| L'église 
        protestante de Boufarikpar Georges Pons
 D'ABORD annexe de l'église 
        de Blida, celle de Boufarik (Bibliographie: 
        Courrier du Dimanche (indiqué en abrégé CdD), numéro 
        du Centenaire, p. 6 à 8; Trumelet : " Boufarik e, deuxième 
        édition, Jourdan, Alger, 1887, p. 367-368 et 483.) 
        ne fut constituée en paroisse distincte que par décret du 
        23 novembre 1875. Tout comme son église mère, elle était 
        affectée au culte de l'église luthérienne; pour reprendre 
        la terminologie d'alors il s'agissait d'un " oratoire de la confession 
        d'Augsbourg " et les cultes avaient lieu alternativement en français 
        et en allemand.
 En superficie, elle était alors une des plus petites églises, 
        Boufarik se situant au centre d'un cercle d'environ 25 km de rayon, regroupant 
        dix-huit localités et comportant officiellement quatre annexes.
 
 À une époque que je n'ai pu fixer avec précision, 
        mais qui est postérieure à 1930, Boufarik se vit adjoindre 
        l'arrondissement de Cherchell, 
        détaché de la nouvelle paroisse de Miliana.
 
 Le premier pasteur fut Ludwig (dit " Louis ") Bost (2Voir 
        Charles Marc Bost, Mémoires de mes fantômes, sans nom d'éditeur, 
        ni lieu d'édition, 1981, tome p. 33 à 35.) (1845-1929), 
        petit-fils d'Ami Bost, le fougueux pasteur du Réveil, neveu de 
        John Bost, fondateur des Asiles qui portent son nom; il avait fait ses 
        études de théologie à Strasbourg et soutenu sa thèse 
        en français: " Essai d'introduction du livre de l'Ecclésiaste 
        " alors que l'Alsace était devenue allemande. Consacré 
        pasteur par son père à Anduze le 19 juillet 1874, il rejoint 
        un premier poste pastoral à Cherchell la même année, 
        mais n'y reste que deux ans et il est appelé au nouveau poste créé 
        à Boufarik où il est installé le 5 novembre 1876.
 
 Installé est un bien grand mot car il n'y avait ni temple, ni presbytère, 
        ni conseil presbytéral. Les cultes avaient lieu tout d'abord dans 
        une salle de l'école des garçons puis, depuis le 10 février 
        1865, dans une pièce exiguë. Cet ancien séchoir à 
        tabac (qui servit aussi de brasserie) était étouffant en 
        été et si humide en hiver que les livres y moisissaient 
        en peu de jours. Il était urgent de bâtir un temple.
 
 Louis Bost s'y employa avec acharnement, aidé en cela par Léon 
        Teule, de Souma, qui établit lui-même les plans et devis 
        de construction et les présenta au conseil presbytéral dès 
        le 3 février 1878. Le coût estimé à 15 000 
        F, terrain non compris. La mairie concéda un terrain dans ce qui 
        deviendra la rue Borély-La-Sapie. Mais, lorsque les travaux débutèrent 
        en 1879, Bost n'avait en caisse que 1 700 F. Il multiplia les appels de 
        fonds, les collectes en métropole, en Écosse, en Angleterre 
        et en Suisse et obtint un prêt sans intérêt de Victor 
        Zuber, industriel à Rixheim.
 
 Enfin, le 29 mai 1881, le nouveau temple fut consacré par le pasteur 
        Augustin Bost de Genève, père de Louis, en présence 
        d'une foule nombreuse et de sept pasteurs en robe. En 1894 il est décrit, 
        dans le journal le Courrier du Dimanche (3CdD, 
        1894, p. 17.) comme " l'un des mieux appropriés 
        à sa destination; entouré d'un jardin complanté d'arbustes 
        et de plantes souvent fleuries, avec ses fenêtres en ogive, son 
        choeur surélevé, son autel en bois sculpté et son 
        ancienne chaire historique, don de la vieille église de Montpellier 
        à sa jeune soeur d'Algérie ".
 
