| L'école communale de filles, située 
        entre école maternelle d'où la plupart d'entre nous venions, 
        et école de garçons fréquentée par nos frères 
        et petits voisins, nous dispensait un enseignement dont aujourd'hui encore 
        j'en apprécie la valeur, l'utilité, et en ressens les bienfaits 
        qui perdurent à travers le temps.
 Sous l'administration de sa directrice, Mademoiselle Mathilde Legendre, 
        qui disposait de divers instruments sonores (cloche, sifflet, sonnerie) 
        dont nos jeunes oreilles décryptaient parfaitement les diverses 
        significations ou injonctions, la discipline régnait. Je me souviens 
        d'une taloche par-ci par-là distribuée à quelque 
        désobéissance, sans distinction d'origine ou de statut social 
        ; la coupable rentrait vite dans le rang. Mises à la porte d'un 
        ou plusieurs jours étaient affichées avec nom et motif ; 
        nous lisions au passage, sans nous attarder.
 
 A l'école de garçons où avait 
        enseigné Monsieur Germain, l'instituteur d'Albert Camus, le traitement 
        était différent. Les plus rebelles s'assagissaient avec 
        un coup de pied au postérieur.
 
 Ces petits électrochocs (taloche, coup de pied au séant) 
        sans brutalité et assez rares à ma connaissance - et d'autant 
        plus mortifiants - faisaient comprendre aux insoumis les bienfaits d'une 
        discipline indispensable à la bonne marche de ces vastes établissements.
 
 Je n'ai pas souvenance d'une seule réclamation. Les parents, instruits 
        et élevés de la même façon dans leur jeunesse 
        (et plus sévèrement parfois par leurs géniteurs !) 
        étaient rassurés pour leurs rejetons par la discipline, 
        la même pour tous. Et l'ensemble scolaire poursuivait sa route immuablement, 
        comme un grand vaisseau. C'était très sécurisant. 
        Instituteurs puis professeurs nous prodiguaient un enseignement vaste 
        et varié dont je leur serai toujours reconnaissante.
 
 Merveilleuses écoles communales... Quand on en sortait on était 
        muni à vie d'une solide instruction et de bonnes notions sur tous 
        les arts. Et, en prime, nous avions assimilé le respect de nos 
        semblables et de la nature, la politesse, l'entraide.
 
 Il faut tout de même dire que nous 
        n'obtenions rien sans efforts. Devoirs et leçons nous attendaient 
        chaque soir à l'étude ou en rentrant à la maison. 
        On apprenait beaucoup. Des pans entiers, en prose ou en vers, de grands 
        auteurs, sont toujours présents dans les mémoires, voisinant 
        avec les tables de multiplication souvent ânonnées ainsi 
        que les règles de grammaire. Les cerveaux avaient assimilé, 
        avec ou contre leur gré, une foule de connaissances souvent rabâchées 
        qui nous ouvraient l'esprit et serviraient dans nos vies d'adultes.
 Dur dur parfois... Il m'est arrivé de me rendre à l'école 
        avec appréhension, n'ayant pas suffisamment appris une leçon, 
        ou su résoudre un machiavélique problème de gouttes 
        d'eau fuyant d'un robinet. Les heures de croisement de trains partis à 
        des heures différentes soumettaient aussi nos méninges à 
        rude épreuve... Le temps manquait pour penser à faire des 
        bêtises...
 
 Sans avoir jamais traversé la mer et mis un pied sur le sol de 
        la France métropolitaine, des générations de petits 
        écoliers européens, descendants de téméraires 
        pionniers venus de France et divers pays à partir de 1830, répondant 
        à l'appel de la France désireuse de peupler ses colonies, 
        n'ont connu que le drapeau bleu-blanc-rouge flottant sur les bâtiments 
        administratifs.
 
 Au coude à coude avec les jeunes descendants de :
 o Berbères, premiers arrivés au Maghreb par diverses vagues 
        de migrations préhistoriques, ayant connu Egyptiens, Grecs, Phéniciens, 
        Romains, Vandales, Bysantins (puis Arabes, Turcs, Français),
 o Israélite, présents depuis des temps très anciens 
        ; certains attirés par le commerce, les plus nombreux exilés 
        de divers lieux par de lointaines et successives diasporas (dont une tristement 
        célèbre eut lieu en 1391 pour les juifs d'Espagne),
 o Musulmans. Leur arrivée fut annoncée au VII° siècle 
        par le galop de cavaliers barbus arrivant d'Arabie et s'installant en 
        Afrique avant de s'élancer vers l'Espagne.
 o Descendants d'esclaves, ramenés contre leur gré d'Afrique 
        Noire,
 ... têtes brunes, rousses et blondes rapprochées, ils ont 
        appris dans le même livre d'Histoire que leur pays, la France, s'appelait 
        autrefois la Gaule et que ses habitants étaient les Gaulois...
 
 Inoubliable phrase de mon premier livre d'Histoire : " Autrefois, 
        notre pays s'appelait la Gaule, et ses habitants étaient les Gaulois 
        ".
 
