| Yvonne Kleiss-Herzig 
        (1895-1968)par Marion Vidal-Bué
 
         
          |   Portrait 
                d'Yvonne Kleiss-Herzig |  
       Yvonne Kleiss-Herzig se distingue parmi les 
        artistes du XXe siècle nés en Algérie, tout d'abord 
        parce qu'elle fut une des rares femmes à avoir obtenu en son temps 
        une reconnaissance que les actuels amateurs d'orientalisme ne démentent 
        pas, et ensuite parce qu'elle a su parfaitement circonscrire ses sujets 
        et se façonner un style en fonction de ses dons personnels.
 Dessinatrice avant tout, elle a utilisé de préférence 
        la gouache pour transcrire des scènes de vie quotidienne observées 
        sur le vif dans les campagnes d'Algérie, comme pour créer 
        des évocations purement poétiques, dans l'esprit de la miniature, 
        à partir d'éléments réels.
 
 Elle naît le 28 mai 1895 à Tizi- 
        Ouzou où son père, le peintre et caricaturiste 
         Edouard 
        Herzig, émigré de sa Suisse natale, travaille 
        comme huissier de justice. Sa mère, Victoire Kreder, est issue 
        d'une famille d'Alsaciens installés en Algérie en 1871.Son 
        enfance heureuse se déroule en Kabylie, où elle s'imprègne 
        de visions paisibles, bagage inoubliable qui lui offrira plus tard une 
        source constante d'inspiration. Son père consacrant une bonne partie 
        de son temps à l'étude des arts traditionnels algériens, 
        elle se passionne comme lui pour son environnement immédiat. Ses 
        deux jeunes soeurs, Fernande et Edmée, révélant à 
        leur tour des prédispositions artistiques, on peut imaginer que 
        la vie de la famille Herzig baignait au plus haut point dans une atmosphère 
        de créativité studieuse ( Fernande, 
        née le 9 mai 1904 à Tizi-Ouzou, sera elle aussi artiste, 
        miniaturiste, portraitiste et peintre de fleurs travaillant de préférence 
        à l'aquarelle. Elle épousera Henri Gazan, peintre et caricaturiste 
        et signera alors Gazan-Herzig. Edmée sera architecte et décoratrice, 
        la seule des trois soeurs à mettre au monde un enfant (un fils).).
 
 Mais il faut aller à la ville, pour poursuivre des études 
        conséquentes, et Yvonne effectue son cursus au lycée de 
        Jeunes filles d'Alger, futur lycée 
        Delacroix. Dès 1911, elle s'inscrit aux Beaux-Arts d'Alger, 
        dirigés depuis 1909 par Léon Cauvy. Celui-ci s'est distingué 
        dans les arts décoratifs, et c'est dans la section décoration, 
        comme son maître qui l'influencera beaucoup, que la jeune fille 
        se présente au concours annuel du Gouvernement de l'Algérie, 
        en 1913. Elle y obtient une bourse d'études d'une année 
        et d'un montant de 2000 francs, qui va lui permettre de poursuivre sa 
        formation à Paris.
 
 Il faut signaler qu'en novembre 1912, elle avait déjà reçu 
        le prix de la Ville d'Alger, décerné à l'unanimité 
        par le Comité des professeurs de l'Ecole des beaux-arts, pour la 
        récompenser de son " application au travail ".
 
 Elle est toute jeune encore, et ses parents ne peuvent se résoudre 
        à la laisser partir seule dans la grande capitale. Ils estiment 
        que leurs deux autres filles pourront, elles aussi, tirer profit du séjour 
        parisien, et décident au prix de lourds sacrifices financiers de 
        s'installer en famille à Paris. La bourse d'Yvonne est heureusement 
        prorogée d'une année, mais la guerre éclate bientôt, 
        vidant les ateliers de leurs jeunes gens, et contraignant les Herzig à 
        prolonger leur séjour, qui durera finalement cinq ans.
 
 Yvonne accepte tout d'abord de satisfaire au désir de sécurité 
        de ses parents en préparant le concours du professorat de dessin 
        des lycées et collèges. Cependant la contrainte est trop 
        lourde car elle désire plus que tout se consacrer à sa vocation 
        d'artiste, et elle se désiste pour suivre l'enseignement libre 
        de l'Académie Julian. Elle étudie dans l'atelier de Paul- 
        Albert Laurens, tandis que Fernande se consacre à la miniature, 
        rue de la Grande Chaumière.
 