 Mais l'action du pasteur Bost ne se limita pas à cela: il créa 
        une " bibliothèque populaire du Temple ", offrant plusieurs 
        centaines d'ouvrages et une école du jeudi et son action s'étendit 
        au-delà des limites de sa paroisse puisqu'il créa, avec 
        son collègue Charles Monod, le Courrier du Dimanche, première 
        publication bimestrielle protestante en Algérie. Il agrémenta 
        notamment les numéros d'astuces mathématiques.
 
 Hélas ! en 1894, il contracta le typhus, n'en mourut pas mais dut 
        renoncer à son ministère et démissionner après 
        dix-huit ans dans la même paroisse où il laissa bien des 
        regrets. Il était considéré comme un écrivain 
        de talent, un musicien de qualité et un serviteur de Dieu particulièrement 
        dévoué.
 Son successeur, le pasteur Théophile, Lazare Boisset (1854-1910) 
        (4Bulletin de Société 
        d'histoire du protestantisme français (abrégé BSHPF), 
        1895, p. 288; 1901, p. 48; 1978, p. 349 et p. 426. Il était le 
        père du professeur Jean Boisset (1909-1978) de la faculté 
        de Montpellier.) avait d'autres qualités; c'était 
        essentiellement un aumônier militaire qui s'était couvert 
        de gloire lors de l'expédition du Tonkin et notamment à 
        TuyenQuan aux côtés du sergent Bobillot, ce qui lui valut 
        une croix de chevalier de la Légion d'honneur sur le champ de bataille. 
        Il avait été évangéliste instituteur à 
        Relizane de 1881 à 1884 avant son départ pour l'Extrême-Orient. 
        À son retour, il fut pasteur à Aumessas, dans le Gard, mais 
        ne soutint sa thèse de bachelier en théologie qu'en 1890. 
        Nouvel Aramis, il n'était pas plutôt en fonction dans une 
        paroisse qu'il rêvait de partir outre-mer comme aumônier militaire. 
        C'est ainsi qu'il sollicita la faveur de partir - mais vainement - depuis 
        Aumessas avec l'expédition du général Dodds au Dahomey 
        et depuis Boufarik, en 1895, et de se joindre au corps expéditionnaire 
        partant pour Madagascar, mais on lui préféra alors le pasteur 
        de Cherchell. En 1900, il fut choisi - enfin - comme aumônier des 
        troupes en campagne contre les Boxers en Chine; il y restera quinze mois, 
        Boufarik étant alors provisoirement confiée à un 
        suffragant, Émile Ledermann, le futur pasteur de Philippeville. 
        Lorsque lui fut remis en 1902, la rosette d'officier de la Légion 
        d'honneur, il était le seul pasteur de France ayant une si haute 
        décoration. Il est vrai qu'il avait été neuf fois 
        au feu, comptait cinq campagnes de guerre et qu'il s'était dévoué 
        sans ménagement dans les hôpitaux militaires lors des épidémies.
 
 On doit au pasteur Boisset la construction du temple de Koléa, 
        qui fut inauguré le 5 juillet 1896 ( CdD, 
        1896, p. 58; CdD du 6 mars 1910 (article nécrologique qui le présente 
        comme 1.m " homme aimable et bon, pasteur pieux et fidèle 
        ").). Auparavant les cultes se tenaient dans une remise 
        " longue comme un boyau " au fond d'une cour où donnait 
        également une écurie si l'on en croit le rédacteur 
        du Courrier du Dimanche relatant cette dédicace. Il s'agissait 
        d'une construction rectangulaire en un point élevé du village, 
        dominant la plaine de la Mitidja. Le pignon de façade comportait 
        un clocheton surmonté de la croix; la salle de culte était 
        éclairée par six grandes baies et pouvait accueillir 120 
        personnes; une vaste sacristie complétait l'édifice. On 
        évoqua alors le souvenir du pasteur Dürr qui présida 
        les premiers cultes à Koléa, bien avant que Boufarik ne 
        soit érigée en paroisse protestante.
 
