| Les Milices africainesaïeules de nos unités territoriales
 Gaston Palisser
 Deuxième partie
 Depuis les événements de 1839, la Milice africaine s'était 
        étoffée.
 
 Cette année-là, l'accroissement de la population avait permis 
        d'augmenter la force des 4e et 5e bataillons de cette Milice, dans les 
        communes rurales du massif d'Alger, implantées sur les deux rives 
        de l'Harrach, 
        par la formation de deux nouvelles compagnies dans la plaine de la Mitidja, 
        au quartier de Ben Moussa.
 
 C'est ainsi qu'en 1841, la légion d'Alger comprenait un colonel, 
        un lieutenant- colonel, un major, un chirurgien-major, huit capitaines, 
        dont un trésorier, un d'armement, un d'ordonnance et cinq rapporteurs, 
        sept lieutenants, dont un porte-drapeau et un chef de musique. Le petit 
        état-major se composait d'un tambour-major, d'un maître-tambour, 
        de trois sergents de musique et d'un sergent de sapeurs, d'un caporal, 
        de sept sapeurs et de trente-trois musiciens. Dans le même temps, 
        les états-majors d'Oran et de Bône comprenaient neuf officiers, 
        tandis que celui de Philippeville en comptait dix et celui de Bougie seulement 
        trois.
 
 Six bataillons composaient la milice d'Alger, plus un corps de réserve 
        de 368 miliciens, à quoi s'ajoutait la compagnie de Cherchell, 
        ce qui portait le total à 4 386 hommes, contre 1 807 seulement 
        en 1839. C'était à la fois l'augmentation de la population 
        et un recrutement plus sélectif qui avait permis cet accroissement 
        d'effectifs. La milice d'Oran et de Mostaganem comprenait 35 officiers, 
        915 sous-officiers et miliciens et 40 hommes de réserve, soit au 
        total 990 hommes répartis en artilleurs, pompiers, grenadiers, 
        marins-voltigeurs et trois compagnies de chasseurs. L'effectif de cette 
        province, concentré sur deux points seulement, était le 
        plus fort. Celle de Bône comptait 22 officiers et 435 sous-officiers 
        et miliciens formant cinq compagnies. Dès 1831, l'intrépide 
        Yusuf y avait mis sur pied sa propre milice. S'étant emparé 
        de la ville conjointement avec le capitaine d'Armandy et dans des conditions 
        inouïes d'audace, il s'y était installé à la 
        tête de miliciens turcs à sa solde, dont l'un avait bien 
        70 ans et y maintint l'ordre jusqu'à l'arrivée des troupes 
        françaises. Le 21 septembre 1832, l'arrêté du duc 
        de Rovigo pourvut Bône d'une garde nationale calquée sur 
        celle d'Alger et, en 1836 et 1837, on la vit rivaliser de zèle 
        et de courage avec les colonnes régulières, lors des deux 
        expéditions de Constantine.
 
 À Philippeville, la population s'était constituée 
        spontanément en milice, dix- huit mois seulement après l'établissement 
        des Français dans cette cité, les tribus voisines faisant 
        peser sur elle leur menace en permanence. Situation qui fut régularisée, 
        un peu plus tard, par l'autorité militaire. Quatre, puis cinq compagnies 
        de milice furent créées, leurs commandants et capitaines 
        étant soumis à élection et, pendant plusieurs mois 
        encore, elles assurèrent un service quasiment actif, l'armée 
        leur ayant confié divers postes. À la fin de 1841, cette 
        milice comptait un effectif de 1 100 hommes, en fournissant 35 par jour, 
        ce qui théoriquement leur imposait un tour de garde tous les 31 
        jours. Cette même année, durant le mois de septembre, l'armée 
        ayant été appelée à réprimer quelques 
        actes de banditisme, en particulier à El-Arrouch, 157 miliciens 
        prirent la garde pendant plus de quinze jours.
 
 Enfin, le 11 octobre 1841, une compagnie de milice se forma à Stora, 
        mesure que l'assassinat de trois soldats ainsi que de nombreux vols
 commis dans le port avait rendue nécessaire. Le bataillon de Philippeville 
        comprit ainsi dix compagnies.
 
