| Le statut de l'Algérie, 
        créé par la loi organique du 20 septembre 1947, a donné 
        naissance à l'Assemblée algérienne. Celle-ci était 
        composée de 120 membres, tous citoyens français, dont 60 
        dits de statut civil et 60 dits de statut coranique. Elle n'était 
        pas souveraine et avait principalement pour objet le vote du budget de 
        l'Algérie, lequel n'était applicable qu'après homologation 
        du gouvernement. En cas de non homologation, le Parlement, arbitre souverain, 
        était saisi du litige et le tranchait aussitôt. L'Assemblée 
        algérienne était également chargée d'adapter 
        à l'Algérie les lois votées par le Parlement.------------En 
        créant l'Assemblée algérienne, la loi du 20 septembre 
        1947 avait mis sur pied une institution qui apparaîtra aux yeux 
        des historiens comme l'instrument majeur d'une politique d'association 
        des divers éléments ethniques de sa population.------------Tout 
        en gardant le caractère d'un organisme administratif délibérant, 
        l'Assemblée algérienne, à la différence de 
        ses devancières - Délégations financières 
        et Assemblée financière - fut dotée d'une compétence 
        législative limitée se combinant harmonieusement avec des 
        prérogatives financières et économiques plus étendues.
 ------------Cette 
        création institutionnelle, inaugurée sous le proconsulat 
        de Marcel-Edmond Naegelen, l'un des plus grands gouverneurs de l'Algérie, 
        répondait à un double but perceptible dans les travaux préparatoires 
        du statut et particulièrement dans les interventions du professeur 
        Capitant : réaliser en Algérie une large décentralisation 
        politique, économique et sociale, sans pour autant rompre la notion 
        d'unité de la République française.
 ------------Malgré 
        les critiques acerbes dont elle a été injustement l'objet, 
        cette assemblée a fortement marqué de son empreinte la vie 
        politique de l'Algérie et aucune création nouvelle n'a pu 
        éluder les principes qu'elle a su proclamer avec force : liens 
        indissolubles avec la Métropole, volonté de progrès 
        social, politique d'expansion économique, participation de plus 
        en plus poussée de la population musulmane à la gestion 
        des affaires publiques.
 ------------C'est 
        pourquoi, après l'abandon délibéré de l'Algérie, 
        suivi d'une effroyable tragédie, il est bon que l'on sache quelle 
        fut l'oeuvre de l'Assemblée algérienne et que justice soit 
        faite de certaines critiques tendant à la rendre responsable de 
        la non-application du Statut de 1947.
 ------------Dans 
        le cadre de ses pouvoirs financiers, l'Assemblée algérienne 
        a joué un rôle de premier plan dans la mise en valeur économique 
        du pays. Elle a su, au demeurant, apprécier sa faculté contributive 
        et se servir de l'impôt comme d'un instrument de bonne politique 
        économique, n'oubliant pas qu'il s'agissait encore d'un pays sous-développé. 
        Elle a su, aussi, adapter les
 dépenses et solliciter les concours en fonction de la spécificité 
        des besoins.
 ------------Son 
        action apparaît clairement à travers les différents 
        budgets qu'elle a votés, toujours plus importants, toujours plus 
        généreux. C'est ainsi que les volumes respectifs des budgets 
        extraordinaires de 1948 à 1955 se sont élevés de 
        15 milliards à 56 milliards. Pour l'exercice 1956, l'effort fut 
        encore plus considérable. Le total du budget ordinaire et extraordinaire 
        excédait de plus de 45 milliards celui du précédent. 
        Cette différence énorme résultait principalement 
        de l'application des conclusions d'un groupe d'études présidé 
        par M. Maspetiol, qui, dégageant les enseignements fournis par 
        les comptes économiques des années antérieures, avait 
        estimé que, pour élever le niveau de vie d'une population 
        croissante, la production intérieure devait être augmentée.
 ------------Consciente 
        de ses devoirs et du bien-fondé des conclusions du rapport Maspetiol, 
        l'Assemblée algérienne n'avait pas hésité 
        à voter une augmentation considérable des charges fiscales 
        pour aligner l'effort local sur la contribution accrue des finances métropolitaines.
