| 
        
          | 
              
                | Damien 
                    Lorcy, prix universitaire " Jeune algérianiste 
                    " 2007Le prix universitaire " Jeune 
                    algérianiste " 2007 a été 
                    attribué à Damien Lorcy pour " La 
                    gendarmerie en Algérie. Organisation et missions (1830-1870) 
                    ". Thèse soutenue à l'université 
                    Montesquieu - Bordeaux IV et dirigée par le professeur 
                    Gérard Guyon. Le deuxième prix a été 
                    décerné à Renan Mégy pour " 
                    Des oubliés de l'Eglise? L'Eglise 
                    catholique et les Rapatriés d'Algérie de 1962 
                    à nos jours dans les diocèses d'Aix-enProvence 
                    et Marseille ". Thèse soutenue à 
                    l'université Jean Moulin - Lyon III et dirigée 
                    par le professeur Jean- Dominique DurandMention spéciale 
                    : Emmanuelle Comtat pour: " Les 
                    Pieds-Noirs et la politique. 40 ans après le traumatisme 
                    du rapatriement ". Thèse soutenue à 
                    l'université Pierre Mendès-France - institut 
                    d'Etudes politiques de Grenoble sous la direction du professeur 
                    Pierre Bréchon.
 |  Damien Lorcy : " Juriste 
              de formation, j'ai opté au niveau du 3' cycle pour un DEA 
              (master II dorénavant) en histoire du droit, l'issue duquel 
              une allocation de recherche m'a été proposée 
              pour mener à bien une thèse. M. le professeur Gérard 
              Guyon, qui avait dirigé mon mémoire de DEA (" 
              La maréchaussée dans les lieutenances de Bordeaux 
              et Libourne à la veille de la Révolution ") m'a 
              proposé le sujet de ma thèse soutenue le 28 octobre 
              2006.
 Le projet m'a séduit car il me permettait d'approcher une 
              autre civilisation, et de considérer comment deux civilisations 
              s'étaient rencontrées mais aussi confrontées. 
              La place de la gendarmerie, son institution particulière 
              (corps militaire aux missions principalement civiles), sa longue 
              histoire, faisait de ce corps un observatoire de choix pour apprécier 
              les rapports institutionnels et sociaux dans l'Algérie de 
              la conquête et de la pacification. Il ressort de cette étude 
              le reproche de légalisme fait à la gendarmerie, en 
              même temps considérée comme " la plus sûre 
              garantie de l'ordre ". Les conditions difficiles dans lesquelles 
              elle effectue son travail (recrutement, conditions de vie, dangers, 
              omniprésence de l'autorité militaire, société 
              violente et peu stabilisée...) ne l'empêchent pas de 
              toujours conserver un attachement fort à la loi et de pouvoir 
              s'en prévaloir. Au delà de la gendarmerie, c'est une 
              indication sur la prégnance du principe de légalité 
              au sein des institutions françaises. Malgré d'inévitables 
              et d'indubitables abus, crimes ou exactions de part et d'autre, 
              le système mis en place n'est pas fondamentalement arbitraire, 
              quoiqu'il ne soit pas toujours juste. Par ailleurs, il s'avère 
              que les gendarmes sont employés non seulement à la 
              protection des intérêts français, mais également 
              des indigènes lorsque ceux-ci sont en butte aux colons, militaires 
              ou à leurs coreligionnaires (d'autant que les agents indigènes 
              sont pas ou peu respectés, notamment des Européens, 
              et que certains agents européens n'agissent pas toujours 
              droitement: les gendarmes sont quant à eux impartiaux). Le 
              " bras armé de l'Etat " est alors utilisé 
              avec une volonté politique claire d'assurer la justice à 
              tout le monde.
 
 Les rapports sociaux entre communautés peuvent être 
              éclairés par l'étude de la gendarmerie en Algérie, 
              et de l'installation progressive des Européens ".
 |  L'installation progressive des gendarmes en Algérie
 par Damien Lorcy
 Prix universitaire " Jeune Algérianiste " 2007
 1. L'enracinement du 
        gendarme en Algérie Passée la première année 
        suivant la prise d'Alger et malgré les incertitudes consécutives 
        aux hésitations françaises quant à l'avenir de la 
        conquête, les gendarmes commencent à faire venir leur famille 
        auprès d'eux. Cela excite l'hostilité de la plupart des 
        autorités et de la hiérarchie de l'arme. Ce sont les difficultés 
        de logement et ses conséquences qui motivent les récriminations. 
        Le général Rapatel, commandant la division d'Alger, présente 
        de la façon suivante la question en 1835, après que la compagnie 
        d'Ille-et-Vilaine eut envoyé un gendarme marié et père 
        de trois enfants :
 " Monsieur le ministre ignore sans doute la manière dont 
        sont logés les gendarmes en Afrique. Ils n'ont aucun mobilier; 
        la literie est fournie par le gouvernement et ce sont des lits en fer 
        qui sont à peine assez grands pour des hommes de leur taille, en 
        outre ils sont logés dans des chambres par quatre, cinq et même 
        six, ce qui ne peut convenir à un homme marié père 
        de trois enfants ".
 