 Une autre tâche attendait, quelques années plus tard, le 
        pasteur Boisset: faire passer l'église du régime concordataire 
        au régime de séparation de l'Église et de l'État. 
        On imagine mal ce que cela représentait pour un pasteur de démarches 
        auprès des autorités civiles ou religieuses, des paroissiens 
        qu'il fallait convaincre de rejoindre telle ou telle formation luthérienne 
        ou réformée. Nous disposons pour Boufarik du rapport que 
        le pasteur fit au conseil presbytéral: " Pendant vingt-trois 
        jours consécutifs - du 25 novembre au 19 décembre - je suis 
        sorti tous les jours en voiture de louage. J'ai parcouru ainsi 804 km, 
        ce qui fait en moyenne 40 km par jour. J'ai visité quarante-neuf 
        villages ou fermes compris en douze communes. rai fait au moins 124 visites, 
        sans compter celles, nombreuses qu'il a fallu refaire ". L'aide de 
        l'Etat disparaissant, il fallait demander à chaque paroissien ce 
        qu'il voulait faire, combien il pouvait verser de contribution, etc.
 
 Si les renseignements fournis par le pasteur Boisset sont exacts (  
        Émile Carrairon, alors pasteur à Boufarik, semble en douter 
        dans sa notice sur son église publiée dans le numéro 
        du Centenaire de CdD.), en 1896, la paroisse de Boufarik comptait 
        environ 400 protestants disséminés dans dix-huit localités 
        et, en 1898, les cultes avaient lieu à Boufarik les deuxième, 
        troisième, quatrième et éventuellement cinquième 
        dimanche du mois à 9 heures; le premier dimanche du mois, le culte 
        avait lieu à Koléa à 9 heures et à 14 heures 
        un autre culte était célébré alternativement 
        à Castiglione ou à Bérard; Chebli était desservi 
        le dimanche à 15 heures, Birtouta le troisième dimanche 
        à 15 heures toujours.
 
 Le pasteur Boisset dut démissionner pour raisons de santé 
        en mars 1908 et c'est au conseil presbytéral qu'incomba finalement, 
        la lourde charge d'affiliation au synode luthérien et dévolution 
        des biens, en plus du quotidien d'une paroisse. Léon Teule, alors 
        vice-président de ce conseil, se dépensa sans compter. Les 
        statuts de la nouvelle Association cultuelle furent déposés 
        à la préfecture d'Alger le 8 mai 1908.
 
