
          L'explosion de la poudrière 
          de l'Amirauté 
        C'était le huit 
          mars 1 845. Dix heures et quart du soir. La foule des noctambules se 
          pressait dans la rue de la Marine sur la place Royale, se prolongeant 
          jusqu'aux rues Bab-Azoun et Bab-el-Oued, profitant de cette fin de journée 
          si douce à la veille du printemps.
          
          Soudain une formidable explosion retentit du côté de l'Amirauté, 
          suivie par une série d'autres non moins fortes, qui semblaient 
          autant de bordées lâchées par quelque navire... 
          Une terreur panique saisit d'abord les Algérois, interdits par 
          ce phénomène inconnu. Puis la foule en masse se précipite 
          vers le port, vers tous les points d'où elle pense pouvoir se 
          rendre compte de ce qui s'est produit.
          
          Dans la nuit sans lune, c'est le grand noir, et le phare de l'Amirauté 
          lui-même ne brille plus. On descend à la Marine et un spectacle 
          affreux attend les arrivants. Des blessés hurlant de douleur, 
          des gens courant dans les ténèbres, s'offrent d'abord 
          à la vue. Puis un énorme monceau de décombres, 
          des maisons en ruines... Bientôt le doute n'est plus permis : 
          c'est la poudrière de la Marine qui a sauté !
          
          On avait cru tout d'abord, à constater que le phare était 
          éteint que celui-ci avait fait explosion... " Conjecture, 
          écrit " l'Akhbar " du 9 mars, qui n'était pas 
          fort éloignée de la vérité. Les premiers 
          qui arrivèrent à la Marine eurent en dépassant 
          le bâtiment de l'Amirauté un spectacle de ruine et de désolation 
          difficile à décrire. Une partie du rempart casemate situé 
          entre la vieille tour espagnole connue sous le nom de Penon, et le port, 
          les maisons adossées à ce rempart n'étaient plus 
          qu'un monceau de décombres d'où s'échappaient des 
          malheureux plus ou moins mutilés couverts de sang et de poussière. 
          
          
          Le pavillon habité par le commandant Pallard, sous-directeur 
          de l'artillerie avait été emporté ainsi que les 
          logements habités par des compagnies d'ouvriers artilleurs et 
          de pontonniers. Le logement du Commissaire de la Marine était 
          abattu et il n'en restait plus qu'un pan de mur, la maison du Directeur 
          du Port avait éprouvé le même sort à l'exception 
          d'une pièce restée à peu près intacte... 
          "
          
          Aussitôt les secours s'organisent malgré les difficultés 
          de l'obscurité. L'amiral commandant la Marine, alerté 
          fait débarquer les équipages des bâtiments de guerre 
          tandis que les troupes de la garnison accourent sur lés lieux 
          du sinistre.
          
          " Les explosions, cause de ces désastres, avaient eu lieu 
          dans deux magasins séparés l'un de l'autre par le fossé 
          qui règne autour de la vieille tour espagnole sur laquelle se 
          trouve le phare. Le feu allumé dans l'un, pour une cause encore 
          inconnue se sera communiqué à l'autre ", ajoute le 
          journal local.
          L'événement était d'autant plus imprévisible 
          que depuis deux semaines nul n'avait pénétré dans 
          les magasins et que ceux-ci, en outre, étaient gardés 
          par de doubles portes.
          
          L'inventaire qu'on possédait montrait qu'ils ne contenaient qu'une 
          petite quantité de poudre et des grenades dont la fabrication 
          remontait avant la conquête. Il y avait aussi des boites à 
          balles, des biscaïens et des obus, tous ces projectiles appartenaient 
          à la Marine.
          
          On se perdait donc en hypothèses quant à la cause du sinistre, 
          cependant que les bruits les plus divers se faisaient jour dans la ville. 
          On voulait y voir un attentat et la nouvelle fut colportée qu'on 
          avait trouvé le corps d'un maure, d'aucuns disaient d'un nègre, 
          parmi les décombres et que ce devait être l'auteur de la 
          catastrophe, payant de sa vie ce crime dû au fanatisme.
          
          Quoiqu'il en soit les effets terrifiants de l'explosion, eu égard 
          au peu de matières inflammables contenues dans les réduits 
          ne s'expliquait pas. On en vint à penser que quelque dépôt 
          ignoré de poudre et de munitions remontant avant notre occupation 
          pouvait bien avoir existé et expliquerait la violence de cette 
          catastrophe. Avant que la lumière ne fut faite, si elle devait 
          l'être quelque jour, on se félicitait de ce que le parc 
          d'artillerie qui était proche n'eut pas été atteint, 
          car il renfermait six prolonges chargées de trente barils de 
          poudre et de trente caisses de cartouches... 
          
          " Outre les ravages dont nous venons de parler, écrit encore 
          " l'Akhbar ", plusieurs accidents de moindre importance ont 
          eu lieu. D'énormes pierres lancées à près 
          de deux cents mètres et retombant d'une hauteur considérable 
          ont causé quelques avaries dans le port, notamment sur le " 
          Bouberak ". On a trouvé de ces blocs sur les terrasses de 
          l'Amirauté ; un obus a fait une large brèche dans la chambre 
          de l'aide de camp de l'Amiral et y a éclaté, les vitres 
          se sont brisées partout dans la rue de la Marine et sur plusieurs 
          autres points ".
          
          Le nombre des victimes était, on le pense considérable. 
          Les Services de l'Artillerie comptaient 88 morts et 11 blessés. 
          Le lendemain à l'appel il manquait 135 militaires, dont 48 blessés. 
          Au nombre des morts figurait le chef d'escadrons d'artillerie Pallard.. 
          On disait qu'il n'avait accepté qu'avec beaucoup de répugnance 
          cette place de sous-directeur de l'Artillerie, et qu'il avait hésité 
          pendant un mois à venir s'installer dans le logement ou il devait 
          trouver la mort ; enfin par une étrange fatalité, il avait 
          été le soir même au spectacle et contrairement à 
          son habitude il l'avait quitté avant la fin.
          
          Les enquêtes succédèrent aux enquêtes pour 
          parvenir à déterminer la cause de l'explosion. On finit 
          par aboutir à cette conclusion, qu'il existait entre le magasin 
          aux poudres et le logement des ouvriers, un réduit. Ce réduit 
          avait servi à recevoir des munitions du temps de l'occupation 
          des turcs, il était inoccupé et fermé. Un ouvrier 
          imprudent avait dû l'ouvrir et y avait pénétré 
          une lumière allumée à la main. Du poussier de poudre 
          en suspension avait pris feu, gagné les poudres et déterminé 
          l'explosion du magasin supérieur.