| En 1843, le maréchal Bugeaud fit fonder deux 
        villages dans le Sahel qui, prenant les noms de la famille d'Orléans, 
        se sont appelés Saint- Ferdinand et Sainte-Amélie. Ces centres 
        dépendaient du district de Douéra. Entre ces deux villages 
        avaient été construits deux hameaux, " la Consulaire 
        " et " le Marabout d'Aumale ". C'est, nous dit-on (1), 
        en se mettant à la recherche du seul bois d'orangers indiqué 
        sur la carte du commandant Boutin, " ce qui laisse à penser 
        qu'une orangeraie était suffisamment rare pour former dans cette 
        région un point remarquable et la carte n'en portait qu'une seule 
        " que l'armée avisa cet espace intéressant. 
        
          |  Le marabout d'Aumale. Dessin de Charles Brouty. |  Bien des années plus tard, L'Écho d'Alger 
        nous signale qu'une promenade dans le Sahel permettait de longer les 20 
        km de route d'Alger à Douéra, 
        puis jusqu'à Sainte-Amélie (26 km), rejoindre la forêt 
        de Saint- Ferdinand à 8 km de là, d'apercevoir au passage, 
        à la sortie du village, dissimulée dans les oliviers, une 
        croix en fer forgé, de forme et de style très pur, dont 
        le socle centenaire s'effritait un peu. Après avoir quitté 
        les dernières maisons de Sainte-Amélie, la route dévalait 
        en virages abrupts vers une petite combe verdoyante qui portait le nom 
        de " ravin des chacals ". Le chemin remontait au milieu 
        de cette campagne vallonnée et, en haut de la côte, une longue 
        allée bordée d'arbres séculaires apparaissait. Elle 
        conduisait à un vaste quadrilatère de bâtiments nichés 
        sous d'énormes eucalyptus dont les longues feuilles frémissaient 
        sous le vent venu de la mer que l'on apercevait proche, par-delà 
        les champs s'étendant au pied de la colline. Une large porte ouverte 
        dans de hauts murs de clôture permettait de pénétrer 
        dans une cour aux belles proportions, bordée sur trois côtés 
        par les bâtisses d'une grande ferme dont les murs du rez- de-chaussée 
        étaient percés de meurtrières. Nous étions 
        au " marabout d'Aumale ".
 Le marabout d'Aumale fut construit en 1843 par les soldats laboureurs 
        de Bugeaud, en même temps que Saint-Ferdinand et Sainte-Amélie. 
        Un seul bâtiment fut édifié à l'origine et 
        servait de pavillon de repos et de rendez- vous de chasse. Il porta le 
        nom de marabout en raison du pèlerinage à un saint musulman 
        qui avait lieu dans le voisinage et celui d'Aumale pour le jeune duc, 
        fils de Louis-Philippe, qui s'illustra aux côtés de Bugeaud. 
        Cependant, le marabout d'Aumale, devait devenir quelques années 
        après, le berceau d'une famille algéroise, honorée 
        et respectée: la famille de Galland.
 
 Le commandant de Galland qui était, à l'époque, officier 
        de l'armée de Bugeaud, fut chargé par le maréchal 
        de construire un hameau autour du pavillon déjà existant. 
        Trois maisons furent édifiées qui abritèrent les 
        familles de Galland et Bazin. Les enfants du commandant de Galland, dont 
        Charles qui fut d'abord un helléniste distingué puis proviseur 
        du lycée Ben-Aknoun et enfin maire d'Alger pendant la 
        guerre de 1914-1918, vécurent leurs premières années 
        de jeunesse dans ces habitations.
 