 Ce ne fut en effet, qu'en avril 1911, après donc 
        une vacance de poste de près de trois années,que fut installé 
        Daniel-Jean Reboul ( Voir le livret 
        de Jean Sambuc sur " Les Reboul, une dynastie de potiers du canton 
        de Dieulefit ", Dieulefit association " Patrimoine potier ", 
        1988, p. 36 et 37.) (1871-1915), fils de l'évangéliste 
        de Relizane et dont une fille épousera le pasteur Henri d'Alger 
        Agha. La commission exécutive avait prononcé sa nomination 
        dès 13 décembre 1910 ( CdD 
        du 25 septembre 1910.). Mais il restera moins de deux années 
        en poste à Boufarik, ayant opté, dès 1913, pour la 
        charge de pasteur à Mostaganem. Il fut r emplacé par François 
        Bravaix ( BSHPF, 1978, p. 580.) 
        qui fut installé le 1e avril 1913. Il devait demeurer plus de douze 
        ans à Boufarik et connaître donc les quatre années 
        tragiques de la Grande Guerre dans laquelle il devait perdre son fils 
        Jean, mort au champ d'honneur en 1915, à 20 ans. Étant resté 
        le seul non mobilisé en raison de son âge, il dut, en plus 
        de sa paroisse, gérer celles de Douera, Blida et Miliana dont les 
        pasteurs étaient mobilisés. Le rédacteur de la notice 
        du numéro du Centenaire du Courrier du Dimanche conclut en disant 
        que " Ses anciens paroissiens n'ont garde d'oublier, ce pasteur à 
        la figure fine, douce et sereine et leur affection reconnaissante le suit 
        " à Dieulefit où il s'était retiré en 
        1925 ( À partir de cette date, 
        les renseignements que je reproduis sont issus des archives conservées 
        par mon ami Louis Schneider que je remercie pour son aide précieuse.). 
        Il revint passer ses dernières années de vie auprès 
        de sa fille, à Boufarik où il mourut en 1943. Émile 
        Carrairon lui succéda. Il dut restaurer une fois encore le temple 
        de Boufarik qu'un tremblement de terre, cinq ans plus tôt, avait 
        fortement ébranlé. Il ne put, hélas! améliorer 
        une acoustique très défectueuse. C'était un pasteur 
        de sensibilité libérale qui fut un temps directeur de l'Institut 
        Samuel Vincent de Nîmes, mais il s'efforça tout au long de 
        son ministère de ne choquer personne par ses propos et il fut fort 
        apprécié. Il restera à Boufarik jusqu'à sa 
        mort en 1937; d'abord inhumé à Boufarik, ses restes ont 
        été, après l'indépendance de l'Algérie, 
        transférés à SaintChaptes, dans le Gard.
 Édouard Faure, gendre du pasteur Bravais, fut nommé à 
        Boufarik en 1938. Il était jusqu'alors pasteur à Cherchell, 
        paroisse qui fut, à cette occasion, rattachée à Boufarik. 
        Il fut l'artisan du rattachement à l'Église réformée 
        de France nouvellement créée d'une église qui, jusqu'alors, 
        était luthérienne. Ce fut à Boufarik aussi, une époque 
        bien difficile à vivre que suivit une guerre, encore plus pénible. 
        La paix retrouvée, le pasteur Faure quitta Boufarik pour Bourg-en-Bresse. 
        Il passa les dernières années de sa vie à Montpellier 
        auprès de sa fille Myriam, épouse du pasteur Freychet...
 
 Après son départ de Boufarik un intérim du poste 
        pastoral fut assumé par un ingénieur agricole, Éric 
        Zurcher, qui devait plus tard, devenir pasteur à son tour, notamment 
        à Uzès.
 
 Puis vint en 1946, Michel Olivès, jusque-là professeur de 
        lettres au collège colonial de Blida (une autre vocation tardive 
        peut-être apparue à l'occasion de la guerre). Il était 
        fils d'un missionnaire dans la communauté espagnole d'Oran. Il 
        poursuivit des études de théologie parallèlement 
        à l'intérim du poste de Boufarik et quittera l'Algérie 
        le 22 septembre 1954, pour rejoindre son nouveau poste à Saint-Laurent-d'Aigouze, 
        dans le Gard. Cinq semaines plus tard, pour la Toussaint, débuta 
        cette période douloureuse qui devait aboutir à l'indépendance 
        de l'Algérie.
 * ************************ Le poste fut déclaré vacant et la situation 
        rendait aléatoire son remplacement. Une candidature pourtant fut 
        reçue, celle de Georges Tartar, jusque-là pasteur à 
        La Mure. Il vint présider le culte à Boufarik le 8 mai 1955, 
        fut élu et rejoignit son nouveau poste en septembre 1955.
 Il avait une personnalité hors du commun, un charisme très 
        affirmé et, soutenu par une partie seulement de son conseil presbytéral, 
        fut à l'origine de la crise la plus grave que pouvait connaître 
        une église et ce, dans un temps fort troublé ( 
        Les renseignements qui suivent sont, pour la plupart, issus du dossier 
        qu'a constitué en son temps Louis Schneider qui, à l'époque 
        des faits, était secrétaire du conseil presbytéral 
        de Boufarik, a vécu cette crise et en a souffert.).
 
 Georges Tartar était issu d'une de ces Églises d'Orient 
        qui furent les premières dans le temps et ont subsisté, 
        contre vents et marées, à dix siècles d'oppression 
        musulmane. Il avait une connaissance du Coran presque aussi bonne que 
        sa connaissance de la Bible et parlait un arabe littéral plus pur 
        que celui de nombreux ouléma.
 
