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        -------Pendant 
          plus de cent ans, la France a compté dans les rangs de son armée 
          des Algériens musulmans dont il est inutile, tant cela est connu, 
          de rappeler qu'ils prirent une part active et glorieuse à notre 
          histoire militaire.-------L'armée 
          française avait su conquérir la confiance, l'estime et 
          le dévouement total de ces Arabes, Kabyles, Arabo-Berbères 
          qui servaient avec fierté dans les unités de tirailleurs 
          et de 
          spahis.
 -------Et 
          puis cette armée d'Afrique a disparu de notre horizon et si sa 
          présence physique n'est plus, son souvenir demeure dans le coeur 
          de tous ceux, Français de souche comme anciens tirailleurs algériens, 
          qui ont eu l'honneur de servir dans ses rangs.
 -------Notre 
          propos n'est pas de faire l'historique des unités de tirailleurs 
          nordafricains mais d'exposer brièvement quelques traits caractéristiques 
          de l'évolution de leur formation et du comportement de ces troupes.
 -------Tout 
          d'abord, les contingents indigènes furent considérés 
          comme des auxiliaires de l'armée. Issue des " bataillons 
          indigènes " recrutés dès le 1er octobre 1830 
          - soit trois mois après le débarquement à Sidi-Ferruch 
          -, et après bien des tâtonnements et des transformations, 
          une unité formant corps fut créée le 10 février 
          1840 comprenant un escadron de spahis et quatre compagnies d'infanterie. 
          En 1841, trois bataillons de " tirailleurs indigènes 
          " furent formés, un pour chaque province, avec officiers 
          français parlant obligatoirement arabe et officiers musulmans.
 -------Ce 
          n'est qu'en 1843 qu'un uniforme fut adopté, qui ne manquait ni 
          de coloris ni de pittoresque : veste arabe vert dragon, gilet et pantalon 
          de drap garance, ceinture cramoisie, calotte cramoisie avec gland bleu, 
          turban en coton rayé blanc et bleu, petit collet ou caban vert.
 -------À 
          partir de 1853, les bataillons prirent les caractéristiques d'une 
          troupe régulière et l'uniforme qui leur fut donné 
          resta à peu de chose près le même jusqu'en 1914 
          : pantalon et veste bleu ciel, caban bleu foncé, ceinture et 
          chéchia rouges. Le tombeau de la veste, ou fausse poche, distinguait 
          l'origine des bataillons : garance pour celui d'Alger, blanc pour celui 
          d'Oran et jonquille pour celui de Constantine.
 -------C'est 
          dans cet uniforme que fut créé, le 9 mars 1853, le " 
          régiment de tirailleurs algériens ". Le 1er janvier 
          1856 furent formés trois régiments, un dans chacune des 
          provinces, le premier à Alger, le deuxième à Oran 
          et le troisième à Constantine. Ce sont les trois ancêtres 
          dont tous les régiments de tirailleurs algériens sont 
          issus - et c'est depuis cette date qu'ils font vraiment partie intégrante 
          de l'armée française.
 Les " boujadi 
          " jeunes appelés -------Plus connus 
          sous le nom de " turcos ", ils participent à 
          toutes les campagnes du second Empire et de la IIIe République 
          : guerres de Crimée (1854-1855) et d'Italie (1859), campagne 
          du Sénégal (1860-1861) et de Cochinchine (18611864), guerre 
          du Mexique (1862-1867), guerre de 1870-1871 en Lorraine, aux armées 
          de la Loire et de l'Est, campagnes de Tunisie (1881-1883), du Tonkin 
          (1883-1886), de Madagascar (1895), colonnes de pacification en Algérie, 
          au Sahara, opérations au Maroc de 1907 à 1912.-------Partout 
          où la France combattait il y eut des tirailleurs algériens, 
          vrais guerriers, hommes de poudre, combattants ardents, téméraires.
 -------Les 
          qualités des contingents algériens incitèrent le 
          gouvernement à en tirer un plus grand parti pour étoffer 
          l'armée française, surtout devant les marées impérialistes 
          allemandes du début du xxe siècle. Le recrutement des 
          troupes nord-africaines se faisait uniquement par engagement et rengagement 
          jusqu'à la parution du décret du 3 février 1912, 
          qui instituait un recrutement de tous les Algériens âgés 
          de dix-neuf ans afin de pouvoir pratiquer l'appel de ces jeunes gens 
          et compléter ainsi les effectifs fixés par le ministère 
          de la Guerre.
 -------Le 
          1er août 1914, l'Algérie comptait 28 900 engagés 
          ou rengagés et 3 870 appelés - soit 13 % de boujadi (jeunes 
          appelés). Pendant la guerre 1914-1918, le nombre des engagés 
          fut de 80 000, celui des appelés fut le même. Plus de trente 
          régiments de tirailleurs prirent
 part à la Grande Guerre, au cours de laquelle leur conduite fut 
          digne des plus grands éloges.
 -------Après 
          la guerre, la proportion d'appelés fut variable ; certains régiments 
          en avaient 10 %, d'autres 30 %. Par un système de relève, 
          on peut dire que tous les bataillons de tirailleurs firent campagne 
          de 1918 à 1939, soit au Maroc, soit en Syrie, et ce furent de 
          très
 belles unités qui prirent part à la seconde guerre mondiale. 
          Pendant la malheureuse campagne de 1940, elles firent preuve de fermeté 
          dans l'adversité et d'un dévouement absolu. Les pertes 
          furent cruelles.
 -------Plus 
          tard, les unités de tirailleurs, reformées avec les " 
          restes " et des engagés, sous l'impulsion d'abord du général 
          Weygand, puis du général Juin, furent le fer de lance 
          de l'armée française de la reconquête. Le corps 
          expéditionnaire français en Italie, la 1è armée 
          en France, en Alsace, en Allemagne, eurent un noyau d'infanterie algérienne 
          et marocaine qui fut à l'origine de bien des victoires - Garigliano 
          et passage du Rhin, pour n'en citer que deux.
 -------Mais 
          qu'étaient-ils donc, ces hommes du Maghreb, si attachés 
          et si fidèles au drapeau français ?
 -------Deux 
          types bien distincts composaient l'armée d'Afrique. L'Arabe, 
          grand, au teint plus foncé, le nez légèrement busqué, 
          bavard et enthousiaste, aimant la fantasia, dépensier, parfois 
          nonchalant et négligent. Le Kabyle, de taille moyenne, figure 
          ronde, aux yeux clairs, souvent taciturne, travailleur, industrieux, 
          cherchant à " gagner du galon ", économe.
 La fidélité 
          au chef... -------Tous étaient 
          courageux, résistants, marcheurs infatigables, enclins à 
          la chikaya, aux disputes, rancuniers parce que susceptibles... Mais 
          toutes ces imperfections étaient effacées par une qualité 
          précieuse : la fidélité au régiment et à 
          la personne du chef qui les commandait directement.-------Combien 
          d'officiers et de sous-officiers ont eu la vie sauve grâce au 
          dévouement total d'un de leurs tirailleurs, en particulier de 
          leur ordonnance ! En juillet 1925, dans la région de M'Sila (Rif 
          oriental), au cours d'un combat rapproché, le tirailleur Arab 
          ben o Mohamed, ordonnance d'un sous-lieutenant, se porte auprès 
          de son chef et lui fait un rempart de son corps. Il est tué. 
          Le sergent Amrouche se tourne alors vers un tirailleur et lui dit : 
          " Ahmed, prends la place. " Ahmed, un colosse de 1,80 m, couvre 
          de sa haute stature son jeune chef de section.
 