 Les constructions étaient restées ce qu'elles étaient 
        à leur début, organisées de façon telle, qu'on 
        pouvait vivre sans compter sur l'aide extérieure. Les champs voisins 
        que l'on avait commencé à cultiver, fournissaient les légumes 
        et le blé qui était travaillé au moulin banal. Le 
        pain était cuit dans ces fours de campagne que l'on retrouvait 
        dans bien des cuisines de la région. Le cheptel et la basse-cour 
        donnaient la viande. On ne pouvait, en effet, compter sur le ravitaillement 
        venant d'Alger à dos de mulet et qui mettait près de 48 
        heures pour arriver. Une source, en contrebas d'un ravin, fournissait 
        une eau très pure, mais on ne s'y rendait qu'avec précaution 
        car elle servait d'abreuvoir à un couple de panthères. Le 
        nom de " ravin de la panthère " lui était d'ailleurs 
        resté.
 
 Les maisons furent construites selon les méthodes employées 
        à l'époque, méthodes pratiquées à peu 
        de choses près pour nos maisons avec leurs éléments 
        préfabriqués. En effet, les cadres des fenêtres et 
        des portes étaient d'un modèle standard pour toute la région, 
        tout comme les charpentes d'ailleurs. Les maçons, qui étaient 
        à l'époque des soldats sachant aussi bien manier la pelle 
        et la truelle que le fusil à piston ou à baïonnette, 
        ne s'occupaient que d'édifier les murs en moellons liés 
        au mortier de chaux grasse et de terre rouge, y pratiquant des meurtrières; 
        les boiseries et les charpentes en sapin rouge du nord arrivaient de France. 
        Les forgerons fabriquaient sur place les ferrures et les clous et le tout 
        était assemblé, mis en place au fur et à mesure de 
        l'élévation des murs jusqu'à la couverture en tuiles 
        romaines.
 
 Plus tard, des hangars furent construits et relièrent entre elles 
        les habitations. Lors de fouilles pour les fondations, on découvrit 
        des débris d'uniformes et des boutons qui ornaient les tenues des 
        soldats du Génie en 1845.
 Au milieu de la cour, un puits équipé d'une noria fournissait 
        de l'eau aux habitants du hameau qui voulaient éviter de se rendre 
        à la source.
 
        
          |  La ferme au marabout d'Aumale. Dessin de Charles Brouty.
 |  De toutes ces constructions, c'est le marabout d'Aumale, 
        ou plus exactement le pavillon de chasse, qui offrait le plus de souvenirs. 
        Ce bâtiment s'élevait un peu en retrait du hameau principal, 
        lui-même sur les bords du plateau qui domine la bande côtière. 
        De ses fenêtres, on apercevait bien la 
        plage de Sidi-Ferruch et l'on découvrait toute la plaine 
        qui s'étend vers Alger et vers 
        Cherchell. Ce pavillon d'agrément aurait pu être 
        un magnifique observatoire pour le maréchal Bugeaud qui, tout en 
        prenant un peu de détente, aurait pu aussi rester facilement en 
        contact avec les devoirs de sa charge. Mais on ne l'y vit, paraît-il, 
        que très rarement.
 Tout près du pavillon de chasse et en allant vers la source qui 
        serpentait en contrebas, on trouvait le marabout de Sidi-bel-Ezrag, caché 
        sous les oliviers; peut-être y est-il encore? Ce lieu saint a toujours 
        fait l'objet de pèlerinages des musulmans de la région. 
        Autrefois, ceux-ci venaient prier au pied d'un olivier séculaire 
        au tronc évidé qui était, paraît-il, le tombeau 
        d'un saint. Depuis, un marabout avait été édifié 
        à proximité et recevait de nombreux témoignages de 
        vénération.
 
 La région de Saint-Ferdinand était relativement sûre; 
        à Sainte-Amélie, une redoute en maçonnerie avait 
        été construite en bas du village, près de la source 
        pour une éventuelle protection mais, deux ans après la création 
        du village, la sécurité était telle que cette construction 
        fut livrée au culte. Ce fut une des églises les plus originales 
        d'Algérie avec son étage, ses demi-tours rondes et le pont 
        de pierre qui lui donnait accès en franchissant l'ancien fossé 
        en amont.
 