 Ils ont appris aussi qu'ils vivaient dans un département français, 
        celui d'Alger, et que notre ville était la capitale des trois départements 
        français de l'Algérie ; ce dont nous étions fiers 
        et déclenchait parfois une légère jalousie parmi 
        les amis habitant dans les autres départements : nous arrivions 
        en seconde position après Paris ! Djelfa, petite ville aux portes 
        du plus grand désert du monde dans lequel fleurissaient de magnifiques 
        roses de sable minutieuse-ment élaborées par le vent aidé 
        du temps, faisait partie d'un territoire immense qui comportait une curiosité 
        unique dans le Sahara : une enclave de cinq villes où vivaient 
        les Mozabites, groupement différent par ses moeurs et ses caractères 
        ethniques, des autres tribus berbères.
 |  | Mes parents en parlaient parfois avec curiosité.Les différents accents familiaux engendraient quelquefois chez 
        les enfants un langage pittoresque : Napoléon devenait Napolion 
        et Sainte-Hélène, l'acétylène. Les jeunes 
        titis de Bab-el-Oued, aussi délurés que ceux de Paris, connaissaient 
        maintes histoires amusantes où toutes les langues se mêlaient 
        et qui provoquaient de joyeux éclats de rires.
 
 Les enfants ont une faculté étonnante d'adaptation. On incorporait 
        tout, comme nos parents avant nous : la Gaule, les Gaulois, le drapeau 
        tricolore, les chants des provinces françaises qui permettaient 
        d'approfondir nos connaissances historiques et géographiques :Sur 
        le pont d'Avignon... Il pleut, il pleut, Bergère... Le bon roi 
        Dagobert... J'aime à revoir ma Normandie... Sonne ma corne-muse 
        pour les filles du Berry... Que venez-vous chercher, garçons de 
        la Limagne... Joyeux enfants de la Bourgogne... Montagne, Pyrénées... 
        Sur la route de Louviers..., etc. Tous les chants patriotiques, sans oublier 
        la Marseillaise, le Chant du Départ... ; des airs et marches scouts.
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 Du classique aussi : un air de Lulli, créé au temps de Louis 
        XIV (La marche de Turenne), remanié par Bizet et introduit dans 
        l'Arlésienne avec des paroles d'une poésie d'Alphonse Daudet 
        : " De bon matin, j'ai rencontré le train, de trois grands 
        rois... " Et la génération de maman avait appris en 
        cours élémentaire, sur des paroles de poètes français, 
        de la musique de Beethoven et Tchaïkoski : cours extraits de l'Ode 
        à la joie et du ballet Casse-Noisette.
 
 " Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine... ", " Tes 
        ballons, chère Alsace, sont de neige encore blancs... ", " 
        Fiers enfants de la Lorraine... ", chantions-nous avec ardeur, nos 
        coeurs vibrant de tendresse pour ces provinces dont nous apprenions les 
        souffrances.
 
 A partir de la 6ème, chaque classe chantait à tour de rôle, 
        avec notre professeur de musique : " Mourir pour la patrie... " 
        parce que la pauvre femme avait perdu son frère à la guerre. 
        Nous apprenions aussi des poèmes en anglais avec l'enseignante 
        qui se prénommait Raoule et était fille de capitaine (l'aîné 
        des enfants, fille ou garçon, portait toujours ce prénom 
        dans sa famille). Sans compter les poèmes d'auteurs français, 
        nombreux, et une grande partie des fables de La Fontaine...
 
 On confectionnait par découpage et collage dans papier ou carton 
        : cubes, parallélépipèdes, cônes, etc... J'ai 
        longtemps gardé mon cahier de couture dont les pages rigides contenaient, 
        soigneusement collés, des carrés de toile avec tous les 
        points de couture, de broderie ; il y avait aussi une brassière 
        et un petit bavoir. Le cahier de dessin s'ouvrait le plus souvent sur 
        une grande feuille de platane aux couleurs de l'automne, soigneusement 
        reproduite et coloriés avec de petits godets de peinture. La botanique, 
        un herbier... On faisait germer des graines. Dans des récipients, 
        on observait les métamorphoses de têtards attrapés 
        par les garçons...
 
 On écoutait le grignotement continu des insatiables vers à 
        soie installés dans des boîtes en carton avec des feuilles 
        de mûriers, avant qu'apparaissent les cocons.
 
 Je ne peux arriver au bout de tout ce qu'on 
        nous faisait faire avec une ingéniosité sans limite.
 Les professeurs nous vouvoyaient ; leurs réflexions étaient 
        parfois cinglantes, et les gloussements des petites copines piquaient 
        au vif. Un jour j'ai été priée sèchement, 
        par le professeur de musique qui nous faisait chanter " Mourir pour 
        la patrie d'ôter mon doigt qui suivait avec application les notes 
        d'une partition de musique : (< Quand on se ronge les ongles, Mademoiselle, 
        on ne les montre pas, on les cache... "
 
 Des promenades en forêt, toujours avec des jeux instructifs, stimulants, 
        compétitifs, amusants et variés. II y eut une ou deux sorties 
        avec Gaston, jeune neveu de Mlle Legendre que maman, moqueuse, avait surnommé 
        Gastounet. Avec le temps et la connaissant un peu mieux, je me demande 
        si elle n'était pas vaguement jalouse de ce jeune homme au milieu 
        de nous toutes.
 
 Pris par nos études, soucis quotidiens et familiaux, nous étions 
        dociles, rarement rebelles. Très disciplinés, nos parents 
        (les miens en tout cas) avaient entière confiance en la France, 
        et suivaient scrupuleuse-ment lois et règlements. Nous, nous faisions 
        confiance aux parents. Le respect avait une grande importance. Chaque 
        Fête des mères donnait lieu à d'importants préparatifs. 
        Plus tard viendrait l'heure inéluctable des remises en question...
 Françoise BARBIERDomaine de Riquebonne - Bt B4
 06220 VALLAURIS
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