| Saint-Arnaud l'Africain " S'il y avait un officier dans cette 
        armée d'Afrique qui fut plus que les autres le type de l'ardeur 
        et de bonne humeur militaire, c était lui... ".Bugeaud (1841)
 Saint-Arnaud, Algérie, 
        département de Sétif, chef-lieu d'arrondissement, 
        à 950 mètres d'altitude. Chemin defer d'Alger à Constantine. 
        12 166 habitants (agglomération 11318) - vin, distilleries, minoteries 
        - fontaines romaines restaurées. L'arrondissement de Saint-Arnaud 
        a 4 621 km2, 28 communes et 139 015 habitants (Encyclopédie Quillet).
 Qui est donc ce Saint- Arnaud, combattant de la conquête qui a donné 
        son nom à une petite ville d'Algerie mais pas à une rue 
        d'Alger? Les opinions de ses historiens et contemporains vont du quasi-dithyrambe 
        aux graves accusations portées par Victor Hugo (le poète 
        avait ses raisons ( Victor Hugo avait 
        deux raisons de détester Saint-Arnaud. La première, c'est 
        le coup d'Etat. La deuxième c'est que Sainte-Beuve qui admirait 
        Saint-Arnaud, était l'amant de Mme Victor Hugo. ) en 
        passant par les réserves de Charles- André Julien.
 
 Si aucune rue d'Alger ne s'appelait Saint-Arnaud, c'est pour l'unique 
        et simple raison que ce maréchal, devenu ministre de la Guerre, 
        a aidé Napoléon III à réaliser son coup d'État. 
        Les républicains d'Alger ne lui ont pas pardonné et n'ont 
        pas compte de ses états de services en campagne (n'oublions pas 
        qu'au plébiscite qui suivit le 2 décembre, l'Algérie 
        fut la seule province à voter " non ").
 
 Saint-Arnaud fut, qu'on le reconnaisse ou non, un grand soldat, un grand 
        serviteur de la France. Certes il connut une jeunesse agitée, c'est 
        le moins que l'on puisse dire, mais si fautes il y eut elles ont été 
        largement rachetées et c'est à des hommes comme lui que 
        nous devons - pardon que nous devions - notre empire colonial.
 
 Le soir du samedi 14 janvier 1837 un navire de guerre, le " Suffren 
        " mouille devant Alger malgré le gros temps. Il amène 
        de Toulon un groupe de soldats de toutes nationalités, mais surtout 
        des Allemands, Hollandais, Belges. Ils sont indisciplinés et pour 
        la plupart ne comprennent pas le français. Un lieutenant se promène 
        parmi eux et essaie d'amadouer ces étrangers en discutant surtout 
        avec les Italiens et les Grecs dont il parle la langue. Cet officier n'est 
        plus très jeune. On voit quelques poils blancs dans sa chevelure 
        noire coupée en brosse. Il a un regard perçant et c'est 
        un bel homme, assez grand.
 
 Voilà Achille Leroy de Saint-Arnaud et voici les hommes de la Légion 
        étrangère venus participer à la soumission de Constantine. 
        Alger, en face, vieux nid de pirates barbaresques, semble une tache blanche 
        étagée à flanc de colline. Impossible de débarquer: 
        le navire est ballotté, la pluie tombe en déluge, tout le 
        monde est malade. Le lendemain 15 janvier on accoste avec peine et des 
        barques mettent les hommes à terre. Il pleut toujours. On se met 
        en marche vers les baraquements de Kouba (environ 8 km) et on traverse 
        Alger qui offre un spectacle désolant de désordre et d'incurie. 
        La présence de nombreux immigrés pouilleux venus de tous 
        les bords de la Méditerranée n'est pas faite pour provoquer 
        l'enthousiasme. Kouba, qui devait devenir un lieu si agréable plus 
        tard, offre un triste spectacle ce jour-là malgré la vue 
        que l'on a sur la rade. L'installation plus que sommaire se fait au Vieux 
        Kouba. C'est l'inconfort total, les poux, le ravitaillement épisodique 
        et, pour couronner le tout, l'insécurité permanente. La 
        ferme modèle créée par l'administration n'est en 
        fait qu'un fortin. Ajoutons enfin la malaria et les exhalaisons des marécages 
        putrides qui tuent même les canards sauvages.
 