 Les " événements ", comme on disait alors pudiquement, 
        eurent pour lui un retentissement plus grave encore que pour nombre de 
        ses paroissiens. Et il trouva, parmi ces derniers, un soutien sans faille 
        de la part de Marcel Astier, maire de Souma, conseiller général, 
        au passé militaire glorieux; comme colonel il avait conquis durant 
        la dernière Guerre Mondiale, le Fezzan, que la France ne sut pas 
        conserver, ni même réclamer après la victoire de 1945. 
        Il était, lui aussi, un arabisant de qualité et avait réussi 
        à se joindre à un groupe de pèlerins pour La Mecque; 
        il pouvait donc prétendre au titre de " Hadj ". Sa notoriété 
        en milieu musulman était telle qu'il s'était fait élire 
        au conseil général par le deuxième collège 
        (collège musulman).
 
 L'incompréhension dont les milieux métropolitains faisaient 
        preuve à propos de la situation en Algérie contribua beaucoup 
        au développement de la crise. Certaines déclarations de 
        pasteurs, l'attitude d'un pasteur Mathiot ( Voir 
        sur cette pénible affaire, Présence, février-avril 
        1978, dixième partie, p. 29 à 31; aider un chef FLN à 
        passer en Suisse alors qu'il reconnaît étre l'objet de recherches 
        policières, était pour certains " annoncer l'Évangile 
        "; pour d'autres, dont le Conseil presbytéral de Boufarik, 
        le crime dénoncé par l'épitre aux Romains, chapitre 
        13, versets 2 à 4.) apportant son concours au FLN étaient 
        considérées par la majorité des fidèles comme 
        autant de coups de poignard portés par leurs frères et venant 
        s'ajouter aux agressions que les fellaghas leur faisaient endurer.
 
 Ainsi, dès le 23 avril 1956, dix pasteurs du Gard (dont Michel 
        Olivès), dans une lettre ouverte adressée au président 
        du Conseil (Guy Mollet) écrivaient: " Au nom de notre nation, 
        nous nous humilions d'avoir couvert d'un silence complice, la grande souffrance 
        du peuple algérien, soumis, pendant trop longtemps, au mépris 
        et à la misère (...), nous pensons que l'envoi de l'armée 
        fait figure de provocation qui ne peut qu'étendre le conflit et 
        entraîner la guerre civile (...) nous vous adjurons de considérer 
        le Front de Libération Nationale comme l'un des interlocuteurs 
        valables en vue d'un cessez-le-feu ".
 Le Conseil presbytéral de Boufarik unanime, répliqua violemment 
        dans une lettre datée du 2 juin 1956 et rendue publique: " 
        J'ai honte d'abord pour vous, parce que vous avez eu le triste courage 
        de l'écrire (...) vous orientez aujourd'hui vos ouailles dans les 
        sentiers de l'erreur, du mensonge et de la mort. C'est de cela dont vous 
        devriez vous humilier maintenant ". Cette lettre - dans laquelle 
        je crois reconnaître le style de Marcel Astier - rappelait ensuite 
        que la guerre que l'on nous faisait en Algérie était la 
        " guerre sainte ", prônée par les zélateurs 
        musulmans extrémistes, celle qui a poussé au massacre à 
        Robertville, à Filfila, Aïn-Beïda, El Alia et Palestro, 
        de femmes et d'enfants aussi bien que d'hommes, chrétiens ou musulmans 
        " innocentes victimes de vos interlocuteurs valables ".
 
 Comme on le verra fréquemment dans le conflit algérien, 
        les prises de position métropolitaines de personnes qui se jugeaient 
        bien pensantes, exprimées en termes choisis depuis un intérieur 
        feutré, déchaînaient la colère de ceux qui 
        vivaient un drame au jour le jour; elles accentuaient un fossé 
        d'incompréhension chaque jour plus profondément tracé 
        entre les deux bords de la Méditerranée.
 
