| HISTOIRE14 juin 1830. - Objectif : Alger
 par Gaston PALISSER
 (Suite)..(note du site: je ne possède 
        pas le n° précédent.Donc, c'est la suite de rien. Vous 
        prenez le train en marche. Attention de ne pas la rater, la marche!)
 La journée du 16 juin 1830
 Heures d'angoisse ARRIVÉ devant Sidi-Ferruch, le 13 
        juin 1830 (1), le corps expéditionnaire français débarquait 
        le 14 avant l'aube et s'emparait sans grandes difficultés des positions 
        que les Turcs tenaient à environ 2.000 mètres du rivage.
 Les trois divisions s'installaient alors sur le terrain conquis, occupant 
        la presqu'île ainsi que tout le théâtre situé 
        en avant, s'y retranchant solidement et préparant activement le 
        prochain bond en direction de l'objectif visé : Alger...
 
 La journée du 15 (2) s'écoula sans incident sérieux, 
        occupée surtout par les troupes à 
        poursuivre le débarquement du pesant et volumineux matériel 
        de parc amené à pied uvre, à aménager 
        la base arrière et à renforcer les défenses sur toutes 
        les lignes avancées. La nuit du 15 au 16 se passa tranquillement, 
        mis à part un incident sans conséquences : vers 2 heures 
        du matin, un cheval échappé passa au galop devant les lignes. 
        Quelques coups de feu éclatèrent alors, dans l'obscurité, 
        tirés par des sentinelles nerveuses. Réveillés en 
        sursaut, les hommes qui n'étaient pas de garde se précipitèrent 
        aussitôt sur les faisceaux et prirent les armes. Mais en silence, 
        cette fois, et ils attendirent les ordres. La fâcheuse et coûteuse 
        mésaventure de la veille (3) avait au moins enseigné à 
        tous, troupiers et officiers, à se garder de toute alarme irréfléchie. 
        Puis, l'incident éclairci et ramené à ses justes 
        proportions, tous ceux qui en avaient la possibilité tentèrent 
        de renouer avec le sommeil.
 
 Cette nuit-là fut particulièrement fraîche et, à 
        l'aube, une abondante rosée mouillait les bivouacs.
 
 Le jour se leva, gris et maussade, sans aurore, ce 16 juin. Le soleil 
        se dérobait derrière de sombres nuées, mais la chaleur 
        était déjà accablante. La veille au soir, le baromètre 
        avait indiqué 746 mm de pression. Tout semblait présager 
        un grain sérieux. Un témoin nous dit (4) : "Le soleil 
        s'est levé aujourd'hui à travers de gros nuages qui se détachent 
        sur le ciel par masses énormes ; leurs bords, d'un éclat 
        plus vif que celui de l'argent le mieux bruni, ressortent sur un fond 
        gris de tempête; l'atmosphère est lourde et étouffante, 
        tout annonce un orage. Je descends vers la plage pour y chercher un peu 
        de fraîcheur ; une inquiétude vague y règne ; les 
        marins sont soucieux et tournent constamment leurs regards vers le ciel...".
 
 De bonne heure pourtant, les Barbaresques s'étaient approchés 
        des lignes et avaient recommencé leurs habituels harcèlements 
        des avant-postes. Partout, des petits combats s'étaient livrés. 
        Le général de La Hitte (5) avait envoyé de nouvelles 
        pièces d'artillerie légère vers les lignes, y ajoutant 
        même trois vieux canons de fer pris aux Turcs dans la matinée 
        du 14. Intervention qui soulagea l'infanterie, lui permettant aussi d'économiser 
        ses munitions dont elle avait fait la veille une consommation exagérée. 
        Et pendant ce temps, sans relâche, les marins continuaient le débarquement 
        des vivres, du matériel et des munitions commencé avec les 
        premières lueurs du jour. Sentant venir le grain proche, ils se 
        hâtaient d'atterrir, de détacher leurs embarcations et de 
        repartir vers les bâtiments pourvoyeurs. Leurs cris et leurs appels 
        rompaient seuls le silence oppressant qui pesait sur le paysage. A bord 
        des vaisseaux, les officiers assuraient les ancres, faisaient doubler 
        les amarres et soulager les mâtures ; le gros des navires les plus 
        proches du rivage s'appuyaient mutuellement par des grelins doublant les 
        câbles.
 La tempête Vers 8 heures, une sorte de chape gris- plombé 
        enveloppa progressivement l'atmosphère et le limbe livide de ces 
        vastes nuées s'arrêta sur les sommets qui dominaient le camp. 
        Puis, très vite, une succession de vapeurs plus sombres, épaisses, 
        fuyantes et déjà déchirées par la foudre, 
        envahit le ciel, accompagnée des grondements de plus en plus puissants 
        du tonnerre.
 Le vent s'était levé du nord-ouest, tout de suite furieux, 
        déchaîné, poussant de lourdes masses d'un noir d'encre 
        vers la terre, des nuages de pluie. De gigantesques éclairs en 
        zigzags zébraient la voûte céleste qui s'obscurcissait 
        profondément et des gouttes d'eau, rares, mais d'une extraordinaire 
        grosseur, se mirent à tomber, signe avant-coureur d'une violente 
        tempête, dans ces contrées. Elles étaient si lourdes 
        qu'elles soulevaient de minuscules nuages de poussière lorsqu'elles 
        touchaient terre.
 