 Il n'y a pas d'ignorance de la part du ministre; ses instructions sont 
        claires à cet égard, au cours des années 1830 : les 
        gendarmes désireux de rejoindre l'Afrique doivent s'engager à 
        ne pas faire suivre leur famille, mais la condition n'est pas respectée. 
        La crainte de voir les gendarmes incapables de subvenir aux besoins de 
        leur famille explique la position ministérielle. Le général 
        Rapatel, dans l'exemple cité, met en avant que " Le gendarme 
        sera donc forcé de louer un logement en ville, d'acheter un mobilier, 
        et celui qui n'a que sa solde ne peut subvenir à ces dépenses 
        ". Cette solution est en effet parfois retenue, faute de place dans 
        les casernes et ce, malgré le changement dans la politique suivie 
        jusqu'au début des années 1840. Le ministre manifeste à 
        compter de cette date le désir de favoriser l'installation des 
        gendarmes mariés, afin de retenir les hommes qui, sans cela, démissionnent 
        en grand nombre en raison de logements de mauvaise qualité. L'idée 
        est " d'attacher au sol " les gendarmes d'Afrique, non seulement 
        dans la perspective du recrutement, mais également afin de les 
        faire concourir à l'effort de colonisation. Une lettre du ministre 
        du 10 octobre 1842 met en exergue les nouvelles vues sur le sujet, probablement 
        inspirées (tant les arguments sont proches) d'un plan de colonisation 
        du comte Guyot, de quelques mois antérieurs. Selon le ministre, 
        " La gendarmerie est appelée à rendre en Algérie, 
        surtout dans les contrées livrées à la colonisation, 
        des services de plus en plus importants (...). Mais pour que la gendarmerie 
        soit dans des conditions qui ui permettent de recruter facilement et de 
        s'attacher au sol, il est nécessaire que les gendarmes puissent 
        se marier, ce qui ne sera possible qu'autant qu'ils auront des casernes 
        appropriées pour recevoir des ménages. (...) On pourra aussi 
        donner aux gendarmes dans les nouveaux villages des terres où ils 
        feront du jardinage et de la petite culture pour eux- mêmes d'abord, 
        puis pour leurs enfants. Déjà en divers points M. le Directeur 
        de l'Intérieur [le comte Guyot] de concert avec M. le Directeur 
        des Finances a affecté à certaines brigades des immeubles 
        domaniaux destinés à recevoir des jardins. Il ne s'agit 
        que d'étendre l'application de ce principe, qui fera concourir 
        la gendarmerie au progrès matériel de la colonisation [...] 
        ".
 
 Avec le général Bugeaud et ses idées de colonisation 
        militaire, l'attribution de terres se fait plus intense; ils ensemencent 
        des terres ou font du fourrage et sont à même de dégager 
        des revenus non négligeables de leur exploitation 0). Le procédé 
        fait long feu, le ministre exigeant bientôt que certains revenus 
        dégagés soient reversés à la caisse du Domaine 
        comme provenant de fonds lui appartenant, et ne profitent plus à 
        la " caisse des familles " créée pour les recevoir. 
        Le ministre est favorable à l'attribution de jardins à chaque 
        brigade, mais vraisemblablement plus réticent en ce qui concerne 
        des exploitations à plus grande échelle. À vrai dire, 
        le risque de " détourner " les hommes du service est 
        réel, si les avantages pécuniaires sont intéressants. 
        Aussi les ambitions affichées sont-elles revues à la baisse 
        : il ne sera plus question désormais que de jardin potager, d'autant 
        plus nécessaire lorsque les brigades sont éloignées 
        des marchés. Car le souci est bien le niveau de vie des hommes 
        et de leur famille, les aliments pouvant représenter une part importante 
        de leurs revenus, en cas de difficultés d'approvisionnement.
 
 Ces quelques développements doivent être rapprochés 
        d'un phénomène observé en Algérie, à 
        savoir la présence de gendarmes mariés toujours plus nombreux 
        au cours de la période étudiée. Faut-il voir dans 
        cette progression l'effet des mesures prises en vue d'améliorer 
        les conditions de vie du personnel, ou est-ce au contraire la cause du 
        changement opéré par les autorités ? La réponse 
        est double. D'un côté, les refus opposés aux gendarmes 
        d'Afrique sollicitant l'autorisation de convoler en justes noces provoquent 
        une avalanche de démissions, de telle sorte que le pouvoir doit 
        reconsidérer sa position de principe, et partant, accepter ce qu'il 
        refusait jusque-là. D'un autre côté, ce revirement 
        et ses conséquences pratiques (l'amélioration du casernement 
        et du cadre de vie) favorisent naturellement les unions. Il ressort de 
        tout cela un fort attachement des militaires de l'arme au mariage, au 
        point de les voir renoncer à leur carrière plutôt 
        qu'à l'union conjugale. Il est difficile d'en déduire une 
        condition médiocre offerte par la gendarmerie (qui facilite les 
        abandons), ou un certain panache aiguillonné par les sentiments. 
        Nous émettons l'hypothèse, impossible à vérifier 
        en l'état actuel de nos sources, que la démission peut n'être 
        que temporaire, le temps de s'affranchir de la nécessaire autorisation, 
        avant de solliciter la réintégration dans l'arme; le manque 
        de candidats au recrutement facilite au demeurant le retour des anciens 
        gendarmes, surtout s'ils sont bien notés.
 
 L'intérêt des gendarmes pour le mariage, leur attachement 
        à la famille, ne sont pas forcément une charge financière, 
        comme le craignent les autorités. Plus exactement, si les gendarmes 
        ne considèrent pas la présence d'une épouse et d'éventuels 
        enfants comme une gêne, c'est que, par-delà les liens d'affection, 
        ils espèrent améliorer leur situation. S'il est difficile 
        d'évaluer l'apport affectif et moral du mariage et de la famille, 
        nous pouvons mettre en exergue certains avantages plus concrets. En 1835 
        par exemple, une chambre de la caserne de Birkadem est " destinée 
        pour un gendarme marié dont la femme tiendrait la pension des hommes 
        qui composent cette brigade, afin d'éviter qu'ils prennent leurs 
        repas dans un cabaret ". En l'occurrence, toute la brigade bénéficie 
        de la présence féminine; l'on note ici encore l'idée 
        d'économie pécuniaire (sans compter l'avantage du point 
        de vue de la discipline, puisque le cabaret est évité). 
        Il n'y a aucune raison que cette solution ne soit pas (au moins parfois) 
        reprise dans les autres résidences où se trouvent des épouses 
        de gendarmes. Il ne fait aucun doute que les tâches ménagères 
        de leur conjointe soulagent les hommes, sans compter les éventuels 
        revenus d'un travail extérieur. L'intervention des épouses 
        peut faciliter le règlement de certains conflits et de leurs conséquences. 
        Un exemple nous est donné dans une lettre de Marie Pinou, épouse 
        du gendarme Chamard. Celui-ci, après des punitions qu'il conteste 
        et une altercation avec un autre gendarme, est conduit devant son capitaine, 
        à qui il présente sa démission, excédé 
        par l'injustice dont il pense être victime. La décision est 
        grave, car il risque de perdre " ses vingt années de service 
        ", autrement dit ses droits à la retraite. Sa femme écrit 
        au général commandant la division d'Oran, faisant valoir 
        que la démission ne peut être attribuée " qu'à 
        un excès d'amour-propre et de promptitude "; et de fait, 
        elle obtient satisfaction.
 
