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         BABA HASSEN HistoriquementBaba Hassen est un pur produit du plan du Comte Guyot qui, dans son rapport 
        du 12 mars 1842, écrit ceci que j'estime un peu étonnant 
        tout de même.
 
         
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                | Baba Hassen est une ferme appartenant à 
                    un particulier qui, comprenant ses véritables intérêts, 
                    sollicita l'administration de l'exproprier d'une partie de 
                    ses domaines pour établir une population. Les terres 
                    y sont bonnes, et l'eau assez abondante. |  |  Guyot n'indique ni le nom du solliciteur, ni ses raisons, 
        ni le prix de vente. Il y aurait là un but de recherche pour un 
        lecteur motivé. Il s'agissait à coup sûr d'une terre 
         Melk, donc une propriété 
        privée reposant sur des titres anciens, ou à défaut, 
        sur une notoriété indiscutable qui a dû laisser une 
        trace dans les archives.
 Le nom de ce village est d'origine douteuse. Ce pourrait être le 
        nom d'un célèbre marabout, Ben 
        Hassen, enterré dans un haouch turc qui devint la propriété 
        Caracalla. Mais Ben n'est pas Baba ! Le Baba 
        Hassan est également envisageable, et plus vraisemblable, 
        surtout si l'on se souvient que la voyelle E n'existe pas dans l'alphabet 
        arabe. Baba Hassan est le nom de deux deys turcs d'Alger ; le premier 
        régna de 1681 à 1683 et le second de 1698 à 1700. 
        Le mot dey est un mot turc qui signifie oncle. Les Algérois ont 
        donc appelé tonton toutes les têtes de Turcs qui leur servirent 
        de chef entre 1521 et 1830. Les deys étaient nommés à 
        vie, mais dans cette fonction à haut risque, ils n'y faisaient 
        généralement pas de vieux os. Ces deux Baba Hassan ont croisé 
        l'histoire de France.
 
 Le premier, mécontent de la politique de Louis XIV en Afrique ou 
        en Méditerranée, nous déclara la guerre, saisit un 
        navire français qui avait le malheur d'être dans le port 
        d'Alger au mauvais moment, et vendit son commandant, Beaujeu, comme esclave 
        ! L'année suivante l'Amiral Duquesne vint bombarder la ville d'Alger. 
        Le dey fut renversé et assassiné en 1683 par son successeur, 
        un renégat.
 
 Le second, se méfiant de sa propre garde de Janissaires, appliqua 
        sagement le principe de précaution en se réfugiant sur un 
        navire français qui le transporta jusqu'à Tripoli en 1700.
 
 En 1848 le guide Quétin décrit ainsi Baba Hassen " 
        joli village dans un district fertile couvert de broussailles parmi 
        lesquelles se plaisent les troupeaux. Les belles prairies qui l'avoisinent 
        produisent de riches récoltes de bons fourrages. Une fontaine excellente 
        fournit l'eau nécessaire au besoin des habitants dont le nombre 
        se monte aujourd'hui à 64 familles ".
 Ce texte appelle les commentaires que voici : 
        Le succès de Baba Hassen fut rapide : 64 familles établies 
        en 5 ans, c'est une sorte de record pour un village créé 
        par les deux arrêtés gouvernementaux des 
        8 et 12 mai 1843.
  Bien sûr 
        les défrichements étaient loin d'être terminés, 
        malgré le risque de perte des
 concessions dû aux ordonnances d'octobre 1844 
        et de juillet 1846 qui auraient permis 
        d'infliger aux concessionnaires négligents un impôt spécial 
        de 10 francs par an et par hectare. Ils auraient même pu être 
        expropriés car " l'inculture est une cause suffisante d'expropriation 
        ". Heureusement cette législation fut peu appliquée. 
        Néanmoins elle était inquiétante, et les colons protestèrent 
        si fort qu'après la chute de la Monarchie, Napoléon III 
        institua, en mars 1851 une " 
        Commission des Transactions et Partages 
        " pour régler les cas litigieux. En juin 1851 une loi annula 
        les dispositions contestées des ordonnances de 1844 et1846.
 