 Au 17 janvier 1842, le quart de la population philippevilloise se trouvait 
        incorporé.
 
 Plus près d'Alger, dans la Mitidja, un centre agricole ayant été 
        créé, sous le nom de Médina Clauzel, par arrêté 
        du 27 septembre 1836, près de l'emplacement du marché indigène 
        séculaire et à proximité du camp d'Erlon, le nouveau 
        village reçut aussitôt une milice africaine en cadeau de 
        naissance. Tous les Européens de 20 à 50 ans, patentés 
        ou propriétaires, furent appelés au service de cette milice 
        qui, dès le début, fournit déjà une compagnie 
        complète commandée par M. Eymin, capitaine. Cette formation 
        paramilitaire, à dater de sa création et jusqu'en 1842, 
        sera vivement occupée en permanence et dans des conditions plus 
        que pénibles, quelquefois même dramatiques. " Dans 
        cette période héroïque, écrit Trumelet, la générale 
        appellera presque chaque jour les colons aux armes; chaque jour verra 
        son combat; chaque nuit aura ses tueries, ses vols, ses incendies.Des 
        jours sans repos, des nuits sans sommeil, telle sera, pendant cinq longues 
        années, leur existence ". Le service de la milice de Boufarik 
        était des plus pénibles: elle fournissait 25 hommes de garde 
        par jour; cinq postes lui étaient confiés, ceux des quatre 
        portes de la ville et un cinquième placé au centre comme 
        réserve.
 
 Cependant, malgré la vigilance de ces volontaires, l'étendue 
        de Boufarik 
        était trop considérable et ses maisons trop dispersées 
        pour qu'il fût possible aux divers postes d'exercer, pendant la 
        nuit, une surveillance efficace dans toutes les parties de ce vaste établissement.
 
 Rien n'était plus facile aux pillards Hadjoutes que de franchir 
        inaperçus le fossé de l'enceinte et de venir allumer des 
        incendies dans l'intérieur du centre. Les meules de foin et les 
        baraquements de planches brûlaient alors, laissant les malheureux 
        colons ruinés et sans abri. C'est dans des gourbis que le sergent-major 
        allait chercher ses hommes qu'il trouvait, une fois sur deux, minés 
        par la fièvre ou tordus par la dysenterie, couchés sur une 
        poignée de foin ou sur la terre nue. Il y avait tant de malades 
        qu'on dût se résoudre à payer les gardes de nuit, 
        car les valides devaient les prendre quasiment en permanence et ne pouvaient 
        plus travailler pour gagner leur vie. Ils reçurent dix francs par 
        nuit.
 
 Mais Boufarik, " la première victoire de la quinine ", 
        " la plus belle réalisation du génie colonisateur de 
        la France ", " l'émeraude pêchée dans la 
        vase " (Trumelet) était née, car son nom préfabriqué 
        de Médina Clauzel n'avait eu qu'une vie éphémère.
 
 Le 30 mars 1841, Bugeaud, passant à Boufarik et se rendant à 
        Blida, 
        est accueilli par la milice. Celle-ci avait perdu, en cinq ans, seize 
        hommes tués, trente-huit colons avaient été enlevés 
        dont vingt-deux ne rentrèrent jamais. Bugeaud se montra peu optimiste: 
        " Si j'ai un conseil à vous donner, dit-il, c'est 
        de faire vos paquets et de filer sur Alger! ". Puis il passa 
        la milice en revue. Les armes des miliciens étaient celles de bagarreurs 
        peu habituées à être briquées. Le général 
        s'arrêta devant un colon dont le fusil n'était rien moins 
        qu'éblouissant: la batterie surtout, encrassée de rouille 
        et de poudre, présentait une nuance roux foncé : " 
        Votre fusil, milicien, fit observer le gouverneur, n'est pas d'une 
        propreté excessive! " - " C'est possible, mon général, 
        mais permettez-moi de vous faire observer qu'un chien noir mord tout aussi 
        bien qu'un chien blanc ". Bugeaud 
        sourit et passa.
 
 En 1844, Boufarik connaîtra enfin une paix relative. Sa milice comprenait 
        alors 264 hommes et un tambour, 19 sous-officiers, 26 caporaux et 9 officiers. 
        Le bataillon de la ville comprenait trois compagnies de chasseurs intra 
        muros, une compagnie extra muros et une section de sapeurs-pompiers.
 