 Saint-Arnaud est là en volontaire. Il est ambitieux, il lui faut 
        donc prendre des risques. C'est de Kouba 
        qu'il écrit sa première lettre à son frère. 
        Il évoque ce pays avec ces mots: " je le regarde comme 
        une patrie pour si longtemps... ".
 
 On sent aussi dans cette lettre qu'il est obsédé par le 
        souvenir de son passé, qu'il traîne, comme le dit Louis Bertrand, 
        " le poids et le remords de tout un arriéré de folies, 
        d'aventures, de désordre et de dettes, de dettes surtout ". 
        La jeunesse de Saint-Arnaud a été agitée. Pendant 
        une bonne douzaine d'années, il s'est conduit en mauvais sujet 
        à tel point que sa propre mère ne voulait plus le voir. 
        La solitude de Kouba l'invite à la méditation. Né 
        en 1798, il avait 16 ans lors de l'invasion de la France et était 
        élève du lycée Napoléon à Paris. Puis 
        il s'engage dans la Garde nationale et se signale par ses qualités 
        militaires, à tel point que le futur Charles X, encore comte d'Artois, 
        lui dit en riant " Ce n'est pas Arnaud qu'on devrait t'appeler, 
        mais Achille ". Du coup, en entendant ces paroles prononcées 
        par une bouche royale Jacques-Arnaud Leroy se sent anobli!
 
 Quelque temps plus tard il passe aux Gardes du corps dans l'aristocratique 
        compagnie de Grammont. Il s'y ruine à vouloir soutenir le même 
        train de vie que ses riches compagnons. Il fait des dettes !
 
 Protégé par le duc de La Force, il obtient d'entrer dans 
        l'infanterie avec le grade de sous-lieutenant. Il part pour la Corse où 
        il séjourne peu, puis est nommé dans les Bouches-du-Rhône. 
        Là, il commet la maladresse de provoquer son commandant Carcenac 
        en duel, ce qui lui vaut une mise en non- activité. Le voici maintenant 
        à Paris débauché et abandonné par sa famille. 
        La mère de Jacques, jeune veuve, s'était remariée 
        avec Jean de La Forcade de La Roquette, un sévère juge de 
        paix.
 
 Réduit à la misère, Jacques s'engage dans un mouvement 
        qui lutte pour la libération de la Grèce. Il s'aperçoit 
        vite que ses compagnons sont gens de sac et de corde et, à ses 
        yeux du moins, les Grecs sont aussi sauvages et cruels que les Turcs. 
        Aussi, grâce à l'aide de notre consul à Salonique, 
        il réussit à regagner la France en 1822. Il est alors âgé 
        de 24 ans. Suivent cinq années de vie de bohème.
 
 En 1827, grâce encore au duc de La Force, il est réintégré 
        comme sous-lieutenant au 49e d'Infanterie à Vannes. Puis il déserte... 
        et a le culot d'écrire à son colonel pour donner sa démission.. 
        Nouvelle mise à pied.
 
 Il lui faut faire tous les métiers, y compris donner des leçons 
        car, notons-le, Jacques-Arnaud Leroy a une certaine culture. Très 
        intelligent, il a toujours été bon élève et 
        il parle assez bien quatre langues: l'anglais, l'italien, l'espagnol et 
        le grec moderne. Alors, il voyage en Europe, vivant des femmes et du jeu. 
        À cette époque, il n'était pas déshonorant 
        pour un jeune officier d'être " soutenu " par une protectrice 
        de qualité. Il enseigne aussi l'équitation, la gymnastique, 
        le piano. A Bruxelles, il rejoint une troupe lyrique où il est 
        à la fois acteur et ténor sous le nom de Florival.
 
