| Bougie en 1837 Evariste 
Bavoux, conseiller d'État, visitait en 1837 l'Algérie. De passage 
à Bougie, il écrivait: " Il est indispensable de conserver 
Bougie L...]. Il est du plus haut intérêt, en nous réservant 
ce port, de l'ôter à l'ennemi anglais, russe, ottoman ou africain 
qui, dans une guerre maritime, ne manquerait pas de s'en emparer, et couperait 
ainsi la communication entre deux points importans de nos possessions d'Afrique 
".C'est le rapport complet qu'il rédige sur cette ville que nous 
publions ci-après en respectant l'orthographe de l'époque.
 
 
 Bougie, 
en arabe Boudgeia, est située à quarante-cinq lieues de Bône 
et trente lieux d'Alger. C'est l'antique Salda, suivant Shaw; selon d'autres, 
l'ancienne Baga ou Vaga, ou bien encore l'ancienne Choba.
 Le 
fleuve qui l'avoisine, le Nasabath (La Soummam), que Ptolémée appelle 
le Nasava, se jette en cet endroit dans la mer.
 On aperçoit au sommet 
de l'une des hautes montagnes qui entourent Bougie, un ancien Marabout qui est 
devenu le fort Gouraia, élevé à l'extrémité 
d'une roche immense, abrupte et escarpée, haute de 670 m. Une route arrive 
par des rampes multipliées à ce fort Gouraia, construit à 
4 000 m de la ville. Il forme comme la clé imprenable de cette position 
qu'il domine et maîtrise.
 
 La ville est construite sur le double versant 
intérieur des deux collines où elle semble blottie comme un oiseau. 
Les maisons, séparées les unes des autres par des jardins, lui donnent 
l'aspect d'une réunion de campagne plutôt que d'une ville. Dominée 
par les hauteurs qui s'élèvent en amphithéâtre et presqu'à 
pic derrière elle, cette position sur le flanc de la montagne, ses maisons 
écartées et les masses d'orangers, de grenadiers et de figuiers 
de Barbarie qui les entourent, rendent son site éminemment pittoresque.
 
 Il 
n'existe qu'un seul débarcadère, étroit et peu commode devant 
la Porte de la marine, unique entrée de la ville sur cette face. Cette 
partie a sur la baie la physionomie d'un panorama charmant. Le commandant de notre 
bateau à vapeur nous fit, en partant, la galanterie de promener son bâtiment 
sur la ligne circulaire de la rade pour nous faire jouir de ce délicieux 
spectacle sous ses différents aspects; puis nous gagnâmes le large.
 
 Les 
Français n'occupent que la ville elle-même; les environs sont fort 
dangereux, au point qu'à cent et cent cinquante pas des murs, on aperçoit 
des blockhaus, dont on ne va relever les factionnaires qu'avec des escortes. Toutes 
ces montagnes sont peuplées de Kabayles intraitables et cruels. Au surplus 
ce n'est pas nouveau; sous le gouvernement même du Dey, ces Kabayles étaient 
également insoumis et indomptables : pirates montagnards, ils étaient 
inaccessibles au milieu de leurs rochers; fiers de cette supériorité 
que leur donnait la nature, ils refusaient le transit aux habitans de la Régence, 
aux troupes du Dey lui- même qui, malgré tous ses efforts, vit son 
pouvoir absolu forcé à s'incliner devant ces hôtes sauvages 
de la montagne, et réduit à leur payer tribut pour obtenir droit 
de passage sur leur territoire. Bougie possède un assez bon port: ouvert 
au vent nord-est comme tous les ports d'Afrique, parce que ce vent est peu redoutable 
sur ces côtes, il est protégé par la terre contre le vent 
du sud, et contre les vents ouest, nord et nord-ouest par un rocher qui forme 
l'anse Sidi-Yahïa, laquelle offre un fort bon mouillage, mais seulement à 
très peu de navires, une quinzaine environ.
 " Pendant l'hiver 
rigoureux que nous venons de passer ici (de 1834 à 1835), dit M. Segrétier, 
capitaine de corvette, nous avons reçu plusieurs coups de vent; dans toute 
l'étendue de la baie, la mer était extrêmement grosse et ne 
formait qu'un brisan. Quelques navires se sont trouvés au mouillage SidiYahia 
et, durant tous ces mauvais temps, il n'y a eu que deux chaînes et un câble 
cassés. Les vents se sont bien faits sentir par fortes rafales, dans cette 
petite baie, mais la mer n'a jamais été assez forte pour nous empêcher 
de communiquer d'un bâtiment à l'autre, Deux chaloupes de l'administration 
de la guerre, un chalan et la chaloupe du Liamone, ont toujours été 
sur leurs amarres et n'ont jamais couru aucun danger ni même éprouvé 
d'avaries ".
 
 Le mouillage de Bougie peut être d'un grand 
secours pour les bâti- mens qui, pendant l'hiver, font le service d'Alger 
à Bone; à peu près à égale distance de ces 
deux points, c'est une station à peu près sûre et commode 
qu'il est important de nous assurer.
 
 Voici sur cette place les renseignemens 
que nous trouvons dans les documents officiels, distribués aux Chambres 
( Tableau des établissements français 
dans l'Algérie, février 1838, tome 1, page 85, appendice II): 
" Cette ville indique, par les ruines nombreuses qui composent le sol 
sur lequel elle repose, une grande importance passée et une haute antiquité 
Elle formait probablement la limite orientale de la Mauritanie Césarienne 
". Occupée successivement par Aroudj Barberousse, par Charles-Quint 
qui, après sa fameuse expédition contre Alger, fut poussé 
par la tempête en relâche à Bougie, elle reçut de tous 
ceux qui s'y sont établis et ont reconnu son importance des développements 
considérables. " L'enceinte des Romains est reconnaissable et debout 
sur un assez grand nombre de points. Les travaux que les Espagnols exécutèrent 
après la conquête en 1510, sont encore entiers. Ce sont le fort Moussa, 
élevé par Pierre de Navarre, et la Casbah par Ferdinand-leCatholique 
et CharlesQuint. A cette époque, Bougie contenait 8 000 maisons et un grand 
nombre de beaux édifices publics " . Cette prospérité 
décrut sous la domination espagnole, mais surtout sous le feu de la guerre 
ouverte qui éclata entre le Dey et les Kabyles. Telle était la situation 
de cette ville lorsqu'elle fut prise par nos troupes, le 29 septembre 1833. Elle 
fut confiée au commandement éclairé du brave Duvivier qui, 
là comme à Guelma, sut mettre l'empreinte de son énergie 
et de son autorité. Aujourd'hui que devons-nous faire de Bougie? Il est 
indispensable de la conserver : indépendamment de son importance comme 
relâche pour nos bâti- mens, il est du plus haut intérêt, 
en nous réservant ce port, de l'ôter à l'ennemi anglais, russe, 
ottoman ou africain qui, dans une guerre maritime, ne manquerait pas de s'en emparer, 
et couperait ainsi la communication entre deux points importans de nos possessions 
d'Afrique : une flotte française perdrait en même temps l'avantage 
de mouiller à l'est de la Régence, à portée d'agir 
au besoin et immédiatement sur Alger et sur Bone. Ainsi conservons sans 
aucun doute Bougie.
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