 A Alger, le service de garde et de patrouille était fatigant. Les 
        hommes n'éprouvaient guère de plaisir à gravir, la 
        nuit, les hauteurs de la Casbah pour y faire la police ou à passer 
        de longues heures dans les guérites. Ce fut au cours d'une de ces 
        patrouilles nocturnes, dans la partie supérieure de la rue de la 
           
        Casbah, que le notaire Auger fut grièvement blessé 
        d'un coup de couteau. Il en réchappa heureusement, et fut décoré. 
        Les miliciens s'évertuaient à esquiver un service peu agréable 
        à qui ne portait pas l'épaulette et certains parvenaient 
        à ne jamais prendre de tour de garde. D'autres, au contraire, les 
        prenaient presque tous les jours à leur place, moyennant un dédommagement 
        financier. Ceux-là en faisaient même un métier. Mais 
        en 1836, ce droit de remplacement fut limité aux seuls membres 
        de la famille. Puis, le 17 décembre 1841, un arrêté 
        le toléra seulement à l'intérieur du même bataillon, 
        ce qui donne à penser que le remplacement professionnel devait 
        se pratiquer auparavant sur une grande échelle entre les trois 
        bataillons d'Alger. Les abus durent cependant continuer puisque, le 14 
        avril 1843, Bugeaud prit un nouvel arrêté limitant les remplacements 
        à l'intérieur d'une même compagnie, ce qui diminuait 
        évidemment l'activité des remplaçants professionnels.
 
 " Il est probable, nous dit Aumeran dans ses Souvenirs algériens, 
        que l'autorité militaire, en créant tous ces divers corps 
        spéciaux, n'avait eu d'autre but que celui d'agrémenter 
        un service souvent pénible, en flattant la vanité bourgeoise 
        par la variété du costume. Celui des cavaliers était 
        élégant. Celui des éclaireurs l'était moins, 
        il y avait trop de jaune: le collet, les parements, le pourtour du képi 
        étaient jaunes. On se moquait des jeunes gens qui en faisaient 
        partie, en les traitant de serins, ce qui amena bien des querelles... 
        ". Les marins de la milice portaient la tenue de matelot, leurs 
        officiers l'uniforme de lieutenant de vaisseau ou d'enseigne. Mais tous 
        ces petits travers n'empêchaient pas les miliciens des divers corps 
        de faire leur devoir quand l'occasion s'en présentait.
 
 En 1847, un épisode comique fit jaser tous les Algérois: 
        une nuit, un milicien de garde, rue 
        Bruce, devant la Djénina,
 
