| " Alfred Dabat fut l'un des 
        plus beaux peintres de l'Algérie par sa science du groupement et 
        la hardiesse de ses harmonies ".
 Victor Barrucand
 Alfred Dabat
 Grand orientaliste algérois (1869-1935)
 par Marion Vidal-Bué
 Alfred Dabat fut l'un des peintres orientalistes 
        les plus originaux parmi ceux qui naquirent en Algérie dans la 
        deuxième moitié du xixe siècle. Novateur doté 
        plus qu'aucun autre du " sens du mystère pictural ", 
        pour Victor Barrucand, auteur du célèbre ouvrage L'Algérie 
        et les peintres orientalistes en 193o, il fut " un des plus beaux 
        peintres de l'Algérie par sa science du groupement et la hardiesse 
        de ses harmonies ". Pierre Angel le plaça dans son étude 
        sur L'Ecole nord-africaine dans l'art français contemporain (1931) 
        en tête des quelques artistes qui suscitèrent le " Nouvel 
        essor " de la peinture algérienne au début du xxe siècle. 
        S'il reste très peu connu de nos compatriotes, c'est sans doute 
        parce que, ayant réussi par son art à se faire une place 
        appréciable à Paris, il y conserva sa vie durant son atelier 
        principal, et bien que séjournant fréquemment en Algérie 
        il n'y exposa pas de façon très assidue dans les Salons 
        de peinture. De la même génération que nos grands 
        paysagistes, Eugène Deshayes (né à Alger en 1862) 
        et Maxime Noiré (né en Moselle en 1861, installé 
        très jeune à Alger), ou que Louis Antoni (né à 
        Bastia en 1872, étudiant aux Beaux-Arts d'Alger avant d'en prendre 
        la direction), il ouvrit la voie de la recherche picturale à Augustin 
        Ferrando (né à Miliana en 1880), comme lui coloriste hors 
        pair, ayant appliqué aux thèmes algériens la manière 
        de peindre en larges aplats héritée des nabis.
 Armand 
        Assus (né à Alger en 1879), qui travailla pendant 
        plus de vingt ans à Paris, y fut accueilli par Dabat et participa 
        chez lui à des réceptions qui devaient être brillantes, 
        puisque les souvenirs recueillis par son fils mentionnent " les soirées 
        chez le peintre Dabat où dansait Isadora Duncan ". Pour situer 
        Dabat par rapport à nos artistes les plus connus, il faut encore 
        mentionner un autre algérien remarquable, Émile Aubry (né 
        à Sétif en 1880), notre premier Prix de Rome de peinture, 
        qui fit carrière comme portraitiste académique à 
        Paris, et termina sa vie chargé d'honneurs dans son pays natal.
 En fait, l'artiste dont Dabat se rapproche le plus, fut sans doute André 
        Suréda (né à Versailles en 1872) qui résida 
        pendant près d'une quinzaine d'années en Algérie 
        où il créa une vision orientaliste totalement renouvelée. 
        Dabat et Suréda, tous deux intéressés en priorité 
        par l'étude des personnalités autochtones, mirent en oeuvre, 
        pour les représenter, tous les apports innovants de leur époque, 
        dans la hardiesse du coloris et la liberté de la forme. Leurs noms 
        ont souvent figuré ensemble dans les expositions et dans les chroniques 
        artistiques louant leur talent orientaliste.
 Alfred, Justin, Gustave Dabat est né le 2 janvier 1869 à 
        Blida. Nous ne savons pas grand-chose de sa famille, si ce n'est par son 
        acte de naissance qui précise que, lors de sa venue au monde, son 
        père, Hector Martin Dabat, âgé de 57 ans, était 
        comptable aux Ponts et Chaussées, et sa mère, née 
        Joséphine Gérard, âgée de 33 ans et sans profession.
 
