|  Ce village de la Mitidja occidentale construit à une altitude de 
        169 m est séparé du littoral par le lac Halloula dont les 
        eaux furent longtemps privées d'écoulement vers la mer par 
        les collines du Sahel d'Alger, notamment celles de Montebello situées 
        au nord d'Ameur-el-Aïn.
 Ameur-el-Aïn a été créé en 1848 sur 2 
        000 hectares et ce n'est qu'en 1855 qu'il accéda au statut de commune 
        de plein exercice avec un territoire successivement agrandi pour être 
        porté à 5 937 hectares en plaine.
 
 La proximité du lac Halloula alimenté par des résurgences 
        souterraines ainsi que par des oueds issus du massif blidéen constitua 
        durant de nombreuses années un obstacle au peuplement du nouveau 
        centre, notamment durant la deuxième moitié du xixe siècle 
        où, fuyant la misère, des populations d'Europe occidentale 
        s'embarquaient pour l'Amérique et l'Afrique du Nord.
 
 En raison des difficultés rencontrées pour peupler Ameur-el-Aïn, 
        en janvier 1851, la presse algérienne signalait l'arrivée 
        d'un premier contingent de 600 citoyens helvétiques originaires 
        de la commune de Sesson dans le canton de Vaux, sous la conduite de M. 
        Bruchet instituteur de ce bourg. D'après Julien Franc, près 
        de la moitié furent dirigés sur Ameur-el-Aïn où 
        tout, dans le futur village restait à créer. Par la suite 
        deux contingents d'immigrés helvétiques arrivèrent 
        en Algérie et notamment à Philippeville. Enfin le 4 mai 
        1865, un quatrième convoi de 215 personnes arriva à Alger 
        parmi lesquelles, 57 furent envoyées à Ameur-el-Aïn. 
        En raison de l'humidité et de la chaleur, ces immigrants fragilisés 
        par la misère et la sous-alimentation furent décimés 
        par des anémies et diverses affections comme le goître, les 
        maladies infectieuses ainsi que par les fièvres paludéennes. 
        Il y aura parmi eux une cinquantaine de morts inhumés dans la partie 
        ancienne du cimetière qui, comme dans de nombreux autres villages 
        de la Mitidja, devra être agrandi. Jusqu'en 1962, les descendants 
        des survivants seront affectés par des séquelles du paludisme.
 
 À ces malheureux immigrants helvétiques viendront se joindre 
        des Alsaciens ainsi que des Francs-Comtois, puis des immigrés du 
        bassin méditerranéen qui, bien que plus résistants, 
        ne seront pas épargnés par les maladies paludéennes. 
        Valenciens, Minorquins, Siciliens, Amalfitains débarquent dans 
        les ports algériens où dans un premier temps, ils trouvent 
        immédiatement de l'embauche sur les quais comme dockers ou gratteurs 
        de carènes au fond d'un bassin de radoub. Ce n'est que dans un 
        deuxième temps, qu'ils seront employés dans la construction 
        des routes et voies ferrées. Le travail ne manque pas dans les 
        champs où ils manient avec les autochtones et au même salaire, 
        la sape et la binette. Dans les jardins, ils nivellent des planches pour 
        l'irrigation des légumes ou des jeunes arbres. Avec les autres 
        ouvriers, ils excellent dans les travaux de taille, de greffage et dans 
        la confection de corbeilles, tandis que d'autres fabriquent du charbon.
 
 Comme métayers d'abord, la culture du tabac leur ouvre la perspective 
        de devenir propriétaires d'un petit lopin dans la plaine.
 
 Il faudra attendre la fin du xixe siècle, pour qu'une conduite 
        souterraine évacue vers la mer, les eaux du lac Halloula. Cette 
        période marque le début d'une sensible augmentation de la 
        population de ce centre. Les propriétés situées au 
        nord du village sur les rives du lac Halloula y trouveront, après 
        son asséchement, des possibilités d'extension. Les superficies 
        autrefois inondées se couvrent de fermes 
        nichées au milieu d'eucalyptus, entourées de vignobles gros 
        utilisateurs de main d'oeuvre.
 
 Avec l'extension de son vignoble sur les marécages du lac, Ameur-el-Aïn 
        ainsi que son hameau de Chatterbach, situé au sud-est, connaissent 
        un rapide développement démographique.
 