 Dans cette ambiance passionnée - et toujours dans l'église 
        de Boufarik - une voix s'éleva, apportant un message d'union, de 
        paix, de fraternité et l'espérance d'un monde meilleur. 
        Cette voix fut celle du pasteur Tartar au travers de son " Union 
        des croyants " qui voulait le rapprochement entre les grandes religions 
        monothéistes, l'instauration d'une société juste, 
        fraternelle et pacifique. Dans un texte daté du 28 février 
        1959 il présente sa démarche: " C'est dans la recherche 
        d'une solution au problème algérien que j'ai été 
        amené à approfondir certaines questions et à leur 
        trouver des solutions nouvelles afin de travailler au rapprochement islamo-chrétien 
        et de fournir à la communauté franco-musulmane qui se crée, 
        un fondement religieux et spirituel qui la rendrait plus effective, plus 
        solide et plus unie (...). L'un des biens communs des monothéistes, 
        c'est la foi en Dieu qui s'est révélé et dont la 
        révélation se trouve recueillie dans deux livres: la Bible 
        et le Coran. L'étude de ces livres, sans parti pris dogmatique, 
        permettrait aux croyants de se connaître et de s'aimer et de vivre 
        dans la paix et l'harmonie fraternelle ".
 
 En pleine guerre, alors que les fanatismes se renforçaient, un 
        tel message ne pouvait être reçu, mais il est bon qu'il ait 
        été proclamé.
 
 Son accueil fut franchement mauvais; on crut y voir du syncrétisme 
        religieux, certains parlèrent même de cheminement vers la 
        conversion à l'islam d'un pasteur protestant. Les plus aimables 
        évoquèrent la démarche d'un doux rêveur...
 
 Si l'on ajoute que ce message était l'oeuvre d'un pasteur qui affirmait 
        corrélativement haut et fort son attachement à une Algérie 
        française, seul cadre possible selon lui pour l'enfantement et 
        le soutien d'un pareil projet, on comprend mieux que le pasteur Tartar 
        ait été incompris de la plupart de ses interlocuteurs.
 
 L'église de Boufarik fut le théâtre d'une lutte fratricide 
        où les deux camps multiplièrent maladresses et coups fourrés. 
        Le consistoire était alors dominé par deux personnalités 
        de qualité mais avec une conception très rigide de leur 
        rôle et de la discipline dans l'Église; je veux parler des 
        pasteurs Chatoney et Capieu. Après avoir vainement tenté 
        d'obtenir du conseil presbytéral qu'il démissionne Georges 
        Tartar, le consistoire saisit le Conseil national qui entend le pasteur 
        de Boufarik le 19 janvier 1960. Ce dernier impressionne le conseil par 
        " l'assurance fortement formulée de sa vocation à rechercher 
        une méthode d'approche chrétienne de l'Islam ". Vu 
        l'importance du conflit opposant ce pasteur et le consistoire, le Conseil 
        national proposa un congé payé en métropole pour 
        une durée minimum de six mois à partir du 1er mars pour 
        qu'il bénéficie " d'un temps de repos et de retraite 
        propre à éclairer l'Église et eux-mêmes (i.e. 
        les époux Tartar) sur la forme de ministère vers laquelle 
        les connaissances et les dons particuliers de M. Tartar peuvent l'orienter 
        " et pour permettre à ce dernier de poursuivre ses études 
        islamiques et hébraïques, étant précisé 
        que " la reprise du ministère au-delà de ce congé 
        pourrait ne pas s'exercer dans un cadre paroissial ordinaire ". Dans 
        la lettre accompagnant, pour le conseil presbytéral, cette décision, 
        le pasteur Pierre Bourguet, président du conseil national, précisait 
        que celle-ci " exceptionnellement généreuse (était) 
        intangible, puisque nous sommes allés d'emblée à 
        l'extrême limite de ce qui pouvait être envisagé ".
 
