
           Le 
          peintre Dinet
Le 
          peintre Dinet 
        Le peintre Étienne 
          Dinet vient de mourir, à Paris, d'un accident cardiaque consécutif 
          à une congestion pulmonaire, dont il paraissait guéri. 
          Né à Paris, en 1861, d'un père notaire et dans 
          une famille dont la religiosité, par bien des points, joignait 
          le mysticisme, il avait fait sa première éducation à 
          l'École des Beaux-Arts. Après avoir envoyé au Salon 
          son premier tableau, la " Légende de Saint-Julien l'Hospitalier 
          ", il se détachait tout de suite de la peinture d'histoire 
          et de la peinture réaliste de la vie contemporaine, aussi éloigné 
          de l'imagination littéraire et de la peinture d'idées 
          que de la peinture des murs. Il était officier de la Légion 
          d'honneur et il avait connu, dans les dernières années 
          du dernier siècle, une célébrité qui, par 
          suite de l'évolution de l'art et de la modification des points 
          de vue, s'était atténuée presque jusqu'à 
          l'indifférence. Ses obsèques ont été célébrées 
          vendredi à la mosquée de Paris, où son corps a 
          tout de suite été transporté par les soins de son 
          ami Ben Ghabrit, directeur du protocole de Sa Majesté Chérifienne. 
          
          
          Etienne Dinet s'était, en effet depuis longtemps, converti à 
          l'Islam. Fait très curieux, il avait une soeur religieuse, avec 
          laquelle il paraît être resté en très bons 
          termes, malgré sa conversion à ce qu'elle pouvait considérer 
          comme une apostasie. 
          
          A la cérémonie funèbre assistaient M. Pierre Bordes. 
          Gouverneur Général de l'Algérie; Allazard, directeur 
          du Musée d'Alger; Guyon-Vernier, Richard, les directeurs et fonctionnaires 
          de l'Office de l'Algérie à Paris et les amis personnels 
          du défunt. Selon ses dernières volontés, le corps 
          sera transporté à Bou-Saâda, pour être inhumé 
          dans la patrie adoptive du peintre et dans le cénotaphe préparé 
          d'avance, où doit le rejoindre plus tard son fidèle ami 
          Si Sliman.
          
          Maintenant que l'on a fourni les renseignements biographiques indispensables, 
          il reste à apprécier le peintre et son uvre. 
          
          Etienne Dinet se range parmi les peintres orientalistes. Le premier 
          voyage qu'il fit en Algérie et qui le mena à Bou-Saâda 
          avec son ami Michelin, qui faisait lui aussi de la peinture avant de 
          devenir le grand industriel bien connu et on pourrait dire le roi du 
          pneu, exerça sur lui une telle séduction qu'il décidait 
          de s'y fixer à jamais et qu'il devint le plus enthousiaste des 
          orientalistes. Ceci se passait en 1883, et Bou-Saâda, non encore 
          reliée à Alger par les rapides services de cars et d'autos, 
          était prototypique de la véritable oasis, de la ville 
          saharienne où venaient, aux confins du Tell, se ravitailler les 
          grands nomades chameliers du Sud. Dans son désert en réduction 
          et qui a tous les attraits du grand désert, Bou-Saâda avec 
          ses palmes, ses jardins, son oued et les pétales blancs de ses 
          abricotiers dont Isabelle Eberhardt a laissé une description 
          inoubliable, lui devint un Éden, un coin béni du monde, 
          auquel il resta fidèle, où il revint chaque année 
          dès le mois do mars jusqu'au mois d'octobre. Il s'était 
          fait bâtir une maisonnette tout pareille aux autres et un marabout 
          dominant le lit de l'oued et qui lui servait d'atelier. C'est là 
          qu'il travailla sans arrêt, prenant prétexte du motif humain, 
          étudiant l'être et ne faisant intervenir le paysage et 
          le décor qu'à titre de cadre. 
          
          A cette époque, comprise entre 1884 et 1900, le Sud même 
          à Bou-Saâda, à peine distante d'Alger de 260 kilomètres, 
          conservait tout sont charme mystérieux et gardait encore intacts 
          et purs ses types aujourd'hui adultérés du bédouin 
          nomade et de l'Oued-Naïl. Dinet consacra sa vie entière 
          à l'étude de la vie arabe et à la reproduction 
          de ses types principaux et à la glorification de ses vieilles 
          légendes. Converti à l'Islam tellement l'avait séduit 
          ce décor biblique et ces scènes du Moyen-Age perpétué 
          sous ses yeux, Dinet fit le pèlerinage de la Mecque. Les premiers 
          travaux, dans lesquels il traduisit la vie arabe et le Sud algérien 
          firent sensation et furent très goûtés. En même 
          temps que lui, vers 1892, débutèrent deux peintres qui 
          furent eux aussi fameux et qui pour les mêmes motifs du déplacement 
          de l'esthétique et des nouveaux goûts de la mode, sont 
          aujourd'hui bien oubliés : Lucien Simon et Charles Cottet, peintre 
          de la Bretagne. 
          Dès ce moment, Dinet pénètre au Luxembourg avec 
          " Lumière des yeux " et " Esclave d'amour ". 
          Et depuis, ce travailleur acharné ajoute à son uvre 
          ; les musées de province et les collections particulières 
          se disputent ses toiles et il se prend à illustrer des livres, 
          ces " Tableaux de la vie arabe ", dont Sliman ben Ibrahim 
          est donné pour avoir écrit le texte, la légende 
          d'Antar qui contient de très belles pages. 
          
