| Louis Bernasconi
 " L'un des artistes algériens qui ont poussé le plus 
        loin l'interprétation systématique de la nature ".
 Jean Brune
 par Danielle Richier-Bernasconi
 Louis Bernasconi est né au début 
        du siècle dernier (1905) au milieu des orangers en fleurs, des 
        glycines et des bougainvilliers, dans la maison construite en 1855 par 
        son grand-père, émigré suisse, où étaient 
        nés également son père et son oncle, puis ses frères 
        et soeurs. On l'agrandissait au fur et à mesure des besoins a grande 
        terrasse embrassait le splendide panorama de la baie
 Sa vocation artistique semble prédestinée dès la 
        petite enfance : son père Alexandre, trésorier de la Société 
        d'horticulture d'Algérie, lui-même diplômé des 
        Beaux-Arts d'Alger (1887), se servait d'aquarelles pour agrémenter 
        ses plans et son fils l'imita. Il l'emmenait aussi dans ses visites au 
        Jardin d'Essai, lui fit connaître le Dr Trabut, le directeur Castet, 
        le jardinier Imbert, et lui transmit ainsi l'amour de la nature.
 
 Mais surtout, le petit Louis eut l'occasion de côtoyer souvent le 
        maître Albert Marquet, fidèle client quand il venait à 
        Alger, de l'hôtel Royal situé boulevard de la République, 
        qui était tenu par la tante de Louis, Aline Guerraz. Pour faire 
        rester l'enfant tranquille, elle l'envoyait sur la terrasse observer le 
        grand artiste peindre les eaux miroitantes du port. Il y passait des heures.
 
 Après sa scolarité à 
        l'école Dordor, Louis entre donc tout naturellement 
        à l'école des Beaux-Arts, située alors dans le 
        quartier de la Marine et dirigée par Léon Cauvy, 
        premier boursier de la Villa Abd-el-Tif. L'influence de ce dernier se 
        retrouve dans les premières toiles de Louis Bernasconi, notamment 
        un " Jardin d'Essai " dont il ne se séparera jamais. 
        Il se lie avec Rostagny et Brouty, débutants comme lui. Il n'a 
        pas 20 ans quand il part pour Paris avec son ami Jean Lauze se perfectionner 
        dans des académies libres. À l'occasion d'un séjour 
        à Alger, il s'inscrit à l'académie " Arts " 
        que viennent de fonder en 1926, 21 rue Burdeau, deux réfugiés 
        catalans diplômés de l'école des Beaux- Arts de Barcelone, 
        Alfred Figueras peintre, et Rafel Tona sculpteur, à l'instar des 
        académies du Quartier Latin. Cette première académie 
        privée à Alger est née des sollicitations de nombreux 
        artistes algérois désireux de se démarquer de l'enseignement 
        académique des anciens " Arts ". Elle forme en quelques 
        années des peintres de réel talent: Mathilde Cauvy, Louis 
        Bernasconi, Roger Domon, Jean Lauze, Jean de Maisonseul...
 
        
          |  Vue des hauteurs d'Alger " 
              (coll. part.)
 |  Il est à noter que bon nombre des 
        élèves de Figueras obtiendront la Bourse artistique du Gouvernement 
        général de l'Algérie. Louis fera alors sa première 
        exposition avec Roger Domon et Léon Moreau à la Maison Lacroix, 
        rue des Chevaliers de Malte, en 1929; il y recevra les éloges de 
        Figueras.
 De retour à Paris et durant plusieurs années, il va toucher 
        à tous les genres et finalement au 7e Art. Devenu attaché 
        artistique à la société de production cinématographique 
        américaine Paramount en 1932, il va collaborer avec de grands cinéastes 
        : Pabst, Renoir, Feyder, Allegret, Duvivier.
 
 Ce dernier, tournant les extérieurs du film " Golgotha " 
        en 1935 aux studios de Fort-de-l'Eau 
        (Bordj el-Kiffan) avec une importante figuration des étudiants 
        d'Alger, lui demanda de réaliser, sous la direction de Fernand 
        Earle, peintre américain célèbre pour ses effets 
        spéciaux, un panorama géant de Jérusalem pour lequel 
        il s'inspirera de la Casbah.
 