 Elève au lycée 
        d'Alger, il entreprend ses premières études artistiques 
        à l'école des Beaux- Arts de la ville, avant de partir, 
        muni d'une bourse du Gouvernement général, compléter 
        sa formation à Paris, dans les ateliers très recherchés 
        du peintre d'histoire Jean-Paul Laurens à l'Académie Julian 
        entre 1893 et 1898, dans celui de l'orientaliste Benjamin Constant également, 
        ainsi que dans celui du peintre de portraits Albert Maignan.
 
 Installé dans l'atelier qu'il conservera toute sa vie, au 6 rue 
        Vercingétorix dans le 14e arrondissement, il commence à 
        exposer à Paris en 1899, au Salon des Artistes français, 
        une institution à laquelle il reste fidèle en envoyant pratiquement 
        chaque année un tableau dont l'inspira- s tion est fournie par 
        l'Algérie. A défaut de renseignements sur sa vie personnelle, 
        nous connaissons les oeuvres qu'il y expose grâce aux catalogues 
        de ces Salons, dans lesquels à plusieurs reprises à partir 
        de 1925, elles connurent l'honneur de reproductions photographiques.
 
 En 1900 ou début 1901, il effectue le traditionnel voyage d'études 
        en Italie, puisque au Salon de 1901, il propose deux sujets pris à 
        Venise : " Veneziana " (La Vénitienne) et " Fondamente 
        dei Mori à Venise ", (le Quai des Maures, un endroit qu'il 
        choisit certainement avec malice pour sa résonance africaine !).
 
 C'est en 1904 qu'il fait son premier envoi au Salon des Peintres orientalistes 
        français, avec cette même " Veneziana " accompagnée 
        de deux sujets bien algériens, " Femmes des Ouled Nail à 
        la noria ", et " Femmes des Ouled Naïl chez la tireuse 
        de cartes ".
 
 Son intérêt pour le Sud algérien et pour ses habitants 
        ne cessera plus de se vérifier tout au long de son parcours. Très 
        tôt, il voyage dans le Constantinois et jusque dans le M'Zab, trouvant 
        dans les oasis son terrain de prédilection, s'attachant surtout 
        à en représenter les femmes.
 
 Lorsqu'il consacre en septembre 1928 deux pages à ce " peintre 
        des Ouled Naïl et des oasis ", le chroniqueur artistique de 
        la revue algéroise Notre Rive, M. Michel, affirme que " si 
        l'on a pris l'habitude de nommer orientaliste l'ceuvre qui situe et étudie 
        les indigènes nord-africains dans leurs types et dans leur vie, 
        nul plus que Dabat ne mérite ce titre d'algérien et d'orientaliste 
        ".
 
 Pour sa participation au Salon d'Automne d'Alger en novembre 1907, Dabat 
        choisit des sujets certes déjà illustrés par de nombreux 
        confrères, mais il les traite à sa manière très 
        originale, comme ce " Marchand de limonade à Alger jugé 
        par L'Afrique du Nord Illustrée largement traité et si juste 
        de valeur ",
 et cette " Boutique de Mozabite " très grassement peinte 
        ". Ces deux tableaux rejoignent les cimaises du Salon des Artistes 
        français à Paris, pour ses envois de 1908 et 1909. Ses " 
        Terrasses à Alger " sont très bien accueillies avec 
        quelques autres de ses tableaux, au Salon des Orientalistes d'Alger en 
        1910, année où il obtient une mention honorable au Salon 
        des Artistes français avec une grande toile, " Fantômes 
        d'Orient; cimetière de Sidi Kébir à Blida ". 
        Cette évocation heureuse d'un lieu de sa ville natale où 
        aucun peintre voyageant en Algérie n'a manqué de passer, 
        lui vaut une flatteuse recension dans la revue parisienne Les Arts, de 
        juin 1910: " Dabat, né à Blidah, prendra rang de précurseur. 
        Ses " Fantômes d'Orient " sont une chose exquise: les 
        tombes d'un cimetière arabe avec leurs plaques de faïence, 
        roses, rouges, bleues, vertes, violettes, telles que des roses et des 
        pervenches à l'ombre des grands arbres, au fond l'éclat 
        du soleil sur les coupoles blanches, les burnous blanc,, et rouges, les 
        riches étendards; au premier plan, une femme entr'ouvrant voiles 
        bis et verts sur sa robe lamée d'or; un bouquet de fleurs, une 
        vision mystérieuse et charmante ".
 