 À l'inverse, certaines épouses se révèlent 
        moins diplomates, telle " La femme du gendarme Varev (Jean-Louis), 
        détaché au poste de Bouguirat 4e compagnie, qui a insulté 
        grossièrement le chef de poste, et dont les propos ont mis le désordre 
        dans la caserne "; elle en est immédiatement expulsée 
        par application de l'article 134 du décret du r" mars 1854 
        ". Que dire de la femme du gendarme Etienne Bouhan, qui accompagne 
        son mari " dans un débit du village ", quand celui-ci 
        est pourtant " puni de consigne ", et un habitué 
        des punitions? Une chose est certaine, les autorités locales sont 
        au fait de la conduite des gendarmes et de leurs épouses, ou en 
        mesure de s'informer.
 2. L'insertion dans 
        la société algérienne Les liens entretenus par les gendarmes avec 
        la population, l'opinion qu'ils se font des indigènes et des colons 
        ou leur comportement en dehors du travail, autant d'aspects méritant 
        notre intérêt, pour éclairer la place, l'insertion 
        des " soldats de la loi " dans la société algérienne. 
        Une attitude retenue est exigée d'eux quant à leurs relations 
        avec la population civile européenne (A); les obstacles tenant 
        à la langue, aux moeurs et à la " race " (selon 
        des expressions de l'époque) constituent autant d'explications 
        de relations plus distendues encore (mais réelles cependant) avec 
        les indigènes (B). A) - De 
        la retenue exigée à 
        la discrétion nécessaire Dans l'ensemble, les officiers tiennent des 
        propos sévères sur les colons, selon un schéma établi 
        dès les premiers temps, et qui perdure même s'il s'atténue 
        par la suite. En 1833, le lieutenant Forcinal adresse un rapport sur le 
        service de la gendarmerie à la Commission d'enquête parlementaire.
 Cet officier emploi le mot " colons " (en l'associant aux mêmes 
        idées) dans un rapport du même jour au lieutenant-général 
        comte Bonet, membre de ladite Commission (2). Le caractère hétérogène 
        de la population européenne, sa turbulence, son manque d'intégrité 
        sont régulièrement évoqués... surtout lorsqu'il 
        s'agit de réclamer l'augmentation des effectifs, ou l'installation 
        d'une brigade. Cette réserve n'empêche pas de reconnaître, 
        spécialement au cours des premières années, la forte 
        proportion d'aventuriers peu scrupuleux au sein de la population qui suit 
        l'armée. Certains occupent même des postes dans l'administration, 
        voire la justice, et profitent sans vergogne aucune (et presque sans sanctions, 
        ceci expliquant cela) de leur situation (3). Il faut bien comprendre que 
        cela peut entraver l'efficacité de la gendarmerie, quoique nous 
        n'ayons pas d'exemples précis, et pour cause : " Ces MM. ont 
        tant de ressources entre les mains pour se mettre à l'abri ! ". 
        Cette part de gens malhonnêtes se réduit lentement, mais 
        les gendarmes mettent longtemps en exergue l'hétérogénéité 
        de la colonie européenne, son caractère turbulent et retors, 
        son manque de probité (4). Le regard n'est pas toujours négatif. 
        Le lieutenant commandant l'arrondissement de Miliana juge les habitants 
        de Duperré " bons travailleurs et pas riches ". 
        Par ailleurs, il faut tenir compte de la facilité avec laquelle 
        se font les généralisations. En effet, la lecture des procès- 
        verbaux ou rapports portant sur des individus ou familles particulières 
        ne laisse pas d'impression aussi largement négative, mais découvre 
        plutôt des personnes en butte à la maladie, à l'insécurité 
        (assassinats, vols, violences), aux intempéries qui détruisent 
        les récoltes et les biens, voire les individus; les suicides apparaissent 
        aussi régulièrement.
 
 Quels peuvent être les liens tissés entre cette population 
        et les gendarmes? Deux éléments au moins rendent la réponse 
        difficile. En premier lieu, les militaires de l'arme sont invités 
        à ne pas entretenir d'étroites relations avec les habitants. 
        Cette circonstance conditionne la deuxième difficulté : 
        ils sont peu enclins à laisser transparaître de telles liaisons. 
        Ici, nous trouvons la marque des efforts de l'autorité pour éviter 
        que les gendarmes ne se rendent au cabaret; parallèlement, nous 
        observons un certain embarras dans les rapports de gendarmerie pour expliquer 
        que le gendarme Barçon se trouve en tenue civile, attablé 
        dans un cabaret lorsqu'une rixe éclate (son intervention débouche 
        sur un violent conflit entre des officiers et la gendarmerie). La " 
        faute " n'échappe pas au chef de bataillon Canrobert, qui 
        ne se prive pas de la relever dans sa défense des Chasseurs d'Orléans 
        impliqués. L'exemple de la gendarmerie du Tlélat, dans l'affaire 
        Mallard, est tout aussi révélateur. Le maréchal des 
        logis Barrelet, commandant la brigade, est accusé par le nommé 
        Mallard " d'acheter les pailles et l'orge pour deux ou trois relais 
        de diligences ": accusation grave, qui rend passible du Conseil 
        de guerre. Le capitaine de gendarmerie est envoyé sur les lieux 
        pour vérifier les assertions du colon, et son rapport d'enquête 
        délivre des indications intéressant notre sujet: " 
        J'ai demandé au maréchal des logis si quelque grief s'était 
        élevé entre lui et le nommé Mallard; m'a répondu 
        qu'il ne voyait personne au Tlélat et qu'il se bornait à 
        son service sans chercher à fréquenter les habitants: qu'un 
        jour seulement, se trouvant chez lui il vit de sa fenêtre la femme 
        Mallard invectiver le gendarme Robin qui mettait un cochon en fourrière. 
        Que cette femme, non contente d'avoir dit des sottises au gendarme, était 
        venue chez lui, lui avait tenu des propos indécents, qu'alors il 
        l'avait prié de sortir, en lui disant si vous avez quelque chose 
        à réclamer faites venir votre mari, avec qui je m'entendrai 
        mieux qu'avec vous, parce que vous n'êtes pas calme... Depuis ce 
        temps je n'ai vu personne ".
 