 La mère d'Arnaud était de petite noblesse, née Papillon 
        de La Tapy. Pendant la Terreur, âgée de 14 ans, elle avait 
        sauvé le député Régnaud de Saint-Jean d'Angely 
        pris en chasse par les agents de Robespierre. Régnaud, devenu ministre 
        d'État sous l'Empire, avait fait entrer Arnaud au lycée 
        Napoléon avec une bourse. C'est lui également qui avait 
        fait nommer le beau-père juge de paix avec un beau traitement de 
        5 000 francs.
 
 Nous sommes en 1830. On prépare l'expédition d'Alger. Il 
        y aura des coups à donner et à recevoir, mais aussi de la 
        gloire et de l'avancement.
 
 Arnaud Leroy demande sa réintégration. Refusée ! 
        Puis en 1831 elle est acceptée. Jacques est nommé au 64e 
        de ligne en garnison à Brest. Il y épouse la fille d'un 
        officier de marine, Laure Pasquier, et il en a deux enfants, Louise et 
        Adolphe. On l'emploie contre les guérilleros vendéens légitimistes 
        qui luttent contre Louis-Philippe, puis on l'envoie à Blaye, en 
        Gironde, où il devient officier d'ordonnance du général 
        Bugeaud. Il est nommé lieutenant.
 
 Que fait Bugeaud à Blaye? Il y garde la duchesse de Berry prisonnière 
        dans la citadelle, et le futur maréchal considère avec dégoût 
        la tâche qu'on lui confie, celle de gardien de prison d'une femme.
 
 La cage est certes dorée. Arnaud Leroy est souvent l'invité 
        de la duchesse qui donne des soirées musicales. Il chante, joue 
        du piano et pince même la guitare.
 
 Quand la duchesse est libérée ( La 
        duchesse de Berry, Marie-Caroline, c'est un cas ! Elle est la bru du roi 
        Charles X. Son mari est assassiné par l'ouvrier-sellier Louvel 
        en 1820, laissant son épouse napolitaine (assez extravagante) avec 
        un enfant, le duc de Bordeaux (celui qui plus tard refusera le drapeau 
        tricolore et de ce fait renoncera au trône). Se considérant 
        comme la mère de l'héritier légitime, elle essaiera 
        en 1832 de soulever la Provence, puis la Vendée contre Louis-Philippe 
        et est de ce fait enfermée dans la citadelle de Blaye. Mais elle 
        est enceinte des oeuvres du comte italien Lucchesi-Palli. Le fait suffit 
        à la déconsidérer aux yeux de ses partisans qui l'abandonnent. 
        L'affaire est racontée avec talent par Guy Breton dans Les histoires 
        d'amour de l'histoire de France.), Bugeaud et Saint-Arnaud 
        l'accompagnent à Palerme. Puis la vie de garnison recommence dans 
        sa monotonie : Clermont-Ferrand, Belfort, enfin Paris.
 
 Sa seule distraction, le piano.
 
 Fin 1836, il retrouve Bugeaud et sur les conseils de son ancien chef il 
        demande son affectation en Afrique. Voilà pourquoi il entre dans 
        la Légion étrangère. Avant de partir, il perd sa 
        femme qui lui laisse deux jeunes enfants. C'est le frère de Jacques, 
        célibataire, avocat aisé, et homme très dévoué 
        qui élèvera les deux bambins.
 
