| Dans les pays musulmans où elle 
        a exercé sa souveraineté, la France a engagé dans 
        ses armées, comme soldats de métier, conscrits ou supplétifs, 
        des ressortissants des populations autochtones. En même temps, elle 
        a souvent confié à l'autorité militaire l'administration 
        de ces populations. Après avoir rappelé l'historique de 
        ces relations, cet exposé s'efforcera d'en dégager les caractères 
        généraux.
 HISTORIQUE
 Le véritable précurseur de l'engagement des Musulmans, si 
        l'on fait abstraction des Croisades (1) et de la défense de Gorée 
        en 1765, est le général Bonaparte qui, au cours de la campagne 
        d'Égypte, recrute des déserteurs turcs et des cavaliers 
        palestiniens, crée un régiment de Dromadaires et ramène 
        en France des chasseurs d'Orient et des Mameluks de la Garde (2)o Lors 
        de la conquête de l'Algérie, des unités de zouaves 
        et de chasseurs d'Afrique sont créées dès 1830 et 
        1831, puis des auxiliaires sont recrutés en 1835 dans les compagnies 
        d'infanterie; ce sont les fameux turcos, devenus tirailleurs en 1841, 
        et dont le modèle sera reproduit au Sénégal en 1857, 
        au Tonkin en 1879 et à Madagascar en 1895. Le corps des spahis 
        est mis sur pied en 1843 et les compagnies méharistes en 1894. 
        Des " Bureaux arabes ", auxquels succéderont les " 
        Affaires indigènes ", administrent les territoires militaires 
        à partir de 1844. En 1908, le général Lyautey crée 
        les goums marocains. En 1912 enfin, la conscription est instituée 
        en Algérie.
 
 Auxiliaires ou réguliers, ces combattants ont été 
        engagés au XIXe siècle dans toutes les campagnes militaires 
        de la France, Algérie, Crimée, Italie, Indochine, Mexique, 
        Tunisie et Madagascar. 13 900 Musulmans sont engagés dans les combats 
        de 1870- 1871 . En 1914-1918, 176 000 Musulmans d'Algérie dont 
        86 500 engagés volontaires, sont sous les drapeaux. A leur côté, 
        40 000 Tunisiens sont mobilisés. En 19391940, 123 000 Algériens 
        sont engagés dans la guerre en France. En 1942-1945, quinze classes, 
        comprenant 233 000 Musulmans, sont mobilisées en Afrique du Nord 
        et constituent " l'Armée d'Afrique " (3). Les successeurs 
        de cette armée servent ensuite dans les unités régulières 
        de tirailleurs, spahis ou chasseurs d'Afrique. En 1953, une trentaine 
        de bataillons nord-africains combattent en Indochine.
 
 Parallèlement, et en partant de l'infanterie de marine, Faidherbe 
        et Galliéni ont formé des bataillons de tirailleurs sénégalais 
        qui, de 1852 à 1892, établissent l'ordre colonial en Afrique 
        occidentale et équatoriale, au prix d'opérations qui eurent 
        leurs heures de gloire mais aussi leur part d'ombre. Créée 
        en 1900, l'armée coloniale constitue la Force noire sur laquelle 
        le général Mangin fonde les plus grands espoirs. Dix bataillons 
        sont engagés sur le front français en 1914, ils sont quarante-deux 
        en 1918, plus vingt-trois dans l'armée d'Orient. En 1939, dix divisions 
        d'infanterie coloniale (D.I.C.) sont sur pied et, en novembre 1943, 80 
        000 Africains sont engagés sur les théâtres d'opérations 
        contre l'Axe. Plusieurs bataillons participent ensuite aux conflits d'Indochine 
        et d'Algérie.
 
 Au début de la guerre d'Algérie, le recrutement des combattants 
        musulmans rencontre des difficultés en raison de la propagande 
        nationaliste, de l'indépendance accordée au Maroc et à 
        la Tunisie et des menaces terroristes. Des Sections administratives spécialisées 
        (S.A.S.) retrouvent alors la tradition des Bureaux arabes. L'amélioration 
        de la situation en 1959 (plan Challe et barrages frontaliers) permet une 
        rapide montée en puissance des soldats réguliers et supplétifs 
        (harkis, moghaznis, autodéfenses, etc...). Mais à partir 
        de 1961, la perspective des négociations se traduit par la démobilisation 
        des combattants musulmans, dont beaucoup subissent en 1962 les représailles 
        des rebelles. Une minorité de survivants est rapatriée en 
        métropole de 1962 à 1965.
 
 Caractéristiques des combattants musulmans
 La mobilisation sélective de combattants musulmans, limitée 
        par rapport à la ressource démographique, procure aux armées 
        françaises un appoint d'effectifs conséquents lors des deux 
        guerres mondiales, des guerres d'Indochine et d'Algérie. Cette 
        participation varie selon les territoires d'origine, Afrique du Nord ou 
        Afrique noire. Leur rusticité, leur aptitude au combat en montagne 
        et dans le désert, en font des combattants redoutables, qui doivent 
        être bien encadrés pour éviter les excès : 
        razzia, prise de butin et d'otages. Les taux de pertes confirment leur 
        courage au combat. Ils se distinguent en 1870 à Wissembourg et 
        Froeschwiller, sur le front de 1914 en France et à l'armée 
        d'Orient. Ils prennent une part importante aux campagnes de Tunisie et 
        d'Italie ainsi qu' au débarquement de Provence.
 
 En Algérie, l'efficacité des commandos de chasse est reconnue.
 