 Exacts ou pas, les propos du sous- officier soulignés par nous 
        traduisent bien le comportement attendu de la part des gendarmes, et montrent 
        qu'il est parfaitement intériorisé: le maréchal des 
        logis sait ce qu'il convient de dire à son supérieur. Il 
        suffit de se rappeler les craintes exprimées quant à la 
        proximité avec la population, lorsque des commandants de brigade 
        exercent les fonctions d'huissier, pour compléter l'illustration 
        de ce " principe de non-immixtion ". Mais la suite de l'affaire 
        montre les limites pratiques de cette attitude stricte. Le capitaine Sauzède 
        continue son enquête :
 
 " j'ai ensuite demandé au maréchal des logis Barrelet, 
        pour le compte de qui il faisait les achats de paille et orge; m'a répondu 
        ne pas en acheter, mais bien être le dépositaire d'une somme 
        à lui confiée par le sieur Bordenave, entrepreneur pour 
        être remise par lui, au palefrenier, à mesure que ce dernier 
        en a besoin pour les achats, et que sa mission se terminait là. 
        J'ai fait appeler le nommé Antonio, sujet espagnol, palefrenier 
        du sieur Bordenave, qui a confirmé ce qui est dit plus haut et 
        m'a fait observer qu'il ne savait ni lire ni écrire, et que c'était 
        pour ce fait que M. Bordenave avait déposé l'argent entre 
        les mains du maréchal des logis ".
 
 On remarque la sobriété de la réponse du sous-officier; 
        mais on peut à bon droit se demander ce qui justifie de rendre 
        un tel service. Ce n'est pas l'intérêt matériel, mais 
        bien " en raison de quelques relations " entretenues avec le 
        nommé Bordenave, propriétaire de la caserne. Il nous est 
        permis de douter que de simples relations de bailleur à locataire 
        conduisent le commandant de la brigade à surveiller les garçons 
        d'écurie du Tlélat pour les achats d'orge et de paille, 
        c'est-à-dire " recevoir directement les fonds affectés 
        à cette dépense, et les compter à [ces] garçons 
        au fur et à mesure des achats ". Nous penchons plutôt 
        pour des liens cordiaux, voire amicaux, entre les protagonistes, sauf 
        à admettre que les sous-officiers et gendarmes sont sollicités 
        pour divers services sans lien avec leurs fonctions, du seul fait qu'ils 
        appartiennent à la gendarmerie. Cette hypothèse n'est admissible 
        qu'autant qu'il s'agit d'aide ponctuelle; elle se conçoit plus 
        difficilement, en l'absence de motivations plus importantes, pour une 
        activité régulière exigeant une grande confiance, 
        comme en l'espèce. Il est de toute manière impensable, malgré 
        les mouvements de personnel, que les relations demeurent toujours limitées 
        à l'aspect professionnel.
 
 Les nombreux refus d'autoriser les mariages constituent un signe de vie 
        sociale ne se limitant pas à la seule gendarmerie, une vie pas 
        toujours conforme à ce qui reste encore la norme : le lieutenant 
        Boyer est sommé d'éloigner de chez lui la femme avec laquelle 
        il habite (sans être marié, selon toute vraisemblance), et 
        le gendarme Loubez est changé de résidence suite à 
        des " relations " avec une demoiselle, relations dont la nature 
        nous est précisée par le chef d'escadron commandant la 4e 
        compagnie : " Je regrette de n'avoir pas pu amener les parents 
        de la demoiselle Bigou à consentir à son mariage avec le 
        gendarme Loubez. C'est une réparation que celui-ci s'est empressé 
        d'offrir, pour une affaire qui ne serait en vérité rien... 
        si l'inculpé n'était pas revêtu d'un caractère 
        officiel ". Nouvel exemple de la retenue exigée des gendarmes, 
        y compris dans leurs amours... Est-ce ce même " caractère 
        officiel " qui provoque le refus des parents, ou est-ce la personnalité 
        de l'impétrant ou encore sa mauvaise conduite à l'égard 
        de leur fille? Nous n'avons pas d'indications permettant de trancher, 
        et toute comparaison avec la situation française est faussée 
        par la faible proportion de femmes en Algérie : qui accepterait 
        le mariage avec un gendarme en France peut avoir des prétentions 
        plus grandes en Algérie... (5). Il n'est pas non plus aisé 
        de déterminer le rang occupé par la gendarmerie dans la 
        hiérarchie sociale.
 
 La probité de la gendarmerie ne peut être mise en doute sur 
        la foi de quelques exemples. Nous disposons au contraire de preuves éclatantes 
        de l'honnêteté des gendarmes, dans des cas où ils 
        sont accusés de corruption. L'enquête du capitaine Sauzède 
        dans l'affaire Mallard, blanchit, on l'a vu, le maréchal des logis 
        accusé de trafic de paille et d'orge. Le résultat est aussi 
        favorable au maréchal des logis
 Forton et quelques-uns de ses hommes, dénoncés pour malversation, 
        violation de sépultures et soustraction frauduleuse dans les cimetières 
        maures et juifs.
 
 Depuis les questions de femmes à celles d'argent, il ressort des 
        différents points abordés que la hiérarchie veille 
        avec soin sur la conduite des hommes, secondée en cela par les 
        plaintes et dénonciations des personnes extérieures à 
        l'arme. Les excès ou abus - supposés ou réels - de 
        la gendarmerie sont vilipendés par les civils comme par les militaires. 
        La conduite du brigadier Luciani, responsable de coups et d'arrestations 
        abusives à Ténès, provoque une pétition d'une 
        vingtaine d'habitants de la ville, qui " trouvent déplorable 
        de voir un homme aussi irascible conserver un pareil emploi ". 
        Il existe ainsi une pression sociale et institutionnelle qui aide les 
        gendarmes à " tenir leur rang ", y compris en 
        Algérie. Aux accusations débouchant sur des enquêtes, 
        il faut ajouter celles qui ressortent des injures adressées aux 
        gendarmes par les civils, qui mettent en doute leur moralité : 
        brigands, canailles, voleurs reviennent souvent; assassins parfois, voire 
        mouchard (en matière politique). À Ténès, 
        un colon déclare au brigadier Luciani: " si on vous soignait 
        le bec avec du champagne, vous ne diriez rien tas de canailles ".
 
 Enfin, l'examen des relations avec la population européenne doit 
        prendre en compte les nombreux cas de secours apportés par les 
        gendarmes à des individus ou des familles en danger, ou au dévouement 
        dont font preuve ces militaires (6). L'aide passe parfois par la générosité 
        des gendarmes, venant au secours pécuniaire de familles misérables, 
        au moyen d'une collecte, ou en payant la dette qui les met en situation 
        embarrassante (7). Une circulaire de 1 858 interdit cependant les souscriptions 
        visant àpayer les amendes de contrevenants malheureux. De manière 
        plus générale, le désir de n'être pas mêlés 
        de trop près à la perception des impôts ou amendes, 
        ou aux saisies pour dettes, témoigne d'une sensibilité (et 
        partant, d'une certaine proximité) à l'endroit de l'opinion 
        publique.
 