 La commission travailla 16 ans, et lorsqu'elle fut dissoute en 1867, elle 
        avait rendu aux anciens propriétaires les 2/3 des terrains expropriés. 
        Avec le 1/3 restant le Service de la colonisation agrandit quelques villages 
        et " créa des fermes isolées dans les espaces vides 
        entre les villages " là où la sécurité 
        paraissait garantie. Ce fut le cas dans le Sahel où les fermes 
        intercalaires, souvent modestes, étaient nombreuses.
  La vigne 
        n'est même pas mentionnée. C'est normal : on ne savait pas, 
        à cause de la chaleur des étés, produire des vins 
        qui se conservent et qui puissent être vendus. L'essor du vignoble 
        attendit les travaux de Pasteur sur les fermentations. S'il y avait quelques 
        pieds de vigne, c'était pour le raisin de table.
 Trois dates seulement à 
        proposer 1843 - mai Fondation du centre de 
        colonisation de Baba Hassen, dans la commune de Douéra
 1875 - Baba Hassen est promu CPE
 1952 - Construction d'une nouvelle 
        église ( transformée en mosquée après 1962).
 Le territoire communal 
         
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  Le territoire 
              communal |  Géographiquement 
        Baba Hassen est quasiment au centre du Sahel oriental. De ce village on 
        n'aperçoit ni la mer, ni la plaine de la Mitidja dont il est séparé 
        par ses voisins du sud. Au total six communes l'entourent, toutes plus 
        grandes sauf El Achour qui était la plus petite commune française 
        d'Algérie. Baba Hassen, avec ses 1048ha, était la deuxième 
        plus petite ; à peine 5km de long sur, au maximum, 2,5 de large. 
        
 C'est un plateau entaillé par quelques affluents de l'oued Kerma 
        (branche occidentale) qui limite la commune au sud. Les altitudes extrêmes 
        sont 193m au nord du village et 105m sur l'oued Kerma du côté 
        de Saoula.
 Dans le paysage rural, c'est bien la vigne qui domine 
        à partir de la fin du XIX è siècle et jusqu'en 1962.Mais elle na jamais été exclusive ; les colons ont gardé 
        l'habitude d'ajouter pommes de terre et jardins de légumes n'exigeant 
        pas d'irrigation.
 
 Il y a de nombreuses petites fermes parfois entourées d'eucalyptus 
        ; et deux grandes qui sont nommées sur la carte. Le toponyme Khodja 
        fait songer à un prénom d'origine turque ; probablement 
        un ancien haouch abandonné en 1830 de gré ou de force.
 Le village centre 
        a la forme rectangulaire classique de la plupart des centres de peuplement 
        créés ex-nihilo par une volonté politique. C'est 
        presque un modèle du genre. Presque, malgré son damier de 
        rues perpendiculaires car la place centrale a été divisée 
        en quatre morceaux (3 boulodromes et un mini square) et aussi parce que 
        l'église est tout à fait périphérique. Cet 
        isolement en bordure du village européen (et plus tard de la mechta 
        arabe) a une explication simple. Guyot n'avait pas prévu d'église 
        : les premiers paroissiens de Baba Hassen dépendaient de l'église 
        prévue à Douéra. Quand on construisit l'église 
        de Baba Hassen on récupéra le terrain d'une ancienne tour 
        de guet devenue inutile. Comme tous les centres de peuplement des années 
        1840 Baba Hassen était protégé par quatre tours de 
        guet ; la première étant même antérieure à 
        la création du village, car, depuis 1834, elle abritait les soldats 
        qui surveillaient la toute nouvelle route de Douéra à Alger 
        par El Biar, terminée en 1832. Les rues étaient bordées 
        de trottoirs plantés d'arbres qui étaient surtout des troènes 
        et des mûriers ; quelques faux poivriers aussi, je crois. Les maisons 
        étaient jointives.
 En 1930 il y avait déjà des cafés et un hôtel 
        restaurant, une épicerie et un boulanger, mais pas de boucherie, 
        et moins encore de charcuterie, car chaque famille tuait son porc vers 
        la Noël. Pas de médecin, ni de pharmacien avant les années 
        1950.
 En dehors des fermes il n'y avait aucun autre lieu habité 
        dans cette commune ; et pas de monument autre que le modeste monument 
        aux morts de la grande guerre, élevé près de la Mairie. Pour une fois la mémoire assez phénoménale 
        d'un cousin me permet de proposer un plan cadastral du village pas trop 
        incomplet et sans trop d'erreurs, valable pour le début des années 
        1930. Une version de ce plan adaptée pour 1950 existe sur le site 
        d'Andrée Covas. 
         
