|  " Hauts d'Alger Sud, panorama de Saint-Raphaël (El Biar) 
                ", 1941,
 huile sur toile 46 x 55 cm, Paris, (coll. particulière).
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        Francis Harburger et 
          l'Algérie 
          Caroline Larroche 
        Au cours de sa longue carrière d'artiste, le 
          peintre Harburger consacra trente-cinq années en allers et retours 
          entre son Algérie natale et la métropole. C'est ce riche 
          parcours algérois et oranais que nous retraçons dans les 
          lignes qui suivent.
          
          C'est à la lumière de l'Algérie - il est né 
          à Oran le 17 février 1905 - que Francis Harburger s'est 
          d'abord trouvé confronté. De son père avocat, originaire 
          d'une famille juive d'Alsace émigrée en 1870, il hérite 
          le sens de la justice; de sa mère, née Célestine 
          Aboulker, artiste peintre, il reçoit d'évidentes dispositions 
          pour le dessin. Alors que son frère Adrien, son aîné 
          de six ans, se destine à la médecine, le jeune Francis 
          est poussé par sa mère - " non sans un peu de romantisme 
          provincial ! " dira-t-il plus tard - à embrasser une carrière 
          de peintre. Il entre ainsi, en 1919, à l'École des beaux-arts 
          d'Oran, que dirige le coloriste Augustin Ferrando (1880-1957). Avec 
          de jeunes camarades, entre autres Maurice Acrey et Alexandre Benoliel, 
          il s'enthousiasme pour l'uvre de Paul Cézanne, ce dernier 
          grand maître du XIXe siècle, dont l'exemple enseigne de 
          transposer les données de la sensation en éléments 
          d'oeuvres d'art - un enseignement que Francis Harburger suivra à 
          sa façon, tout au long de sa carrière.
        De l'École 
          des beaux-arts de Paris à la Casa Vélasquez de Madrid
        En 1921, venu rejoindre à Paris son frère, 
          qui y poursuit ses études, il entre, âgé de seize 
          ans à peine, à l'École des Arts décoratifs. 
          Les vacances sont pour lui l'occasion de retrouver son Algérie 
          natale et la communauté des peintres d'Oran que fréquente 
          sa mère. En 1923, il est reçu à l'École 
          des beaux-arts de Paris, et s'inscrit dans l'atelier de Lucien Simon 
          (1861-1945). Abonné à la revue l'Esprit nouveau, le jeune 
          Harburger s'informe des idées d'avant-garde; et l'été, 
          il part avec sa mère pour Florence, à la découverte 
          des grandes uvres de la Renaissance. En 1925, tout en continuant 
          à suivre les cours des Beaux-arts, il s'installe dans un petit 
          atelier à Boulogne-Billancourt; il fait la connaissance du peintre 
          André Favory (1888-1937). Il se lie avec Alfred Gaspart, un peintre 
          originaire d'Argentine. Leurs après-midi se passent à 
          discuter des grands mouvements picturaux qui viennent de marquer les 
          premières décennies du siècle - fauvisme et expressionnisme, 
          cubisme et futurisme, surréalisme naissant...
          
          L'année 1926 voit sa première participation au Salon des 
          Indépendants, puis son départ pour le service militaire 
          qu'il accomplit à Alger. Là, le jeune appelé occupe 
          son temps libre à peindre de lumineux petits paysages depuis 
          la terrasse du fort anglais de Saint-Eugène, qui surplombe la 
          ville; il fréquente également les artistes locaux, parmi 
          lesquels Jean Launois, Louis Fernez, Émile Claro, Armand Assus 
          ou encore Jean Alazard, professeur d'histoire de l'art à la faculté 
          des Lettres d'Alger. Au terme de son service militaire, ses parents 
          lui offrent un voyage d'études dans le sud algérois, qu'il 
          effectue avec son ami Gaspart et dont il ramènera de nombreux 
          dessins. En 1928, Francis Harburger est nommé pensionnaire à 
          la Casa Vélasquez, sorte de Villa Médicis espagnole, qui 
          vient tout juste d'être fondée à Madrid.
          