 B) - Des relations essentiellement professionnelles 
        avec les indigènes
 
 Avec la population indigène, la gendarmerie entretient des rapports 
        un peu différents. La langue et les moeurs élèvent 
        des obstacles à la facilité des échanges; mais le 
        rôle confié à la gendarmerie contribue à rapprocher 
        les indigènes des gendarmes. Examinons tour à tour les deux 
        facettes de ces relations, en commençant par ce que l'on connaît 
        des opinions réciproques. De même que pour les colons, la 
        généralisation est de mise. Le lieutenant Forcinal est catégorique 
        : " La population indigène ne vaut guère mieux que 
        les nouveaux colons, elle se compose de Maures paresseux, 
        ne s'adonnant à aucune espèce d'industrie, et que l'augmentation 
        des denrées depuis l'occupation, a rendu misérables; de 
        juifs auxquels aucun moyen ne répugne pour se procurer de l'argent; 
        et enfin d'Arabes et de Kabailes habitués à ne vivre que 
        de vols et de brigandage ". Pour situer 
        ces propos dans leur contexte, précisons que l'armée " 
        (sauf quelques régiments) ", n'est pas mieux servie; 
        le lieutenant concède qu'il existe une " très faible 
        minorité d'habitants indigènes et d'Européens qui 
        se livreraient à des travaux utiles ", mais ils " 
        en sont empêchés par la Troupe " qui se répand 
        dans les campagnes environnant Alger ", vole et maltraite 
        les cultivateurs " et se porte à des excès ". 
        L'objectif du lieutenant étant d'obtenir l'augmentation des effectifs 
        de la force publique, il convient de prendre avec précaution la 
        description si sombre de la société algérienne. Cependant, 
        il faut reconnaître, à l'instar de ce qui a été 
        dit au sujet des colons, que cette opinion perdure dès lors qu'il 
        s'agit pour la gendarmerie de résumer la situation algérienne 
        dans la perspective de la défense de l'arme (8). Elle se retrouve 
        aussi dans les considérations générales sur les indigènes. 
        Touchard et Lacoste, à la suite du lieutenant Dugat, jugent les 
        Arabes particulièrement voleurs, activité dans laquelle 
        ils déploient beaucoup de hardiesse et d'audace. Le chef d'escadron 
        Moinier part de l'exemple des auxiliaires dont la gendarmerie bénéficie 
        les premières années de l'occupation, pour exprimer sa critique 
        : " [...] il était bien difficile d'obtenir de ces indigènes 
        l'honnêteté absolue sans laquelle le service de la gendarmerie 
        ne saurait s'effectuer. S'il est une qualité que l'on ne rencontre 
        que rarement chez l'Arabe, c'est à coup sûr le désintéressement. 
        Avares au-delà de toutes expressions, les hommes de cette race 
        sont accessibles à toutes les tentations lorsqu'elles se présentent 
        sous l'aspect d'un ou de plusieurs douros ou même d'un simple bénéfice, 
        si mince qu'il puisse être. En revanche, le mensonge ne leur coûte 
        rien. Ils sont à double face et à double langage, et l'auteur, 
        dont le nom nous échappe, qui les a si poétiquement appelés 
        les Rois du mensonge, les connaissait bien ".
 
 Les avis sont plus modérés lorsque le développement 
        du corps n'est plus en jeu, ou lorsque l'on évoque des individus. 
        Ainsi, la multiplication des crimes dans les environs de Duperré, 
        durant l'été 1862, ne conduit pas le lieutenant commandant 
        l'arrondissement de Miliana à accuser les mauvaises habitudes des 
        Arabes (qui sont pourtant les auteurs de la plupart des infractions relevées 
        dans le rapport); il se contente d'observer que les habitants Européens 
        sont inquiets car leur commune est " entourée d'une nombreuse 
        population indigène misérable ". On ne peut manquer 
        de rapprocher ce propos de celui, pourtant plus outré, du lieutenant 
        Forcinal, et noter que l'un et l'autre mettent en avant la misère 
        matérielle des indigènes, comme cause de la criminalité. 
        Cette observation permet de faire la part entre ce qui relève du 
        discours généralisateur en vue de mettre en valeur certains 
        besoins, et ce qui est de l'opinion plus profonde des auteurs. Il en va 
        de même lorsqu'il s'agit de louer le dévouement, la droiture 
        ou le courage de certains indigènes. Deux pages après ses 
        durs propos précités, le chef d'escadron Moinier cite une 
        lettre du commandant Cardini mettant en valeur les " braves Chergui 
        et Blail " qui commandent les gendarmes maures au début des 
        années 1830; une page de plus, et il vante " La fidélité 
        des indigènes attachés à la gendarmerie "...
 
 Au demeurant, deux aspects corroborent cette approche nuancée. 
        Comme précédemment pour les colons, les procès-verbaux 
        et rapports ordinaires témoignent d'une réalité complexe 
        : les gendarmes peuvent bien relever, sur les lieux de crimes, les témoignages 
        d'actes odieux ou barbares attribués aux indigènes (l'égorgement 
        des victimes en particulier), ils n'en tirent pas de conclusions définitives 
        pour juger l'ensemble de la société locale. Lorsque le chef 
        d'escadron commandant la 3e compagnie rapporte au ministre l'assassinat 
        du garde champêtre d'Aïn-Guerfa, de sa femme et de sa nièce 
        âgée d'environ six ans, il précise les raisons qui 
        le portent à croire " que ces crimes sont le résultat 
        d'un déplorable fanatisme religieux ". En d'autres termes, 
        la gendarmerie se garde d'une vision simpliste pour laquelle tous les 
        crimes des autochtones manifesteraient une malice foncière des 
        indigènes. Bien au contraire, elle note avec la même impartialité 
        les conduites exemplaires à mettre à leur crédit 
        (actes de dévouement ou de secours en particulier). Aussi l'histoire 
        des rapports quotidiens entre colons et indigènes gagnerait-elle 
        à être examinée à l'aune des procès-verbaux 
        et rapports émanant de l'arme (9).
 