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 Le plan 
                cadastral du village
 |  La desserte du village 
        était assurée par les autobus Seygfried et Cie de la ligne 
        Alger-Douéra par Dély Ibrahim, qui faisaient un tout petit 
        détour pour pénétrer dans le village. Cette société 
        fut à la fin, rachetée par les Auto-Cars Blidéens. Suppléments 
 Mes documents, et plus encore les souvenirs d'un cousin né en 1923, 
        me poussent à rédiger plusieurs suppléments.
           
        Sur quelques aspects de la vie au village dans les années 1930o 
         Les marchands ambulants
 Sauf au moment des vendanges, le village est très calme et très 
        silencieux. Il y a peu d'autos ; et ceux qui en ont une l'utilisent rarement. 
        On allait au vignoble à pied : on n'attelait pas pour si peu
 
        alors l'auto ! Ce sont les marchands ambulants qui venaient secouer la 
        léthargie du village à intervalles réguliers.
 Le boulanger était 
        le moins utile puisqu'il y en avait un à demeure, au village. Le 
        boulanger ambulant ne pouvait vendre que du pain. Il venait de Crescia, 
        7km par la route qui n'était pas directe, et ravitaillait sûrement 
        quelques fermes au passage. En 1930 c'est la boulangère qui conduisit 
        la voiture pour remplacer son frère parti au service militaire. 
        Il faut croire qu'il avait suffisamment de clients au village malgré 
        la boulangerie locale qui, en plus du pain, pouvait offrir d'autres services. Deux marchands de légumes 
        venaient chaque semaine ; jamais le même jour et jamais en auto, 
        mais avec un char à bancs adapté. Le plus âgé 
        venait de Douéra. Il hurlait les noms des légumes du jour, 
        et les dames sortaient pour voir. Il prévoyait 2 ou 3 arrêts 
        par rue : 3 rues nord-sud et 5 plus courtes d'est en ouest. L'autre, plus 
        jeune, venait de Draria. Son chargement était plus important ; 
        lui aussi criait l'inventaire.
 Les colons ne cultivaient pas leurs légumes, ou du moins pas tous. 
        Beaucoup n'en avaient pas le temps. Et le choix chez le marchand était 
        plus grand. De toute façon chacun pensait " il faut que tout 
        le monde vive " et marquait son passage par quelque achat. Et de 
        surcroît, demeuraient au village des artisans, des fonctionnaires 
        et des commerçants qui n'avaient pas de terre, pas de compétence 
        maraîchère et pas de temps.
 Deux bouchers 2 fois 
        par semaine chacun. Les deux venaient de Douéra en voiture ; pas 
        les mêmes jours bien sûr. Chacun avait ses habitués. 
        Comme la plupart des familles élevaient des volailles et un ou 
        deux porcs, la viande de boucherie était un supplément alimentaire 
        un peu connoté de luxe, surtout le buf. Le marchand de crèmes 
        glacées de Douéra ne venait que l'été, 
        en juillet et en août, quand les enfants étaient en vacances 
        ; une fois par semaine. La crème glacée était un 
        dessert rare. Il y en avait de deux tailles : les petites rondes à 
        un 5 sous, et les grandes rectangulaires à 10 sous. A l'époque 
        un sou était un sou malgré la dévaluation de 1928. 
        J'ignore l'éventail des parfums disponibles.                 o 
        Les commerçants à demeureJe n'en ai connu que deux : l'épicière 
        et le boulanger.
 Le boulanger ne se 
        contentait pas de vendre du pain. Il cuisait aussi les plats qu'on lui 
        apportait : tomates farcies, tartes aux raisins ou à autre chose. 
        C'était une nécessité pour celles qui n'avaient pas 
        de four, et un plaisir pour toutes ces dames qui sortaient un peu de chez 
        elles, rencontraient du monde et prenaient le temps d'échanger 
        les nouvelles, quand au retour, il fallait attendre une fin de cuisson.
 Le pain le plus vendu était le pain boulot acheté au kilo. 
        Pour faire bon poids, le boulanger ajoutait parfois un bout de pain. Ce 
        supplément était souvent mangé sur place en attendant 
        une fin de cuisson. Le pain long, genre baguette, était un luxe.
 L'épicerie 
        n'avait pas de vitrine : juste une porte qui donnait accès à 
        un magasin qui avait des allures de fourre-tout. On y vendait des pâtes, 
        de la farine, de la semoule et des conserves, et toutes sortes d'objets 
        d'utilisation courante ou moins courante, cadenas, rasoirs, allumettes 
        etc. Il n'y avait ni congélateur, ni frigidaire : les fromages 
        étaient gardés dans une cage munie d'un grillage très 
        fin.
 C'est le dimanche matin qu'il y avait le plus de clients quand les fermiers 
        ou leurs épouses venaient à la messe. L'épicerie 
        n'était fermée que le dimanche après-midi.
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        Les caves et la vinification.Il y avait plusieurs caves dans le village.Dès que la fermentation 
        des moûts commençait la température s'élevait. 
        Il fallait absolument éviter qu'elle atteigne 38° car alors 
        les ferments s'autodétruisent. Pour ce faire on " remontait 
        " le vin c'est-à-dire qu'on le pompait pour le refroidir avant 
        de le remettre dans la même cuve, quitte à rajouter un peu 
        d'eau fraîche en cas de canicule. La nuit les caves restaient grandes 
        ouvertes pour être bien aérées ; ce sont les voisins 
        qui supportaient l'odeur. Tout le village y avait droit, ainsi qu 'au 
        glouglou au son duquel on s'endormait recru de fatigue.
 