 Cette mise en congé avec bannissement et incertitude quant à 
        l'avenir de son ministère, ne pouvait être acceptée 
        par le pasteur Tartar; elle ne le fut pas et dans sa lettre de refus ce 
        dernier compara le conseil national au Sanhédrin et à la 
        diète de Worms et leur reprocha " d'éteindre l'esprit 
        ". En réponse le Conseil national le suspendit de ses fonctions 
        à compter du 1er mars avec interdiction d'exercice de son ministère 
        dans quelque église que ce soit.
 
 Une séance extraordinaire du conseil presbytéral se tint 
        le 3 mars 1960 à Koléa, au domicile de Mathieu de Tonnac, 
        vice-président. Six des conseillers presbytéraux sur dix 
        y étaient présents, mais ni Marcel Astier qui s'y était 
        refusé, ni le pasteur Tartar qui fit une courte apparition pour 
        signaler l'illégalité d'une telle réunion et annoncer 
        qu'il saisirait les tribunaux. Le procès-verbal croit bon de noter 
        que la séance fut suspendue à l'arrivée de Georges 
        Tartar et ne reprit qu'après son départ.
 
 Le but de la réunion, à laquelle participaient les pasteurs 
        Chatoney, président du Conseil régional et Bolay, président 
        du consistoire de l'Algérois était de procéder à 
        la déclaration de vacance du poste pastoral et de demander à 
        un pasteur d'assurer dès à présent la desserte de 
        la paroisse. Le nom d'Adrien Bellet, alors pasteur à Tlemcen fut 
        suggéré par le pasteur Chatoney et une démarche en 
        ce sens fut aussitôt décidée.
 
 Dans la lettre qui lui fut adressée par le vice-président 
        et le secrétaire, il était bien précisé que 
        sur les dix membres du conseil trois repoussaient la décision du 
        Conseil national et un était " sans opinion ". Quant 
        aux paroissiens, il était difficile de préciser leurs opinions; 
        tout au plus pouvait-on indiquer que, sur Boufarik, 50 % soutenaient Tartar 
        et 50 % étaient prêts à obéir au Conseil national.
 
 Le pasteur Bellet accepta et rejoignit Boufarik très rapidement 
        mais il ne put ni s'installer dans le presbytère, ni même 
        accéder au temple dont les serrures avaient été changées.
 
 Le pasteur Tartar et ses amis avaient en effet décidé de 
        ne pas se soumettre. Ils avaient réuni le 20 mars 1960 une assemblée 
        générale qui confirma dans ses fonctions le pasteur Tartar, 
        déclara démissionnaires les six membres ayant participé 
        à la séance de Koléa et procéda à des 
        élections partielles pour compléter le conseil presbytéral. 
        Marcel Astier fut nommé vice-président du conseil presbytéral 
        et son neveu Paul Astier, trésorier.
 
 Le synode national tenu à Valence les 29, 30 avril et 1" mai 
        1961 prononça, par 75 voix contre 3, la révocation du pasteur 
        Tartar " pour des motifs de doctrine et de discipline ", mais 
        celui-ci resta à son poste. Sur assignation devant le Tribunal 
        de grande instance d'Alger par le groupe opposé, il se vit, par 
        jugement du 31 juillet 1961, condamné à remettre à 
        la disposition de l'ERF, les édifices cultuels de Boufarik, Koléa, 
        Cherchell, la voiture automobile mise à sa disposition et les divers 
        registres et pièces d'archives. Mais cette décision ne fut 
        pas exécutée.
 L'indépendance de l'Algérie survint quelques mois plus tard; 
        la plupart des membres de l'église rejoignit la métropole 
        à l'exception de Marcel Astier, enlevé et sans doute assassiné 
        par l'armée de libération nationale algérienne dans 
        les premiers jours de juillet 1962, et du pasteur Tartar qui, contre vents 
        et marées, continua son oeuvre d'évangélisation et 
        de rapprochement des croyants des trois grands courants religieux monothéistes, 
        jusqu'à son expulsion par le gouvernement algérien en 1970.
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