          De retour en France, Francis Harburger trouve un atelier au cur 
          du quartier Montparnasse. Il y côtoie les peintres Michel Kikoïne, 
          Francis Gruber, André Hambourg, fréquente Le Dôme 
          et La Rotonde, sympathise avec le sculpteur Paul 
          Belmondo. Depuis le domicile de ses parents, il visite régulièrement 
          les galeries de la rue du Faubourg Saint-Honoré, de la rue de 
          La Boétie, du boulevard Haussmann. C'est ainsi qu'en 1930, il 
          trouve à faire sa première exposition personnelle à 
          la Galerie 23, rue de La Boétie, réunissant sous le titre 
          " Espagne " quinze peintures réalisées lors 
          de son séjour à la Casa Vélasquez et, sous le titre 
          " Sujets divers ", quinze autres tableaux et dessins. Cette 
          première présentation au public est saluée par 
          la venue du directeur de l'école des Beaux-Arts et un achat de 
          l'État (" Remparts d'Avallon "); mais aussi par la 
          visite de Picasso, qui habite au n° 44 de la rue. On imagine aisément 
          le jeune Harburger, ô combien intimidé par le maître 
          livrant ses impressions, lui assurant qu'il voit là... un peintre 
          plein d'avenir!
          
          C'est aussi l'année où Harburger commence à exposer 
          au Salon des Surindépendants, que dirige René Mendès-France. 
          Il y présentera successivement " Embarquement pour Cythère 
          " (1930), " L'Apprenti sorcier " (1931) et " La 
          Sieste " (1932), " Juives d'Oran " (938), avant de devenir 
          secrétaire général du Salon en 1933 et d'y exposer 
          annuellement.
        Vers un réalisme 
          " classique "
        Passionné par les techniques anciennes, Harburger 
          s'inscrit aux cours de l'École du Louvre, apprend la technique 
          de la fresque. En 1933, il se marie et le couple s'installe dans le 
          XVIIIe arrondissement. Le peintre enseigne l'histoire de l'art et le 
          dessin, participe à plusieurs décorations murales - dont 
          une qu'il réalise pour le compte de l'architecte Rosazza, à 
          Alger. L'État lui achète en 1936 " Femme à 
          la mantille " et " Joueurs de cartes ". En 1937, dans 
          le cadre de l'Exposition internationale des arts et techniques qui se 
          tient à Paris,
          
          Harburger collabore à la décoration des pavillons dont 
          est chargé l'architecte Robert Mallet-Stevens (1886-1945). Le 
          peintre réalise entre autres un panneau décoratif pour 
          le salon de l'Hygiène et une toile intitulée " Le 
          Bain maure ". Parallèlement Harburger poursuit ses recherches 
          techniques à travers des tableaux de nus - où il se plaît 
          à rendre les transparences bleutées de la carnation -, 
          des natures mortes, qu'il peint dans le silence de son atelier; mais 
          aussi à travers des vues de Montmartre, ou encore des paysages 
          de vacances.
          