 À Alger on prépare l'expédition de Constantine, bonne 
        occasion pour se distinguer !
 ** *
 Donc à Kouba, Saint-Arnaud pense à 
        ses enfants, à son avenir et sans doute à son passé 
        qui l'obsède ainsi qu'à ses dettes que, d'après Louis 
        Bertrand, ses détracteurs " ont démesurément 
        grossies ". Quel est le budget du lieutenant? Il perçoit chaque 
        mois 108 F, plus 12 F pour son logement. On lui retient là- dessus 
        50 F pour ses repas, 20 F pour le logement, 5 F pour un domestique, 6 
        F pour le blanchissage, 2 F pour une éventuelle invalidité, 
        8 F pour le spectacle (?) obligatoire, 4 F pour la musique (!), sans compter 
        les gants nécessaires et hors de prix. Il reste exactement 9 F 
        à Saint-Arnaud, autant dire rien. C'est la misère. Il ne 
        sera à l'aise qu'au grade de colonel. En attendant, il supplie 
        sa mère de lui pardonner. Mais il a déjà 39 ans ! 
        Il paraît encore jeune, il montre une bonne éducation, il 
        est " bien élevé ", il a de l'assurance, du coup 
        d'oeil. Il sait juger. En un mot il est séduisant.
 Né à Paris, il est gascon d'origine. Son vrai nom était 
        Arnaud-Jacques Leroy. C'est à l'âge de 17 ans qu'il s'attribue 
        une particule, son prénom devenant son nom. Sa mère signe 
        bien ses lettres " Papillon de La Tapy de Forcade de la Roquette 
        ". Son nouveau nom Achille Le Roy de SaintArnaud sera officialisé 
        par ordonnance de Louis-Philippe le 12 mai 1840 (encore qu'en usage depuis 
        1815 !).
 Sa culture est sérieuse car malgré ses extravagances il 
        est un sérieux autodidacte. Il traduira ainsi en trois langues 
        un traité du maréchal Bugeaud Aperçu sur l'art militaire. 
        Même en campagne, il lit. A Djidjelli, il assimile les auteurs historiques 
        et les classiques. Dès son arrivée en Algérie il 
        apprend l'arabe et l'allemand (cette langue pour la Légion). Ses 
        lettres sont passionnantes et Sainte- Beuve leur consacrera plus tard 
        des articles élogieux, ce qui n'est pas rien.
 
 Il a le courage de ses opinions mais considère que tous les moyens 
        sont bons quand on a le droit pour soi.
 
 Victor Hugo le traitera fort injustement de chacal, de voleur, d'assassin. 
        Mais on sait que le génial poète (mais médiocre politicien) 
        porte des jugements hâtifs à l'emporte-pièce. Et puis, 
        disons-le, personne n'est parfait ! Saint-Arnaud a gagné l'estime 
        de Bugeaud et du duc d'Aumale.
 
 C'est le plus important pour un guerrier. Ceci dit notre homme est un 
        ambitieux, pressé de sortir de la médiocrité de sa 
        condition. Peut-on le lui reprocher ?
 * * Après trois semaines passées 
        à Kouba, Saint-Arnaud prend le commandement des camps de Birkadem 
        et de Tixéraïne où la sécurité 
        laisse fort à désirer. On s'y fait beaucoup assassiner : 
        sentinelles égorgées, colons massacrés. Un jour, 
        à 100 mètres du camp, on retrouve vingt faucheurs décapités 
        et coupés en morceaux. On construit donc une route vers Douéra 
        et Saint-Arnaud protège les travailleurs.
 Il ne s'entend pas avec son colonel. Il perd sa sur, puis peu après 
        le mari de cette dernière, Delattre. Comble de disgrâce un 
        huissier vient le relancer à Douéra pour 4 000 F de dettes 
        contractées en France. Son tailleur lui réclame 155 F. Il 
        est nommé capitaine, mais il tombe sérieusement malade. 
        Un de ses chefs, le commandant Bedeau le soutiendra. Le frère de 
        Saint-Arnaud paye les dettes, " Dieu seul peut récompenser 
        un tel être du bien qu'il fait sur la Terre! " écrit-il. 
        C'est juste, car Delattre mort, Adolphe de Saint-Arnaud recueille les 
        deux nouveaux orphelins et se trouve, lui célibataire, avec quatre 
        enfants à élever.
 