 Du large, l'ouragan accourait, au paroxysme de la colère déjà, 
        faisant passer sur la mer, par intermittence, de courtes et puissantes 
        rafales qui soulevaient de formidables vagues. Vers 8 h 30, la pluie s'abattit 
        soudain, diluvienne. Elle arrivait par nappes, noyant le camp, la campagne 
        et les collines environnantes qui disparaissaient complètement 
        derrière les trombes d'eau chassées par les vents furieux. 
        La force de la tempête était telle que le haut et svelte 
        dattier qui s'élevait près de la plage courbait son fût 
        élancé jusqu'à la limite du supportable, son bouquet 
        de palmes vertes échevelées fouettant sans relâche 
        le mur de l'eau. De gros buissons, des touffes d'agaves hérissés 
        de pointes, brutalement arrachés, roulaient en tous sens sur le 
        sol ruisselant comme des fétus de paille. Partout des arbres, de 
        grands arbustes, gisaient à terre, déjà culbutés, 
        renversés d'un seul coup, dressant vers le ciel la masse boueuse 
        de leurs racines enchevêtrées, et ceux qui tenaient encore 
        debout ployaient, ondoyaient comme de simples herbes, laminés sous 
        la puissante pesée de l'eau et du vent conjugués.
 
 Dès le début, le grand pavillon blanc fleurdeliséqui 
        flottait au sommet de la Torre Chica où était installé 
        le grand quartier général avait été arraché 
        net au ras de la hampe. Partout, les hommes en ligne s'abritaient comme 
        ils le pouvaient de la tempête. Mais 'durs frêles appentis 
        de feuillage, les fourrés sous lesquels ils se tassaient, tentant 
        illusoirement de se protéger des cataractes d'eau, parfois mêlée 
        de grêle drue et percutante, se révélaient totalement 
        inefficaces. Dans cette tourmente liquide, la préoccupation majeure 
        de tous était de conserver au sec les gibernes à poudre, 
        tentative bien aléatoire dans de telles conditions. Le plus grand 
        nombre des troupiers se résignaient à maintenir leurs couvertures 
        tendues au- dessus de leurs têtes, à bout de bras. Et les 
        rares privilégiés qui, ce matin-là, disposaient déjà 
        d'une tente, n'étaient guère mieux lotis : il pleuvait autant 
        à l'intérieur qu'au dehors, sous celles encore épargnées 
        par les bourrasques et, pour les hôtes de celles qui avaient été 
        emportées, l'ultime ressource consistait à se réfugier 
        sous les toiles trempées, solidement agrippées sur les bords.
 
 A chaque instant, la foudre jaillissait du ciel bas et fuligineux, s'abattant 
        dans toutes les directions. Par trois fois, elle frappa des faisceaux 
        de fusils dressés dans les lignes, sans toutefois faire de victimes.
 
 La virulence de l'ouragan s'accompagnait d'un fracas assourdissant : grondements 
        du tonnerre et des flots déchaînés, hurlements affreux 
        du vent, crépitement de la pluie et de la grêle, détonations 
        des canons d'alarme de la flotte qui se faisaient entendre sans cesse, 
        toutes ces voix démentes mêlées abasourdissaient les 
        hommes, leur faisant aussi mesurer leur propre insignifiance au milieu 
        des éléments en furie. Par instants, on percevait dans ce 
        tintamarre les hennissements aigus des chevaux, français et barbaresques, 
        pauvres bêtes folles de terreur dont beaucoup se couchaient, toutes 
        frissonnantes sur le sol détrempé.
 
 Cependant, malgré l'angoissante situation à terre, tous 
        les regards de l'armée se tournaient, anxieux, vers la mer où 
        l'immense flotte qui portait encore dans ses flancs presque tous les moyens 
        de vivre et de combattre semblait en voie de perdition !
 
 Dans la baie de l'ouest, à peine protégée de l'ouragan 
        par le promontoire, le spectacle était terrifiant. Jusqu'à 
        l'horizon, l'eau semblait fumer. D'énormes vagues roulaient, se 
        poussant l'une l'autre, sinistres, leur eau verdâtre soulevant avec 
        une puissance inouïe les vaisseaux les plus gros dont les chaînes 
        se tendaient jusqu'à se rompre. Effectivement, le Duquesne, vaisseau 
        armé en flûte (6), vit les siennes se briser comme du verre 
        ! Sous la violence des secousses que les lames leur imprimaient, les navires 
        se cabraient droit sur leur quille, retombant de côté dans 
        des creux traîtres, dans des abîmes, chassant tous frénétiquement 
        sur leurs ancres qui dérapaient sur les fonds sablonneux. Beaucoup, 
        menacés de faire côte ou de se briser les uns sur les autres, 
        tiraient sans relâche du canon de détresse, au milieu des 
        cris d'épouvante des marins. Des lames monstrueuses, couleur de 
        plomb et pleines de bave, frappaient de grands coups de bélier 
        qui claquaient comme des décharges de la foudre contre les murailles 
        des bâtiments, balayant tout sur les ponts. Les creux étaient 
        tels qu'un navire du convoi, tirant 4 mètres d'eau et mouillé 
        par 8 mètres, talonna et démonta son gouvernail. C'étaient 
        de gros vaisseaux de guerre! Quant aux navires de commerce, plus légers 
        et moins solides que ceux de l'escadre, ils disparaissaient littéralement 
        sous les vagues, ballottés en tous sens par des montagnes d'eau, 
        sauvagement secoués par le vent hurlant. Plusieurs avaient déjà 
        été précipités sur les rocs de la presqu'île 
        et deux bricks marchands projetés avec une incroyable puissance 
        loin à l'intérieur de la plage ! Que dire alors des centaines 
        de petits bâtiments sillonnant la baie quelques instants auparavant, 
        chalands, barges, bateaux-boeufs, chaloupes, canots! Beaucoup s'étaient 
        déjà brisés sur les récifs ou mis en pièces 
        sur la grève où ils gisaient rompus, disloqués. Et 
        l'on voyait leurs infortunés matelots se démener sur le 
        rivage, acharnés à disputer à la mer écumante 
        les restes de leurs embarcations et les précieuses marchandises 
        dont elles étaient chargées. Car les lames monstrueuses, 
        après s'être abattues sur la plage dans un bruit de tonnerre, 
        se retiraient ensuite, semblables à de mini-ras de marée 
        qui ramenaient tout derrière eux, laissant le sol creusé, 
        raviné, ruisselant, proprement mis à nu.
 