 Avec le sérieux qui caractérise l'ensemble de la famille, 
        afin de ne rien perdre de l'opportunité qui leur est offerte, les 
        deux aînées mettent à profit leurs vacances d'été 
        pour se rendre quotidiennement au Jardin des Plantes, où elles 
        emmagasinent les croquis. Chaque matin, tandis que Fernande se penche 
        sur les fleurs, Yvonne, qui trouve sa voie de prédilection dans 
        la représentation des animaux, passe trois heures à dessiner 
        au zoo. Méthodiquement, elle commence par les oiseaux et les palmipèdes, 
        pour continuer par les quadrupèdes et les fauves. Cette " 
        bibliothèque " d'études lui servira de documentation 
        tout au long de sa carrière.
 
 Elle se perfectionne également dans le domaine des arts décoratifs, 
        en suivant les cours publics du dimanche matin durant lesquels le vieux 
        maître décorateur et affichiste Eugène Grasset dispense 
        corrections et conseils précieux, en compagnie de son émule 
        Paul Follot. En outre, bien des soirées sont consacrées 
        à l'étude des précieux documents de la bibliothèque 
        des Arts décoratifs, et si les musées sont fermés 
        pour cause de guerre, il reste le loisir de travailler sur les reproductions 
        des oeuvres d'art!
 
 En 1918, à la fin de la Première Guerre mondiale, toute 
        la famille revient à Alger où Edouard Herzig travaille pour 
        le Gouvernement général, dans le service des Arts indigènes.
 
 Yvonne veut prouver qu'elle méritait bien sa bourse et expose, 
        pour la première fois, un choix de ses dessins dans le cadre du 
        Salon des Artistes algériens de 1918.
 Depuis 1911 où elle présentait une étude de " 
        Jeunes chats ", elle est membre de la Société des Artistes 
        algériens et orientalistes, à laquelle elle restera toujours 
        attachée et dont elle deviendra plus tard membre du jury.
 
 Fin 1922, elle expose à Alger avec sa soeur Fernande, obtenant 
        de bonnes critiques pour ses compositions décoratives à 
        l'effet " puissant et juste ". On remarque en particulier, " 
        tranchant avec les scènes indigènes, de beaux panneaux représentant 
        des perroquets rouges et verts, à fonds dorés, qui sont 
        très originaux " ( Terre 
        d'Afrique Illustrée, n° 69, janvier 1923.).
 
 Ses qualités de dessinatrice étant reconnues, on fait appel 
        à elle pour illustrer livres, revues ou publications diverses : 
        elle travaille de manière régulière pour Algéria, 
        la revue de l'OFALAC, et prend la suite de son père pour collaborer 
        aux travaux de l'Institut Pasteur d'Alger dirigé par le docteur 
        Sergent, consacrant plusieurs années à une étude 
        sur les scorpions d'Afrique du Nord.
 
 En même temps, elle se lance avec entrain sur les routes d'Algérie, 
        afin d'enrichir sa connaissance des moeurs et des paysages. À l'aise 
        partout dans son pays natal, plus souvent dans les campagnes que dans 
        les villes, elle chevauche volontiers un mulet sur une route de montagne, 
        ou un dromadaire dans les dunes du Sud, et discute sans façon avec 
        les autochtones sur les marchés de Kabylie, comme dans l'intimité 
        des demeures où les femmes l'accueillent plus facilement que ses 
        collègues masculins.
 
 En 1925, après un voyage dans le Sud, elle expose à Alger 
        à " Bijou Concert ", des portraits et des scènes 
        d'Ouled Naïl en particulier, et montre pour la première fois 
        ses oeuvres au Salon des Artistes français à Paris, où 
        elle reçoit une " mention honorable ".
 
 Ses participations aux Salons algériens restent toutefois sa priorité 
        et c'est avec une belle unanimité que la décision est prise 
        de lui conférer le Grand
 Prix artistique de l'Algérie en 1928 ( 
        A l'époque, le prix créé par le Gouvernement général 
        est doté d'un chèque de 5 000 F.) . Prix éminemment 
        mérité, qui récompense une artiste intime du pays, 
        bien éloignée de l'orientalisme d'atelier puisqu'elle vit 
        de l'intérieur les thèmes qu'elle évoque dans sa 
        peinture.
 