 Quand la fermentation était terminée on soutirait le jus 
        pour le loger dans une cuve de stockage. La cuve vidée de son jus 
        contenait encore plein de grappes qu'il fallait récupérer 
        pour en retirer ce qu'il restait de jus. On ouvrait précautionneusement 
        la porte du bas ; on retirait les grappes pour les entasser dans le pressoir. 
        On ne commençait le vrai travail de presse que quand plus rien 
        ne coulait sans presser. On démontait ensuite la presse pour prendre 
        le marc.
 
 Les capacités de stockage étaient de l'ordre de 1000hl. 
        Le vin était vendu à un courtier qui était le plus 
        souvent Monsieur Carabia.
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        Le cochon et le pèle-porcCet événement hivernal avait lieu avant ou après 
        Noël, selon le froid. La bête était achetée sevrée 
        et castrée. On l'engraissait avec du remoulage tiède, des 
        morceaux de betteraves fourragères, et les derniers temps, du maïs.
 
 Au moment du sacrifice la bête dépassait de peu le quintal. 
        Le cochon était saigné par un cousin (Joachim dit Tchimet) 
        qui offrait ce service à tout le village. Dans la cour on avait 
        dressé une table basse à 50cm du sol, prolongée par 
        des planches sur deux brancards aux deux bouts. On préparait une 
        terrine pour recueillir le sang et un gros tas d'oignons épluchés 
        et émincés ; et aussi un grand récipient plein d'eau 
        à faire bouillir. Quelqu'un entrait dans la soue, caressait l'échine 
        du sacrifié et plaçait une cordelette sur le groin plein 
        de maïs. Des renforts arrivaient pour tirer le porc dans la cour 
        et l'immobiliser sur la table basse. Tchimet coupait la carotide sans 
        s'y reprendre. Le sang jaillissait par saccades ; il fallait le remuer 
        à la main et ajouter du vinaigre pour éviter la coagulation. 
        Venait ensuite la toilette du supplicié avec de l'eau bouillante 
        et des racloirs. La bête était enfin pendue sur une échelle 
        double de jardinier, la tête en bas.
 C'est Tchimet qui commençait l'autopsie, en entaillant 
        à partir de l'anus, en prenant garde à ne pas crever le 
        péritoine. Les intestins étaient aussitôt recueillis 
        pour être triés : jetés ou nettoyés selon leur 
        utilisation possible ou pas. Tchimet ouvrait la cage thoracique et fendait 
        la tête. On récupérait délicatement le foie 
        qui serait transformé en pâté conservé dans 
        des verres. Tchimet terminait son travail en partageant la bête, 
        du haut en bas ; en deux moitiés disjointes
 C'est le lendemain que toute la famille se partageait les tâches 
        pour la fabrication de boudins, boutifars, soubressades, fromages de tête, 
        saucisses, saucissons, et jambons ; et la salaison des pièces de 
        viande à conserver dans de grandes jarres.
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        Les conserves de tomatesIl y avait trois sortes de conserves : les vertes, le coulis et les concentrés
 