 Saint-Arnaud fait des efforts - tardifs certes - pour être un parfait 
        officier. A l'hôpital de Douéra, 
        il se perfectionne en arabe : les termes de guerre, les questions à 
        poser à un espion ou pour demander son chemin. Il arrive à 
        se faire comprendre et il est un des rares officiers à se donner 
        tant de mal (La Moricière agit de même). Il pense sérieusement 
        à s'établir comme colon au cas où une nouvelle révolution 
        viendrait tout bouleverser. Il pense à ses enfant: " Mes 
        pauvres enfants, écrit-il, je serais plus heureux si j'y 
        pensais moins souvent ".
 
 A Tixéraïne il s'ennuie un peu et veut voir la guerre, la 
        vraie, de près. Pendant ce temps, au gouvernement, on tergiverse. 
        Faut-il rester en Algérie, faut-il partir? On tremble devant la 
        mauvaise humeur des Anglais. La guerre? Elle se limite surtout à 
        des razzias que tel ou tel responsable militaire décide de son 
        propre chef. Saint-Arnaud se rend compte que cela ne mène à 
        rien. Les Bédouins battus s'enfuient, se reforment ailleurs et 
        réapparaissent. Les tribus soumises sont massacrées par 
        des cavaliers d'Abd el-Kader, ce qui conduit à des représailles. 
        On incendie les récoltes, les douars, on coupe les arbres fruitiers, 
        on détruit les silos, on comble les puits et on coupe des têtes.
 
 C'est une guerre sauvage et impitoyable qui ressemble à la guerre 
        de " Reconquista " de l'Espagne. Aussi le gouvernement préconise 
        l'occupation des centres: Médéa, Miliana, 
        Mascara, Tlemcen, et bien évidemment Constantine. Mais les garnisons 
        de ces postes sont vite bloquées et les soldats meurent de maladie 
        et de faim car le ravitaillement nécessite le déplacement 
        d'une petite armée. Bugeaud s'en rend compte. Il demande des effectifs 
        et veut utiliser les méthodes des Romains : le soldat vétéran 
        devenu colon, et l'emploi d'auxiliaires indigènes. Mais la guerre 
        menace en Europe. Thiers mène une politique belliqueuse. Le plus 
        stupéfiant - chose merveilleuse disait Louis Bertrand en 1941 - 
        c'est que l'Algérie française se soit faite malgré 
        tout. Et sans doute contre la volonté des gouvernants de l'époque.
 Saint-Arnaud, à Douéra, est désenchanté en 
        cette année 1837. " Un gueux de pays sur lequel le bon 
        Dieu n'a jamais jeté un regard de miséricorde ". 
        Les Bédouins sont à 2 km de lui! Fin avril 1837, il participe 
        à une marche sur Blida: 
        10 000 hommes commandés par le général comte Damrémont, 
        dont la Légion, les Zouaves 
        et les Spahis.
 
 On se réunit à Boufarik. Saint-Arnaud est enthousiaste. 
        Les Français arrivent à Blida : Saint-Arnaud et 150 hommes 
        de la Légion et une centaine de Zouaves s'élancent contre 
        les tireurs d'un douar. En avant! Tous les ennemis sont tués car 
        on ne fait pas de quartier mais nous subissons des pertes.
 
 Saint-Arnaud tombe de nouveau malade, sans doute un ulcère d'estomac 
        ou une gastrite grave. Mais le frère d'Abd el-Kader attaque Boufarik. 
        Notre lieutenant, à peine convalescent, subit les marches et contre-marches 
        harassantes. En août, il est nommé capitaine alors que la 
        Légion reçoit l'ordre de s'embarquer pour Bône. Le 
        nouveau promu est heureux ! On sait qu'une première expédition 
        contre Constantine s'est terminée en désastre. Clauzel a 
        échoué car son attaque a été mal préparée 
        avec des effectifs insuffisants. De plus, on n'avait pas tenu compte du 
        climat rigoureux et excessif dans cette région.
 