 Ce qu'il y avait de consternant aussi, dans cette effroyable tourmente, 
        c'était la situation dramatique des grands blessés que l'on 
        avait transférés, la veille et l'avant-veille, sur des bâtiments 
        de charge, pensant qu'ils seraient là mieux abrités et soignés 
        qu'à terre où tout faisait défaut encore. Allongés 
        sur des matelas ou de simples couvertures, certains dans des hamacs, ces 
        malheureux n'avaient pu être assujettis à leurs couches de 
        fortune. Il est facile d'imaginer la torture infligée par la tempête 
        à ces hommes déjà physiquement mal en point, tourmentés 
        par un roulis démentiel, dans les entreponts où il avaient 
        été déposés, roulant sans cesse les uns sur 
        les autres, projetés avec force contre les murailles, au milieu 
        des cris de souffrance, des gémissements et des appels à 
        l'aide. Ainsi, de la Vigogne, gabare de charge qui portait plus d'une 
        centaine de ces blessés et qui, ayant chassé sur ses ancres, 
        allait à chaque coup de mer talonner avec rage les rochers hérissant 
        le promontoire de Sidi Ferruch. Par deux fois, jugée perdue, elle 
        fut sauvée in extremis par des bâtiments à vapeur 
        qui la tirèrent de ces situations critiques (7). Ainsi également 
        de la frégate Iphigénie qui, transportant un certain nombre 
        de ces blessés et ancrée à proximité de la 
        pointe occidentale de la presqu'île (8), voulut changer de mouillage, 
        remorquée par un bateau à vapeur et qui manqua de périr, 
        déchirée par les récifs. Durant près de deux 
        heures, elle resta couchéeà demi, exposée aux plus 
        grands dangers, sans pouvoir être efficacement secourue. Situation 
        tout aussi alarmante pour la gabare de charge l'Astrolabe, portant elle 
        aussi des malades et des blessés qui faillit sombrer sur les rocs 
        des îlots qui prolongeaient la pointe. (9)
 
 Tous les vaisseaux qui, menacés d'être jetés à 
        la côte par l'horrible tourmente et à qui leur position au 
        sein de l'escadre au mouillage permettait d'appareiller, l'avaient déjà 
        fait, dans le plus grand désordre, après avoir laissé 
        filer les câbles et ils tentaient, au prix d'extrêmes difficultés, 
        de gagner le large. Dès le début de la tempête, Duperré 
        leur en avait intimé. l'ordre.
 
 De l'autre côté de la presqu'île, dans la baie de l'est, 
        la situation des navires mouillés là-bas était tout 
        aussi critique. Le Trident, vaisseau de 74 canons, armé en guerre 
        (10) et commandé par le contre- amiral de Rosamel (11), la Bayonnaise, 
        corvette de 20 canons, l'Actéon, le Dragon, le Griffon, bricks 
        de 20 canons et la Badine, brick de 10, étaient en perdition, tirant 
        sans relâche le canon de détresse. Frappés de plein 
        fouet par l'ouragan qui déferlait du nord-ouest, ces bâtiments 
        chassaient sur leurs ancres qui glissaient sur les fonds sablonneux, inexorablement 
        entraînés vers la côte et menacés d'échouage. 
        Voyant ce danger, un bataillon du 28e qui se trouvait en réserve 
        à la gauche de l'armée, accourut sur la plage pour les aider 
        dans la mesure du possible et, surtout pour les protéger. Car, 
        à l'horreur de la tempête s'ajoutait la menace que faisaient 
        peser de nombreuses bandes de Barbaresques que l'on apercevait dans le 
        lointain, de chaque côté du promontoire, parcourant la grève, 
        prêts à saisir le moment où les navires feraient naufrage 
        afin d'en piller les épaves et d'en massacrer les équipages. 
        Heureusement, les pillards en furent pour leurs mauvaises intentions. 
        Manuvrant très habilement, les vaisseaux parvinrent à 
        se dégager à temps et à gagner le large en s'élevant 
        au vent, après de longues et pénibles évolutions.
 
 Le temps s'écoulant, aucun signe d'accalmie ne se manifestait. 
        Au contraire, la tourmente semblait augmenter en intensité. Le 
        vent soutenait sa violence et la mer redoublait de fureur.
 
 Dans le camp où l'on voyait la détresse de la flotte, la 
        consternation était générale. Cette perte qui paraissait 
        certaine allait obligatoirement entraîner celle de l'armée. 
        Celle-ci ne disposait que de quelques jours d'approvisionnement à 
        terre : la majeure partie des vivres, des munitions et du matériel 
        se trouvait encore à bord des navires.
 