 Pour les vertes, on ouvrait les tomates 
        et on les remplissait de gros sel. Au bout de 24 ou 48 heures on les plaçait 
        dans des bocaux avec une saumure dont on appréciait la densité 
        avec un uf. C'était une conservation courte. On les consommait 
        en accompagnement de certains plats.
 
 Pour les coulis on coupait les tomates 
        en petits morceaux susceptibles d'être introduits dans des bouteilles 
        solides de limonade ou, mieux, de champagne. Pour aider la descente des 
        bouts de tomates, on frappait les culs de bouteille, sur des coussinets 
        afin d'éviter la casse. Les enfants participaient volontiers à 
        cet embouteillage.
 
 Il fallait veiller à une bonne fermeture des bouteilles avec des 
        bouchons solidement maintenus par du fil de fer type " Moët 
        et Chandon ". Ensuite on allumait un feu et on plaçait les 
        bouteilles verticalement dans des lessiveuses en les séparant sommairement 
        avec de la paille. On y versait de l'eau et on faisait longuement bouillir, 
        jusqu'à la pasteurisation. C'était une conservation de longue 
        durée.
 
 Les concentrés, étaient 
        aussi appelés, conserves à l'italienne. On installait sur 
        un toit ou une terrasse des plats remplis de tomates bien mûres 
        coupées en deux. Les plats restaient sur le toit aussi longtemps 
        que nécessaire pour que les tomates deviennent cramoisies. Puis 
        on les passait au presse-purée pour en tirer une sorte de pommade. 
        On ajoutait du sel. On remplissait de petits flacons avec, avant la fermeture, 
        un voile d'huile qui assurait une meilleure isolation. Et on avait du 
        concentré de tomates pour toute l'année.
 Supplément en forme de réflexions 
        sur le destin de 5 générations de petits colons
 Ce deuxième supplément est nourri par l'exemple de la famille 
        Cazayous qui a occupé, sans interruption, la même maison 
        de Baba Hassen de 1845 à septembre 1962. Cette maison, la voici.
 Les 5 générations ont certes habité 
        la même maison, mais elles n'ont pas du tout vécu dans la 
        même Algérie française.          La 
        génération des pionniers est celle de Baptiste 
        et de sa femme. Ils sont arrivés déjà mariés, 
        sans doute en 1844 ou 1845. Ils venaient de Bigorre. Baptiste est charpentier 
        ; c'est lui qui a bâti la maison de la photo qui a tenu plus d'un 
        siècle sans grosses réparations. Il dut respecter les alignements 
        imposés par Monsieur Guiauchain, architecte de la province, dès 
        1843. C'est lui aussi qui a commencé les défrichements, 
        tout en se pliant aux contraintes de la milice obligatoire : entraînements 
        militaires et tours de garde sur l'une des quatre tours de guet. Les techniques 
        de l'époque- ni téléphone, ni télégraphe- 
        ne lui ont pas permis de garder le contact avec la famille : pas de voyage 
        en France, même pour le décès des parents ou le mariage 
        des frères et surs. Le départ pour l'Algérie 
        était un départ pour un ailleurs qui supposait, si l'on 
        tenait le coup, la rupture des liens antérieurs.
 On peut imaginer que Baptiste, veuf en 1872 et décédé 
        en 1879, a cru avoir participé à la fondation de quelque 
        chose d'impérissable. Il est mort rassuré : il avait fait 
        le bon choix pour lui et pour ses descendants qui connaîtraient 
        une vie meilleure dans cette Nouvelle France qui ne cessait de s'étendre. 
        La sécurité, dans le Sahel, est assurée pour toujours.
 Il eut 4 enfants : les deux aînés moururent en bas âge 
        ; le troisième, une fille, disparut de Baba Hassen et de la mémoire 
        familiale, en épousant un Dreyfus en 1868 ; seul le quatrième, 
        Ferdinand, eut une descendance. A la mort de son père, il avait 
        déjà 6 enfants. Par la suite il en eut encore 6 autres, 
        dont 5 devinrent adultes.
 Ce Ferdinand est de la génération 
        des bâtisseurs de l'Empire qui me paraissent avoir eu 
        le destin le plus heureux. Il a vécu dans une Algérie française, 
        qui comme l'Empire en général, était en progression 
        constante. Et s'il y avait des insurrections, c'était bien loin 
        du Sahel qui n'a jamais été menacé.
 De surcroît c'est de son temps que l'amélioration des techniques 
        de vinification et la crise du phylloxéra en France ont permis 
        aux colons du Sahel d'abandonner blé et fourrages de leurs parents, 
        pour la vigne qui fit la richesse de la région. Avec une ferme 
        de 14ha il put élever ses 11 enfants sans allocations familiales.
 