 |  | -------Jamais un 
        mort ou un blessé n'était abandonné sur le terrain, 
        au besoin toute la compagnie participait à son ramassage.-------Cette 
        fidélité, cet attachement, s'expliquent par la forme même 
        du service dans les unités nord-africaines et aussi par le besoin 
        que le tirailleur éprouve d'être commandé par un gradé 
        qu'il connaît.
 -------Avant 
        1940, l'appelé ou l'engagé était mis à l'instruction 
        pendant près d'un an, puis affecté à une section 
        d'une compagnie ; il y restait le temps de son
 service légal ou le temps de son contrat. Ceux qui rengageaient 
        restaient dans leur compagnie d'origine.
 D'autre part, il était normal pour un officier sortant d'une école 
        de faire cinq ou six ans à la tête de sa section. Il était 
        fréquent pour itn officier de servir dans un régiment de 
        tirailleurs pendant plus de quinze ans de sa carrière (au cours 
        de plusieurs périodes).
 -------C'est 
        ainsi par exemple qu'un bataillon du 22e R.T.A. quitta Verdun en juin 
        1915 pour le Maroc et y retourna en novembre 1916 avec les cadres qui 
        n'avaient pas été mis hors de combat. Cette continuité 
        dans le commandement et le service à long terme de la troupe donnaient 
        une valeur exceptionnelle aux unités de tirailleurs.
 -------Si 
        la victoire de 1945 avait effacé la défaite de 1940, les 
        campagnes d'Italie, de France et d'Allemagne avaient creusé de 
        grands vides dans les régiments de tirailleurs. Ils finirent la 
        guerre usés. Les pertes avaient été particulièrement 
        sensibles parmi les gradés, sergents, caporaux-chefs et caporaux, 
        qui avaient payé très cher leurs galons et qui formaient 
        l'ossature solide des petites unités.
 -------Aussi, 
        lorsqu'il fut nécessaire de diriger d'urgence vers l'Indochine 
        des unités de tirailleurs, celles-ci ne représentaient pas 
        la valeur qu'elles avaient avant 1940, car pour honorer les tableaux d'effectifs 
        de l'encadrement, il avait fallu procéder à des nominations 
        de gradés qui n'avaient ni l'autorité, ni l'expérience, 
        ni la maturité pour assumer le commandement d'une troupe qui elle-même 
        était jeune et dont l'instruction, en raison des circonstances, 
        avait dû être faite très vite.
 La déception 
        de l'Indochine -------Par la suite, 
        la relève des effectifs en Indochine se fit par l'envoi de renforts 
        dont une partie des cadres seulement avaient dirigé leur instruction 
        et leur mise en condition de départ. Tout cela ne contribuait guère 
        à valoriser les unités de tirailleurs.-------Cette 
        troupe aurait eu besoin de victoires et si elle eut des engagements heureux, 
        dans son ensemble, elle fut déçue par notre éviction 
        d'ExtrêmeOrient.
 -------À 
        peine de retour en Algérie, elle fut engagée dans les opérations 
        de maintien de l'ordre et de répression de la rébellion. 
        C'était beaucoup demander. Et pourtant, jusqu'en 1956, le tirailleur 
        demeura fidèle à son régiment, à ses chefs. 
        Après cette date, des régiments furent renvoyés en 
        France ; en revanche, des unités restèrent hautement fidèles 
        jusqu'à la fin de la présence française en Algérie.
 -------Même 
        après avoir quitté l'armée le tirailleur restait 
        attaché à son passé militaire. Pour s'en convaincre, 
        il suffisait de regarder avec quelle fierté il portait ses décorations 
        sur son burnous et comme il témoignait une touchante amitié 
        aux chefs qui avaient servi en Afrique du Nord. Comme ce sergent retraité 
        et chef de son village dans l'Aurès qui ccueillait, en 1942, un 
        capitaine en lui déclarant qu'il refusait la défaite de 
        1940. " Il y aura d'autres batailles ", disait-il et 
        il ajoutait : " Le général de Gaulle en Angleterre, 
        le maréchal Pétain en France, ce sont des chefs français 
        qui s'entendront pour rouler les Allemands. " Que de bon sens 
        et de foi dans la France !
 -------Un 
        colonel rencontre en ville un ancien caporal de son régiment. Ils 
        boivent ensemble un café. On parle des anciens. Il y a des silences 
        en se regardant les yeux dans les yeux ; puis, tout à coup, ce 
        vieux soldat se penche vers son ancien chef et lui dit : " Tu vois, 
        toi et moi, tous les deux ensemble, on est bien. " Oui, on " 
        était bien " dans un régiment de tirailleurs où 
        chacun avait choisi de faire carrière.
 -------Après 
        plus d'un siècle d'existence, les régiments de tirailleurs 
        n'existent plus. Ces vieux soldats, ces fiers guerriers, sont tombés 
        au service de notre pays, en France, en 1940, en Tunisie, en 1943, en 
        France de nouveau, pour la libérer, en Allemagne, en 1944 et 1945. 
        Ceux qui avaient survécu se sont usés physiquement et moralement 
        ou sont morts dans les rizières d'Indochine.
 