 Après la révolution de février 1848, les milices 
        africaines changèrent d'appellation et devinrent les " milices 
        de l'Algérie ". Par un arrêté du 23 mars suivant, 
        le successeur du maréchal Bugeaud, le général Cavaignac, 
        abrogeait les textes plaçant les milices sous les ordres de l'autorité 
        militaire et remettait en vigueur l'arrêté du 28 octobre 
        1836. La première conséquence de cette décision fut 
        le retour à l'élection des officiers de la milice. Les officiers, 
        jusqu'au grade de capitaine, étaient élus par les miliciens, 
        tandis que les chefs de bataillon ou d'escadron, les porte-drapeaux, étaient 
        élus par les officiers et sous-officiers, et nommés par 
        choix. Le gouverneur général qui, par ailleurs, désignait 
        directement le colonel et le lieutenant-colonel, les choisissait sur une 
        liste de trois noms. Autre conséquence alors palais du gouverneur, 
        et s'ennuyant dans sa guérite, éprouva la fantaisie de transporter 
        celle-ci ailleurs. Ce milicien se nommait Soldini et avait été 
        recruté au titre étranger. Cet homme, un véritable 
        colosse, prit la guérite sur son dos et les rares promeneurs nocturnes 
        de ce quartier eurent la surprise de le voir descendre la rue du Divan, 
        s'acheminant vers la place du Gouvernement, alors place Royale, où 
        il déposa son édicule aux pieds de la statue du duc d'Orléans 
        ! L'affaire fit du bruit. Le terrible commandant de la place, le colonel 
        Marengo, qui détestait cordialement les fantaisistes, s'apprêtait 
        à infliger une condamnation exemplaire à celui qui avait 
        osé abandonner son poste en pleine nuit. Mais le chef de la milice, 
        le colonel Lacroutz, alla vite rapporter l'histoire au maréchal 
        Bugeaud qui s'en divertit si bien qu'il fit commuer la condamnation de 
        Marengo en une sévère réprimande du Conseil de discipline.
 Les milices de 
        l'Algérie
 Après la révolution de février 
        1848, les milices africaines changèrent d'appellation et devinrent 
        les " milices de l'Algérie ". Par un arrêté 
        du 23 mars suivant, le successeur du maréchal Bugeaud, le général 
        Cavaignac, abrogeait les textes plaçant les milices sous les ordres 
        de l'autorité militaire et remettait en vigueur l'arrêté 
        du 28 octobre 1836. La première conséquence de cette décision 
        fut le retour à l'élection des officiers de la milice. Les 
        officiers, jusqu'au grade de capitaine, étaient élus par 
        les miliciens, tandis que les chefs de bataillon ou d'escadron, les porte-drapeaux, 
        étaient élus par les officiers et sous-officiers, et nommés 
        par choix. Le gouverneur général qui, par ailleurs, désignait 
        directement le colonel et le lieutenant-colonel, les choisissait sur une 
        liste de trois noms. Autre conséquence, les jurys de révision, 
        au lieu d'être présidés par le tribunal civil de première 
        instance (arrêté du 12 décembre 1836), le furent par 
        le juge de paix.Une autre conséquence du changement de régime 
        fut que les Algérois voulurent déboulonner, le 28 octobre 
        suivant, la statue équestre du duc d'Orléans. Des miliciens 
        zélés s'y employaient déjà lorsque, selon 
        une légende, vint à passer un milicien israélite, 
        homme aux cheveux blancs et d'embonpoint sérieux. S'étant 
        enquis des motifs de cette agitation, notre milicien se vit répondre 
        que la République étant de nouveau proclamée, les 
        droits du peuple rétablis, les tenants de l'ancien régime 
        devaient disparaître. " Qu'est-ce que cela peut bien vous 
        faire, observa notre homme, et pourquoi vous en prendre à 
        celui- là qui ne coûte rien à nourrir? ". 
        Cette réflexion amusa extrêmement les émeutiers qui, 
        éclatant de rire et désarmés, abandonnèrent 
        leur besogne destructrice. C'est grâce à cette boutade frappée 
        au coin du bon sens que, paraît-il, la statue du fils aîné 
        de Louis-Philippe dut de se dresser longtemps encore sur la place du Gouvernement, 
        que les indigènes dénommèrent " Plaça 
        de l'Aoud ". Les milices algériennes  La Deuxième République n'ayant 
        guère duré, le coup d'État de 1851 amena, dans un 
        premier temps, le désarmement de toutes les milices. Puis, un décret 
        du 12 juin 1852, avec une légère modification de leur nom: 
        " les milices algériennes ", ordonna une réorganisation 
        de ces dernières. Le prince Louis-Napoléon, qui venait de 
        réviser les gardes nationales de la métropole, s'occupa 
        activement des milices del'Algérie. Il pensait que les unes et les autres ne devaient plus 
        constituer une " garantie contre le pouvoir ", mais être 
        une garan?
 tie contre le désordre et l'insurrection. Sans doute alors, sans 
        encore le dire, songeait-il à jeter les bases de son prochain Empire. 
        Quant aux nouvelles milices de l'Algérie, leur rôle principal 
        était de prêter main-forte à l'armée pour assurer 
        l'intégrité du territoire conquis à la civilisation 
        européenne.
 
 Devenu Napoléon III, l'empereur exposa, en 1865, dans sa Lettre 
        sur la politique de la France en Algérie, adressée au 
        maréchal de Mac-Mahon, gouverneur général de la colonie, 
        une idée qui préludait à celle qui allait présider 
        à l'organisation de la Garde mobile en France: tous les Français 
        participeraient au tirage au sort et ceux qui seraient désignés 
        pour le service de la milice, seraient versés dans la réserve 
        de l'armée active pour sept ans et feraient des périodes 
        d'instruction dans les régiments de ligne. Finalement, cette idée, 
        qui avait l'inconvénient majeur d'entraver les travaux de la colonisation, 
        ne reçut aucun commencement d'exécution en Algérie.
 