 A l'évidence quand il meurt en 1917 la France est une grande puissance 
        définitivement installée en Algérie. Et quand le 
        guerre sera gagnée, la der des der, le XXè sera pour ses 
        descendants, calme et prospère. Ils sont tous autour de leur mère 
        sur cette photo de 1927 prise à l'occasion de la remise à 
        la maman de la médaille et de la rosette d'Officier de la famille 
        française.
 Sur les 11 enfants de la photo 7 sont restés à Baba Hassen 
        ; dont 3 célibataires.
 1 
        s'est installé à Kaddous, tout proche
 2 
        ont suivi leur mari à Alger ville
 1 
        seule s'est vraiment éloignée en partant à Aïn 
        Bessem
 Aucun n'a quitté l'Algérie, si ce n'est celui qui a été 
        mobilisé en 1914-1918 et est resté 5 ans sous l'uniforme, 
        avant de revenir. Il avait été gazé sur l'Yser, et 
        avait été fait prisonnier puis envoyé travailler 
        dans une ferme allemande. Il avait gardé de bons souvenirs de le 
        ferme et de sa patronne, et une faiblesse pulmonaire due à l'ypérite.
 Comme il s'est coulé 25 ans entre les naissances 
        extrêmes, ces enfants n'ont pas eu le même destin par rapport 
        à l'Histoire. Les aînés furent les heureux continuateurs 
        des bâtisseurs d'Empire. Ils n'ont connu qu'une France triomphante 
        en Algérie ; et les fastes du Centenaire en 1930 n'ont pu que les 
        confirmer dans la conviction que la Deuxième France serait impérissable. 
         Les derniers nés qui sont morts après 1962 
        ont partagé le sort de la quatrième génération, 
        celle des accidentés de l'Histoire.
 Cette génération n'est plus représentée à 
        Baba Hassen que par deux garçons, dont l'un, fils du gazé 
        de 1915 parcourut l'Europe sous l'uniforme jusqu'à la zone d'occupation 
        française à Berlin.
 
 Cette génération a connu, et le triomphe de la France en 
        1930, et la débâcle de 1940, et la mobilisation générale 
        de 1942-1943, et 7 ans d'angoisse et de faux espoirs entre 1954 et 1962.
 
 Au cours de ces années ponctuées de discours d'Etat volontairement 
        trompeurs, ils ont parfois perdu des êtres chers. Et à la 
        fin ils ont perdu leurs biens, leurs pays natal et l'accès aux 
        souvenirs des lieux de mémoire, cimetières compris.
 