          Sur le motif, Harburger fait siens les mots de Corot: " Sur 
          la nature, cherchez d'abord la forme; après, les valeurs ou rapports 
          de tons, et l'exécution. Le tout soumis au sentiment que vous 
          avez éprouvé. Ce que nous éprouvons est bien réel. 
          Devant tel site, tel objet, nous sommes émus par une certaine 
          grâce élégante. N'abandonnons jamais cela et, cherchant 
          la vérité et l'exactitude, n'oublions jamais de lui donner 
          cette enveloppe qui nous a frappés. N'importe quel site, n'importe 
          quel objet: soumettons-nous à l'impression première. Si 
          nous avons été réellement touchés, la sincérité 
          de notre émotion passera aux autres ".
        Sur les hauteurs d'Alger
        Puis vient la guerre. Harburger est mobilisé, 
          passe onze mois en division d'infanterie sur la ligne Maginot; il est 
          décoré. Rendu à la vie civile en juin 1940 mais 
          menacé par les lois antisémites, qui le privent notamment 
          de son poste de professeur, Harburger quitte la métropole avec 
          sa femme, ses enfants et ses parents pour Alger, en octobre. En dépit 
          des lois d'exception que subit la communauté juive, une nouvelle 
          vie s'organise: " Il fallait vivre et je me débrouillais 
          pour trouver le nécessaire ". La famille s'installe 
          à El-Biar, 
          sur les hauteurs d'Alger la Blanche. " J'avais une vue panoramique 
          magnifique qui variait sans cesse avec les éclairages. J'ai mis 
          à profit ce privilège pour faire de nombreux paysages 
          de ce que j'avais sous les yeux ". Autant de vues peintes qui 
          ne Francis Harburger en tenue militaire, tardent pas à trouver 
          amateurs lorsque la galerie Salmson d'Alger en organise une présentation, 
          en 1941. " Voilà un peintre qui nous présente
          une série de toiles homogènes où l'on sent un travail 
          patient et sûr, appuyé sur de longues recherches et de 
          fécondes méditations sur son art, constate le critique 
          Jacques Schapira. [...] Plusieurs paysages d'El-Biar plaisent par la 
          délicatesse d'une lumière très heureusement rendue 
          qui vient s'épanouir sur des toits de tuiles rouges, des murs 
          blancs ". À côté de ces paysages, figurent 
          des portraits et des scènes de genre, pour la plupart inspirés 
          par un vieil indigène, un pêcheur de Koukras : " Je 
          m'en étais fait un ami, racontera Harburger, il m'a donné 
          presque toutes les poses de mes sujets de genre ". Ses premières 
          observations naturalistes se précisent, la sûreté 
          de son métier s'affirme, notamment dans un " Portrait d'aveugle 
          " " où l'expression du visage, note encore Schapira, 
          est fort heureuse avec les yeux à moitié morts à 
          peine visibles sous les paupières lourdes et cette attitude presque 
          impérieuse du mendiant qui réclame son dû plus qu'il 
          ne quémande ". Viennent enfin des natures mortes de fleurs 
          et de fruits, " des fleurs blanches d'une belle matière, 
          des grenades à côté d'une serviette [...] où 
          les plis de l'étoffe [...] sont fort réussis; une nature 
          morte aux fruits où des pêches veloutées se détachent 
          sur le fond [...] avec un art savant des passages ". On le 
          voit, face à la lumière de l'Algérie, à 
          la nature qui, chaque matin, l'émeut davantage, face encore à 
          l'incroyable floraison qui, au mois d'avril, exige " exclusivement 
          de se consacrer aux fleurs ", Harburger ne cesse de produire 
          avec la probité qui lui est sienne, travaillant " des 
          blancs d'une matière très veloutée, transparente, 
          irisée, d'une pâte onctueuse " qui révèle 
          un peintre sûr de ses effets.
          
          La guerre se poursuit, avec sa cohorte de sombres événements: 
          en 1942, les Harburger sont spoliés de leurs biens restés 
          en France - et pour le peintre, il s'agit de toute sa production antérieure. 
          La même année survient la mort de leur jeune fils. Seul 
          le débarquement des Alliés à Alger, le 8 novembre 
          1942, longuement préparé par la résistance algéroise 
          et dans lequel la famille maternelle d'Harburger devait jouer un rôle 
          de premier plan, mettra un peu de baume au cur du peintre et de 
          sa femme.
        