 En 1938, il participe au film " Terre d'Angoisse " réalisé 
        par René Jayet et inspiré du livre de Pierre Nord, grand 
        prix du roman d'aventures 1937, qui s'intitulera finalement " 2e 
        Bureau contre Kommandantur ". En 1939, il est responsable des décors 
        de " Quartier sans soleil " du scénariste Dimitri Kirsanoff.
 
 Devenu habile à utiliser les trucages de la caméra, les 
        trompe-l'oeil et ayant déposé son " système 
        ", il s'apprête à partir pour Hollywood. La guerre de 
        1939-1945 va donner un coup d'arrêt brutal à cette carrière 
        prometteuse. Louis Bernasconi est mobilisé en Tunisie et versé, 
        en raison d'une forte myopie, dans le 25e corps des infirmiers auxiliaires. 
        Sensible à la beauté du pays, il y peindra de jolies gouaches 
        de Sidi Bou-Saïd. De retour au pays natal à l'armistice, Louis 
        décide de s'installer définitivement à Alger à 
        laquelle tout le rattache : sa maison, sa famille, le soleil et la lumière, 
        la mer et la douceur de vivre. À l'arrière du front, le 
        Comité de Libération nationale lui donne la mission d'organiser 
        à Alger, Oran et Tunis, les " Salons de la Résistance 
        " destinés à réunir des fonds pour la mise aux 
        enchères d'oeuvres offertes par un comité d'artistes; ce 
        fut une grande réussite.
 
 Il reprend ses pinceaux et, tous les ans, donnera une exposition dans 
        les galeries les plus connues d'Alger, également d'Oran et Constantine, 
        tout en participant aussi activement aux multiples salons et manifestations 
        qui faisaient à cette époque d'Alger, une ville au bouillonnement 
        artistique intense où la littérature et les arts se donnaient 
        la main. Randau, Pomier, Audisio puis Roblès, Camus, Brune se posent 
        en fervents avocats des peintres du pays auxquels ils donnent conscience 
        de leur appartenance à une culture particulière.
 
 Les critiques d'art saluèrent vite ce jeune talent dont ils suivront 
        l'évolution de 1940 à 1961 lors de ses expositions à 
        Alger, successivement à l'Art du Home, au Crédit Municipal, 
        aux galeries Pompadour, du Minaret, Tam-Pasteur, Colin, Charlet, du Nombre 
        d'Or, Romanet, Colline à Oran, Cirta à Constantine, ainsi 
        que lors des différentes manifestations annuelles des nombreuses 
        sociétés artistiques algériennes en Algérie 
        ou en Afrique du Nord.
 
 Alger sera la principale source d'inspiration de l'artiste: ses ports 
        tout d'abord, qu'il représentera dans une vingtaine de toiles. 
        Sa baie, souvent peinte en perspective au travers d'une fenêtre 
        ouverte. Ses nombreux parcs publics. Ses jardins privés luxuriants, 
        dont celui de Mme Degueurce au Télemly, lui inspireront des toiles 
        aux couleurs éclatantes. Ses monuments historiques ou publics. 
        Ses maisons mauresques, notamment la villa Djenan-Ben-Omar, située 
        dans un vallon de la Bouzaréah à Montplaisant, dont la fréquentation 
        sera particulièrement féconde pour l'artiste épris 
        de nature. Louis Bernasconi produira une vingtaine de toiles de Ben-Omar 
        dont l'une, emblématique de cet endroit de rêve, intitulée 
        " Coin pour la sieste à Ben-Omar " a été 
        acquise par la section orientaliste du musée d'Art et d'Histoire 
        de Narbonne en 2006.
 