 Les relations, non exemptes de paternalisme, entre les cadres militaires 
        et les Musulmans se caractérisent par la fidélité 
        au chef, par la fra?
 ternité d'armes et le souci de promotion humaine. Les officiers 
        sont parmi les premiers à développer la connaissance scientifique 
        des populations indigènes. Admiratifs envers la piété 
        des Musulmans, ils observent avec inquiétude la montée de 
        l'islamisme. Ils sont attachés à leurs subordonnés, 
        défendent leurs intérêts quand ils sont traités 
        de façon inégalitaire et s'opposent aux politiques d'abandon.
 
 Survivances et imitations
 La décolonisation, lorsqu'elle a été violente, a 
        généralement rompu les liens entre l'armée française 
        et les peuples musulmans. Cependant certains cadres africains de l'armée, 
        fidèles aux valeurs qui leur ont été inculquées, 
        participent au développement politique et économique de 
        leur pays, tandis que des coopérants militaires forment leur armée 
        et que les soldats français de la paix perpétuent la tradition 
        humanitaire de leurs aînés. Bien que les Ier régiments 
        de tirailleurs et de spahis aient conservé les traditions de leur 
        corps d'origine, il n'existe plus dans l'armée française 
        d'unité de recrutement musulman. Les jeunes Français d'origine 
        maghrébine, après avoir été tentés 
        de faire leur service en Algérie, conformément à 
        l'accord Mauroy-Ibrahimi de 1983, optent désormais dans leur très 
        grande majorité pour le service dans l'armée française. 
        Ils en seront dispensés en l'an 2003, mais auront la possibilité 
        de s'engager, comme un certain nombre l'a fait lors de la guerre du Golfe 
        (4).
 
 En Algérie, le colonel Boumediene a fait appel dans les années 
        1960-1970 à d'anciens cadres de l'armée française 
        pour encadrer les Centres d'instruction de l'A.N.P. En revanche, les anciens 
        supplétifs sont toujours rejetés par l'opinion algérienne, 
        et par le pouvoir, qui accuse même les fils de harkis de fomenter 
        des actes de vengeance dans le cadre des groupes armés islamistes 
        (5).
 
 Au début de 1989, le roi Hassan II répond aux détracteurs 
        de la mosquée de Casablanca : "... je vais encore vous surprendre, 
        j'en arrive dans ces
 moments-là, tenez-vous bien, à regretter ces contrôleurs 
        civils et ces officiers des Affaires indigènes qui, sous le régime 
        honni de la colonisation, n'en avaient pas moins une connaissance intime 
        de l'âme marocaine et de l'islamisme qui l'irrigue... ".
 
 Dernière survivance, la recréation en Mauritanie, avec l'aide 
        d'officiers français, d'un escadron blanc dont les méharistes 
        bénéficient de moyens modernes (U.L.M. et G.P.S. de positionnement).
 Maurice Faivre Les estimations des effectifs sont souvent 
        contradictoires, par le fait que les troupes de souveraineté ne 
        sont pas toujours distinguées des forces engagées sur un 
        théâtre extérieur. Quant aux chiffres des pertes, 
        ils additionnent souvent les tués au combat, les disparus, les 
        morts de maladie et par accident, et les blessés non récupérables. 
        Les chiffres des tableaux joints sont donc des approximations qui peuvent 
        être contestées.Mobilisations cumulées, comparées à la population
 
  Notes :1 - Musulmans engagés par Tancrède et Renaud de Châtillon. 
        Turcopoles des Templiers.
 2 - A partir de 1806, le lieutenant Selve organise l'armée égyptienne 
        de Muhamed Ali, et le capitaine Boulin celle du Vizir de Constantinople. 
        Des troupes illyriennes sont levées en Dalmatie par Napoléon.
 3 - N.D.L.R. : l'Armée d'Afrique comprenait en outre, 176 000 hommes 
        issus des vingt- sept classes d'âge (de 19 à 45 ans) mobilisables 
        parmi les Français d'Afrique du Nord, soit 16,40 % de la population 
        (cf. l'algérianiste n° 65, p. 24).
 4 - De 1982 à 1997, 35 040 jeunes ont fait l'option algérienne, 
        mais seulement 1 635 ont été appelés. L'option constitue 
        en fait un moyen d'échapper à tout service. En 1995, pour 
        875 options, trente jeunes ont été appelés.
 5 - Journal El Watan du 31 octobre 1993 et 1er novembre 1994.
 Sources :
 - Général DELMAS, Naissance des Corps indigènes en 
        Afrique, in l'Épaulette 7/92, p. 31. - SHAT / Documentation, pour 
        le XIXe siècle et les campagnes d'outre-mer.
 - YACONO X., Histoire de l'Algérie, L'Atlanthrope 1994 pour les 
        guerres de 1870-1871, 1914-1918 et 1962...
 - MEYNIER G., L'Algérie révélée, Genève 
        1981, pour 1914-1918.
 - FRÉmEAux J., Les armées françaises pendant la Seconde 
        Guerre mondiale, colloque SHAT de 1985, p. 355.
 - AGERON C.R., Histoire de la France coloniale, A. Colin, 1990 pour 1939-1940 
        et 19431944.
 - CARLIER C. et PEDRONCINI G., Les troupes coloniales dans la Grande Guerre, 
        Économica, 1997.
 - RECHAM B., Les Musulmans algériens dans l'armée française. 
        1919-1939.
 - RivEs M. et DIETRICH R., Héros méconnus. Mémorial 
        des combattants d'Afrique noire et de Madagascar.
 - Général SPR,LMANN, De l'Empire à l'hexagone, Perrin, 
        1981.
 
 
 
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