| L'action de l'armée 
        en faveur des jeunes et des femmes en Algérie Dans une étude très fouillée 
        (  D'Humières Henry, L'armée 
        française et la jeunesse musulmane. Algérie 1956-1962, 
        Éditions Godefroy de Bouillon, 40 rue de la Croix-Nivert, 75015 
        Paris, 2002, 306 pages dont de riches annexes sur les Harkis, sur les 
        S.A.S. dont celles du capitaine Montaner, sur le service militaire adapté, 
        et des extraits de Mémoire et Vérité des combattants 
        d'A.F.N.), qui rassemble directives officielles, extraits de 
        conférences, d'ouvrages historiques et témoignages de militaires 
        et de musulmans, le colonel Henry d'Humières présente un 
        tableau complet de la politique engagée en Algérie en faveur 
        de la jeunesse, dont il a été un acteur éminent et 
        passionné. Cette politique, totale et foisonnante, dans laquelle 
        les jeunes femmes n'ont pas été oubliées, a comporté 
        un grand nombre d'initiatives d'origines diverses, lancées initialement 
        par l'administration civile avant d'être reprises et amplifiées 
        par l'armée et par le bénévolat. Les initiatives 
        civiles Après avoir créé, en 
        septembre 1955, les Sections administratives spécialisées 
        (S.A.S.) destinées à encadrer et développer les zones 
        rurales, le gouverneur Soustelle est l'initiateur, en octobre, des Centres 
        sociaux qui, sous la conduite de Germaine Tillion, ont pour ambition d'élever 
        le niveau de vie des populations défavorisées; 300 moniteurs 
        dans 35, puis 65 Centres, dispenseront cette éducation, qui sera 
        cependant compromise par les imprudences de quelques-uns ( LACOUTURE 
        Jean, Le témoignage est un combat. Une biographie de Germaine 
        Tillion, Le Seuil, 2000, p. 254.). Ces Centres doivent compléter 
        le plan de scolarisation qui vise à créer 18000 classes 
        nouvelles, et auquel 2 000 appelés instituteurs, instruisant 70000 
        élèves en 1960, apporteront leur concours. La Direction 
        générale à l'action sociale développe dans 
        toutes les villes, avec le concours de l'armée, la formation professionnelle, 
        tandis que le plan Bernard prévoit en décembre 1957 de former 
        des jeunes sans travail dans des Centres en métropole et dans des 
        Centres urbains en Algérie. L'action de l'armée Du côté militaire, les premières 
        actions sont à Constantine en 1956 celles des groupes Sports et 
        Loisirs, et la formation dispensée par le Service d'entraînement 
        préparatoire aux réserves (S.E.P.R.). En pleine bataille 
        d'Alger, le général Massu fonde le premier Centre de formation 
        de la Jeunesse algérienne (C.F.J.A.) à Maison-Carrée, 
        en même temps qu'une Cité ouvrière de 200 lits et 
        un Centre de pré-formation professionnelle à Kouba. 
        Vingt-six C.F.J.A. qui sont confiés aux officiers S.A.S. fonctionnent 
        en juillet 1958. Parallèlement, l'armée crée trois 
        Centres militaires de formation professionnelle (C.M.F.P.) : Rivesaltes 
        en janvier 1958, Fontenay-le-Comte en juillet 1959, Alençon en 
        juillet 1961; chacun formera 300 jeunes dans des stages de six mois.
 Le besoin en animateurs a conduit le colonel Lacheroy, chargé de 
        l'action psychologique, à promouvoir un Centre d'entraînement 
        de moniteurs de la Jeunesse algérienne (C.E.M.J.A.) à Issoire 
        en juillet 1957, sous la direction du capitaine Lemaire. En janvier 1959, 
        un centre est créé à Nantes pour les monitrices, 
        dirigé par Mlles Clarens, puis à Longjumeau. 300 garçons 
        et 90 filles sont ainsi formés tous les six mois et rejoignent 
        les S.A.S. à la sortie, travaillant par équipe mixte franco-musulmane. 
        En 1960, il y a 700 S.A.S. et 30 S.A.U. (Sections administratives urbaines).
 
 En juin 1958, le général Salan a lancé les groupes 
        des Jeunes Bâtisseurs, comprenant 12 équipes mixtes (musulmans, 
        métropolitains et pieds-noirs), qui sont mis à la disposition 
        des S.A.S. et S.A.U. dans chaque zone (département). Une école 
        de cadres, dirigée à Cherchell 
        par le dynamique capitaine Moinet, avec le soutien du colonel Marey, forme 
        en trois semaines une centaine de cadres pour les Jeunes Bâtisseurs.
 