 
        
          | -------Les 
            tirailleurs algériens écrivirent pour l'armée 
            française des pages parmi les plus glorieuses de son histoire. 
            Au cours de la guerre 1914-1918, leur discipline et leur courage leur 
            valurent les plus hautes distinctions. Au cours de la 2° guerre 
            mondiale, ils renouvelèrent leurs exploits, en Tunisie, puis 
            en Italie. Ils furent parmi les remarquables combattants qui, à 
            Cassino, obligèrent la Wehrmacht à se replier. C'est 
            la 3° division algérienne, sous le commandement du général 
            de Monsabert, qui, au prix de combats acharnés et de lourdes 
            pertes, enleva le Belvédère et ouvrit une brèche 
            dans la ligne Gustav. Les tirailleurs algériens participèrent 
            avec les pieds-noirs au débarquement en Provence et à 
            la libération de la France. A leur retour d'Indochine, la majorité 
            d'entre eux reprit le combat en Algérie, essentiellement dans 
            les montagnes, pour mener une guerre, qui, au départ, leur 
            était incompréhensible. |   -------Que 
        reste-t-il de ces magnifiques guerriers ? Des tombes dans bien des continents, 
        des milliers de Légions d'honneur, 120 000 médailles militaires 
        en
 Afrique du Nord, des centaines de milliers de croix de guerre, des drapeaux 
        décorés de la Légion d'honneur, de la médaille 
        militaire et de la croix de guerre.
 -------Il 
        demeure aussi, pour l'armée française, le souvenir d'avoir 
        compté dans ses rangs des Algériens, arabes et kabyles, 
        qui ont accompli leur devoir avec honneur et fidélité.
 -------Et 
        pour tous ceux qui ont servi dans les unités nord-africaines, Français 
        de souche et Algériens, la satisfaction et la gloire d'avoir combattu 
        côte à côte dans les rangs d'une troupe d'élite.
 Général 
        André LENORMAND
 
 
 
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