 
        à la Pointe dans une calèche pour promener vec lui, et moi 
        j'a pas voulu.
 - C'est vous que vous parlez...
 - Tenez, que le Bon Dieu y m'enlève ma mère si c'est pas 
        la vérité.
 - Bon. Alors pourquoi vous voulez pas que je marche vec vous à 
        la Carrière ?
 - Pisque je vous dis que c'est à cause de mon fiancé.
 - Alors c'est pour de vrai ?
 - Mais oui. Il est méchant, vous savez. Un jour y s'a battu avec 
        un homme qui m'avait fait cadeau une fleur et il l'a escarminté, 
        le pôvre.
 - Qui c'était cet homme-là ?
 - Je sais pas. Un mecieu qu'on dit qui tra- vaille dans un bureau.
 - Saouna ! si je me l'aurais vu, moi, ma parole y mange plus du pain.
 - Maintenant il est parti pour Madame- aascar.
 - Laissez-le qui crève ! Allez, marchons ?
 - Dessez-moi que je m'en vais toute seule.Un aute fois nous ferons rendez-vous.
 - Quand ? Parlez à présent.
 - Dimanche, à la nuit.
 - Aoùsque ?
 - Vous savez oùsqu'y a le marché des Arabes, à la 
        place Bugeaud ?
 - Oui.
 - Là vous m'espérerez à huit heures. Jus- tement 
        faudra que j'aille chez ma belle-soeur pour li porter une poule que mon 
        oncle y nous a envoyé trois de le Fondouck.
 - Ça va bien... Vous me touchez pas la main
 - Allez, bonsoir.
 - Bonsoir, vous que vous m'avez enfoncé des épines des oursins 
        dedans le coeur !...
 CHAPITRE IVÇUILA-LA ON PEUT SE L'INTITULER :
 UN SALE COUP POUR CAGAYOUS
 Voir moi comme les choses de l'amour c'est 
        rigolo ! Tout-à-l'heure, un qui m'arait enrégardé 
        en travers, d'un coup j'y fends la citrouille. A présent que je 
        sais que Bacora y bouffe la botte pour des dattes, l'envie y me vient 
        de chanter, sauter en l'air et payer un verre à çuilà 
        qui veut.
 Ce soir-là la lune elle s'avait levé toute ronde, pareille 
        une roule de fromage de Gruyères, dedans le ciel qu'il avait la 
        couleur de la peau des bonites.
 
 Des chauves-souris, la même chose des morceaux de chiffon mouillé, 
        y couraient à la baballah qu'on s'aurait dit qu'elles avaient la 
        tchispa.
 Aïe ! si je m'aurais tenu l'accordéïon qué coup 
        de " l'hirondelle " je m'arais envoyé...
 
 Personne y peut spliquer pourquoi des fois on a le goût parler vec 
        les oiseaux, les poissons, les anges et pis des autes choses qu'on voit 
        pas. Qu'on voudrait monter dessur la fumée de la cigarette et marcher 
        en haut le ciel...
 
 - Qu'est-ce ti as ? Tu sanges de chevaux, ho ! Cagayous !
 Je me tourne, et qui c'est je vois ? Loulou et pis Çuilà 
        qu'il a la calotte jaune.
 - Ho ! D'où c'est que vous sortez, vous autres ?
 - Nous allons faire du bois en bas les docks, tu viens ?
 - Et boulotter ?
 - Amane ! A quelle heure tu manges. H a son Hé huit heures depis 
        longtemps.
 - Qui l'a dit ? -- Voir l'horloge. Ti es venu fou ou quoi ?
 - J'ai pas faim beaucoup. Allez, descen- dons, j'achète une khroubisa 
        et un sou du rai- sin, et après nous faisons un champoreau. Moi 
        je paye.
 - Pas besoin tu vas chercher la poulice tous nous allons. Alors ti as 
        la monnaie pa- reille la caillasse ?
 - Toujours y en a assez pour boire. Et quand elle sera limite, j'y parle 
        à Mecieu Cré- dit qui se rouvre le magasin. Tous on me connaît.
 - Mella ! comme qa.
 - Allez, f... le camp !
 
 Oilà qu'en descendant les scaliers qu'on va à la gare, je 
        me trouve Bacora qui s'enfilait une portion de la viande vec de la sauce 
        rouge.
 J'y parle
 - Alors tu te sarges les cales. Où c'est que tu t'en vas après 
        ?
 - Par où le vent y souffle.
 - Pourquoi t'y dis pas au patron qui te mets des z'haricots dedans le 
        bol. Après tu files vent d'arrière.
 - Mes rouleaux, tu connais ?...
 - Dans ton...
 - Hein ?
 - Deux ?
 - Peau de n... !
 - Aparie que moi, avec toi, je me fais un sac qu'on met le savon arabe.
 - Combien vous êtes ?
 - Moi tout seul ! Encore si on veut, qu'on m'attache le bras gauche.
 - Ti es trop petit pour moi. Va-t'en à l'école, va !
 - Pas la peine qu'on vient savant pour monter dessur un bourriquot.
 - Ça, on le dit...
 - Des fois, on le fait !
 - Va-t'en à pêcher les morues, va ; chaque coup tu touches... 
        !
 - Parle pas des poissons, tu sais, pourquoi
 avec un morceau de toi, un cuisinier y sort une matelote.
 - A cause que je suis blanc tu veux me manger, oho !
 
 Les poivrons y me piquaient le nez. Quand j'entends ça qui dit 
        Bacora, je saute dessur lui :
 - A qui tu parles ?
 - A toi ! Pourquoi tu commences à me dire des insultes.
 
 A peine il a fini, j'y trape le foulard dans les mains et toc ! j'y lance 
        un coup de tête en pleine figure qui s'y f... le nez en marmelade...
 
 Qu'est-ço qui fait Bacora, y sert le couteau et y s'abaisse pour 
        me donner un coup par en bas...
 
 Le monde y vient comme des mouches. Le patron y commence à nous 
        engueuler et y s'empoigne une chaise pour pas que Bacora y tape vec le 
        couteau.
 - Mé cago ! Moi aussi je sors le gavinet de la ceinture, et pisque 
        lui y veut me marquer, moi je l'ouvre !
 
 Moment où Bacora y saute dessur moi, je m'abaisse vite et j'y tape 
        un coup dedans l'épaule. Mais ce salaud-là, en s'enretournant, 
        y me f... son couteau dedans le dos.
 
 J'ai tombé tout plein du sang. Du brouillard y s'a monté 
        devant mes yeux et la même chose que si j'avais la tchispa, j'ai 
        plus vu rien.
 |