 Alfred Dabat a toujours été très à l'aise, 
        techniquement, pour peindre de tels sujets sur des toiles de grand format. 
        Son tableau " Femmes de la Casbah, Alger ", présenté 
        au Salon des Artistes français en 1911 et au Salon des Peintres 
        orientalistes français en 1913, ne mesurait pas moins de 1,55 m 
        sur 2,65 m. La reproduction que nous en donnons (page ci-contre) permet 
        de le constater, c'est une oeuvre superbe, d'une présence et d'une 
        force chromatique exceptionnelles, qui a pulvérisé des records 
        lorsqu'elle a été proposée en vente publique en février 
        dernier (Cliché aimablement fourni 
        par l'étude May, Duhamel & Associés à Roubaix. 
        Cette oeuvre a été récemment vendue à un prix 
        record, par cette étude le 19 février 2007.).
 
 Un tableau du même sujet mais de format réduit (70 cm sur 
        100), a figuré dans les collections du musée national des 
        Beaux-Arts d'Alger sous le titre " Femmes arabes prenant le café 
        ", grâce au legs d'un généreux mécène, 
        le docteur Rouby. Reproduit dans un ancien guide d'Alger ( Guide 
        Arthaud, " Alger et sa région ", par Antoine Chollier, 
        1929, p. 58.), il mettait en scène cinq femmes très 
        parées assises autour d'une table basse, une middah, dans un décor 
        typique d'intérieur à arcades. Seules trois d'entre elles 
        sont reconnaissables dans la toile figurant sur ces pages, ce qui n'a 
        rien d'étonnant lorsque l'on connaît les difficultés 
        que rencontraient les peintres pour faire poser des musulmanes.
 
        
          |  Femmes de la casbah, 1911, 
              coll.part. |  Ces importantes compositions ont d'emblée 
        recueilli les suffrages des connaisseurs de l'époque. Ainsi, "Tapis 
        d'Orient " (154 x 145 cm), l'oeuvre présentée en 1912 
        au Salon des Artistes français et au Salon d'Automne d'Alger où 
        elle rivalisait d'éclat avec des chefs-d'oeuvre de Cauvy et de 
        Suréda, fut acquise par le grand collectionneur algérois 
        Frédéric Lung. Celui-ci en fit don en 1932 au musée 
        des Beaux-Arts d'Alger, qui le transféra par la suite au Musée 
        des Beaux-Arts de la Ville de Paris, l'actuel Petit Palais. Mais auparavant, 
        ce tableau révélant " la couleur riche et la pesante 
        lumière des tapis du Sud ", contribua largement à la 
        renommée du peintre, en étant exposé notamment à 
        la Société des Peintres orientalistes français en 
        1914 et à l'Exposition coloniale de Paris en 1931.
 Louis Meley, autre fameux mécène algérois, appréciait 
        également beaucoup les oeuvres de Dabat, comme l'atteste l'existence 
        de deux tableaux issus de sa collection et restés dans sa famille, 
        ces " Deux femmes Ouled Naïl " aux fins visages d'oiseaux 
        de proie et ces " Femmes juives dans la Casbah d'Alger " en 
        conversation animée. Charles Simian, grand négociant en 
        vins algérois amateur de musique et de peinture avait choisi un 
        " Port d'Alger " de forme circulaire, Albert Leveilley, marchand 
        de meubles bien connu, possédait de brillantes " Danseuses 
        Ouled Naïl en robes rouges.
 