 ------------Par 
        son action budgétaire, l'Assemblée algérienne a tenu, 
        tout en s'inspirant des principes de prudence essentielle, à donner 
        ainsi une impulsion nouvelle à l'expansion économique, source 
        de plein emploi et d'amélioration du niveau de vie. C'est à 
        juste titre que, lors du compte rendu annuel de la Banque d'Algérie, 
        un technicien aussi expert que M. Paul Messerchmidt a pu écrire 
        que " la machine était bien lancée ".
 ------------C'est 
        donc un équilibre réel que l'Assemblée a su réaliser 
        puisque, sa gestion financière ayant été saine, elle 
        a cependant entrepris une oeuvre sociale de longue haleine tout en multipliant 
        les postes d'équipement du pays.
 ------------Aucun 
        aspect de l'activité économique dé l'Algérie 
        ne lui a échappé.
 ------------Son 
        action fut constante s'agissant de l'agriculture. Dès 1949, l'Assemblée 
        s'est attachée à réorganiser le crédit agricole 
        afin qu'il bénéficie au plus grand nombre possible d'agriculteurs, 
        et n'a cessé de donner des directives pour que les demandes de 
        prêts soient examinées sur le plan humain et non sous leur 
        aspect comptable et rentable. Elle créa, en outre, un régime 
        d'assurances agricoles que bien des pays, si habiles à la critique, 
        ne possèdent pas encore. Elle décida que de justes indemnités 
        seraient servies au titre de la législation sur les accidents du 
        travail dans les professions agricoles et forestières. Elle mit 
        au point le statut juridique de la coopération agricole, se pencha 
        sur le problème de l'organisation et l'assainissement du marché 
        du lait et des produits dérivés, institua un système 
        d'allocations aux vieux travailleurs salariés de l'agriculture, 
        procéda à une réforme des sociétés 
        de prévoyance en faveur desquelles elle édicta une dispense 
        de droits d'hypothèques.
 L'organisation du commerce n'a pas laissé l'Assemblée algérienne 
        indifférente. Elle créa notamment de nouvelles chambres 
        de commerce et elle se fit un devoir d'étendre à l'Algérie 
        de nombreux textes d'intérêt général appliqués 
        dans la Métropole.
 L'utilisation de l'énergie, l'exploration du sous-sol firent l'objet 
        de
 nombreuses décisions.
 ------------Mais 
        au-dessus de ses préoccupations économiques, on peut dire 
        que l'oeuvre maîtresse de l'Assemblée algérienne s'est 
        manifestée dans le cadre du social.
 ------------Il 
        convient de souligner tout d'abord que c'est à l'initiative de 
        plusieurs de ses membres, et non pas à celle du gouvernement, qu'un 
        système de Sécurité sociale fut adopté par 
        l'Assemblée algérienne.
 ------------En 
        dehors des multiples créations d'hôpitaux, de centres de 
        santé et d'écoles auxquelles elle a procédé 
        à l'occasion du vote des différents budgets extraordinaires, 
        on peut citer une série de décisions dont les principales 
        ont trait à l'organisation des professions, aux établissements 
        hospitaliers, aux laboratoires d'analyses, à la création 
        d'un Centre algérien de lutte contre le cancer, à la protection 
        sociale des aveugles, à l'amélioration des situations des 
        infirmiers et assistantes sociales, à la prise en charge par l'Algérie 
        de l'entretien des collèges classiques, modernes et techniques.
 ------------La 
        liste est longue de ses réglementations généreuses 
        en faveur des salariés, des retraités, des chômeurs, 
        des mutilés du travail, des victimes des calamités publiques.
 ------------Si 
        le rôle législatif de l'Assemblée, justement limité 
        par le statut, ne fut pas à l'échelle de ses créations 
        économiques et sociales, il fut néanmoins important. Il 
        a évité au Parlement, par la solution de très nombreux 
        problèmes quotidiens, une surcharge de ses ordres du jour. On peut 
        dire, sans risque d'être démenti, que l'Assemblée 
        algérienne a su, comme le Statut de 1947 le prévoyait, adapter 
        aux textes votés par le Parlement une législation qui tenait 
        compte du " fait algérien " avec le souci constant de 
        faire eeuvre efficace et de ne rien éluder des particularismes 
        locaux.