 Au quartier général, de Bourmont (12) paraissait soucieux, 
        mais non effrayé, faisant les cent pas au rez-de-chaussée 
        de la Torre Chica. Près de lui, le général de Tholozé 
        (13) semblait vivement agité : ...il ne cessait de courir à 
        la terrasse, nous dit un témoin (14), d'où il revenait, 
        répétant sans cesse avec l'accent de la douleur : C'est 
        un désastre, le vent ne change pas! Le général Desprez 
        (15) était consterné ; son habit était trempé 
        et, de la large visière de sa casquette, l'eau retombait en nappe. 
        Les bras derrière le dos et le sourcil froncé, il disait 
        à chaque instant : Ce sera le second tome de l'expédition 
        de Charles-Quint! Et ses craintes étaient partagées par 
        tous les officiers supérieurs... "
 
 En effet, tous ceux qui possédaient quelques notions d'histoire 
        ne pouvaient s'empêcher d'établir le parallèle entre 
        la situation présente de l'armée française et la 
        position tout aussi terrible qui avait été autrefois celle 
        du corps expéditionnaire espagnol devant Alger, en 1451, et qui 
        l'avait conduit au désastre.
 1541 : défaite 
        de Charles-Quint devant Alger Cette année-là, l'empereur 
        d'Allemagne et roi d'Espagne, souverain des Flandres, de l'Autriche et 
        des colonies d'Amérique, le potentat sur les terres de qui le soleil 
        ne se couche jamais, Charles-Quint, décide de s'emparer d'Alger, 
        à cette date seul point d'appui de l'Empire ottoman dans le bassin 
        occidental de la Méditerranée. Les Turcs, depuis 1533, alliés 
        au roi de France, François ler, sont le principal obstacle aux 
        projets de monarchie universelle de Charles-Quint. Se saisir d'Alger, 
        expulser les Turcs de l'Afrique du Nord, c'est isoler la France et la 
        priver désormais de tout secours de la part de ses alliés 
        dans sa lutte contre le monarque austro-italo-espagnol. Après la 
        prise d'Alger, l'armée navale et l'armée de terre devaient 
        être employées contre "les mauvais chrétiens 
        " alliés du Grand Turc...Le 19 octobre 1541, Charles-Quint parvient devant Alger à la tête 
        d'un corps expéditionnaire de 22.000 hommes : 6.000 Allemands, 
        5.000 Italiens, 6.000 Espagnols ou Siciliens et 3.000 soldats provenant 
        de différents pays chrétiens ; ainsi que 1.500 cavaliers, 
        200 gardes de la maison augmentés de 150 chevaliers de Malte (16). 
        Cette armée est convoyée par une flotte de 75 galères 
        de combat (12.330 matelots) et 451 navires de transport, commandée 
        par l'illustre amiral génois Andréa Doria. Les plus fameux 
        capitaines de l'empire se tiennent aussi sous les ordres directs de leur 
        souverain.
 
 Des vents violents contraignent d'abord la flotte à aller s'abriter 
        derrière le cap 
        Matifou durant plus de quarante-huit heures.
 
 Puis, le 22 octobre, le temps s'améliorant, les navires reprennent 
        leur mouillage dans la rade et les préparatifs du débarquement 
        des troupes sont effectués. Le 23, l'armée débarque 
        sans difficulté sur les plages bordant les collines de Mustapha, 
        à l'est d'Alger (17). En même temps, l'escadre s'est déployée 
        devant la ville qu'elle bloque et les canons de ses galères la 
        noient sous un déluge de fer et de feu. Le lendemain, après 
        avoir décimé au canon une grande partie des troupes du dey 
        Hassan, Charles-Quint installe son quartier général sur 
        une colline à 800 mètres au sud de la Casbah 
        (18).
 
 Le succès semble à portée de main, et on se prépare 
        à l'assaut des dernières défenses barbaresques.
 
 Mais c'est compter sans la traîtrise des éléments 
        naturels.
 
 Le 24 au soir, le temps devient subitement orageux. Dans la nuit, la tempête 
        se lève, soudaine et dévastatrice, d'une violence inouïe. 
        Des torrents de pluie noient le camp impérial, les poudres, les 
        vivres, tandis que la foudre s'abat partout. A la clarté des éclairs 
        immenses et ininterrompus, on peut voir beaucoup d'hommes s'enfuir, effrayés, 
        vers les hauteurs. Sur mer, les vaisseaux arrachés à leurs 
        ancres par la furie des flots, partent à la dérive, s'abordent 
        en s'éperonnant et coulent dans une indescriptible confusion. A 
        l'aube du 25, c'est l'horreur. La mer hideuse, verdâtre et bavante, 
        est couverte de navires brisés, de pièces de bois flottantes, 
        de mâtures démantibulées, de cadavres d'hommes broyés, 
        de corps de chevaux déchirés : 15 galères et 86 vaisseaux 
        ont déjà péri !
 
 A terre, le coup il n'est pas moins sinistre. Débarqués 
        sans tentes ni abris quelconques, sauf les pavillons de l'Empereur dressés 
        au sommet de la colline, les hommes ont passé toute la nuit debout, 
        les vêtements trempés, sous une pluie diluvienne et glacée 
        qui tombe sans arrêt depuis la veille à 9 heures du soir. 
        Elle durera cinquante heures sans interruption! Les arquebuses, le bassinet 
        noyé, les couleuvrines, sont inutilisables...
 