 L'année 1913 marque pour Dabat un nouveau succès au Salon 
        des Artistes français où sa " Danseuse rouge " 
        lui vaut une médaille et un premier achat de l'Etat pour le " 
        Luxembourg ", musée alors consacré aux artistes vivants. 
        L'oeuvre de grandes dimensions (201 x 181 cm) appartient désormais 
        aux collections du Musée d'Orsay à Paris, et nous en montrons 
        une version réduite, passée en vente publique récemment 
        ( - Etude Tajan, Paris, vente du 8 mars 
        1999.).
 
 J. d'Aoust s'enthousiasme dans " L'Action africaine: " Danseuses 
        et tons rouges sont aussi réunis dans la toile de Dabat, qui a 
        obtenu une médaille d'argent, et dont la puissance de facture est 
        de premier ordre. Là, il ne faut pas non plus rechercher d'expression; 
        tout le talent réside dans la force des coloris, rarement poussés 
        à une telle violence, et magnifiques. Il faut imaginer cette muraille 
        peinte en vert fort, sur laquelle se détache une silhouette vermillonnée 
        coiffée d'un châle rose, et qui fait des mouvements de danse 
        lente; le reflet des sequins d'or, des bracelets d'argent: les figures 
        brunes vivement maquillées; tout cela en teintes fortes, mais non 
        claires, épaisses, comme vernissées, pour arriver à 
        évoquer l'originalité de cette peinture à la fois 
        terre à terre et éclatante qui est du réalisme exacerbé, 
        d'une puissance de facture rare "( " 
        L'Afrique du Nord aux Salons de 1913 ", par J. d'Aoust, L'Action 
        Africaine, n° 19, juillet 1913.). Au Salon d'Automne d'Alger, 
        en 1913 toujours, le commentateur des Annales Africaines distingue parmi 
        les tableaux les plus intéressants les " Femmes arabes " 
        de Dabat, " des merveilles d'attitude et de couleur ", et juge 
        ses gouaches " éblouissantes " ( Annales 
        Africaines, 12 décembre 1913.).
 
 L'artiste, en pleine possession de son style, s'intéresse avant 
        tout aux individus, capte instantanément leurs expressions et leurs 
        mouvements, prend plaisir à faire de la peinture créative 
        avec ce matériau humain. En portraitiste doué d'un sens 
        psychologique aigu, il réussit merveilleusement à caractériser 
        ces femmes mystérieuses qui le passionnent, à les faire 
        vivre dans leur vérité tout en déployant les séductions 
        d'un technicien avéré de la couleur.
 
 Pour créer une atmosphère qui frappe l'imagination, pour 
        rendre ses personnages féminins criants de vérité, 
        que ce soit dans ses grands tableaux de Salons ou dans ses oeuvres de 
        dimensions plus restreintes destinées aux amateurs, il lui suffit 
        d'un jeu habile de lignes souples et de contrastes de couleurs alternativement 
        chaudes ou claires, de quelques accessoires et de quelques éléments 
        décoratifs qu'il choisit en homme de goût. " L'art 
        d'Alfred Dabat est tellement personnel, écrivait encore M. 
        Michel, que les expressions courantes ne parviendraient pas à 
        le définir. C'est, depuis l'ocre, le rouge sang et l'or jusqu'aux 
        bleus et aux violets glacés, un jaillissement spontané, 
        une splendeur de tons et de masses qui vous stupéfient du premier 
        coup et qui, après long examen et étude minutieuse, vous 
        étonnent encore par la maturité, la lente et grave pensée 
        recélées derrière des touches aussi rapides qu'infaillibles. 
        [Il a] toujours été en avant dans son art, le premier à 
        innover une manière ou une technique qu'il renouvelait dès 
        que de pâles imitateurs s'en emparaient " ( In 
        Notre Rive, septembre 1928.).
 