  Il ne faut pas perdre de vue un autre élément primordial 
        : aux yeux des autorités, la gendarmerie constitue une institution 
        particulière manifestant la supériorité de la domination 
        française sur l'administration ottomane. La volonté de garantir 
        la justice aux indigènes est manifeste lorsque l'on se place du 
        point de vue de l'emploi de la gendarmerie: ici, celle-ci est chargée 
        de veiller à la moralité des transactions passées 
        entre indigènes et Européens, les seconds tendant à 
        abuser les premiers; là, elle doit protéger ceux qui viennent 
        au marché; ailleurs, il lui est demandé de procéder 
        à l'arrestation publique d'un Européen coupable de violences 
        à l'encontre d'un indigène. Elle porte également 
        secours sans égard à la religion ou à la race, nous 
        l'avons montré plus haut. Ce rôle, la gendarmerie d'Afrique 
        le revendique. Le colonel de Vernon, commandant la légion, écrit 
        en 1853 :
 
 S'il appartient à la haute administration d'assurer au moyen 
        d'une bonne organisation, les résultats obtenus par les travaux 
        de l'armée, à la gendarmerie revient la tâche difficile 
        et qui n'est pas non plus sans quelque gloire, de rendre ces résultats 
        décisifs et permanents en faisant passer à l'état 
        de règle, le calme et l'obéissance qui, chez les peuples 
        conquis, arrivent toujours à la suite d'une expédition heureuse, 
        mais trop souvent par exception, d'une prise de possession récente. 
        Fonder et maintenir ici le respect des personnes et des propriétés, 
        de la part du vainqueur comme celle du vaincu, c'est fournir le grand 
        problème de la domination de la colonisation de l'Algérie. 
        Dans l'état de morcellement politique où de temps immémorial 
        vivent les indigènes, il importe de prévenir ces mille petites 
        causes qui peuvent produire de très grands effets. Le plus insignifiant, 
        le plus involontaire déni de justice, d'impunité accordée 
        à des faits qui parai- traient fort indifférents partout 
        ailleurs, peuvent amener en Algérie la désaffection et même 
        une révolte partielle. Il faut donc que le bras de la loi et de 
        l'équité soit toujours sur la population [indigène] 
        de l'Algérie tendu pour la réprimer quand elle se met en 
        faute, pour la défendre quand elle-même devient victime d'un 
        délit ou d'une erreur ".
 
 Le souci d'équité et de justice à assurer aux indigènes 
        est exprimé on ne peut plus clairement par le chef de légion; 
        il en fait même le point central de la colonisation. Est-ce à 
        dire que l'arme est appréciée, en retour, des indigènes? 
        Il est difficile, pour établir une réponse, de les citer; 
        ils sont pourtant les meilleurs juges. La réponse ne peut venir 
        qu'indirectement, en passant par le filtre de l'occupant. La gendarmerie 
        signale la bonne opinion dont elle jouit, mais peut-elle dire autre chose 
        ? L'intendant civil Bresson est moins susceptible de partialité; 
        il vante à plusieurs reprises tous les avantages du corps relativement 
        à notre sujet, en particulier dans un long rapport au ministre 
        dont nous tirons le passage suivant :
 
 " Vivant sans cesse au milieu de la population, ils [les gendarmes] 
        tiennent le milieu entre le citoyen et le soldat. Ils empruntent à 
        l'un ses armes, mais c'est pour la défense de l'ordre et non pour 
        l'attaque et avec l'autre ils agissent par des voies de persuasion et 
        de régularité qui leur donnent sur les hommes qui viennent 
        en Afrique une influence bien précieuse. Les indigènes eux-mêmes 
        avec leurs penchants pour le vol, le brigandage et le meurtre que sept 
        années d'expéditions et de combats ont enracinés 
        chez eux comprennent cependant cette force instituée pour réprimer 
        les délits et les crimes et qui y est entièrement consacrée. 
        Ils reconnaissent son action et son pouvoir et si, ceux qui se sont rendus 
        coupables s'efforcent de l'éviter, ceux au contraire qui ont quelques 
        plaintes à former s'adressent à elle de préférence. 
        Il me paraît donc avéré, Monsieur le Ministre, que 
        ce n'est qu' à la gendarmerie seule qu'on peut confier ce service 
        de surveillance et d'ordre qui lui a fait donner le nom de magistrature 
        armée, parce qu'en le faisant elle a su obtenir de la population 
        européenne et des indigènes obéissance et respect 
        ".
 
 En 1859, le préfet d'Alger tient des propos similaires, quoique 
        plus sobres : il évoque " les gendarmes français, 
        dont l'uniforme depuis longtemps connu et respecté dans le pays 
        est devenu aussi bien pour les Arabes que pour les Européens un 
        gage de protection et de sécurité ". Cette vision 
        favorable est- elle conforme à la réalité? Oui, sans 
        doute, dans une certaine mesure; il reste à déterminer laquelle. 
        Dans une affaire, nous voyons " Les Arabes Caddour Ben Hamida, 
        chef de douar et Ali ben Bakar ", témoigner ." que 
        c'étaient eux qui étaient venus chercher la gendarmerie, 
        pour constater les dégâts faits sur leur propriété 
        par les cochons des sieurs Mallard et Lacroix [...] ", et " 
        que s'ils étaient venus chercher la gendarmerie, c'était 
        parce qu'ils n'avaient obtenu que des menaces de la part du gardien [du 
        cimetière] ". Témoignage intéressant, qui 
        va dans le sens des affirmations avancées par l'intendant civil 
        ou le préfet, et que confirme un autre passage du document cité. 
        Le dénommé Mallard accuse en effet deux gendarmes qui ont 
        reçu de l'argent de deux indigènes, d'avoir usé de 
        menaces pour parvenir à ce résultat. L'enquête du 
        capitaine Sauzède sur ces graves accusations donne le résultat 
        suivant:
 