 Une nouvelle réorganisation fut décidée le 9 novembre 
        1859. La milice passait sous l'autorité du ministre de l'Algérie 
        et des Colonies dont les représentants, furent en Algérie 
        et suivant les territoires, les préfets et les généraux 
        de division. De nouvelles conditions d'âge, de profession et même 
        des cas d'indignité, furent prévues, différentes 
        questions étudiées et sanctionnées par un conseil 
        de recensement par commune présidé par le maire. Décision 
        dont il pouvait être fait appel devant le jury de révision 
        du canton présidé par le juge de paix.
 
 Il faut noter que depuis 1832, les milices recevaient des tenues de drap 
        plus adaptées aux climats nordiques qu'à celui de l'Algérie, 
        errements que de nombreux chefs stigmatisaient en vain.
 
 Un décret avait fixé l'habillement et l'équipement 
        des miliciens urbains et ruraux. Les premiers portaient une tenue bleu 
        roi, comprenant une tunique et une capote à collet écarlate 
        avec un rang de boutons portant l'exergue: Milices algériennes, 
        le pantalon pouvait être blanc en été.
 
 Les ruraux portaient une blouse de toile bleue au collet écarlate 
        ou en velours, suivant la subdivision d'armes. Les officiers coiffaient 
        un képi bleu avec liseré blanc et rouge; les hommes de troupe 
        avaient une casquette en carton recouverte de toile cirée. Les 
        officiers des formations rurales portaient l'uniforme des officiers des 
        unités urbaines, les signes distinctifs des grades demeurant ceux 
        de l'infanterie de ligne.
 
 Quant à l'équipement et à l'armement, ils consistaient, 
        pour les officiers, en un ceinturon de cuir noir et un sabre d'infanterie; 
        pour les sous-officiers, caporaux et miliciens, en une cartouchière 
        de cuir noir fermée par une agrafe de cuivre et supportant le sabre 
        d'infanterie (sous- officiers et caporaux) ou la baïonnette.
 
 L'historique des uniformes de la Garde puis de la Milice est assez malaisé 
        à établir car, compte tenu des instructions générales 
        visant à l'uniformité de la tenue, chacun y ajoutait avec 
        entêtement les caractéristiques de son arme d'origine. Jusqu'en 
        1848, beaucoup de miliciens de situation aisée s'achetaient leur 
        uniforme; mais à partir de cette date, l'administration fournit 
        elle-même les tenues des milices urbaines qui acquirent ainsi plus 
        d'unité. Quant aux ruraux, ils étaient seulement armés; 
        ce qu'ils souhaitaient au fond. Ceux-là, fortement intéressés 
        par la défense de leurs biens, n'éprouvaient nul besoin 
        de parader et se contentaient fort bien de leur blouse. Et, à ce 
        propos, une anecdote réjouissante nous est demeurée: un 
        jour, c'était en juin 1860, le maréchal Pélissier, 
        gouverneur général, annonça sa visite au centre de 
        Bordj-Ménaïel. Grand branle-bas de rassemblement de la milice 
        qui comptait beaucoup d'hommes en blouse. Longues discussions au conseil 
        de la compagnie : les uns proposaient de ne pas mettre les blousards sur 
        les rangs, les autres prétendaient que le maréchal, très 
        fouinard, demanderait le contrôle de l'effectif et que le remède 
        serait pire que le mal. On se résigna donc à rassembler 
        toute la compagnie en plaçant les blousards à la gauche 
        des hommes en tenue. Tout se passa bien jusqu'à ce que le duc de 
        Malakoff parvienne à hauteur de la gauche de la haie d'honneur. 
        Là, le gouverneur s'arrêta tout à coup et, d'une voie 
        tonnante, appela le capitaine commandant la milice, qui le suivait d'ailleurs 
        à trois pas.
 - " N... de D..., capitaine, qu'est-ce que ceux-là? 
        ".
 Sidéré, le pauvre homme, qui se voyait déjà 
        cassé de son grade, se mit à patauger lamentablement, sans 
        parvenir à trouver une quelconque explication.
 - " Monsieur le Maréchal ! ... Monsieur le gouverneur ! 
        ... Monsieur le Duc!... ".
 - " N... de D... ! lui rétorqua l'irascible maréchal, 
        voulez-vous que je vous le dise, moi! Eh bien, ce sont les moins bêtes 
        de votre compagnie. Au lieu de fondre dans leurs tuniques comme vous et 
        moi, ils sont au frais dans leurs blouses ! ".
 