 Au début de 1914, année fatidique, Dabat signe une très 
        belle participation au Salon des Peintres orientalistes français, 
        avec ses grandes toiles " Tapis d'Orient ", " Terrasses 
        à Alger ", " La danseuse rouge ", des gouaches de 
        " Femmes au cimetière " et de " Femmes d'Alger ", 
        une étude pour les " Femmes de la Casbah ". Au printemps, 
        il expose au Salon des Artistes français " La femme à 
        l'orange ", une coquine jeunesse aux sourcils peints, juchée 
        pour déguster une orange sur un coffre arabe de bois peint, sa 
        plaisante nudité à peine voilée par des étoffes 
        aux chaudes couleurs. Acquise par l'Etat, elle a été déposée 
        par le Fonds national d'art contemporain au musée de Brou, à 
        Bourg- en-Bresse.
 
 Sur le catalogue de ce Salon, Dabat alors âgé de quarante-cinq 
        ans est domicilié " à Blida ", et l'on peut penser 
        qu'il a passé dans sa ville natale les terribles années 
        de la Première Guerre mondiale. On le retrouve quatre ans plus 
        tard, exposant dans le Salon officiel organisé à Paris au 
        printemps 1918 au profit des oeuvres de la guerre ( Salon 
        commun de la Société des Artistes français et de 
        la Société nationale des Beaux-Arts, Petit Palais de Paris, 
        Pr mai au 30 juin 1918.), avec un tableau au titre volontairement 
        optimiste, " Pays de rêve ", qu'il présente à 
        nouveau au Salon de 1920.
 
 En 1921, c'est un tableau du Sud, " Le Bassour ", qu'il montre 
        aux Artistes français à Paris, puis à Alger, une 
        " oeuvre maîtresse où fleurissent tous les dons de l'artiste 
        ", selon M. Michel qui s'en souviendra dans Notre Rive en 1928: " 
        Son Bassour aux bleus profonds, aux orangés suaves qui éclataient 
        dans un angle de la grande salle comme le meilleur envoi du Salon ". 
        En 1922, il est présent à Alger au Salon des Orientalistes 
        avec notamment des " Femmes de la Casbah ", ainsi qu'au Salon 
        d'Automne où l'on remarque parmi les meilleures réussites 
        un " Paysage avec chameau ", et un " Café ", 
        sans doute un café maure. À Paris, il reçoit une 
        médaille d'or au Salon des Artistes français pour des " 
        Baigneuses ", en même temps que Marius de Buzon et Paul-Elie 
        Dubois pour des oeuvres d'Algérie. Il est désormais classé 
        hors concours, c'est- à-dire qu'il n'a plus besoin de passer devant 
        le jury pour être exposé.
 
 Par la suite, on le voit, il expose moins souvent en Algérie, si 
        l'on en croit le précieux article de M. Michel qui déplore, 
        toujours dans Notre Rive en 1928: " Il n'a pas, depuis la guerre, 
        assez montré ici ses travaux qu'à peine achevés il 
        emporte à Paris et qu'on ne revoit plus ". Mais le Sud algérien 
        reste pour lui une source primordiale d'inspiration, et le même 
        critique se félicite d'avoir vu dans une chambre d'hôtel, 
        au printemps, " les dernières études de l'artiste rentrant 
        du M'Zab et de Djelfa ".
 
 Sur les cimaises des Artistes français, il alterne désormais 
        les portraits d'élégantes françaises avec ceux des 
        femmes algériennes, à moins qu'il n'accroche une scène 
        de moeurs sahariennes ou une brillante composition allégorique, 
        comme " Le paradis terrestre " du Salon de 1929, dont le catalogue 
        donne une reproduction. C'est un tableau qui n'est pas sans rappeler ceux 
        de Paul Gauguin à Tahiti, par l'inspiration comme par la manière, 
        et qui représente deux femmes nues au milieu d'une nature exotique, 
        où les volutes végétales et les ibis forment un cadre 
        idéal pour leur beauté sereine.
 