 Entre 1899 et 1901, la population passe de 1659 à 1988 personnes, 
        dont seulement 562 Européens. L'effectif d'immigrés européens 
        restera à peu près stable en raison d'un climat humide dont 
        les températures oscillent entre 4° au-dessus de 0 en hiver 
        et 32° en été. Le début du xxe siècle 
        est marqué par le morcellement de grands domaines, l'arrachage 
        de l'ancien vignoble et sa reconstitution sur porte-greffes américains.
 
 Le village est situé au carrefour de la route nationale n° 
        4, et du chemin d'intérêt communal n° 6, de Tipaza à 
        Ameur-el-Aïn. Distant de 14 kilomètres de Marengo, il est 
        à 77 km au sud-ouest d'Alger.
 
        
          | Artisans 
              et commerçants en 1900 Aubergistes: MM. Bouchard, Emmanuel, Mestas; 
              boulangers : MM. Augé et Gormond; cafetiers : 
              MM. Bianchi, Bouchard, Gormond, Renoux, Teston; charrons forgerons 
              : MM. Texier, Tressols et Laroque; cordonniers : MM. Lafond 
              et Godard; entrepreneurs de travaux publics: MM Réalini 
              et Vanoni; épiciers : Mme Chapuis, MM. Galéa, 
              Gormond, Paraud, Renoux; maréchal-ferrand : M. Planeille. |  En raison de la présence sur son territoire de 
        carrières et de fours à plâtre ainsi que d'un bassin 
        basaltique en début d'exploitation pour l'empierrage des routes 
        et le ballast des voies ferrées, le village attire entrepreneurs 
        de travaux publics et artisans. Le bourg est à 5,500 km de la gare 
          
         d'El-Affroun sur la voie ferrée 
        P.L.M. d'Alger à Oran. Cette même gare était aussi 
        le terminus de la ligne de Cherchell 
        à El-Affroun du petit train à vapeur des C.F.R.A. 
        (Société Anonyme des Chemins de Fer sur Routes d'Algérie).
 Grâce à une initiative de Pierre Averseng, tapissier rue 
        Peyrolières à Toulouse, le palmier nain, " Chamaerops 
        humilis " ou " doum " des Arabes, extirpé 
        des surfaces asséchées du lac Halloula fournit après 
        séchage et cardage, des fibres végétales destinées 
        à remplacer avantageusement le crin de cheval dans les pièces 
        de harnachement des chevaux et mulets.
 
 Avec l'ouverture de canaux de drainage et l'assèchement du lac, 
        des ateliers artisanaux et des petits commerces sont créés 
        dans le village afin de répondre aux besoins de tous ceux qui veulent 
        planter de la vigne sur les sols des anciens marécages.
 
         
          | Viticulteurs 
              en 1900 MM. Alcay, Bernard, Canaférina, Caremantrant, 
              Vaissière, Mirehouse, Germain, Jourdan, Gonon, Monjo, Averseng, 
              Danières, Piat, Ville, Mansuy, Texier, Mariano, Fabre, Magontier, 
              Augé, Bouchard, Revest, Clément, Viala, Hazard, Vanoni, 
              Renoux, Rebord, Réalini, Pastoureau, Cordier, Petit fils, 
              Monod. |  En ce début de xxe siècle, plusieurs vagues 
        de malheureux immigrants se succédèrent en vain à 
        Ameur-el-Aïn. Qui se souvient aujourd'hui des fermes situées 
        au nord et à l'est du village, notamment des propriétés 
        Germain, Grimm, Chalard, Lapérouse, de Montagny, Charbonnier, Rauél, 
        Trinchant, Vaissière, Alquier?
 Depuis la crise phylloxérique qui affecta la France dans les années 
        1873-1875, la culture de la vigne se développa en trois temps dans 
        cette partie de la Mitidja occidentale.
 
 En raison de l'absence de capitaux, dans une première phase de 
        1875 à 1905, la banque de l'Algérie, les autres banques, 
        ainsi que les Comptoirs d'escompte, notamment celui de Marengo, dispensèrent 
        des crédits à profusion et de façon souvent inconsidérée. 
        Des plantations de cépages comme carignan, cinsaut, aramon, petit-bouschet, 
        merseguerra, sont effectuées sur pieds francs, c'est-à- 
        dire par simple bouturage.
 