 A l'aube, profitant de la tempête, une forte colonne barbaresque 
        sort de la ville et tombe à l'improviste sur les bivouacs impériaux 
        établis à flanc de colline, massacre un grand nombre de 
        soldats, jetant le désordre et la terreur dans le camp. Les Impériaux, 
        épuisés, luttent au corps à corps, a l'arme blanche, 
        tantôt pataugeant dans les torrents d'eau qui dévalent des 
        coteaux, tantôt les pieds englués dans la boue épaisse, 
        sous les rafales de pluie que le vent nord-est jette au visage des combattants, 
        en même temps qu'il pousse les vaisseaux à la côte. 
        Cependant, supérieurs en nombre, les Impériaux se resaisissent 
        et repoussent les assaillants qu'ils poursuivent jusqu'aux remparts de 
        la ville, devant la porte d'Azoun. En tête, les chevaliers de Malte 
        qui y parviennent pêle- mêle en combattant avec l'arrière-garde 
        barbaresque. Les Turcs se sont engouffrés dans la porte qu'ils 
        referment précipitamment ensuite, laissant un grand nombre des 
        leurs à l'extérieur des remparts. Ces Barbaresques s'enfuient 
        par les fossés ou sont massacrés par les Impériaux. 
        Mais les défenseurs d'Alger qui ont garni les remparts font une 
        décharge générale d'artillerie, de traits d'arbalète 
        et de pierres sur les chrétiens qui, saisis de panique, se débandent 
        et s'enfuient. Seuls, les chevaliers de Malte (19) se retirent dignement, 
        en bon ordre.
 
 Les Turcs ressortent et se lancent à la poursuite des fuyards, 
        enveloppent les chevaliers de Malte qui sont près de succomber 
        sous le nombre. A cet instant, survient l'Empereur lui-même, avec 
        sa Maison et ses lansquenets allemands, qui contraint l'ennemi à 
        la retraite et le reconduit jusqu'à la porte d'Azoun. Charles- 
        Quint maintient ses troupes quelque temps sous le feu de la place et les 
        ramène ensuite vers leurs positions.
 
 La pluie tombe toujours, inlassablement...
 
 Les hommes sont épuisés, profondément démoralisés. 
        La situation de l'armée est préoccupante certes, mais non 
        désespérée cependant.
 
 Celle de la flotte, en revanche, se présente beaucoup plus grave. 
        La flotte - ou ce qu'il en reste - qui détient encore dans ses 
        flancs l'essentiel de ce qui est nécessaire à l'armée 
        pour qu'elle poursuive son action à terre ! Or 140 bâtiments 
        de transport ont péri déjà, coulés corps et 
        biens, échoués ou brisés sur les plages où 
        des nuées de Barbaresques pillent les épaves et massacrent 
        sans pitié les naufragés. Les navires jusque-là épargnés 
        par la tempête sont terriblement malmenés. Pour les soustraire 
        au danger, Doria les conduit vers l'avancée orientale du cap Matifou 
        qui les abritera quelque peu. Puis l'amiral fait prévenir l'Empereur 
        qu'il lui reste juste assez de vaisseaux pour suffire au rembarquement 
        de l'armée. Opération qui, vu l'état dela mer, ne 
        pourra s'effectuer qu'au cap Matifou (20).
 
 La tempête ne désemparant toujours pas et l'état de 
        l'armée devenant inquiétant, Charles-Quint comprend alors, 
        la mort dans l'âme, que le salut de la flotte et celui des troupes 
        exigent une prompte retraite. Il doit abandonner son projet, quoi qu'il 
        lui en coûte...
 Le jour même, il rassemble ses troupes, et, laissant derrière 
        lui matériel, artillerie, bagages et vivres même, les met 
        en marche vers le cap Matifou, à peine distant d'une trentaine 
        de kilomètres. Distance peu importante, mais il faudra cependant 
        plus de quarante-huit heures pour la couvrir, au prix de fatigues inouïes... 
        Le terrain détrempé, couvert d'obstacles naturels, de marais 
        fangeux (21), rend la marche lente et pénible. Fantassins et cavaliers, 
        anéantis de fatigue se traînent dans la boue, sous la pluie 
        incessante, démoralisés par le froid. Les flancs de la colonne 
        sont défendus par les divisions italiennes et allemandes et elle 
        s'achemine sous la protection des cavaliers espagnols et des derniers 
        chevaliers de Malte. L'Empereur chevauche avec l'arrière-garde 
        qui, seule encore, présente un aspect guerrier et grâce à 
        qui les Barbaresques restent à distance. De loin, les musulmans 
        suivent le spectacle de cette formidable armée chrétienne 
        qui regagne avec peine sa flotte décimée. La colonne se 
        traîne ainsi deux jours durant, repoussant les attaques incessantes 
        des Barbaresques qui la harcèlent, égorgeant les traînards 
        et massacrant les blessés que les soldats, rendus impitoyables 
        par leurs propres souffrances, abandonnent derrière eux, afin de 
        n'être pas retardés dans leur marche. En cours de route, 
        on abat des chevaux pour se nourrir.
 
