
          
          LES MYSTÈRES DU VIEIL ALGER
          LA CHAMBRE SANGLANTE DE L'AMIRAUTÉ 
        A côté d'Alger 
          la Blanche se dresse El-Djezaïr la Rouge, sanglante par les cruautés 
          qu'ont exercées les Turcs sur les malheureux esclaves chrétiens. 
          Des traces de carnage sont restées çà et là, 
          notamment dans un réduit peu connu de l'Amirauté. Sous 
          la voûte qui conduit au môle, un escalier d'une vingtaine 
          de marches environ donne accès à une salle. Son aspect 
          est sinistre. Les murs sont couverts d'empreintes de mains ensanglantées. 
          Comment ? Par qui ? A quelle époque des scènes de sauvagerie 
          ont-elles eu lieu ? 
          
          Deux historiens de l'Ancien Alger, M. Fritz Muller et M. Alfred Imbert, 
          se sont intéressés à cette question. M. Fritz Muller, 
          dans la Revue Nord-Africaine, a donné, en 1906, une monographie 
          de ce lieu sinistre. Deux ans plus lard, dans une monographie de l'Amirauté. 
          M. Imbert en signala l'existence. Mais aucun d'eux n'arriva à 
          soulever le voile et à percer le mystère. 
          
          En fouillant l'histoire de la Régence, nous croyons pouvoir déterminer 
          l'époque à laquelle ces faits se sont déroulés 
          et dire ce qui s'est passé entre ces murailles sanglantes. 
          
          Cette salle de carnage est placée, en face de la " Consulaire 
          ", pièce de canon ainsi nommée car c'est sur elle 
          qu'on attachait, au XVIIème siècle, les consuls rebelles 
          à supplicier. Elle fut fondue par un Vénitien, en l'an 
          1542. 
          
          On l'appelait à cette époque " Baba-Merzoug, " 
          père j fortuné " : elle servait à la défense 
          du môle. Il existait peu de constructions en cet endroit: vers 
          1560 la j jetée fut surélevée et, en 1575 Arab 
          Ahmed fit construire deux tours de vigie avec fanaux. 
          
          Ce ne fut qu'en 1666 et 1667, sous le règne de Mohamed Ranzy, 
          que fut construit, le fort Bordj-es-Sardin où se trouve la chambre 
          sanglante. 
          
          A cette époque, elle servait de corps de garde au bordj. Deux 
          entrées : l'une extérieure, encore visible aujourd'hui 
          : l'autre, intérieure, donnant accès au fort.
          Ce fut le 29 juillet 1823 que les Turcs attachèrent à 
          la bouche de la " Consulaire ", le Père Levacher, préfet. 
          apostolique, faisant fonctions de consul à Alger. 
          Étant dans un état de faiblesse extrême, il fut 
          transporté sur une chaise jusqu'au canon. Il périt ainsi, 
          après avoir passé trente-six ans à soulager les 
          pauvres esclaves chrétiens de Tunis et d'Alger, et vingt ans 
          à défendre les intérêts de la France dans 
          les états barbaresques.
          
          Comme le permet de le constater le manuscrit de 1705, ce n'est que sous 
          le bombardement du maréchal d'Estrées que commencèrent 
          les atrocités dans la salle du corps de garde du bordj-Es-Sardin. 
          
          
          Dès le début du bombardement, Mezzomorto, dey d'Alger, 
          songea à mettre les principaux Français à la bouche 
          du canon, après leur avoir fait subir maints supplices, comme 
          les Mémoires de la Congrégation de la Mission nous en 
          ont conservé le tragique souvenir. Le consul Piolle fut tellement 
          martyrisé qu'il fut attaché mourant à la bouche 
          du canon. 
          
          Ceux qui le suivirent, notamment. M. Michel Montmasson, vicaire apostolique, 
          durent subir des tortures atroces avant d'être exécutés. 
          Quarante-deux Français eurent le même sort. 
          
          D'ailleurs, voici ce que dit, le manuscrit de 1705 : "... Comme 
          les rues étaient pleines de débris des maisons renversées 
          par les bombes, on fut contraint de mener en bateau M. Michel Montmasson 
          du bagne, à la " Consulaire ", c'est-à-dire 
          du fort Bab-Azoun au môle, où il devait finir sa vie au 
          milieu des supplices. 
          Quand le vicaire apostolique fut arrivé au môle, on le 
          rendit eunuque, on ne l'expédia pas de suite, on le laissa longtemps 
          languir et il dut, assister au supplice, de ses compagnons avant, d'être 
          lui-même exposé aux derniers excès de leur fureur. 
          Ils ne l'exercèrent pas sur lui tout entière à 
          la fois, mais peu à peu et progressivement. Un Turc lui coupa 
          une oreille et le nez, un autre lui creva un il et lui donna un 
          coup de couteau dans le gosier, un Maure à qui les bombes avaient 
          détruit trois maisons, se jeta sur lui avec fureur, le mordit 
          au bras profondément et lui coupa la barbe, entamant la joue. 
          
          C'est. dans cet état pitoyable que. sans pousser une plainte, 
          il fut attaché en croix de Saint-Andrée à la " 
          Consulaire ", le 5 juillet 1688. Ses compagnons de misère 
          furent pendus par les pieds, la tête en bas et le ventre contre 
          l'embouchure du canon. " 
          
          C'est ainsi que, au XVIIème siècle, sous la domination 
          turque, périrent, au milieu des supplices, les représentants 
          de. la France. 
          La chambre sanglante, avec les empreintes des mains des bourreaux, est 
          restée comme le témoignage des tortures infligées 
          à nos malheureux compatriotes. 
          Le voisinage de la " Consulaire ", le manuscrit de 1705, l'emplacement 
          de la salle, son état actuel ou l'on peut relever encore les 
          empreintes de la tragédie barbaresque, attestent l'exactitude 
          des faits qui se sont déroulés dans ces lieux. 
          
          Souhaitons que le Comité du Vieil Alger, à qui rien de 
          ce qui touche l'Histoire de notre ville ne demeure indifférent, 
          prenne un jour, sous sa protection, ce souvenir du passé.