 Le début du xxe siècle amorce une deuxième phase 
        avec le morcellement des grands domaines et la plantation de cépages 
        français sur porte-greffes américains, en l'occurrence, 
        41-B et 3309. Les investissements sont de plus en plus lourds, mais dans 
        ces plaines sublittorales, la vigne au cours d'une troisième phase 
        entre 1930 et 1936, deviendra la première source de revenus bien 
        avant l'arboriculture et la céréaliculture.
 
 En cette année 1900, trente-neuf viticulteurs d'Ameur-el-Aïn 
        cultivent 650 ha de vigne, donnant 48 000 hectolitres de vin rouge et 
        20 000 de vin blanc de 10° d'alcool. Nous aurons une pensée 
        pour des veuves courageuses qui, après le décès d'un 
        époux épuisé par le travail, malgré le climat, 
        les séquelles du paludisme, les difficultés de tous ordres, 
        assureront la survie de la petite ferme dans les eucalyptus, au pied de 
        l'atlas blidéen : Mmes Bachelot, Brogat, Grimm, Michaud, Delaloye, 
        Laure.
 
 Parmi les agriculteurs qui furent à l'origine du village bien peu 
        subsistent en 1900 et parmi ceux qui se sont maintenus, que d'efforts 
        déployés pour survivre sur ces vignobles.
 
 En 1900, un vignoble de 650 ha était soigné par 39 viticulteurs 
        soit une moyenne d'un peu plus de 16 hectares par famille. En 1955, ils 
        étaient 65 à cultiver 3 244 ha soit une moyenne de 50 ha 
        par vignoble. En un peu plus d'un demi- siècle passant de 650 ha 
        à 3244, le vignoble avait quintuplé sa superficie. Cette 
        extension de la vigne n'était que le résultat d'une emprise 
        sur les marécages désormais asséchés du lac 
        Halloula. Sur ces 65 vignobles, seules onze propriétés s'étendaient 
        sur plus de 100 ha. Entre temps, après la crise phylloxérique 
        les grands domaines furent morcelés et les nouveaux acquéreurs 
        durent arracher les anciennes vignes françaises pour replanter 
        les mêmes cépages de carignan, cinsaut, alicante-bouschet, 
        greffés sur plants américains.
 
 Autre facteur de développement de la vigne, la construction à 
        partir de 1911 et jusqu'en 1925 de caves coopératives, dont celle 
        d'Ameur-el-Aïn construite en 1923 avec, au départ, dix-sept 
        producteurs. Cette initiative permit à de petits propriétaires 
        de faire vinifier leurs vendanges et d'en acquérir auprès 
        de quelques viticulteurs musulmans producteurs de raisins respectueux 
        des préceptes du Coran, qui en interdit la mise en fermentation.
 
 Alors que l'Algérie s'enfonçait dans une atroce guerre meurtrière, 
        la vigne couvrait entièrement un ancien marécage asséché 
        par un réseau de canaux. Au bord de la route nationale, les ceps 
        de vigne s'alignaient avec en tête des rangs, un rosier conférant 
        à ces champs un caractère décoratif, mais pourtant 
        utile. En fait, ce n'était qu'un moyen d' avertissement de la présence 
        des spores de l'oïdium sur les feuilles du rosier, particulièrement 
        vulnérable à la prolifération de ce cryptogame, sous 
        l'effet des vents humides venant de la Méditerranée.
 