 Successivement, deux obstacles sérieux barrent la route des fuyards 
        : l'Harrach et le Hamiz, en crue tous deux et débordant largement 
        de leurs lits. Il faut aller chercher sur les plages (22) des carènes 
        de navires échoués, les mettre bout à bout pour en 
        confectionner des pont. L'ouragan, heureusement, diminue d'intensité... 
        Le cap Matifou enfin atteint, l'armée reçoit des vivres 
        de la flotte et peut prendre quelque repos. Le lendemain débute 
        l'embarquement, vite interrompu par un nouveau grain violent. Les navires 
        qui ont reçu leur chargement prennent aussitôt le large. 
        Après deux jours d'interruption, les opérations d'embarquement 
        reprennent. L'Empereur monte à bord du dernier. Ultime crève-cceur 
        pour le monarque, il a fallu jeter à la mer les plus belles pièces 
        d'artillerie amenées jusqu'ici au prix des plus grandes souffrances 
        (23) et abattre presque tous les chevaux (24). Le choix s'était 
        posé, inéluctable : hommes, canons ou chevaux... Le mauvais 
        état de la mer contraignit Charles-Quint à séjourner 
        par deux fois à Bougie, quatorze jours d'abord et six jours ensuite. 
        Il atteignit Palma de Majorque le 23 novembre. Il en était parti 
        triomphalement cinq semaines auparavant ; il y revenait vaincu, ayant 
        subi un immense désastre.
 
 Quelques mois plus tard, la Turquie et la France concluaient une nouvelle 
        alliance, défensive et offensive...
 Le spectre de la défaite Ce désastre de l'expédition 
        espagnole de 1541 constituait un fréquent sujet de méditation 
        pour l'état-major français. Et ce jour-là, au milieu 
        de la formidable tourmente, ce souvenir inquiétant occupait seul 
        les esprits. On tremblait sous la menace d'une catastrophe semblable. 
        Comme les Espagnols près de trois siècles auparavant, les 
        Français voyaient se profiler devant eux le spectre de la défaite. 
        La mémoire du passé ajoutait aux craintes du présent!
 Instruit des erreurs tactiques commises par Charles-Quint, de Bourmont 
        s'était efforcé d'en éviter la réédition 
        : le débarqement s'était effectué à distance 
        de la ville- objectif, on n'avait pas avancé, ni attaqué, 
        sans prendre la précaution d'établir un camp retranché 
        et approvisionné, assurant la position ainsi que les arrières 
        de l'armée sur le terrain. En 1541, les conditions atmosphériques 
        exceptionnellement défavorables avaient été suffisantes 
        pour déterminer la perte de l'expédition espagnole placée 
        en porte à faux sur le littoral algérois. Celles auxquelles 
        était aujourd'hui confrontée l'armée française 
        se présentaient tout aussi défavorablement, mais, grâce 
        aux précautions prises jusque-là, sa situation se révélait 
        cependant moins critique : dans l'hypothèse même d'une destruction 
        de la flotte, partielle ou totale, l'armée pouvait tenir, ramassée 
        sur la position de repli, jusqu'à l'arrivée des secours 
        que Toulon ne manquerait pas d'envoyer au plus vite.
 
 De Bourmont conservait tout son sang- froid, mais les craintes suscitées 
        par l'ouragan qui ne faiblissait toujours pas l'incitèrent à 
        prendre certaines mesures de prudence. C'est ainsi que, durant quelques 
        instants, il songea à abandonner la ligne jusque-là tenue 
        par les deux premières division en avant de Sidi-Ferruch pour venir 
        s'établir sur une autre ligne, plus rapprochée du point 
        de débarquement et plus facile à défendre, dans l'hypothèse 
        d'un revers de ses troupes. En conséquence, ordre fut même 
        envoyé au maréchal de camp Clouet de rétrograder 
        sa brigade placée à l'extrême gauche du théâtre. 
        Mais le généralissime revint sur sa décision hâtive 
        lorsque, ayant reçu les lieutenants-généraux Berthezène 
        et Loverdo, respectivement commandants des ire et 2e divisions, ceux-ci 
        le rassurèrent sur l'état des munitions et le moral de la 
        troupe, satisfaisants selon eux. Puis les deux officiers généraux 
        s'attachèrent à démontrer à leur supérieur 
        l'inconvénient sérieux d'une rétrogradation générale 
        des lignes qui se révélerait nuisible pour le moral des 
        troupiers dont la confiance serait diminuée, Tandis que celle de 
        l'adversaire en serait ranimée. Berthezène déclara 
        que, quant à lui, il répondait de sa position actuelle, 
        dût-il la défendre à la baïonnette et Loverdo 
        abonda dans ce sens. Alors soulagé, de Bourmont abandonna toute 
        velléité de repli, à la satisfaction de ses deux 
        subordonnés.
 
 Mais ce problème réglé, demeurait celui aigu, des 
        approvisionnements dont la flotte détenait encore la majeure partie.
 
 Or de son côté, le vice-amiral Duperré, bien que lui-même 
        confronté à cet instant avec le périlleux problème 
        de la conservation de ses bâtiments, livrés tels des jouets 
        à la fureur de la tempête, n'oubliait-il pas la question 
        majeure des approvisionnements de l'armée de terre. Aussi, l'ouragan 
        ne perdant rien de sa vigueur, eut-il l'idée de faire jeter tous 
        les vivres par-dessus bord. Initiative rendue possible grâce à 
        la précaution qu'avait eue, avant le départ de Toulon, l'intendant 
        général Denniée de munir tous les approvisionnements 
        de doubles enveloppes imperméables (25). Et l'on vit bientôt 
        jaillir de tous les navires alertés par signaux, ballots, caisses 
        et barils qui, touchant à peine l'eau, étaient aussitôt 
        emportés avec force par les lames et poussés par le vent 
        violent vers la plage où ils s'échouaient promptement. " 
        Lancés à la mer avec une incroyable célérité, 
        nous dit l'intendant en chef, les caisses de biscuits, les tonneaux de 
        vin ou d'eau de vie, de farine, de légumes, les ballots de foin, 
        les sacs d'orge et d'avoine, vomis avec la vague, venaient échouer 
        sur le rivage. "
 
 Ainsi la tempête elle-même allait-elle aider au débarquement 
        des denrées que les navires ne pouvaient assurer. La prévoyance 
        humaine utilisait l'obstacle comme un moyen de parvenir tout de même 
        à ses fins.
 