 Dabat, qui semble avoir assez peu produit dans l'ensemble, n'expose jamais 
        plus d'un ou deux tableaux à Paris, mais toujours au moins une 
        toile spectaculaire. Ainsi, en 1924, il montre " L'étrange 
        maison ", une composition étonnante qui est également 
        illustrée dans le catalogue du Salon et représente deux 
        femmes noires coiffées de tiares dorées et de sequins, buste 
        nu sur un fond d'arabesques, assises en tailleur devant une table basse 
        peinte. Selon M. Michel, la toile serait partie dans une collection privée 
        à Buenos Aires. En 1925, c'est " Le Vieux Marabout " 
        qui a les honneurs du catalogue et qui est également mentionné 
        dans Le Monde colonial illustré de juin : un homme de belle allure, 
        posant en burnous devant un village saharien, en fait le même personnage 
        que celui de l'étude, dans laquelle le décor n'apparaît 
        pas ( Gouache passée en vente 
        par l'étude Saint Germain-en-Laye, enchères, Maîtres 
        Schmitz et Laurent, le 7 octobre 2007.).
 
 En 1926, Dabat redonne son " Tapis d'Orient ", aux côtés 
        d'un " Marché de Ghardaïa ". En 1927, viennent " 
        La femme à l'orange ",détail,(Bourg-en-Bresse, musée 
        de Brou). " Les Guenilles, Ghardaïa ", qui montrent un 
        groupe de mendiants traités en clair-obscur sous les arcades de 
        la ville saharienne. Cette même année 1927, il expose à 
        la Société coloniale et la critique apprécie vivement 
        ses " Baigneuses et négresses ". En 1928, ce seront des 
        " Vieilles femmes du M'Zab ", trois personnages remarquablement 
        typés. Pour le Salon de 1930, il propose deux toiles, des " 
        Femmes de Laghouat " et des " Danseuses Ouled Naïl ".
 
 On le revoit sur les cimaises du Salon des Artistes algériens et 
        orientalistes en 1930, année du Centenaire de l'Algérie 
        française, avec une gouache de " Baigneuses ", vendue 
        fort chère, 4 000 F de l'époque, le prix des grandes toiles 
        d'autres artistes. Sur le catalogue, il est domicilié " chez 
        Mme Germain, route de Saint-Claude, Antibes ", et l'on sait en effet 
        qu'il demeurait dans cette ville, durant cette dernière période 
        de son existence.
 
 C'est sans doute à Antibes qu'a été conçue 
        la scène de plage intitulée " Les shorts ", achetée 
        à l'artiste par la Ville de Paris juste avant sa mort, en août 
        1935.
 
 Tout en conservant des thèmes plus ou moins orientalistes, Dabat 
        consacre ses tableaux des années suivantes à la beauté 
        féminine sous toutes ses formes, et les traite toujours dans un 
        esprit fortement décoratif. Il peint de plus en plus à la 
        gouache, selon le procédé dit " a tempera ", qui 
        permet des oeuvres spontanées et vivantes.
 