         
          | Viticulteurs 
              en 1955 On 
              retrouve les noms de MM. Augé, Averseng, Bachelot, Germain, 
              Mougeot, Mansuy, Nourry, Pastoureaud, Vanoni. Ainsi que ceux de 
              MM. Allenou, Baenziger, Bonello, Brémond, Boudouma, Chuffard, 
              Clos, Danière, Embarek, Ratel Bouschbacher, Sid Ali, Théry, 
              Toupry. |  En 1955, soixante-cinq viticulteurs récoltent 358 
        517 hectolitres de vin dont 274 329 de rouge et 84 188 de blanc. Dans 
        leur grande majorité, ils ne sont déjà plus les mêmes 
        que ceux du début de cette aventure humaine. Leur prospérité 
        toute relative repose sur les efforts et les souffrances de vagues successives, 
        qui se succédèrent pour survivre dans les difficultés 
        et la violence.
 Il convient de se replacer dans le contexte d'une époque, pourtant 
        pas si lointaine, pour comprendre que ces hommes et ces femmes fuyant 
        la misère n'avaient pour objectif essentiel que celui de tirer 
        des ressources d'infects marécages. Cependant, ce n'est qu'à 
        partir de la deuxième moitié du xxe siècle que ces 
        viticulteurs recueilleront les fruits des souffrances, des sacrifices 
        et du travail de tous ceux qui les précédèrent sur 
        cette terre algérienne. Durant cette dernière période, 
        des anonymes d'origine vaudoise, franc-comtoise, alsacienne lorraine, 
        valencienne, mahonnaise, maltaise, amalfitaine, napolitaine, reposaient 
        le long des allées incertaines de la partie ancienne des petits 
        cimetières de villages. Qui aujourd'hui se souvient de leurs petites 
        tombes creusées à même le sol, parfois encore délimitées 
        par un entourage de fer forgé, à l'ombre d'eucalyptus destinés 
        à assécher ces marécages où l'eau resurgit 
        au moindre coup de sape. Pour eux, la vigne ne procurait pas que des moyens 
        d'existence, elle constituait le support de nombreuses activités 
        agricoles, conducteurs de tracteurs, employés des entreprises de 
        vins et alcools et de leurs sous-produits, tartres et lies. Cette relative 
        prospérité, certes mal répartie, lorsqu'elle est 
        considérée aujourd'hui, était à l'origine 
        du développement de ces villages de la Mitidja, avec la construction 
        de maisons, le forage de puits, l'installation d'artisans, de commerçants, 
        de médecins et pharmaciens, d'écoles, d'entreprises de transports 
        terrestres pour amener les vins jusque sur les quais d'Alger où 
        ils étaient embarqués sur des navires pinardiers.
 
 Même embryonnaire, puisqu'elle ne concernait au début que 
        le personnel sédentaire des fermes, la Sécurité sociale 
        prenait déjà en charge les risques de la maladie.
 Ameur-el-Ain de 
        1950 à 1962 Depuis le début du xxe siècle la population 
        d'Ameur-el-Aïn est passée de 1 630 personnes en 1906, à 
        3 778 en 1937 en ne cessant d'augmenter jusqu'en 1962. Les autobus des 
        Messageries du littoral et des transports Mory, 4 boulevard Carnot assuraient 
        plusieurs services quotidiens entre Alger et Marengo, par les agglomérations 
        du littoral, ainsi que par Oued-el-Alleug et Blida, avec un arrêt 
        rue Principale devant le " Café des messageries " de 
        M. Fernand Pérez. Jusqu'en 1962, le village conserva le souvenir 
        de ses origines, la ferme Baenziger s'appelait " l'Alsacienne ". 
        Il y avait aussi ceux des précursseurs : Mme Vve Allenou, MM. Brémond, 
        Carémentrant, Chappot de la Chanonie à Saint Léon, 
        MM. Clos Barthélemi, Mariano, Marquaire, Mme Vve Théophile 
        Mougeot, MM. Alfred Nourry, Pastoureaud, Réalini, Toupry, Vanoni, 
        Mme Vve Vessière.
 Le village avait aussi des artisans estimés pour leur qualification: 
        MM. Albert Fontaine, Louis Goyne pour les travaux publics, Gilbert Cano 
        entrepreneur de peinture, MM. René Berlinguier et Jean Chanteloup 
        respectivement maréchal- ferrant et bourrelier. Le parc automobile 
        et les tracteurs étaient réparés par le garage central 
        de Frédéric Grégori et par l'atelier de mécanique 
        générale de Jean-Michel Pons sur la place de l'église.
 