        
          |  Extrait de Le livre des Harkis, Taouès Titraoui et Bernard Coll,
 édité par Jeune Pied Noir, 1991.
 |  Un arrêté du ler décembre 
        1958 complète ce dispositif en créant une structure encadrante, 
        le Service de formation de la Jeunesse algérienne (S.F.J.A.), qui 
        sera dirigé par le général Gribius jusqu'en juin 
        1959, par le général Dunoyer de Segonzac jusqu'en juillet 
        1961, enfin par le général Boudjoua qui aura la charge de 
        dissoudre le service en juin 1962. Nul n'était mieux préparé 
        à cette mission que le général de Segonzac, " 
        le vieux chef " qui, en 1941, avait encadré le centre d'Uriage 
        où se trouvaient Paul Delouvrier et Hubert BeuveMéry. Voici 
        comment il définit les objectifs du Service:" Le S.F.J.A. se propose de donner une éducation à 
        la fraction de la jeunesse musulmane qui lui est confiée, en vue 
        de lui permettre de devenir maîtresse de son avenir personnel dans 
        un cadre français... La masse des jeunes de seize ans étant 
        considérable..., ce sont les meilleurs sujets que nous devons toucher 
        en opérant une sélection... indépendante de la classe 
        sociale, des diplômes acquis et des recommandations. On doit recruter 
        les éléments d'une véritable élite populaire... 
        Mais cette élite ne se présentera comme telle que si nous 
        avons su donner aux jeunes qui la composent une force, un élan, 
        des raisons de vivre et de s'imposer ".
 
 S'adressant aux jeunes filles, il précise le 31 mars 1960: " 
        Libérer la femme musulmane, c'est-à-dire lui donner une 
        place égale à celle de l'homme; voilà la mission 
        exaltante qui est proposée aux monitrices de Nantes... Elles doivent 
        croire à ce qu'elles font, croire à la réussite finale 
        de ce qui doit être pour elles un véritable apostolat, croire 
        à la beauté profonde de leur mission ".
 
 Les témoignages des instructeurs ( DUPONT 
        DE DINECHIN Bertrand, Algérie Guerre et paix, Nouvelles Éditions 
        Latines, 1992.) qui les ont formés, et des officiers 
        S.A.S. qui les ont employés, témoignent de l'enthousiasme 
        et de l'adhésion des jeunes qui y ont participé. C'est dire 
        la réussite de ce programme.
 
 Par le canal des Bureaux départementaux de la Jeunesse (B.D.J.) 
        et des S.A.S., le S.F.J.A. prend en compte les C.F.J.A., sous la forme 
        d'internats de quarante jeunes, il encadre des Foyers de jeunes, externats 
        d'une centaine de participants, et des Foyers sportifs qui rassemblent 
        60 000 garçons et 10 000 filles. En mai 1960 est créée 
        à Guyotville 
        une École de cadres pour jeunes de haut niveau. À 
        Rovigo, un Centre de formation de moniteurs agricoles instruit 80 jeunes.
 
 Foyers sportifs, Foyers de jeunes et C.F.J.A. (qui assurent la continuité 
        des Jeunes Bâtisseurs) ont pour mission de " donner aux 
        enfants et aux jeunes une éducation de base, le sens de leurs devoirs 
        de citoyens, et une initiation professionnelle ". C'est ainsi 
        qu'au troisième trimestre de 1960, sur 736 jeunes sortis des C.F.J.A., 
        520 ont été placés. Les moyens humains du S.F.J.A. 
        à la fin de 1960, sont de 46 officiers d'active, 316 officiers 
        du contingent, 1 400 moniteurs et 774 ouvriers professionnels. En 1961, 
        4 500 moniteurs et 300 monitrices seront en fonction dans 300 internats 
        et externats et 700 Foyers sportifs.
 