 Dans chaque ville, l'armement matriculé avec un contrôle 
        tenu par le maire, était géré par un officier ou 
        un sous-officier: un capitaine à la légion, un adjudant- 
        major au bataillon, un lieutenant' au groupe de compagnie, un sous-lieutenant 
        à la compagnie, un sous-officier dans les subdivisions de compagnie. 
        L'officier d'armement passait une revue trimestrielle. Les officiers d'artillerie 
        en passaient une tous les ans, assistés d'un contrôleur d'armes 
        aux frais des communes. Ces revues avaient toujours lieu un dimanche.
 
 En temps ordinaire, les armes du service courant, en tout cas celles de 
        réserve, étaient déposées dans un local spécial, 
        sous la surveillance d'un tambour qui était appointé par 
        la commune, appointements fort chiches il est vrai. En Alger, dans les 
        premières années, ces tambours, préposés à 
        la garde des armes, furent logés dans la mosquée désaffectée 
        du Marché au Lin (Djama souk el Kettan), au 121 de la rue Porte-Neuve.
 
 Le journal satirique Le Moqueur du 19 novembre 1865, nous apprend par 
        une anecdote, que cette disposition demeurait encore en vigueur chez les 
        ruraux: à Duperré, près de Miliana, le tambour du 
        village ne battait que d'une seule baguette, laissant l'autre au baudrier. 
        À ceux qui s'en étonnaient, il répondait: " 
        Dame, dans les autres villages, on donne dix francs par mois au tambour.
 
 Les milices indigènes
 À toutes ces troupes d'appoint, il 
        faut ajouter une milice indigène qui fut créée à 
        Tlemcen, suivant un arrêté du gouverneur général 
        du 14 février 1842. Cette milice devait comprendre quatre compagnies 
        qui seraient plus spécialement attachées au service de la 
        province, mais qui marcheraient sous les ordres du commandant des troupes 
        françaises, partout où besoin serait. Chacune de ces compagnies 
        devait comprendre : un commandant indigène ayant le grade de lieutenant, 
        quatre sergents, dont un devait remplir les fonctions de fourrier, trois 
        caporaux, deux tambours ou clairons et cent miliciens, ce qui constituait 
        un effectif total de 110 hommes. Les quatre compagnies se trouvaient sous 
        le commandement d'un officier indigène ayant reçu le grade 
        de capitaine.
 La solde mensuelle de ces hommes était de 150 F pour le capitaine, 
        de 100 F pour les lieutenants, les sergents touchaient 1,50 F par jour, 
        les caporaux 1,25 F, les tambours ou clairons 1,05 F et les miliciens 
        1 F. Au moyen de cette solde, les officiers et miliciens devaient pourvoir 
        à tous leurs besoins et n'avaient droit à aucune autre espèce 
        d'allocation, soit en argent, soit en nature. Si les nécessités 
        de la guerre et des opérations obligeaient à leur délivrer 
        des vivres en campagne, la valeur de ces vivres ainsi distribuées 
        devait être prélevée sur leur solde. C'était 
        le commandant de la place de Tlemcen qui était chargé de 
        tenir la comptabilité générale de cette milice et 
        de faire payer la solde. Ajoutons qu'à ce bataillon de milice était 
        adjoint un médecin chirurgien. Le premier titulaire fut Benzergua 
        Mohamed, qui avait été le propre médecin d'Abd el- 
        Kader.
 