 Les carrières* de Sidi Embarek de M. Léon Arnaud, ainsi 
        que celles de la Société des Chemins de fer algériens 
        et de la nouvelle société d'exploitation des carrières 
        de basalte fournissaient des emplois industriels de conducteurs d'engins. 
        Dans la rue principale le cabinet du médecin André Escassut 
        n'était pas très éloigné du commerce de Ben 
        Ammar Djillali ben Aouda, de la pharmacie Roger Pérez, du magasin 
        de Mohamed Rabahi et de l'épicerie du centre de Joseph Miralès.
 (*A noter aussi, suite à un message de Yvan Gineste, le 2-3-2010, 
        la carrière au village. Son directeur était Lucien Gineste, 
        grand-père de Yvan)
 
 Boulevard sud, le commerce d'alimentation, tissus, tabac 
        de M. Houli Arezki, la boucherie voisine, la boulangerie de Victor Marguerite 
        étaient des lieux de rencontre où tous se connaissaient, 
        se respectaient et s'estimaient.
 Les voyageurs de commerce retrouvaient leurs clients au " Café 
        des Messageries " ou à " l'Hôtel du Nord " 
        de Félix Toulon, avec comme pôle d'intérêt le 
        bureau des postes et des télécommunications.
 
 Dominées par le Tombeau 
        de la Chrétienne, nichées au milieu de vignobles 
        chamarrés des couleurs de l'été ou de l'automne, 
        de petites maisons aux toits rouges émergeaient d'un bois d'eucalyptus. 
        Pendant les vendanges, les rues d'Ameur-el-Aïn retentissaient du 
        balancement des pastières chargées de raisin. Au pas lent 
        de trois mulets attelés en flèche, elles exhalaient des 
        odeurs sucrées émanant de la masse cahotante des grappes 
        de fruits gorgés de soleil.
 L'Algérie 
        c'est fini ! L'exode de la population Dans ce village où tous se connaissaient des solidarités 
        silencieuses et discrètes se nouaient. Qui n'a pas entendu ce conseil 
        murmuré du bout des lèvres " Il vaut mieux rentrer 
        chez toi en évitant de traverser la forêt " ou " 
        Ne sors pas de chez toi ce soir ".
 Ceux qui voulaient malgré tout rester, en furent vite dissuadés 
        par l'occupation des biens déclarés vacants et la mise en 
        place des comités d'autogestion. Enlèvements, assassinats, 
        mutilations, précipitèrent le triste exode vers le port 
        d'Alger et l'aéroport de Maison-Blanche 
        ainsi que la dispersion des familles. Les ATO (auxiliaires 
        temporaires opérationnels), chargés du service d'ordre, 
        remplaçaient les patrouilles de police et comme toujours dans les 
        situations troubles, ils trouvaient de zélés dénonciateurs. 
        Un ministre parla de départ de vacanciers. Aujourd'hui plus personne 
        ne veut se souvenir d'une autre personnalité qui affirmait que 
        pour nous " l'Algérie c'était fini ", mais que 
        la France " continuait son oeuvre ", avec l'arrivée de 
        coopérants bardés des certitudes de leur ministre. " 
        Vanitas vanitatum, et omnia vanitas ".
 
 Ameur-el-Aïn, devenu village de grands vignobles, abritait aussi 
        des familles modestes d'ouvriers et d'artisans. Comme dans de nombreux 
        autres centres, il fallut partir avec tous ceux qui, de toutes origines, 
        réunis par une communauté de destins ne pouvaient plus rester 
        en Algérie.
 
 Surmontant difficultés et graves déprimes, rejetant Aéine 
        " B " et autres antidépresseurs, hommes et femmes consacrèrent 
        une vingtaine d'années à rebondir. Au-delà d'un grand 
        désarroi, des souffrances et de la désespérance, 
        les exilés de 1962 ouvrirent d'autres sillons en France ou à 
        l'étranger, s'orientèrent vers d'autres perspectives pour 
        surmonter le déracinement.
 
 Aujourd'hui, personne ne se souvient des séjours de l'été 
        1962 sur des terrains de camping avec des enfants, la recherche d'un emploi, 
        les hébergements heureusement provisoires dans l'ancienne prison 
        désaffectée de Saint-Gaudens, des trains qui s'arrêtent 
        dans les petites gares de villages pour y déverser dans la nuit 
        une ou deux familles de " rapatriés ". Oubliées 
        aujourd'hui, l'attente dans des couloirs pour solliciter un emploi, les 
        chambres de bonnes ruissellantes d'humidité au milieu d'une cour 
        de la prestigieuse avenue de Paris à Versailles, où l'on 
        trouve facilement du travail. Du vide de la désespérance 
        des " Je vous renvoie en Algérie " adressés par 
        de bonnes âmes à d'anciens soldats français qui ne 
        connaissaient de la France que le silence des forêts glacées 
        des Vosges.
 