 En quelques minutes, l'immense plage de sable blond s'était couverte 
        de caisses et d'objets divers qui s'entassaient pêle- mêle 
        sur une grande étendue et dans une incroyable confusion, offrant 
        sur une grande étendue un aspect lamentable. Le ramassage, le classement 
        et la mise en sûreté de cette masse de colis exigera trois 
        jours pleins d'un travail de fourmi à de très nombreuses 
        corvées.
 La fin d'un cauchemar A peine la mise à l'eau de tous ces 
        objets était-elle terminée, vers midi, que le vent changea 
        brusquement de direction. Alors qu'il avait longtemps et violemment soufflé 
        du nord-ouest, sans transition aucune, il sauta subitement à l'est. 
        En quelques minutes, sa force s'amortit considérablement, sa vitesse 
        chut tout à fait et, par effet de cause, la houle s'apaisa rapidement, 
        elle aussi.
 Et bientôt le soleil refit son apparition.
 
 Dans le ciel qui commençait à se dégager par larges 
        pans d'un bleu pur, on le vit reparaître d'abord timidement, jaune 
        pâle, comme étrangement dépouillé de ses rayons. 
        Mais cela ne dura pas longtemps. Un quart d'heure après, il avait 
        retrouvé tout son éclat et sa chaleur. Un témoin 
        oculaire (26) nous résume succinctement tout ce qui vient d'être 
        exposé : " Sidi Ferruch, le 16 juin 1830... Levé ce 
        matin à 3 heures pour continuer les opérations du débarquement 
        du matériel, j'étais un peu appesanti par la chaleur... 
        Les nuages se sont amoncelés, un vent terrible est arrivé 
        du nord-ouest, le tonnerre a grondé au milieu des éclairs, 
        des torrents de pluie ont arrosé la plage et nous avons eu les 
        inquiétudes les plus grandes pour le sort de la flotte. Le vent 
        portait les bâtiments à la côte ; déjà 
        plusieurs avaient tiré le canon d'alarme et nos bateaux à 
        vapeur s'efforçaient de remorquer ceux qui étaient en danger. 
        Cela a duré pendant plus de trois heures. Les faibles se souvenaient 
        de l'expédition de Charles-Quint et de l'orage qui détruisit 
        son armée. Des regards sinistres s'échangeaient, de sinistres 
        paroles se prononçaient, quand tout à coup le vent s'est 
        moqué de nous et de nos alarmes et, passant du nord-ouest au sud-est, 
        a repoussé les flots qui se jetaient furieux au rivage, chassé 
        les nuages épais et séché nos toilettes endommagées..."
 
 Partout, à terre comme à la mer, on retrouvait la joie de 
        vivre, après avoir désespéré plusieurs heures 
        durant. Les troupiers s'efforçaient de rétablir leurs installations 
        inondées et se hâtaient de remettre leurs armes en état. 
        Déjà, la masse d'eau déversée par la pluie 
        torrentielle avec une violence telle que le sable même n'avait pu 
        l'absorber, commençait à s'évaporer sous les chauds 
        rayons du soleil. Mais les tranchées, les trous individuels demeuraient 
        encore emplis d'eau boueuse et les petits ouvrages défensifs bâtis 
        de terre, de pierrailles et de branchages amalgamés, étaient 
        écroulés. Ce n'était pas trop grave, les Barbaresques 
        avaient sans doute eux aussi subi les mêmes désagréments 
        et, de fait, ils ne reparurent pas de tout l'après-midi. Jusqu'au 
        soir, la terre fuma littéralement, sur le territoire occupé 
        par les Français et partout là-haut sur les collines, en 
        direction du plateau de Staouéli. Les deux adversaires allumaient 
        ensemble les mêmes feux de bois vert et mouillé pour sécher 
        leurs vêtements trempés et leurs armes inondées!
 
 De leur côté, les marins procédaient à l'examen 
        des dégâts infligés par la tempête. Ils se révélèrent 
        finalement moins importants qu'on ne l'avait craint. Quelques vaisseaux 
        avaient eu leur gouvernail brisé, des ancres étaient perdues, 
        des gréements endommagés, mais tout cela était réparable. 
        Dans l'ensemble, les navires, mieux et plus solidement construits que 
        ceux du 16e siècle, avaient bien soutenu le choc de l'ouragan. 
        Il n'en allait pas de même pour les navires de commerce et pour 
        les petits bâtiments qui avaient subi des pertes sérieuses.
 L'optimisme revenait en force chez les marins. Car l'alerte avait été 
        sérieuse. Comme l'écrivit le vice-amiral Duperré 
        (27) : "Si ce temps s'était prolongé deux heures de 
        plus, la flotte était menacée d'une destruction peut-être 
        totale. Le vent a sauté du nord-ouest à l'Est, et aussitôt 
        la mer est tombée... Mais la leçon a été effrayante 
        pour tout le monde, à terre comme à la mer... " Et 
        le chef de la flotte révisait déjà à la baisse 
        l'opinion qu'il avait émise, le 13, quant à la sûreté 
        de la baie (28).
 
 A l'opposé de l'affreuse matinée, l'après-midi se 
        révéla radieux.
 