 En marge du S.F.J.A., la Commission Armées-Jeunesse organise des 
        stages d'étudiants métropolitains dans les S.A.S., et de 
        séjours de jeunes Algériens dans les Foyers Léo Lagrange 
        en métropole.
 Action au profit 
        des femmes S'agissant des femmes et des familles, l'opération 
        pilote du printemps 1957 dans l'ouest algérois a montré 
        la nécessité de leur venir en aide et de les faire évoluer. 
        Quarante-cinq personnels féminins de l'armée, renforcés 
        en fin d'année par le corps des Assistantes sanitaires et sociales 
        rurales auxiliaires (A.S.S.R.A.) forment alors des Équipes médico-sociales 
        itinérantes (E.M.S.I.). Au nombre de 340, elles coopèrent 
        avec les 200 attachées féminines des S.A.S., avec les sections 
        féminines du S.F.J.A. et avec les Cercles féminins de Mme 
        Massu (voir ci-dessous). Constituées d'une Européenne et 
        d'une Musulmane, les équipes vont d'un village à l'autre 
        pour apporter des soins, sous la responsabilité de 500 médecins 
        militaires. Elles donnent des leçons de couture et de puériculture 
        dans les mechtas, et encouragent la scolarisation des filles. La méfiance 
        de l'accueil initial fait place à l'enthousiasme et à ramifié.
 " Les jeunes femmes, écrit Georgette Brethes, responsable 
        E.M.S.I. dans le Titteri, 
        aspiraient à une vie meilleure, à l'européenne, nous 
        disaient-elles. Elles comptaient sur nous pour les aider à faire 
        comprendre à leur mère qu'elles ne voulaient pas être 
        mariées à un vieillard... Nous intervenions aussi auprès 
        des hommes, pour les mariages (En application 
        de l'ordonnance du 5 février 1959 sur le mariage des personnes 
        de statut coranique)  et les répudiations. Pour la pacification, 
        disait un officier, une E.M.S.L vaut un bataillon. Un certain nombre étaient 
        très fières d'être décorées de la valeur 
        militaire. Toutes n'ont pu être rapatriées ( 340 
        est l'effectif budgétaire, mais compte tenu du turn over, 800 jeunes 
        femmes ont été E.M.S.I. Dix ont été tuées 
        avant le cessez-le-feu, dont trois Françaises. On ignore combien 
        ont été massacrées en,1962.
 Certaines ont participé ensuite à l'encadrement des camps 
        d'accueil et des chantiers forestiers en métropole.), et 
        plusieurs A.S.S.R.A. ont payé de leur vie leur attachement à 
        la France. Cette tâche immense menée pour la promotion de 
        la femme musulmane fut accomplie par les E.M.S.I. avec un grand dévouement, 
        dans des conditions matérielles et morales souvent pénibles 
        ".
 Le bénévolat Reste l'action de bénévoles, 
        dont Suzanne Massu sera l'initiatrice. L'Association Jeunesse qu'elle 
        crée en avril 1957 bénéficie du financement d'un 
        mécène qui garde l'anonymat. Des Centres Jeunesse voient 
        le jour, ainsi que des Foyers de Yaouled, qui sont confiés au médecin-lieutenant 
        Sangline. L'association participe à la construction de la Cité 
        ouvrière de Maison-Carrée, crée le Foyer 
        de Bouzaréah, l'Internat de 
        Chéragas, et organise des colonies de vacances (100 
        jeunes) à Moumour dans les Pyrénées-Atlantiques.
 Enthousiasmée par les manifestations de fraternisation du 16 mai 
        1958, celle qui fut Rochambelle, lance à la radio l'appel célèbre:
 " À moi les femmes, toutes les femmes de bonne volonté. 
        Le feu de joie qui flambe sur le Forum ne doit pas s'éteindre. 
        Pour l'alimenter, il lui faut toutes les petites brindilles d'amour que 
        nous portons en nous. " Du Forum au foyer ", ce sera notre devise 
        pour que la grande réconciliation pénètre au plus 
        intime des populations. C'est là notre affaire, mes soeurs. Aidez-moi, 
        venez à moi, je suis Suzanne Massu à Alger, et je vous appelle 
        à l'aide ! ".
 
 Ainsi naît, avec le concours de Jeanine de La Hogue et de centaines 
        de bénévoles, femmes d'officiers, de sous-officiers, de 
        Françaises et de Musulmanes d'Algérie, le Mouvement de solidarité 
        féminine qui, en janvier 1960, comprendra 300 Cercles féminins, 
        regroupant 60000 femmes. L'opération " machines à coudre 
        " associera, grâce à Pierre Bellemare et à Radio-Luxembourg, 
        les femmes de France aux femmes d'Algérie. Guy Vincent, chef de 
        S.A.S. à Oran, évoque le suivi de cette opération:
 
 " Les femmes du bled découvrent et apprennent l'usage de 
        ces appareils... Le succès des ouvroirs auprès de la population 
        féminine est considérable... Cela va se traduire au cours 
        des années, par plusieurs évolutions notables. Par exemple, 
        les femmes se voilent de façon moins rigoureuse... Nous notons 
        à cette époque une certaine recherche dans la coquetterie. 
        Les vêtements sont plus recherchés, les couleurs plus vives... 
        Certains signes laissent nettement percevoir un franc désir d'émancipation, 
        surtout dans la lancée du 13 mai. Cela est particulièrement 
        sensible pour le mariage. Les jeunes filles manifestent le désir 
        de jouir d'une certaine liberté pour le choix des futurs époux. 
        Il s'agissait là, peut-être, de la véritable révolution 
        à réaliser en Algérie ".
 
 Préfaçant le livre d'Henry d'Humières, le général 
        Jean Delaunay se " demande pourquoi une action d'une telle envergure, 
        menée par des hommes (et des femmes) aussi compétents et 
        motivés, en complément d'opérations militaires de 
        pacification menées de façon victorieuse à partir 
        de 1958, n'a pas permis de retourner la situation algérienne ".
 
 Il en donne trois raisons :
 - " Cette campagne d'éducation a été lancée 
        trop tard. Malgré sa vigueur, elle n'a pas réussi à 
        rattraper plus d'un siècle d'inertie administrative, ni le retard 
        correspondant dans les mentalités... "
 - " Devant les atermoiements de la politique française 
        en Algérie..., le F.L.N. a réussi à s'imposer clandestinement, 
        mais efficacement par la terreur et la propagande... "
 - " Et par-dessus tout, les efforts faits sur le terrain furent 
        littéralement ignorés - voire trahis - de Paris car, loin 
        de laisser du temps au temps pour changer les mentalités, (on) 
        ne songeait alors qu'à se débarrasser du problème 
        ".
 Le livre du colonel d'Humières constitue sans nul doute une nécessaire 
        réhabilitation de l'action de pacification et d'éducation 
        de l'armée en Algérie.
 Maurice Faivre |