 La vie quotidienne des Algériens, particulièrement en Kabylie 
        et dans le Sud, a constitué pour elle un sujet d'étude permanent. 
        Elle la transcrit parfois sous forme de portraits d'une justesse ethnographique 
        absolue, et le plus souvent sous forme de scènes de moeurs, qui 
        privilégient l'authenticité tout en offrant une stylisation 
        artistique des plus séduisantes. Car il ne lui suffit pas d'être 
        fidèle à la réalité, elle aime laisser parler 
        sa sensibilité personnelle, sa créativité, elle soigne 
        toujours l'aspect décoratif de ses oeuvres en choisissant la mise 
        en page et les tonalités les plus subtiles.
 
 Son style se reconnaît facilement par son graphisme très 
        net rehaussé de couleurs assourdies posées à la gouache, 
        et par le souci du détail exact. Le moindre objet, le moindre aspect 
        du costume, sont authentiques, chaque notation humaine est le reflet d'une 
        situation vécue, observée.
 
 Les fellahs, bergers ou laboureurs, les potiers et autres artisans, les 
        bédouins au marché ou au café, forment une partie 
        de sa galerie de portraits masculins.
 
 Les danseuses Ouled Naïl, dont elle excelle à décrire 
        les magnifiques parures, mais aussi les femmes juives dans leur intérieur, 
        toujours saisies dans des attitudes et des costumes traditionnels, sont 
        ses modèles préférés pour les portraits féminins.
 
 
         
          |  " Femmes voilées 
              sous les glycines ", 
              coll.part.)
 |  Pour les scènes composées, Yvonne Kleiss-Herzig réalise 
        un savant équilibre entre la représentation techniquement 
        parfaite de l'environnement naturel ou architectural, et celle toujours 
        aussi précise des personnages. Et surtout, elle y intègre 
        toujours un ou plusieurs de ces animaux qu'elle aime tant et qui constituent 
        pour ainsi dire son paraphe de spécialiste.
 
 Ainsi sont nés par son art toute une série de ravissants 
        petits tableaux qui nous transportent dans un univers des Mille et une 
        Nuits : on y admire des jeunes femmes parées à merveille, 
        qui bercent leur enfant (le thème de la maternité est l'un 
        de ses favoris) ou les préparent pour la fête, qui sortent 
        du bain ou se glissent dans les décors enchanteurs des palais algérois. 
        Elles sont entourées de colombes, de gazelles, de fennecs, d'agneaux 
        ou de perruches, tous charmants spécimens de la faune algérienne.
 
 Dans un registre plus ethnique, elle décrit les cortèges 
        de mariage ou de fêtes locales, les familles rurales en procession, 
        les hommes sur leur mule et les femmes à pied, le retour de la 
        source avec les femmes chargées d'amphores, les rassemblements 
        dans le bled à l'occasion des grands marchés, les labours, 
        la fenaison, etc.
 
 Si la souplesse de la peinture à l'eau a mieux convenu à 
        son talent, elle a aussi brossé des tableaux plus importants à 
        l'huile, principalement des paysages de Kabylie ou de Tlemcen et, dans 
        ce cas, elle a privilégié la beauté de la nature, 
        les arbres vénérables, les amandiers fleuris, les prairies 
        émaillées ou les édifices envahis par la végétation. 
        De la même façon, dans ses natures mortes raffinées, 
        elle a toujours associé aux fleurs et aux fruits les objets typiques 
        de la production algérienne.
 
 Pour reprendre succinctement la chronologie de sa vie artistique, il faut 
        noter qu'en 1931, Yvonne participe à l'exposition coloniale de 
        Marseille, et qu'en 1934, de retour d'explorations sahariennes, elle expose 
        des impressions de Ghardaïa et d'El Goléa au Palais du Trocadéro, 
        à Paris, à l'occasion de l'Exposition ethnographique. Elle 
        est de nouveau présente dans le Pavillon de l'Algérie, à 
        l'Exposition internationale de Paris en 1937, avec un " Départ 
        pour la fête, Kabylie ". Entretemps, elle est devenue en avril 
        1935 membre fondateur du Syndicat professionnel des Artistes peintres 
        et sculpteurs d'Algérie, dont le président est Léon 
        Carré.
 