 Les Français ont réuni 10 000 hommes qui se mettent en marche 
        et campent du côté de Guelma. En face, Hadj-Ahmed, bey de 
        Constantine, dispose de 40 000 combattants. Les Bédouins opèrent 
        des coups de main sur nos colonnes et assassinent les traînards 
        et ceux qui s'éloignent.
 
 Puis comme l'année précédente, la pluie arrive et 
        les soldats, surchargés de matériel et empêtrés 
        dans leurs lourds uniformes sont trempés dans un pays ravagé. 
        L'allure de nos troupes est lamentable. Entre le 9 et le 10 octobre, l'artillerie 
        prend ses positions et commence le bombardement. Mon propos n'est pas 
        de raconter la prise de la ville ce que j'ai déjà fait dans 
        un essai précédent.
 
 L'assaut aura lieu le vendredi 13 octobre. Une première colonne 
        commandée par le colonel La Moricière s'élance, traverse 
        la brèche, est arrêtée par une deuxième muraille. 
        Une seconde colonne commandée par le colonel Combes et Saint-Arnaud 
        s'élance à son tour.
 
 Le combat est terrible au milieu des mines qui explosent. Saint-Arnaud 
        crie " À moi la Légion, à la baïonnette! 
        ".
 
 Les batailles de rue font penser au siège de Saragosse.
 
 Saint-Arnaud et ses légionnaires arrivent au pont 
        d'El Kantara en emportant sur leur passage toutes les barricades. 
        Partout des cadavres et du sang.
 
 Sur les 50 hommes de Saint-Arnaud, on dénombre 10 morts et 11 blessés 
        (3). L'exaltation du combat dissipée, Saint- Arnaud fait l'analyse 
        de toutes les fautes commises : date mal choisie (saison des pluies), 
        effectifs insuffisants, lourdes pertes en officiers (dont le commandant 
        en chef Damrémont coupé en deux par un boulet).
 
 Les soldats sont trop lourdement équipés compte tenu du 
        climat et ils sont décimés par les fièvres et le 
        choléra. Le commandement n'avait pas de plan, tout a marché 
        " à l'aventure ". De plus Saint-Arnaud constate que les 
        officiers et les soldats ont pillé. Puis l'armée abandonne 
        Constantine en y laissant une garnison de 2 500 hommes qui seront bientôt 
        décimés par la maladie. Saint-Arnaud est heureux : on le 
        décore. Il a enfin la croix! Mais c'est à l'hôpital 
        qu'on lui apporte le ruban rouge!
 
 Sur le chemin du retour vers Bône, Saint-Arnaud ressent les premières 
        atteintes du choléra. Ses soldats le transportent sur un brancard 
        sur une quinzaine de kilomètres. C'est un médecin italien 
        du camp de Nechmaya qui le sauve. Toute une partie de l'armée est 
        décimée.
 
 En janvier 1838, il est de retour à Kouba, assez mal remis de tous 
        ses ennuis de santé. Mais il a une volonté de fer : " 
        Le moral marche, le physique suit " dit-il. De Kouba, on l'envoie 
        au Fondouk alors très insalubre sans parler de l'insécurité. 
        Il tombe encore malade. Au printemps 39, il part pour Djidjelli se battre 
        contre les Kabyles: chaleur d'enfer et combats continuels. En août, 
        il n'en peut plus et on l'envoie à Alger à l'hôpital 
        du Dey. Il abrège sa convalescence, et il est blessé au 
        combat du col de Mouzaïa. " Destiné à vivre 
        ou mourir en Africain, je dois résister et je résisterai 
        écrit-il. Retour au Fondouk dans de très mauvaises conditions 
        de campement. Il a la hantise des crapauds. Vermine, pluies glaciales, 
        boue, chaleur torride. On trouve 300 hommes dans des baraques faites pour 
        80 !
 