           
            |  " Hauts d'Alger ouest", 1947,
 huile sur bois, 27 x 46 cm, Paris, (coll. particulière).
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        Il reste à l'artiste à " converser 
          avec la nature, approcher sa vérité tous les jours, enregistrer 
          les murmures qu'elle vous consent, être son complice, se donner 
          l'illusion qu'on est son élu, se lever le matin impatient d'une 
          nouvelle expérience, de la perfectionner chaque fois ". 
          De 1942 à 1945, les uvres s'enchaînent, au terme 
          d'une intime méditation du sujet: aux paysages d'El-Biar (" 
          Panorama sur Saint-Raphaël ", " Paysage de la Bouzaréa 
          ", " Villa Lisito ", " Toits rouges ", " 
          Lever de soleil ", " La Mosquée et les palmiers ", 
          etc.) s'ajoutent ceux d'Alger (" Pointe 
          Pescade ", " Les Horizons bleus ", " 
          Mer et rochers ", " Le Port ", etc.), d'Oran (" 
          Les Falaises ", " Saint-Louis ", " Saint-Eugène 
          Marine ") et de Ténès (" Coin du port ", 
          " Les Arbres ", " La Barque "); aux bouquets de 
          roses thé ou d'Ispahan succèdent les arrangements de cyclamens 
          et d'anémones, de grenades et de carafe bleue, de harengs et 
          de pêches, de citrons; aux quelques portraits de commandes s'ajoutent 
          encore des Arabes en burnous, des pêcheurs au salabre, des joueurs 
          de cartes et autres fillettes de la rue proposant des brins de jasmin... 
          Autant de petits paysages " fins et précis, beaux de 
          lumière et de couleur, largement peints, où l'air et l'esprit 
          circulent, peut-on lire en 1943 dans la presse algéroise. 
          Ils nous rappellent la leçon des beaux Corot d'Italie ". 
          Autant de natures mortes où " certaines matières 
          d'étoffes ou de tendres fruits en deviennent hallucinantes à 
          force de conscience dans l'observation du ton local ", écrit 
          à son tour le peintre et critique Lucien Mainssieux dans La Dépêche 
          oranaise, à l'occasion de l'exposition "Harburger " 
          que présente la galerie Charlet à Alger en 1944. " 
          Il semble qu'on se trouve en face d'un janséniste de l'art 
          de peindre et d'un descendant contemporain des Philippe de Champaigne 
          et des frères Le Nain ". Autant de portraits, enfin, 
          qui témoignent d'un réel intérêt pour la 
          psychologie du modèle : " Tel vieil indigène discute, 
          et ses paumes disertes attestent la véracité de son récit 
          ou la pureté de ses intentions, commente le philosophe Raymond 
          Bénichou. Le contraste est plein d'humour entre ces mains 
          adjuratrices qui soutiennent un regard plutôt évasif et 
          l'impassibilité céramique du front brillant, patiné, 
          cloisonné comme un vieux " Canton "; un relief saisissant, 
          un souci de bienséance dans les rapports des couleurs, une clarté 
          débonnaire, apparentent ces toiles à telles pièces 
          intimes des salles flamandes ".
          
          La fin de la guerre marque pour le peintre et sa famille le retour en 
          métropole. À Paris, ils ne retrouvent absolument rien 
          de leur passé d'avant-guerre. Il ne leur reste plus qu'à 
          vivre un temps à l'hôtel, avant que Francis Harburger ne 
          trouve à louer, à Enghien-les-Bains, un minuscule logement 
          au dernier étage d'un pavillon. Il lui faut de nouveau trouver 
          de quoi vivre - il accepte de donner des cours à mi-temps dans 
          l'enseignement technique; il lui faut encore se mêler à 
          la vie artistique locale, chercher à placer quelques toiles chez 
          tel marchand de couleurs ou de papier... Et peindre enfin, dans le peu 
          de place de ce qu'il nomme " son grenier ". Car pour lui, 
          " la peinture a toujours été une chose sérieuse 
          ": il ne peut interrompre cette enquête de chaque jour 
          qu'il mène sur la nature - et sur la toile.
          
          Il continuera à exposer à Alger et à Oran jusqu'en 
          1954. Au total ce sont 17 expositions particulières que le peintre 
          réalisa en Algérie entre 1936 et 1954. Il y peindra 150 
          paysages, une centaine de portraits et environ 130 natures mortes.
          
          Bibliographie:
          - Harburger, par Caroline Larroche, historienne de l'art, préfacé 
          par Didier Schulmann, conservateur du patrimoine Centre Georges-Pompidou. 
          Éditions Altamira, collection " Artistes d'aujourd'hui ", 
          août 2002. Ouvrage broché, 128 pages, 135 illustrations 
          en couleurs et 30 en noir et blanc. Prix: 20 €. (Peut être 
          commandé en ligne sur le site amazon. fr).
          
          - Harburger, Chronique des Arts, Éditions de l'Archipel, préface 
          d'André Flament, 1974.
          
          Expositions particulières en Algérie:
          Alger, 1936, Galerie du Minaret; Oran, 1938, Galerie Colline; Alger, 
          1941, Galerie Salmson (avril); Oran, 1941, Hôtel Continental (décembre); 
          Alger, 1943, Galerie Salles Girons (février); Oran, 1943, Galerie 
          Colline (R. Martin); Alger, 1943, Galerie Charlet (décembre); 
          Oran, 1944, Galerie Colline (mai); Alger, 1944, Galerie Charlet (décembre); 
          Oran, 1945, Galerie Colline (mars); Oran, 1946, Galerie Colline (mai); 
          Oran, 1947, Galerie Colline (décembre); Alger, 1948, Le nombre 
          d'or (Stiebel) (février); Oran, 1953, Galerie Colline (décembre 
          1953 - janvier 1954); Oran, 1954, Hôtel Continental.