 Ses expositions avec les Artistes Algériens et Orientalistes sont 
        régulières, et l'on remarque dans le catalogue du Salon 
        de 1932, dont elle réalise l'affiche, qu'elle est encore Mlle Herzig, 
        domiciliée au 133 chemin Fontaine Bleue à Alger, tandis 
        qu'en 1934, elle est devenue Mme Kleiss-Herzig et demeure 13 
        rue Clauzel.
 
         
          |  " Odalisque aux gazelles",(coll.part.)
 |  Le mari qu'elle s'était choisi, Hans Kleiss, était 
        un homme chaleureux et dynamique, avec lequel elle devait beaucoup partager 
        et, en particulier, la passion pour la nature et pour la création 
        artistique. Dessinateur, illustrateur et caricaturiste, Kleiss se consacra 
        également à la perpétuation de la sculpture berbère 
        sur bois en tant que créateur de mobilier (4Né 
        à Vienne en Autriche, orphelin de guerre, il débarque à 
        Alger en 1928 et s'y fixe après son mariage. Parmi les ouvrages 
        qu'il illustre, se détache notamment le livre de Robert Randau, 
        Sur le pavé d'Alger. Il décède à Mougins, 
        quelques années après sa femme.). Autant dire 
        que son activité complétait idéalement celles des 
        différents membres de la famille Herzig !
 
 Après une vingtaine d'années de vie commune féconde 
        en Algérie, le couple part en 1952 s'établir au Maroc, à 
        Sidi Slimane, près de Meknès. L'une des raisons est sans 
        doute que Fernande Gazan-Herzig, la soeur bien- aimée d'Yvonne, 
        réside déjà là-bas avec son mari qui fait 
        le commerce des essences florales. Dans ce " Gharb enivré, 
        des mois durant, par les essences acidulées des plantations d'orangers 
        " (Maurice Arama, Itinéraires 
        marocains, Regards de peintres, Editions du Jaguar, Paris, 1991, p. 133.), 
        Hans et Yvonne vont vivre eux aussi sur leur petite exploitation. Ils 
        retrouvent des lieux qui leur rappellent leurs chères montagnes 
        kabyles, font des randonnées dans le Sud, admirent les architectures 
        anciennes.
 
 Pour elle qui a déjà plusieurs fois voyagé au Maroc 
        et en a rapporté divers tableaux, la femme marocaine dans son existence 
        domestique devient le principal sujet d'étude, mais elle se plaît 
        aussi à évoquer les décors somptueux des palais de 
        Meknès.
 
 Pourtant, les Kleiss doivent se décider à quitter ce pays 
        où l'avenir s'annonce incertain pour les Français, et choisissent 
        de se fixer à Mougins, toujours auprès de Fernande et Henri 
        Gazan, et toujours dans un environnement de montagnes fleuries !
 
 Yvonne Kleiss-Herzig vit là ses dernières années, 
        elle s'y éteint après une maladie douloureuse, le 20 août 
        1968.
 o OEuvres dans les musées :Musée national des beaux-arts d'Alger: " Maison mauresque 
        dans le Sahel ", " Enfant à la fenêtre ", 
        " Moulay Idriss ", " Le veau ". Le musée avait 
        acheté en 1954 deux peintures: " Café Fromentin " 
        et " Café maure des Oudaia Rabat ", qui ne figurent pas 
        sur le catalogue 1998.
 Le Musée Gustave Mercier de Constantine possédait entre 
        autres une huile signée Yvonne Herzig et intitulée " 
        Femme à l'encensoir ", représentant une Bédouine 
        aux lourds bijoux, élevant dans ses mains un brûle-parfum 
        de terre cuite.
 Sources :
 - Terre d'Afrique Illustrée, n° 69, janvier 1923.
 - Louis-Eugène Angéli, Algéria, n° 29, Noël 
        1952.
 - Daniel Vella, " Les pastorales kabyles d'Yvonne Kleiss-Herzig ", 
        l'algérianiste n° 1, déc. 1977.
 - John Franklin, Mémoire Vive, CDHA, n° 21, 1er trimestre 2003.
 - Maurice Arama, Itinéraires marocains, Regards de peintres.
 - Lynne Thornton, La femme dans la peinture orientaliste.
 
 Remerciements à MM. David Darmon-Olivencia et Alain Gibergues, 
        qui m'ont transmis des documents biographiques et des photos d'Yvonne 
        Kleiss-Herzig.
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