 Le soldat de Berlin, Pierre, n'a pas perdu son pays natal : il y a été 
        assassiné dans sa ferme en septembre 1962. Comme chacun sait les 
        accords d'Evian lui avaient offert toutes les garanties : il suffit de 
        lire les affiches officielles pour s'en convaincre. A moins que ces pseudo 
        accords n'aient servi qu'à rendre supportable pour les électeurs 
        métropolitains, une capitulation de fait.
 La cinquième génération, 
        la mienne, a vécu un avant 1954 et un après 1962 séparés 
        par une épuration ethnique radicale, brutale et imméritée, 
        transmutée en " rapatriement " par un discours d'Etat 
        menteur. Elle n'a pas perdu les biens qu'elle n'avait pas encore achetés 
        ou hérités, elle n'a pas été obligée 
        de s'adapter au seuil de la retraite à un autre poste ou à 
        un autre emploi. Elle était assez jeune pour se construite ailleurs 
        une vie d'adulte à peine entamée en Algérie. Elle 
        était assez âgée pour avoir mal vécu 7 ans 
        d'insécurité débouchant sur un virage à 180° 
        de l'attitude des Français et de Métropole et de la politique 
        française. Elle était assez âgée aussi pour 
        avoir accumulé 20 ou 30 ans de souvenirs guère communicables.
 
 Elle souffrira jusqu'à sa disparition d'une sorte d'amputation 
        de la mémoire, car l'essentiel est indicible, sauf à 
        prendre le risque de plomber les repas de famille ou de susciter d'inutiles 
        et insolubles conflits ente amis.
 Supplément en forme d'épilogue 
        ou de bilan
 Entre 1843 et 1962 dans la famille Cazayous à Baba Hassen, il y 
        eut 20 naissances, 10 mariages et 9 décès enregistrés 
        sur les registres de l'Etat Civil.
 
 Les 4 membres de la famille encore présents en septembre 1962 son 
        partis à Villeneuve/Lot et à Strasbourg. A Baba Hassen ils 
        se voyaient tous les jours ; en France ils ne se sont plus rencontrés 
        qu'exceptionnellement. Si l'on ajoutait les points de chute des frères 
        et cousins partis d'ailleurs que de Baba Hassen, il faudrait ajouter aux 
        deux points de chute déjà cités, Nice, Toulouse, 
        Tarbes, Pau, Tonnerre et Paris. C'est la diaspora Cazayous.
 Quant à ceux qui étaient enterrés 
        au cimetière de Baba Hassen, je suppose qu'ils y sont encore, sans 
        en être tout à fait assuré. S'ils y reposent, ça 
        n'a pas été toujours en paix. Les 3 photos ci-dessous, du 
        même caveau familial justifient ce doute. Elles ont été 
        prises en 1962, 1982, et 2004 ou 2005. Il n'est pas nécessaire d'expliquer la différence 
        des caveaux de 1962, intact, et de 1982, profané. Il est sans doute 
        nécessaire de commenter l'aspect pris par 
        le même caveau en 2004 ou 2005. Je dis commenter car 
        je ne connais pas l'explication véritable. A coup sûr il 
        a été reconstruit ; mais par qui et quand ? Mystère. 
        Aucun membre de la famille n'a été informé.
 On peut songer à trois hypothèses au moins.
 Soit c'est une initiative locale de la commune, après 
        l'embellie des relations franco-algériennes qui a suivi le voyage 
        de Chirac en mars 2003 ; pas impossible, mais peu probable Soit c'est une initiative de l'ASCA 
        : Association pour la Sauvegarde des Cimetières d'Algérie, 
        née dans les années 1980. Peu probable. Et pourquoi à 
        Baba Hassen ?  Soit c'est une retombée heureuse de l'opération 
        lancée en 2003 de Réhabilitation des Cimetières Français. 
        Etonnante rapidité de cette réalisation quand on connaît 
        l'ampleur de la tâche pour environ 400 000 sépultures. Il 
        est bon de savoir que sur les 523 (ou 549 ?) cimetières français, 
        62 seront abandonnés et leurs tombes regroupées ailleurs. 
        Sur place on devrait édifier une pyramide en béton, " 
        indestructible ", à base carrée de 3x3m, avec 3m de 
        fondation et 3m de hauteur au-dessus du sol. Affaire à suivre. |