 Mais cette dénomination de " milice " était en 
        fait une réminiscence des milices turques de la Régence. 
        C'était une troupe auxiliaire composée d'anciens partisans 
        d'Abd-el-Kader, donc peu comparable à une milice populaire prenant 
        les armes pour sa défense ou celle de ses institutions. L'organisation 
        militaire de ce corps se rapprochait beaucoup plus des corps de tirailleurs 
        indigènes des autres provinces algériennes que des gardes 
        nationaux ou urbains de la colonie. Exception faite cependant pour les 
        gardes urbaines de Blida, Koléa et Djidjelli qui, à cause 
        de la proximité de l'ennemi et l'insécurité qui en 
        résultait, avaient été organisées militairement 
        dès le 28 mars 1841.
 
 À Dellys, deux sections de milice indigène furent formées 
        le 24 juin 1851. Leur maintien fut confirmé en juin 1852 et novembre 
        1859, ce principe étant reconnu avantageux.
 
 Comme ici, on ne me donne que cinq francs, je ne me servirai que d'une 
        baguette tant que je ne toucherai pas la paye réglementaire! ". 
        A la suite des revues, les armes étaient envoyées en réparation, 
        comme celles des corps réguliers, chez les armuriers militaires, 
        après avoir été versées au capitaine d'armement.
 Les milices du 
        Second Empire  À partir de 1860, l'époque 
        héroïque des milices s'estompait. La pacification de l'Algérie 
        paraissant terminée, les miliciens, faute d'occupation, semblaient 
        jouer au soldat. C'était là le résultat d'une période 
        de paix et de tranquillité qui avait assoupi les craintes dans 
        les esprits. A ce moment-là, la presse algérienne qui avait 
        toujours témoigné de la sympathie pour les milices, commença 
        à les moquer, à les égratigner même. À 
        cette époque, outre les journaux sérieux, tels que l'Akhbar, 
        le Mobacher ou Le Moniteur, l'Algérie voyait une légion 
        de périodiques humoristiques attaquer férocement tous ceux 
        qui, dans la colonie, leur servaient de tête de turc: le Moqueur, 
        le Chitann, le Bavard, la Goguette, le Lorgnon, le Tambour-Major, le Siroco, 
        etc. Puis, vers la fin de l'empire, cette presse se calma et cessa de 
        satiriser lorsque, le 28 octobre 1869, la milice d'Alger fut réorganisée. 
        Ce corps comprenait 991 miliciens, se décomposant en une compagnie 
        de sapeurs-pompiers de 170 hommes, un bataillon de francs-tireurs à 
        deux compagnies de 100 hommes, deux bataillons d'infanterie de huit compagnies 
        de 120 hommes fournis par la banlieue, une subdivision de la banlieue 
        adjointe à une compagnie d'Alger et une subdivision de cavalerie 
        de 50 hommes, au total 1 640 hommes. Les officiers étaient nommés 
        à l'élection générale et les chefs de bataillons 
        à l'élection des officiers.
 Puis ce fut la guerre et, immédiatement, le ton changea dans la 
        presse. " Les compagnies de miliciens et de francs-tireurs sont 
        maintenant organisées militairement et peuvent rendre des services 
        sérieux à l'Algérie, surtout au moment où 
        nos villes sont dépourvues de troupes régulières 
        ", écrivait le Lorgon du 14 août 1870.
 
 Et le 20 août, les cadres de la milice furent complétés 
        et renforcés, les compagnies réunies en unités solidement 
        commandées. Des corps de volontaires furent créés. 
        Les miliciens de 18 à 35 ans formèrent des corps mobilisables, 
        les employés de chemin de fer en service actif étant dispensés 
        du service de milice. Les autres constituèrent les sédentaires, 
        commandés par les officiers en second des compagnies, les officiers 
        en premier commandant les mobilisés.
 