 J'ai fait venir devant moi, les arabes Abd-el-Kader Ben Seba, et Mohamed 
        ben Amda pour les interroger au sujet d'une somme de dix francs, donnée 
        aux gendarmes, m'ont répondu [...] que vers le 3 juin, ils s'étaient 
        rendus au Tlélat, pour venir chercher la gendarmerie, afin de constater 
        des dégâts commis sur leur propriété, qu'ils 
        avaient prié l'interprète de les accompagner, et que sur 
        leur demande deux gendarmes étaient montés à cheval, 
        et qu'arrivés sur les lieux, les gendarmes avaient constaté 
        les dégâts. Que cette opération terminée, le 
        nommé Abd-elKader ben Seba, avait fait venir dans sa tente le gendarme 
        Loubet, et lui avait remis une somme de dix francs, pour l'indemniser 
        de son déplacement. Ayant demandé à l'arabe Abd-el-Kader 
        ben Seba, si la demande d'une somme quelconque lui avait été 
        faite par les gendarmes, a répondu négativement, a dit que 
        c'était de son plein gré qu'il avait fait ce don. Le nommé 
        Mohamed ben Amda, a déclaré ne pas avoir donné de 
        l'argent aux gendarmes, parce qu'il n'avait eu rien à faire constater 
        chez lui, que personne ne lui avait fait d'observation. Lui ayant demandé 
        s'il était vrai que les gendarmes l'avaient menacé de le 
        mettre en prison s'il ne remettait pas de l'argent. Comme avait fait son 
        camarade, a répondu que ce n'était pas vrai et était 
        prêt à le prouver en justice si besoin était ".
 
        
          |  la gendarmerie de Miliana |  
 Ce passage donne un nouvel exemple d'un recours à la gendarmerie 
        de la part d'indigènes; ceux-ci n'hésitent pas à 
        se déplacer pour obtenir le concours de la force publique, et cela 
        pour une affaire somme toute ordinaire, et les gendarmes se rendent sur 
        place. Ils répondent aux plaintes des " Arabes ", et 
        usent même de la menace d'un procès-verbal à l'encontre 
        du propriétaire européen coupable, pour obtenir qu'il s'arrange 
        à l'amiable avec les victimes. Quant à la somme perçue 
        illégalement par les deux gendarmes, mais sans réclamation 
        de leur part (ils seront cependant punis, et l'argent sera rendu), elle 
        témoigne de ce que les indigènes n'ont pas encore assimilé 
        l'interdiction de donner de l'argent pour indemniser un service légalement 
        rendu (remarquons qu'il n'est pas fait mention de quelconques remontrances 
        faites au coupable du don). Autre exemple, des indigènes viennent 
        en aide aux gendarmes qui défendent leur habitation contre un incendie 
        de forêt proche : " La caserne d'Aïn Nechma n'est séparée 
        des bois que par une zone étroite de terrain cultivé; sans 
        le concours des Arabes voisins, qui joignirent leurs efforts à 
        ceux de la brigade, cette caserne subissait le sort des forêts; 
        les flammes l'entouraient, elles étaient arrivées à 
        3o mètres des murs ".
 
 À l'inverse de ce qui ressort dans ces développements, nous 
        savons que les capacités de l'arme relativement à la police 
        des indigènes sont parfois mises en doute, en raison du manque 
        de compréhension mutuelle; une telle limite ne peut manquer d'avoir 
        des conséquences sur les relations plus ordinaires. D'autre part, 
        selon un témoignage recueilli par le sous- lieutenant du Bureau 
        arabe de Batna, l'arrivée dans une tribu de deux gendarmes accompagnés 
        d'un interprète indigène provoque la fuite des enfants, 
        et effraye les femmes; nous sommes pourtant en 1864. Dans cette affaire 
        qui voit la gendarmerie procéder à l'arrestation arbitraire 
        d'un chef indigène, la brigade responsable s'inquiète des 
        attaques dont elle peut être la cible, des menaces ayant été 
        proférées à son endroit; le commandant de la compagnie 
        en vient même à demander la protection du Bureau arabe ! 
        En réalité, nous touchons là à une limite 
        de l'influence de la gendarmerie dans les territoires militaires surtout. 
        L'impartialité, la poursuite des criminels ou les secours portés 
        sans égard à la religion, ne laissent certainement pas insensibles 
        les indigènes. Cependant, l'estime pour les gendarmes n'existe 
        qu'autant qu'ils sont connus et reconnus; aussi une bonne partie de l'Algérie 
        (en terme de territoire et de population) échappe-t- elle à 
        un contact régulier avec eux. Dans les régions où 
        la colonisation est plus avancée, et la gendarmerie plus active 
        et visible, nul doute que les indigènes fassent appel à 
        elle (d'autant que les agents indigènes semblent peu respectés 
        des Européens). Ailleurs, il est douteux qu'elle constitue un recours 
        habituel. En tout état de cause, les gendarmes ne sont pas épargnés 
        par les assassinats, y compris à proximité d'Alger.
 o
 1 - SHAT, 1H87, dossier 2. Lettre du 23 novembre 
        1842 du lieutenant Lecocq, commandant p. i. la 4' compagnie au commandant 
        supérieur à Oran. " Déjà, les terres 
        sont préparées pour les semailles, il ne manque plus que 
        les grains nécessaires à cette opération "; 
        les gendarmes demandent 50 kg de blé et 50 kg d'orge (ce qui représente 
        approximativement 1 / 2 hectare d'ensemencement au total). " La brigade 
        de Bab-el-Oued qui, la première, a mis ce système en pratique, 
        offre un spécimen de ce que l'on peut en attendre de fructueux. 
        Déduction faite de la main-d'oeuvre qu'elle a dû payer pour 
        mettre son lot en culture, elle verse à la caisse de famille qu'on 
        vient d'installer pour le corps, une somme der 71o,4o F ". Le détachement 
        de Philippeville dégage également un bénéfice 
        intéressant, dont profitent dix-sept sous-officiers et gendarmes 
        (compte rendu du capitaine Gauthier daté du 20 juin 1842) (Touchard 
        & Lacoste, Histoire de la gendarmerie et de la colonie, op. cit., 
        p. 240-241 & p. 332).
 2 - AOM, 1E62. Rapport du 9 novembre 1833 au comte Bonet. Il y indique 
        " que les colons de toutes nations qui se sont joints à elle 
        [la population indigène], par leur demi-civilisation, leur désir 
        immodéré d'acquérir des richesses à tout prix, 
        et les habitudes vicieuses qu'ils ont généralement introduites 
        avec eux dans ce pays n'ont pu que participer encore à sa corruption 
        ".
 
 3 - Dans une lettre du Pr octobre 1831 au ministre de la Guerre, le général 
        Berthezène signale " Un des fléaux de cet établissement 
        naissant est l'usure: ici quelques négociants ne rougissent pas 
        de prêter à 4 % par mois ". Et de donner des exemples 
        d'abus, de corruption, y compris parmi les juges français de la 
        colonie.
 