 C'est sur le mutisme oppressant de leurs parents que dans leur petite 
        tête d'enfant, des adultes du xxle siècle, ont grandi et 
        construit leur vie. Trop jeunes en 1962, pour comprendre ce que représentaient 
        ces barrages, les immeubles incendiés, l'odeur nauséabonde 
        des voitures qui brûlaient dans les rues et sur les rochers du bord 
        de mer, des hommes, des femmes se souviennent aujourd'hui des visages 
        fermés de leurs parents. Après le saut de deux générations, 
        des Français du xxle siècle voudront, un jour ou l'autre, 
        savoir pourquoi, à la fin d'une guerre atroce, des masses humaines 
        se retrouvèrent entassées sur un quai ou dans un aéroport 
        avant de débarquer dans un pays inconnu. Les petits- enfants de 
        tous ceux qui affluèrent en Algérie pour creuser des puits, 
        planter des pommes de terre, de la vigne, faire du charbon, pêcher 
        ou gratter des carènes n'avaient alors pas d'autre perspective 
        que celle de trouver un logement dans le centre vétuste, à 
        proximité d'une école ou d'un bon lycée, dans une 
        ville où l'on pourrait construire quelque chose et être utile 
        aux autres.
 
 La conquête de l'ouest américain repose sur l'image de " 
        La petite maison dans la prairie ".
 
 L'histoire d'Ameur-el-Aïn s'appuie elle aussi sur le socle du souvenir 
        de toutes les vagues humaines qui, de 1848 à 1962, s' y échinèrent 
        afin que d'un bosquet d'eucalyptus, de petites fermes émergent 
        du fond d'un marais asséché. En l'absence d'images qui, 
        avec le temps, inexorablement se sont estompées, il nous reste 
        heureusement ce dessin de Mme Louise Lorion.
 
        
          |  "Au milieu des eucalyptus, une petite ferme dans les marécages 
              ", dessin original du 27 juillet 1904, de Mme Louise Lorion 
              (coll. Jean Faure).
 |  À défaut de " La petite maison dans 
        la prairie ", cette ferme située au nord d'Ameur-el-Aïn, 
        comble opportunément notre frustration et remet en mémoire 
        l'existence de tous les anonymes qui succombèrent dans ces marais 
        de la Mitidja occidentale. Petites ou grandes fermes dont il ne reste 
        plus rien aujourd'hui. ***************************** Bibliographie- Julien Franc, La colonisation de la Mitidja, Honoré Champion, 
        1928.
 - Divers annuaires de 1893 à 1961.
 - Annuaire général de l'Algérie et de la Tunisie 
        1901.
 - La production et le marché des vins en Algérie, éditions 
        1953-1955.
 - Jean Verchin, Naissance d'un village de colonisation: Ameur-el-Aïn, 
        l'algérianiste n° 118,
 juin 2007.
 - " Petite histoire du vignoble algérien ", l'algérianiste 
        n° 38, juin 1987.
 - " Le petit train à vapeur des CFRA ", l'algérianiste 
        n° 39, septembre 1987. - " Le palmier nain ou doum ", Edgar 
        Scotti, l'algérianiste n° 82, juin 1998.
 - L'oeuvre agricole française en Algérie, ouvrage collectif 
        publié par l'association amicale des anciens élèves 
        des écoles d'agriculture d'Algérie. Préface de M. 
        Marcel Barbut, inspecteur général de l'agriculture. Réédité 
        par les éditions Jacques Gandini, Nice.
 
 Les auteurs expriment leurs sentiments de bien 
        vive gratitude à tous ceux qui, par de précieux encouragements 
        et grâce à l'aide de documents d'archives leur permirent 
        de rédiger cette remise en mémoire des hommes et des femmes 
        qui, de 1848 à 1962, participèrent à la construction 
        de ce village d'Ameur-el-Ain. A cet effet, il convient de remercier le 
        D' Georges Duboucher, MM. Francis Curtès, Louis Dulac, Gérald 
        Légier et Jacques Piollenc.
 
 Forcément incomplète, cette note succincte permettra peut-être 
        à leurs lointains descendants de reconstituer au xxr siècle 
        l'aventure profondément humaine de leurs aïeux en la complétant 
        de leurs archives familiales et en la développant.
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