         
          |  " Port d'Alger " 
              (coll. part.).
 |  Dans cet ancien palais turc d'Alger de très 
        belle architecture, dont le patio couvert et non ouvert laisse supposer 
        qu'il aurait appartenu à un Juif peseur d'or, Louise Bosserdet, 
        peintre autodidacte, recueillait des enfants algériens nécessiteux. 
        Après la guerre, le petit noyau d'artistes formé chez Figueras, 
        se reconstitue autour de M. Hivert, gérant de Colin, et va y exposer 
        au milieu des postes de TSF. Ainsi les dimanches et jours fériés, 
        " les copains " Benisti, Bernasconi, Sanchez- Granados, Tona, 
        Chouvet, Degueurce, Bouviolle, Terracciano, Galliero et par la suite Caillet 
        et Nallard prendront l'habitude de se retrouver à Ben-Omar dans 
        une atmosphère à la fois professionnelle et festive, apportant 
        ainsi une contribution financière à Louise Bosserdet. Parfois 
        les rejoignaient Claro, Assus, Durand et les amis des artistes pour de 
        très joyeuses réunions. * * Grand chasseur, Louis parcourt la Kabylie, 
        s'émeut de ses levers de soleil et de ses petits villages accrochés 
        dans les montagnes; il peindra " La Porte des Ta bouda " qui 
        sera sa première oeuvre à entrer au musée national 
        des Beaux-Arts d'Alger en 1944. Tlemcen, Constantine, Bougie ("Les 
        Aygades"), Oran sont représentées dans plusieurs petites 
        gouaches ou grands panoramas. Seul le grand Sud algérien ne l'attirera 
        pas.
 Ses voyages l'amèneront au Maroc, propice à son amour des 
        couleurs crues qui inspireront les superbes toiles dont " La Porte 
        de la mer à Mazagan ", que son conservateur Jean Alazard choisira 
        pour le musée national des Beaux-Arts d'Alger. Ébloui par 
        l'Espagne et le Portugal, l'artiste en ramènera une cinquantaine 
        de toiles représentant Grenade, Cordoue, Tolède, Ségovie, 
        Porto, Lisbonne...
 
 Lors d'un été en Provence, ce seront le charme des vieilles 
        pierres qui le séduiront: Tourettes-surLoup, Vence, Nice... Et 
        bien évidemment et toujours Paris, dont les quais de la Seine sont 
        peints dans des tonalités plus sourdes. Paris où il aura 
        eu en 1946, l'honneur d'exposer à la galerie Champion-Cordier sous 
        le patronage d'Albert Marquet qui, se souvenant du petit Louis, tiendra 
        à lui exprimer sa sympathie. Ayant quitté l'Algérie 
        en 1945, Marquet était considéré comme le meilleur 
        peintre d'Alger et avait notablement influencé, par l'aspect dépouillé 
        de sa facture, les jeunes artistes qui allaient constituer " l'École 
        d'Alger ".
 
 Signe de son attachement et admiration au Maître, dans les archives 
        de Louis Bernasconi, le journal Liberté du 19 juin 1947 est resté 
        plié sur l'article " Albert Marquet est mort ".
 
 Plusieurs distinctions seront décernées à l'artiste, 
        dont le Grand Prix de la ville d'Alger en 1952 dont il fut le plus fier 
        car jugé par ses pairs. Le " Les Aygades " (coll privée) 
        diplôme est signé par Jean Pomier et René Rostagny, 
        respectivement président et secrétaire du Salon des artistes 
        orientalistes d'Afrique du Nord.
 