 4 - Cela transparaît dans les exemples d'invectives adressées 
        par la gendarmerie à des colons. Selon un
 témoin, le brigadier Luciani, lors d'un conflit avec des colons 
        de Ténès, s'adresse à eux de la façon suivante: 
        " ces b... de banqueroutiers, je saurai les mettre à la raison 
        ", " banqueroutier, crapule, je te ferai vendre ta boutique 
        ", etc.).
 
 5 - En témoignent ces mots féroces: " C'était 
        parmi ces dames les colonnes (des fermières toujours) un assaut 
        de toilette [...]. N'importe, ces dames étaient fières d'être 
        si bien parées et des succès qu'elles obtenaient dans le 
        monde. (Le monde !... un bataillon de zouaves.) e. Il fallait être 
        femme pour oser ce propos (Grana Blanc, Soldats et colons. Scènes 
        de la vie algérienne, Paris, Lacroix, 1869, 183 p., p. 121).
 
 6 - " Au commencement d'octobre [1867], les habitants de l'Arba adressaient 
        au chef de légion un témoignage de leur reconnaissance envers 
        la brigade de cette résidence, pour le zèle et le dévouement 
        que chacun de ses membres avait déployés, lors de l'invasion 
        du choléra, en portant, nuit et jour, des secours aux malheureux 
        atteints par l'épidémie. C'étaient les nommés 
        Ledermann, brigadier; Antoine, Champenois, Rich et Bichebois, gendarmes, 
        qui composaient cette vaillante brigade ", (Moinier, Historique de 
        la 19' légion de gendarmerie d'Afrique, op. cit., p. 131.).
 
 7 - Le journal l'Akhbar daté du 28 mai 1858, fait état de 
        la cotisation pour un voiturier d'Alger qui a perdu voiture, chevaux, 
        etc., dans un accident; il est secouru par le brigadier de Gouzens et 
        deux gendarmes, et une somme de 606, 55 F est réunie. Le 13 août, 
        " le sieur Legat, colon au Tlélat, ayant été 
        arrêté par la gendarmerie, en vertu d'une contrainte par 
        corps, pour non-paiement d'une somme de 19,45 F, fut conduit devant le 
        Mdl Barrelet, commandant la brigade du Tlélat, auquel il exposa 
        qu'étant père de famille et dans la dernière misère, 
        il se trouvait dans l'impossibilité absolue de payer cette somme. 
        Touché par sa position, le Mdl Barrelet lui fit spontanément 
        don de cette somme et le rendit à la liberté ", (Touchard 
        & Lacoste, Histoire de la gendarmerie d'Afrique et de la colonie, 
        p. 515-516, 518 & 520.) Moinier mentionne de son côté 
        un ordre du jour du 3 décembre 1864, qui " fait connaître 
        l'acte d'humanité accompli par les gendarmes Mennesson, Haas et 
        Auriol de la 3' compagnie. Une famille d'ouvriers composée du père, 
        de la mère et de trois enfants, se trouvait au camp du Chabet el 
        Kerrata, sans travail, sans pain, et aux prises avec la fièvre. 
        La profonde misère de cette famille ne lui permet même pas 
        d'être évacuée sur l'hôpital de Sétif. 
        Cette situation excite la généreuse compassion des trois 
        gendarmes qui composent le poste établi près du camp. Ils 
        se cotisent d'abord et font appel à la charité des habitants 
        du camp, militaires et civils. Ils réunissent ainsi une somme de 
        156,75 F qui vient sauver du désespoir, et peut-être de la 
        mort, cette malheureuse famille ", (Historique de la 19' légion 
        de gendarmerie d'Afrique, op. cit., p. 128-129).
 
 8 - Le chef d'escadron Cardini demande au maréchal Clauzel une 
        augmentation des effectifs, en 1836, justifiée par le fait qu'en 
        Afrique, la gendarmerie doit " veiller avec beaucoup de soin sur 
        une population d'hommes accourus de toutes les parties de l'Europe, dans 
        l'espoir de faire, à tout prix, une fortune rapide, sur des Kabyles 
        et des Maures habitués à vivre de rapine, sur des corps 
        composés en grande partie, d'individus graciés, et sur un 
        grand nombre de condamnés, rebut de l'armée ". En une 
        phrase, les différentes catégories de la population sont 
        éreintées, (lettre citée par Touchard & Lacoste, 
        Histoire de la gendarmerie d'Afrique et de la colonie, op. cit., p. 111114). 
        Au-delà de la gendarmerie, ce sont toutes les autorités 
        civiles et militaires qui reprennent peu ou prou la vulgate développée 
        ici, qu'il s'agisse d'évoquer les colons ou les indigènes 
        (l'armée s'épargne généralement quelques critiques).
 
 9 - Ces rapports ne sont pas faits que de conflits, de méfiance 
        ou d'indifférence, on s'en doute. Ainsi d'une petite fille européenne, 
        mortellement blessée en mettant par inadvertance le feu à 
        ses vêtements; ce sont des voisins indigènes qui lui portent 
        secours, et la recueillent dans leur gourbi (AOM, F80.729. Rapport du 
        23 juillet 1855 du capitaine de gendarmerie au Gouverneur général). 
        Des Européens portent secours à des pèlerins musulmans 
        détroussés par leurs coreligionnaires, rapporte le commandant 
        Cardini, dans un rapport du 23 novembre 1836: " L'acte d'humanité 
        exercé en faveur de neuf Arabes naufragés qui se rendaient 
        en pèlerinage à La Mecque, a produit un très bon 
        effet sur les populations indigènes. Les indigènes disent 
        que des Arabes ont dépouillé des Arabes, et que les Français 
        ont accueilli et secouru les malheureux pèlerins, comme s'ils étaient 
        leurs frères ", (SHAT, 1H42, dossier 1.) " En passant 
        à la ferme Prolliac, le brigadier Gabelle, qui était à 
        la tête de sa brigade, a trouvé le propriétaire qui 
        donnait des soins à un Arabe ensanglanté "; celui-ci 
        assure le " courrier ", et a été attaqué 
        par quatre Arabes, (SHAT, 1H178. Province d'Alger. Rapport du 29 novembre 
        1862 du chef d'escadron commandant la 1è compagnie au ministre).
 |