 L'année 1839 commence dans de tristes conditions. Saint-Arnaud 
        écrit une lettre pathétique à son frère : 
        pluie, vent, humidité, rats, ravitaillement défectueux, 
        bref les soldats souffrent. Il avoue être " cul nu " et 
        demande l'envoi de vêtements. Il pense à ses enfants. Arrivé 
        avec 103 soldats, il ne lui en reste plus que 68, puis 40 un peu plus 
        tard. Son rêve est d'être nommé chef de bataillon pour 
        pouvoir rembourser son frère.
 
 Le 7 juin 1840, il embarque pour la France muni d'une permission. Il arrive 
        à Paris seulement le 20, avec la peur d'effrayer ses enfants avec 
        sa figure grave, son teint boucané, ses joues creuses. Mais la 
        joie du retour emporte toutes ses craintes.
 
 Les effusions passées il se rend au ministère pour essayer 
        de se faire nommer commandant. Ses démarches aboutissent: il est 
        nommé chef de bataillon au 18e léger... à Metz ! 
        Et on parle déjà d'une guerre imminente avec l'Allemagne. 
        Il s'installe à Metz le 30 septembre et retrouve la pluie et le 
        froid. " Canaille de pays, cochon de temps " écrit-il. 
        Pourtant, Metz est une des garnisons les plus agréables.
 
 Il est vite en bons termes avec son colonel et malgré ses 42 ans, 
        il séduit encore. Il donne des leçons d'anglais à 
        la fille du colonel, et il l'écrit à son frère qui 
        s'en épouvante. Le coeur de la jouvencelle en est vite troublé 
        et Saint-Arnaud s'éloigne prudemment. Hélas ! il se concilie 
        aussi les bonnes grâces de l'épouse de son général, 
        Madame Achard. Nouvel effroi du frère! En fait, Saint-Arnaud ne 
        cherche pas une aventure. Il est devenu réaliste et flatte ce qui 
        peut aider son avancement. Il est devenu une sorte de Rastignac ! Mais 
        c'est compter sans la générale qui use d'arguments tels 
        que notre héros " succombe ". Ce ne sont que dîners, 
        bals, réceptions. Parfois, il est obligé d'y renoncer à 
        cause de son état de santé.
 
 Au début de 1841, il apprend que Bugeaud est nommé gouverneur 
        général de l'Algérie, Bugeaud dont il a été 
        le secrétaire. Il écrit, il supplie!
 
 Quinze jours plus tard, après avoir fait ses adieux à ses 
        enfants, il arrive a Marseille, puis à Toulon avec le colonel Randon.
 
 Le 16 avril 1841, il débarque à Alger ( C'est 
        cette même année - avril 1 841 - que Saint-Arnaud est affecté 
        aux Zouaves dont Duvivier et La Moricière ont fait une troupe d'élite.) 
        et retrouve Bugeaud qui l'apprécie et qui est le parrain de sa 
        fille Louise. C'est plus que de l'amitié, c'est de l'affection 
        qui lie les deux hommes. Quatre ans plus tard, Bugeaud écrira en 
        bas d'une lettre: " Vous me prouvez que vous êtes un homme 
        de coeur et d'intelligente activité ". Cette affectueuse amitié 
        va susciter bien des jalousies ! Saint-Arnaud se lie d'amitié également 
        avec le duc de Nemours et le duc d'Aumale, deux fils de Louis-Philippe.
 
 Il rejoint son régiment à Blida commandé par le colonel 
        Cavaignac. Il est ravi de ce poste et de ces hommes. Pour lui, ces Zouaves 
        sont l'équivalent de la Garde impériale ! Et puis la guerre 
        continue: expéditions contre Médéa et Miliana, certains 
        combats tournant à la boucherie. Saint-Arnaud se signale par des 
        excès de témérité.
 