          Dès cette époque. Dinet est célèbre et connaît 
          une vogue considérable. C'est à la fois un coloriste et 
          un observateur. Il sait analyser les gestes et les faire concourir à 
          une signification d'intelligence, il dessine avec un art infini, un 
          scrupule intense et une précision absolue; des gestes, des visages, 
          des attitudes, il dégage le caractère, la psychologie 
          et la sentimentalité des êtres. Il sait donc la popularité, 
          la gloire, la fortune.
          
          Et nous arrivons aux jours d'avant la guerre, quand tout cela change 
          brusquement. L'art est bouleversé, l'esthétique change. 
          Ce dessinateur si précis, qui ne laisse rien à finir, 
          qui cisèle avec tant de minutie et qui dit tout, au point que 
          toute cette perfection, partout présente, nuit un peu et dépouille 
          ses toiles d'un intérêt central; sa technique fidèle, 
          son métier formidable, voilà tout d'un coup que cela ne 
          pèse plus que d'un poids très léger et excite autant 
          la raillerie et les haussements d'épaule qu'autrefois les cris 
          d'enthousiasme et les exclamations laudatives. Les représentants 
          de la jeune école, les revues d'avant-garde passent Dinet sous 
          silence, le considèrent comme un débris résiduel 
          de l'ancienne faune picturale. On convient qu'il sait dessiner, qu'il 
          sait peindre, mais cela n'est pas suffisant pour qu'on puisse le dire 
          un peintre. On l'appelle pompier et photographe, parce que l'objectif 
          lui aussi voit juste, reste fidèle et reproduit bien. Or, pour 
          les goûts du jour, peindre n'est pas copier ni reproduire, mais 
          traduire et apporter, à défaut des idées dont la 
          peinture veut se garder comme de la peste, la preuve d'une sensibilité 
          différente et particulière. Or, Dinet sent comme tout 
          le monde, Dinet n'a ni ingénuité ni naïveté, 
          c'est au contraire un homme habile, trop habile dont on ne veut plus 
          rien savoir. Comme il eut le tort aussi de travailler trop et trop tard, 
          victime un peu de cet appât du gain qui conduit tant de beaux 
          peintres à devenir des illustrateurs ou même des affichiers, 
          tout net et sans ambages, on dit de lui que c'est un artisan, on le 
          tare de l'épithète, terrible dans ce métier, d'anecdotier, 
          de raconteur de petites histoires sans importance, passe-partout et 
          dont le contraire pourrait être vrai et dont il n'y aurait qu'à 
          changer le titre pour lui faire aussitôt signifier n'importe quoi 
          d'autre et même le contraire. 
          
          En somme, l'uvre de Dinet avait vieilli autant et plus que lui-même, 
          elle faisait époque et date, elle était un moment périmé 
          de l'ancien orientalisme. A part ses admirateurs d'Algérie qui 
          lui restaient fidèles, continuaient d'acheter ses tableaux et 
          s'extasiaient devant les envois qui s'arrêtaient dans nos salons 
          locaux avant de s'en aller, pour n'y être remarqués par 
          personne, se perdre dans l'immense anonymat des " navets " 
          parisiens, Dinet ne retenait plus personne, maintenant vieux jeu, plus 
          à la page et dépassé. Ça vaut trois cents 
          francs à cause des cadres qui sont toujours très beaux, 
          disait-on de ses envois dans le milieu, chez les jeunes peintres et 
          même chez les marchands qui ont organisé le " boom 
          " de la peinture, traitée maintenant en affaire à 
          grand renfort de publicité tout à fait comme on lance 
          un savon, une auto ou une marque nouvelle de macaroni. 
          
          Les Algériens, sans trop pénétrer à fond 
          dans ces querelles de chapelle et ces difficiles questions d'esthétique, 
          garderont à Étienne Dinet leur estime et leur reconnaissance. 
          Il aura illustré l'Algérie dans ses êtres et ses 
          races; il aura apporté, sur des éléments, en perpétuelle 
          transformation depuis notre venue et qui vont se modifier jusqu'à 
          disparaître, des uvres qui resteront des témoignages. 
          Des uvres charmantes, sincères, fouillées, bijoux 
          et joyaux de petit maître. Et même à ceux d'ici qui 
          pourraient préférer à son art si précis, 
          mais un peu sec et quelque peu à base d'anecdote uniquement inspiré 
          du motif humain, non pas l'unique recherche de la matière à 
          quoi se complaisent les écoles modernes et à quoi, bon 
          peintre, excellait Dinet. mais la peinture plus vaste, signifiante, 
          mémo littéraire ou philosophique d'un Rochegrosse, d'un 
          Desvalières ou d'un Maurice Denis pour ne pas parler de Gustave 
          Moroau ou de Puvis, il n'en faudra |'as plus pour qu'ils le tiennent 
          très haut dans leur respectueux estime et se refusent à 
          l'oublier tout à fait en attendant cette heure où la triple 
          roulette du goût, de la mode et du commerce le remettront en vedette 
          et restitueront à son ombre ces fumées de la gloire auxquelles 
          il fut si sensible et dont il souffrit tant, dans sa vieillesse, d'être 
          privé.