 Les corps spéciaux : francs-tireurs, tirailleurs israélites, 
        volontaires algériens (créés le 8 août précédent, 
        un bataillon de 300 hommes) étaient toujours mobilisables. Le 6 
        octobre, le service de ces bataillons mobilisés fut complètement 
        réglé: solde, nourriture, campement, entrée en campagne, 
        étaient fixés. Et le 7 novembre, francs-tireurs et troupes 
        similaires reçurent l'ordre d'embarquer pour la métropole. 
        Précédemment, les 26 et 30 septembre, le préfet d'Alger 
        avait incorporé, dans les bataillons sédentaires du département, 
        les indigènes musulmans et les Espagnols âgés de 18 
        à 55 ans, en vertu d'une convention consulaire du 7 janvier 1862, 
        passée entre la France et l'Espagne. Mais le 30 novembre 1870, 
        les consuls d'Espagne et d'Angleterre ayant adressé des représentations 
        au sujet de l'incorporation forcée de leurs nationaux, l'administration 
        rappela, dans une circulaire, que cette méthode était irrégulière 
        et contraire au droit national, mais en profita pour se féliciter 
        du " zèle avec lequel un très grand nombre d'étrangers 
        se sont présentés pour entrer dans les rangs de la milice 
        ".
 La Garde nationale 
        de 1871 Dès le 11 mars 1871, tous les corps spéciaux autres que 
        les francs-tireurs, les cavaliers, les sapeurs-pompiers et les artilleurs 
        avaient été supprimés.
 
 Et le 31 mars suivant, la Garde nationale fut créée, " 
        mais la milice avait un passé trop glorieux pour disparaître 
        de cette façon, nous dit Maitrot de la Motte, et si quelques 
        pièces officielles... employèrent le terme nouveau, la dénomination 
        ancienne fut pieusement conservée ".
 Ce remaniement, survenu en pleine insurrection parisienne, eut pour résultat 
        appréciable d'équiper immédiatement, avec les francs-tireurs 
        et les artilleurs, des éléments utilisables dans toutes 
        les unités, fournissant ainsi, en chaque localité, un élément 
        mobile destiné à résister à une menace de 
        soulèvement.
 
 Le 29 avril, la milice passa toute entière sous le commandement 
        militaire. Le 15 mai, les miliciens reçurent pour solde : les hommes 
        1 F, les sous-officiers 1,25 F, les cavaliers percevant 0,25 F de plus. 
        D'autre part, les mobilisés eurent droit à une ration de 
        750 gr de pain par homme et une ration de fourrage par cheval, les officiers 
        continuant à percevoir la solde de première classe de leur 
        grade dans l'infanterie.
 
 Enfin, le 10 juin, les mobilisés mariés furent renvoyés 
        dans leurs foyers.
 
 Entretemps, depuis 1870, la milice jouait un rôle stabilisateur 
        dans la capitale algérienne, comme l'avait voulu le décret 
        de 1852, c'est-à-dire être une garantie contre le désordre 
        et l'insurrection, au milieu des troubles qui agitaient Alger.
 
 C'est ainsi que le maire, Romuald Vuillermoz, s'opposa au général 
        Walsin Esterhazy, gouverneur brutal et violent, qui arrivait précédé 
        d'une fâcheuse réputation d'antirépublicain.
 
 En 1876 enfin, les " milices " algériennes disparaîtront 
        et ne seront remplacées qu'en 1954 par des formations paramilitaires 
        d'esprit très différent: les Unités Territoriales,(voir) 
        dont nous connaissons tous le parcours et la fin.
 o Bibliographie:- ROZET (ingénieur-géographe), Relation de la guerre d'Afrique, 
        Didot, 1832.
 - PELLISSIER DE RAYNAUD, Annales algériennes, Paris, 1839.
 - LAUJOULET T., La France algérienne, revue septembre à 
        décembre 1845.
 - BODICHON (docteur), Études sur l'Algérie, Alger, 1847.
 - Ministère de la Guerre, Tableau de la situation des établissements 
        français dans l'Algérie, 1854.
 - ROUSSET Camille, L'Algérie de 1830 à 1840, tome t et il, 
        Plon, 1887.
 - TRUMELET (colonel), Boufarik, Alger, 1887.
 - AUMERAT, Souvenirs algériens, Blida, 1888.
 - KLEIN H., Feuillets 
        d'el Djezaïr, Chaix, 1910, 1912.
 - MAITROT DE LA MOTTE A., La milice africaine, Albi, 1929.
 
 Le secrétariat du Cercle algérianiste et de la revue l'algérianiste 
        est ouvert du lundi au vendredi, de 9 heures à 12 heures.
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