 ------------Avec 
        audace, elle avait même adopté dans l'enthousiasme, à 
        l'unanimité des deux collèges, des réformes révolutionnaires 
        du droit musulman telles que la preuve testimoniale du mariage et une 
        refonte du régime de tutelle qui démontraient chez les autochtones 
        une volonté de s'affranchir de certains préjugés 
        du passé.
 ------------Ne 
        pouvant ignorer ces réalisations, ses détracteurs ont soutenu 
        qu'elle s'était refusée à régler les questions 
        qui lui avaient été dévolues par le législateur.
 ------------Il 
        est temps de détruire cette légende.
 ------------Qu'étaient 
        ces questions ? Essentiellement, le droit de vote de la femme musulmane, 
        la réorganisation des territoires du Sud, la suppression des communes 
        mixtes et l'indépendance du culte musulman.
 |  | -------------L'Assemblée 
        algérienne ne s'est pas désintéressée de ces 
        questions.------------Dès 
        1949, la Commission de la législation examinait une proposition 
        de décision présentée par un élu communiste 
        tendant à l'octroi du droit de vote aux femmes musulmanes. C'est 
        devant l'opposition des élus musulmans, attachés aux coutumes 
        ancestrales, que cette question avait été renvoyée 
        sine die.
 ------------L'Assemblée 
        s'était au contraire prononcée d'une manière positive 
        sur la suppression des communes mixtes et la réorganisation des 
        territoires du Sud. Après de longs débats qui montrèrent 
        tout l'intérêt que les élus portaient à ces 
        problèmes, l'Assemblée donna un avis favorable au projet 
        de loi portant réorganisation des Territoires du Sud et au projet 
        de loi relatif à la création des communes rurales en Algérie.
 -----------S'agissant 
        de l'indépendance du culte musulman à l'égard de 
        l'Etat, l'Assemblée, tenant à marquer toute l'importance 
        qu'elle y attachait, décidait d'abord la création d'une 
        commission spéciale du culte musulman.
 ------------Après 
        de nombreuses séances de travail et auditions de délégations 
        représentant les diverses confréries et associations religieuses 
        et de magistrats musulmans d'Algérie, le rapporteur général 
        de la commission, luimême musulman, déposait plus tard un 
        remarquable projet de rapport prévoyant une organisation rationnelle 
        du culte musulman en Algérie.
 ------------Mais 
        peu de temps après, le Conseil d'Etat, consulté par le gouvernement, 
        déclara que les conclusions de ce rapport exorbitaient de la législation 
        sur la séparation des Eglises et de l'Etat.
 ------------En 
        raison d'une rédaction incomplète d'un article du statut, 
        l'Assemblée algérienne se trouvait donc impuissante à 
        séparer le culte de l'Etat, ainsi que le législateur le 
        lui faisait pourtant obligation, dès lors qu'il lui était 
        interdit de prévoir l'organisation de ce culte.------------Ainsi 
        résumés, les travaux de cette haute instance régionale 
        suffiraient à lui assurer le respect des gens de bonne foi et justifieraient 
        les éloges que n'ont pas manqué de lui adresser les guides 
        éclairés qui présidèrent aux destinées 
        de l'Algérie : MM. Naegelen, Léonard et Soustelle.
 ------------Mais, 
        pourrait-on à bon droit observer que si cette assemblée, 
        nantie cependant de pouvoirs étendus, a fait oeuvre utile, elle 
        n'en a pas moins été impuissante à résorber 
        le chômage, à procurer un minimum vital à trop d'inactifs. 
        Cela est vrai, et c'est d'ailleurs dans ce sens que l'on serait fondé 
        à souligner que certains objectifs visés par les auteurs 
        du statut n'ont pas été atteints.
 ------------En 
        effet, rappelons qu'en 1947, le nombre des chômeurs intermittents 
        et des autochtones sans travail n'excédait guère 200.000, 
        tandis qu'en janvier 1956, il dépassait sensiblement le million...