 Marche sur Oran, reprise de Mascara, hommes épuisés, traînards 
        décapités. Voilà le quotidien. Les récits 
        que fait Saint-Arnaud dans ses lettres sont hallucinants. Bugeaud le nomme 
        officier de la Légion d'honneur en août 1941. Comme il est 
        épuisé, Bugeaud le fait entrer et soigner à Alger 
        où il passe trois mois, Mme Bugeaud étant aux petits soins 
        pour lui. Il donne des leçons à la fille du général, 
        Léonie Bugeaud. On le considère comme faisant partie de 
        la famille et il songe à demander la main de Léonie pour 
        qui le général offre une dot de 100000 francs, somme considérable. 
        Cependant, les choses restent en l'état: Saint-Arnaud est veuf, 
        a deux enfants, il a 44 ans et Léonie en a 17. Il semble que Saint-Arnaud 
        se soit effrayé à juste titre de cette différence 
        d'âge. Quoiqu'il en soit, le 13 avril 1842, il est nommé 
        lieutenant-colonel et deux mois plus tard il reçoit le commandement 
        de Miliana, ville qui n'est plus qu'une ruine. " Une aire de vautours... 
        un sépulcre vivant ". Il a trois bataillons d'infanterie, 
        soixante cavaliers, de l'artillerie, du génie. S'il est déçu 
        de la ville détruite, il est par contre ravi de ce commandement. 
        Il reçoit des fonds secrets pour les informateurs et les guides, 
        et 150 F de frais de représentation.
 
 Il n'y a rien à Miliana. Il faut tout y apporter ou faire venir. 
        Miliana sera " sa " création. Il va d'abord loger 2400 
        hommes et les chevaux. Peu de temps après, grâce à 
        un travail acharné, on entend de nouveau le muezzin. Il fait construire 
        un four, une caserne, des latrines publiques, des fontaines, un hôpital. 
        Il fait percer, malgré l'insécurité, une route jusqu'à 
        Cherchell. On cultive des jardins et on établit un moulin. On fabrique 
        même une horloge !
 
 Il s'arrange pour que les hommes soient distraits : journaux de France, 
        petite bibliothèque, représentations théâtrales 
        : on joue " La Tour de Nesle ", " Changement d'uniforme 
        ", " L'aumônier du régiment " (Une 
        des plaies de la conquête d'Algérie fut la consommation d'alcool 
        sous forme d'eau-de-vie et d'absinthe.). Bref, un confort très 
        relatif mais un confort tout de même. En novembre 1842, il reçoit 
        le duc d'Aumale, Bugeaud, deux colonels, six officiers. Saint-Arnaud y 
        est de sa poche!
 
 L'insécurité règne. Il faut à la fois protéger 
        les colons (habitants de la colonie la plupart du temps miséreux) 
        les Juifs et les Arabes, les uns contre les autres...
 
 Il se lie avec des chefs de tribus qui l'accompagnent en tournée 
        tel un petit seigneur. Mais la guerre contre les partisans d'Abd el-Kader 
        continue: des tribus soumises sont massacrées par les troupes de 
        l'émir et il faut appliquer la loi du talion. Il exécute 
        ces horreurs la mort dans l'âme et ce qu'il écrit ne laisse 
        aucun doute sur sa bonne foi: " Que de femmes et d'enfants réfugiés 
        dans les neiges de l'Atlas y sont morts de froid et de misère, 
        les pauvres gens... Plus j'avance, plus je me dégoûte de 
        cette guerre... ". Il admire aussi ses soldats qui souffrent sous 
        la neige, le froid, la pluie, mais chantent au moindre rayon de soleil. 
        Arrivant à un puits, il fait boire ses 500 hommes avant lui ! Aussi 
        est-il aimé de sa troupe (Bivouac chez les Ouled Aïad, 2 novembre 
        1842).
 
 Il reste en excellents termes avec Bugeaud mais déteste Changarnier 
        qui, venimeux, l'accuse de malversations.
 
 Fin juillet, il quitte Miliana et le 5 août il s'embarque pour Marseille. 
        Il va revoir ses enfants après deux ans d'absence.
 (À suivre)
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