 " L'éternelle crucifiée " du Salon des Artistes 
        français de 1931, exposée en même temps qu'un " 
        Bain maure ", représente une femme européenne assise 
        buste nu sur un riche sofa, les bras étendus en croix, le bas drapé 
        dans une étoffe chamarrée. Le catalogue de l'exposition 
        ne permet pas
 d'en voir les couleurs, mais on les imagine rutilantes et splendides, 
        comme le suggère la décision de l'Etat d'acheter cette grande 
        toile (1,50 m x 1,90 m) pour le musée du Luxembourg. Versée 
        dans les collections du Musée d'Orsay, elle figure à l'inventaire 
        du Fonds national d'art contemporain, en compagnie du " Portrait 
        de Mme D. ", une autre réussite au format important (118 x 
        130 cm). Il s'agit là encore d'une femme française, peut-être 
        l'épouse du peintre d'après l'initiale de son nom, dont 
        le visage aigu dégagé par un chignon et la chair nacrée 
        révélée par un haut très décolleté 
        se détachent sur un fond uniformément sombre. Les volants 
        rouges du corsage blanc contrastent avec la jupe noire et les épais 
        bracelets qui enserrent ses poignets; un bouquet de fleurs et des étoffes 
        à ramages composent le décor. L'année 1931 est celle 
        de la grande exposition coloniale de Paris dont le maréchal Lyautey 
        est le commissaire général. Dabat y figure en bonne place 
        dans le Palais des Beaux-Arts, avec son fameux " Tapis d'Orient ". 
        Il est ensuite distingué par le Prix Henner en 1932, au Salon des 
        Artistes français où il expose un " Portrait de Tounsi 
        " et " La dormeuse ", qui est probablement la même 
        toile que celle figurant toujours dans les collections de la Ville de 
        Paris sous le titre " Nu ", " La dormeuse ", encore 
        une grande oeuvre de 148 x 200 cm.
 
 Les derniers envois officiels au Salon des Artistes français nous 
        sont connus uniquement par leurs titres : " L'orage " en 1933, 
        " Les Affranchies " et " Le village qui meurt ", ainsi 
        que deux gouaches de " Fleurs " acquises par la ville de Paris 
        en 1934; " Femme nue " et " Jésus guérit 
        un aveugle ", deux thèmes bien différents l'un de l'autre, 
        en 1935.
 
 Le 17 août 35, L'Afrique du Nord illustrée publie un entrefilet 
        dans sa chronique artistique, pour signaler la maladie du peintre : " 
        M. Dabat, artiste peintre très estimé en Alger où 
        il compte de nombreux amis, et qui séjourne actuellement à 
        Antibes, est retenu à la chambre pour plusieurs jours. Nous formons 
        les meilleurs voeux pour un prompt retour de sa santé ". Ceci 
        laisse à penser qu'il est bien mort à Antibes le 23 septembre 
        1935, comme l'indiquait Jean Alazard dans son catalogue des collections 
        du Musée des Beaux-Arts d'Alger en 1936, et non pas à Alger 
        comme on a pu l'avancer. Et pourtant, le registre d'état civil 
        de la ville d'Antibes ne conserve pas de trace de son décès.
 
 Lorsque L'Afrique du Nord illustrée signale sa disparition, dans 
        le numéro du 26 octobre 1935, la revue ne manque pas de rappeler 
        les nombreuses distinctions qui couronnèrent la carrière 
        d'Alfred Dabat, Algérois reconnu par Paris : " Son talent 
        le fit désigner comme membre du jury du Prix de Rome et du Salon 
        des Artistes français. Il était lauréat des prix 
        Chenevard, Fortin d'Ivry, Henner et Gabriel Ferrier (Institut de France). 
        Les musées d'Alger et d'Oran comptent également de ses toiles 
        ".
 
         
          |  " Femmes 
              dans leur intérieur " (coll. part.), extrait de L'Algérie 
              du Sud et ses peintres, de M. Vidal-Bué, Paris-Méditerranée, 2003
 |  
 Il est regrettable que l'on ne possède pas plus d'informations 
        sur la personnalité, la famille, les relations de cet artiste digne 
        d'être redécouvert. Une partie trop limitée de sa 
        production nous est connue par les grandes toiles qu'il exposait régulièrement 
        dans les salons officiels, ou par un petit nombre d'oeuvres de moyen format 
        recensées en collections privées. Leur qualité, comme 
        l'excellente appréciation de ses contemporains, font honneur à 
        son pays natal.
 
 Si parmi les lecteurs de l'algérianiste il s'en trouve qui possèdent 
        documents, souvenirs ou oeuvres de sa main, ils seraient très bienvenus 
        de contribuer à compléter cette enquête sur celui 
        qui fut reconnu de son temps comme l'un des meilleurs peintres algériens.
 
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