 Bien des années plus tard, le hameau du marabout d'Aumale était 
        resté tel qu'il était cent ans auparavant. Le propriétaire, 
        M. Mares, avait su conserver aux bâtiments leur cachet d'origine. 
        La mère de sa femme, Pauline de Trecesson, en avait fait l'acquisition 
        en 1885.
 
 Installée d'abord en Louisiane avec ses parents - son père, 
        le général Juge avait été officier dans l'armée 
        sudiste - elle quitta la Nouvelle-Orléans et regagna la France 
        après la guerre de Sécession. Elle épousa le marquis 
        de Trecesson, officier d'état-major de Napoléon III qui 
        fut tué au siège de Paris en 1871. Avec ses deux filles, 
        Marie et Alix, elle regagna alors l'Algérie où ses parents, 
        plusieurs années auparavant, avaient acquis une terre et tenté 
        un élevage de moutons. La fille cadette, Alix, rencontra un dimanche 
        à la sortie de la messe, un jeune ingénieur agronome, Roger 
        Mares, qui arrivait de Tunis où il avait fait ses débuts 
        dans les plantations d'oliveraies de Sfax. Il deviendra son époux 
        en 1900 et le nouveau propriétaire du domaine.
 
 En 1905, le Dr L. Trabut et Roger Mares seront à l'origine de la 
        création de l'École d'agriculture algérienne à 
        Maison-Carrée, 
        école qui deviendra plus tard l'Institut national supérieur 
        agronomique d'Alger. Roger Mares en sera le premier directeur. Sa carrière 
        est riche de réalisations positives. Il fonda la première 
        cave coopérative de Dupleix en 1905.
 En 1907, il dirigera le service de lutte contre le phylloxera et participera 
        à la reconstruction du vignoble algérien.
 En 1913, il sera inspecteur général de l'Agriculture en 
        A.F.N. Il prendra sa retraite en 1929 et n'en profitera guère, 
        puisqu'il décédera d'une congestion cérébrale 
        en 1930. Sa mère, qui pratiquait l'art du " bien peindre ", 
        laissera à ses petits-enfants des " scènes algériennes 
        " pleines de charme.
 
 Près du marabout d'Aumale se trouvait, sur une colline toute proche, 
        une autre ferme de moindre importance, mais qui avait conservé 
        cependant quelques vestiges de l'époque de Bugeaud. Il s'agissait 
        de " la Consulaire " dont les origines remontent à la 
        même époque.
 
 Elle fut construite comme Sainte-Amélie par les condamnés 
        militaires, sous les ordres du colonel Marengo. La légende veut 
        que le colonel Marengo, qui avait combattu en Italie sous les ordres de 
        Bonaparte, alors consul, avait donné le nom de la Consulaire à 
        cette ferme en l'honneur de celui qui devint Napoléon Ier. On prétend 
        aussi que la Consulaire aurait tiré son nom du canon placé 
        a l'Amirauté 
        par les Turcs et qui déchiqueta le corps du père 
        Levacher, consul de France, attaché à la bouche de la pièce, 
        lorsque les Turcs tirèrent le premier coup de canon sur la flotte 
        française qui croisait devant Alger.
 
 Le journaliste J.-P. Dejean, de L'Écho d'Alger de l'époque, 
        suggère de ne pas négliger ces témoignages de l'histoire 
        de l'Algérie et de laisser aux historiens le soin de choisir la 
        véritable origine du nom de " la Consulaire ". Depuis, 
        le " vent de l'histoire " est passé dessus et les historiens 
        ont eu d'autres préoccupations.
 Marie-Jeanne Groud D'après les documents aimablement prêtés 
        par M. Jean-Philippe Mares et les souvenirs de sa famille.Notes :
 1 - Causerie de Roger Mares, " La colonisation paysanne de Bugeaud 
        ", Bordeaux, 1960.
 Bibliographie :
 - Scotti Edgar, Des marécages algériens à l'autre 
        France agricole.
 - Guide Bleu, Algérie, 1950.
 - Extraits de L'Echo d'Alger, avec dessins de Charles Brouty.
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