 ------------Est-ce 
        à dire que l'Assemblée algérienne est responsable 
        de cette douloureuse situation, beaucoup plus tragique encore dans les 
        pays, si prompts à dénigrer l'uvre magnifique accomplie 
        par la France dans sa province africaine où, comme en Algérie, 
        la courbe démographique croît démesurément 
        par rapport à la courbe économique ?
 ------------Absolument 
        pas, tant il est certain que le substratum économique de l'Algérie 
        ne lui permettait, en aucun cas, de subvenir à l'ensemble des gigantesques 
        besoins en augmentation constante. C'est pourquoi d'ailleurs le désir 
        d'intégrer l'Algérie à la Métropole a été 
        exprimé avec force à la tribune de l'Assemblée algérienne, 
        par plusieurs élus musulmans qui, après avoir malaxé 
        la pâte budgétaire de nos départements africains, 
        savaient que seule la France parviendrait à conjurer un péril 
        de plus en plus angoissant. Mais après la révolution du 
        13 mai 1958, on préfère se délester du " fardeau 
        algérien ".
 ------------Notons-le 
        en passant, il s'agissait là du véritable problème 
        algérien, qu'aucune promotion politique, si légitime fût-elle, 
        ne serait parvenue à résoudre si elle n'avait pas été 
        assortie de dispositions économiques et financières adéquates.
 ------------Il 
        est certain que la rébellion, dont il est superflu de souligner 
        les origines étrangères, n'aurait jamais pris une telle 
        ampleur si ses instigateurs n'avaient pas trouvé parmi les " 
        sans travail " un recrutement facile.
 ------------Enfin, 
        il est un aspect du mérite de l'Assemblée algérienne 
        plus important bien que plus fluide, plus éminent que toutes ses 
        heureuses réalisations matérielles, c'est l'inestimable 
        service qu'elle a rendu à la cause de l'amitié franco-musulmane.
 ------------Travaillant 
        sur les mêmes bancs, appartenant aux mêmes commissions, se 
        succédant aux mêmes postes, les élus des deux collèges 
        de cette assemblée locale paritaire (60 délégués 
        par collège) avaient réalisé entre eux, dans une 
        émulation féconde, une fraternité qui ne s'est jamais 
        démentie. Même aux heures les plus sombres du drame algérien 
        malgré les pressions de toute nature, beaucoup d'élus musulmans 
        sont restés à leur poste.
 ------------Ayant 
        participé le 9 mai dernier à un débat télévisé 
        à ANTENNE 2 au cours duquel les téléspectateurs, 
        lors de la présentaiton du film du 13 mai, ont pu entendre de la 
        part du commentateur que les élus européens de " feu 
        l'Algérie française " s'étaient montrés 
        toujours hostiles aux réformes suggérées, ce rappel 
        schématique de l'oeuvre de l'Assemblée algérienne 
        était nécessaire.
 ------------Je 
        remercie les dirigeants de la revue algérianiste dont j'apprécie 
        la haute qualité de m'avoir permis de m'exprimer librement sur 
        un sujet aussi important,
 Alain de SERIGNY,ancien vice-président de l'Assemblée algérienne.
 ------------Il convient 
        de souligner que, le 12 octobre 1947, à Alger (au stade de Saint-Eugène), 
        le général De Gaulle, alors président du Rassemblement 
        du peuple français, s'était élevé avec force 
        contre les visées d'hégémonie des Soviets et, sous 
        les applaudissements de 60.000 Algérois, il avait ainsi terminé 
        son allocution:------------«Les 
        bons Français comprennent que l'Algérie, partie intégrante 
        de la France, est en même temps un lien géographique et moral 
        entre la Métropole et les autres territoires africains de l'Union 
        française. Ils savent que ce qui se passe à Alger, à 
        Oran, à Constantine, a, dans tout ce continent des répercussions 
        puissantes et singulières. Ils savent qu'en laissant entamer la 
        cause de la France sur cette rive de la Méditerranée, c'est 
        tout l'édifice national qui risquerait la dislocation. Ils sont 
        résolus à rester forts, libres et maitres chez eux. -
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