 Le Gouvernement général fit l'acquisition d'une vingtaine 
        de ses oeuvres pour des bâtiments publics; Jean Alazard choisit 
        trois autres toiles pour le musée national des Beaux-Arts d'Alger, 
        celui d'Oran en détenant deux. Enfin, il réalisa les décors 
        de la salle à manger de l'hôtel de ville, de 
        l'hôpital Maillot et le bureau du président des 
        Délégations financières. Confiné voire enfermé 
        dans un genre unique, celui du paysage, en communion solitaire avec la 
        nature, l'artiste a pu être considéré comme inhumain 
        par l'absence de personnages dans ses oeuvres, d'autant plus inhumain 
        que son évolution picturale se fera dans un sens surréaliste 
        dans les dernières années, tel que le montre cette surprenante 
        toile intitulée " Les Sauterelles ". Il n'en est rien 
        et l'homme était connu et apprécié dans tous les 
        milieux d'Alger. Très grand comme tous les Bernasconi, flegmatique, 
        souvent humoriste, volontiers farceur, égal à lui-même 
        en toutes circonstances, toujours élégant dans sa ressemblance 
        prononcée avec Arthur Miller, le second mari de Marilyn Monroe, 
        la cigarette aux lèvres permanente, sa faconde pince-sans-rire 
        lui valait d'être très recherché et de participer 
        à de nombreuses manifestations de la vie algéroise. Il avait 
        également ses jours précis pour déjeuner chez ses 
        clients ou au restaurant, son talent d'organisateur faisant le lien entre 
        le groupe d'artistes et leurs clients, Apab dont Arthur Mani grand collectionneur.
 
 Dans son agenda algérois coexistent à tout jamais les noms 
        et adresses de médecins, avocats, artistes, architectes, professeurs, 
        sportifs, colons, hommes politiques, industriels, négociants, directeurs 
        de journaux, libraires, galeristes, cafetiers qu'il a fréquentés, 
        clients et amis à la fois.
 
 Excellent photographe de par son métier, équipé d'un 
        matériel Zeiss ultra-performant, il a fixé sur la pellicule 
        les sites qui lui ont inspiré ses tableaux et tous les événements 
        artistiques, mondains et historiques auxquels il a participé. Mais 
        pudique, Louis ne dévoilait pas sa vie personnelle. Resté 
        célibataire par choix d'artiste, il vivait avec mère, frères 
        et soeurs dans la maison familiale, 40 rue Lys du Pac, chacun à 
        son étage mais très liés entre eux. Après 
        celui de sa mère, le décès de sa jeune soeur Yvonne, 
        brillante gymnaste de l'Algéria, militante responsable à 
        la Croix-Rouge française, modèle favori du sculpteur Pouvreau-Baldy, 
        le frappa douloureusement en 1954.
 
         
          |  " Le 40 rue Lys du Pac 
              " (coll. part.).
 |  Il faut rappeler, malgré leurs divergences 
        picturales, l'indéfectible amitié qui le lia à Rafel 
        Tona depuis qu'ils firent connaissance en 1926, jusqu'à leur disparition 
        tous deux en 1987.
 Par caractère, tout lui était bonheur; dans une interview 
        à Edmond Charlot sur 
        Radio- Alger, il fait, en bon Algérois, l'apologie de 
        la sieste, avouant en avoir connues qui étaient des festivals ! 
        Quand il pleuvait sur Alger, il s'exclamait pour Mme Degueurce dont le 
        magnifique jardin, 12 bis boulevard du Télemly, 
        lui a inspiré de nombreuses toiles luxuriantes, que " c'était 
        de l'or en barres qui tombait du ciel ". Pilier de l'Otomatic, 
        quand il était attablé au soleil, il retroussait la manche 
        de sa chemise sur son avant-bras gauche pour le bronzer en expliquant 
        d'un air entendu : " La Jag... ". Ce n'est qu'en décembre 
        1963 que Louis Bernasconi se résolut à quitter Alger, sa 
        ville natale, après que sa maison eût été mitraillée 
        et squattée. Il retrouva alors Paris mais les conditions avaient 
        changé. Malgré tous ses efforts pendant quelques années, 
        il ne put émerger et finit sa vie dans la précarité 
        à Fontainebleau, mais toujours habité de la sérénité 
        que lui avait procuré sa lumineuse peinture.
 o
 Louis BERNASCONI
 Mon oncle,
 Artiste-peintre algérois
 Danielle Richier
 
 En vente chez l'auteur:
 Mme Danielle Richier Bernasconi
 " Tara ", quartier Labagnère
 40140 Soustons
 
 44 € port compris.
 
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