 L'ouragan avait sensiblement rafraîchi l'atmosphère et la 
        légère brise d'est qui soufflait maintenant chassait les 
        vapeurs qui l'alourdissaient. La pureté de l'air était telle 
        que les Français semblaient découvrir pour la première 
        fois le paysage magnifique qui s'offrait à leurs yeux : d'immenses 
        plages de sable blond se déroulaient sans fin de part et d'autre 
        de la presqu'île, baignées par une mer étincelante 
        dont le cobalt vif allait se confondre à l'horizon avec le ciel 
        pur. Jusqu'au lointain, ces plages claires enserraient les terres ocres 
        et vertes qui montaient à l'assaut des hautes collines du Sahel 
        et bornaient la vue au nord et à l'est, puis s'abaissaient graduellement 
        vers le sud et la Mitidja avec, en toile de fond grandiose, les sommets 
        violacés de l'Atlas blidéen dont l'ultime chaînon, 
        le mont Chenoua, 
        allait s'abîmer brusquement dans la mer.
 
 Quelque chose au loin intriguait beaucoup ces spectateurs attentifs. C'était, 
        vers le sud-ouest, juché sur un grand mamelon dénudé, 
        dernier ressaut des hauteurs littorales, un étrange monument que 
        le soleil de l'après-midi colorait d'une belle platine dorée. 
        Seuls quelques officiers de l'expédition et les savants qui l'accompagnaient 
        savaient qu'il s'agissait du mausolée d'un prince berbère 
        romanisé (29), énorme masse de pierres blanches, haute comme 
        une colline, que près de dix lieues de pays rapetissaient à 
        la dimension d'une ruche.
 
 Lorsque le soleil se coucha à l'horizon, ce soir-là, le 
        coup il devint admirable et même les natures les plus frustes, 
        les plus brutes parmi ces milliers d'hommes réunis là, ne 
        purent rester insensibles à la magnificence de ce spectacle féerique, 
        d'une extraordinaire beauté. La munificence de ce paysage qui, 
        jusque-là, leur avait semblé fermé, hostile et inquiétant, 
        inclinait les troupiers à l'euphorie, réaction inconsciente 
        aux frayeurs de la matinée. Cette joie éclata partout, en 
        même temps que s'allumaient les feux de bivouacs, lorsqu'une abondante 
        répartition de vin ainsi que de pain frais, tout chaud sorti des 
        fours de campagne, la première depuis le débarquement, fut 
        effectuée parmi les compagnies. Et cette liesse se propagea jusque 
        sur l'eau, ce soir-là, parmi les marins de la flotte, eux aussi 
        galvanisés par une ample distribution de rhum.
 
 La nuit tout à fait tombée, on s'organisa du mieux possible 
        afin de passer une nuit réparatrice, tandis que gardes et grand 
        gardes se mettaient en place pour veiller à la sécurité 
        du camp et des lignes.
 
 Et chacun s'endormit bientôt, roulé dans sa couverture ou 
        son manteau, envisageant avec sérénité et confiance 
        la journée prochaine.
 Gaston PALISSER. Prochain article :"La veillée d'armes". (note 
        du site: hélas, je n'ai pas ce n°. Pas de veillée!.Quelle 
        cruauté!)
 (1) Voir L'Algérianiste n° 31, septembre 1985, p. 14 et no 
        37, mars 1987, p. 4.
 (2) Voir L'Algérianiste n° 39 de septembre 1987, p. 8 sqq.
 (3) Voir supra, note 2.
 (4) J.-T. Merle : Anecdotes pour servir à l'histoire de la conquête 
        d'Alger en 1830.
 (5) Jean-Ernest Ducos de La Hitte, maréchal de camp, commandant 
        l'artillerie du corps expéditionnaire, à l'époque, 
        le plus jeune général de l'armée française. 
        " Ce général semblait se multiplier pour être 
        partout à la fois, nous dit A. Nettement (Histoire de la conquête 
        d'Alger, p. 367), impatient de montrer la supériorité du 
        nouveau matériel sur l'ancien, il parvenait avec ses pièces 
        aux avant-postes en traversant les terrains les plus difficiles...,, On 
        le voyait partout à la fois, ajoute l'ingénieur-géographe 
        Rozet (Relation de la guerre d'Afrique, 1830), il accompagne de Bourmont 
        dans la visite des lignes, puis revient au milieu des batteries pour faire 
        tout disposer, ensuite il court activer le débarquement de son 
        matériel et veille au placement des objets dans les parcs... " 
        Indéniablement, la contribution de cet officier général 
        au succès de la campagne fut importante.
 (6) Bâtiments de guerre délestés d'une partie de leur 
        artillerie et provisoirement affectés au transport des troupes 
        et du matériel.
 (7) La toute nouvelle marine de guerre à vapeur conquit ses lettres 
        de noblesse au cours de cette formidable tempête. Six unités 
        composaient cette division, pour la première fois employées 
        au cours d'opérations militaires. La marine traditionnelle accueillait 
        avec dédain cette nouveauté (voir Cap sur Alger, de BernardiniSoleillet, 
        Editions de l'Atlanthrope, p. 95) que les marins de ,,la vraie marine 
        ", celle des fins voiliers, appelaient !d'escadre des chaudrons flottants 
        " ou encore, nn mouches d'escadre ", sobriquet dû à 
        l'activité incessante déployée par ces vapeurs lors 
        de la longue traversée. Très souvent, on avait pu les voir, 
        allant et venant sans arrêt de la tête à l'arrière-garde 
        du convoi, tels des chiens de berger, crachant d'épais panaches 
        de fumée noire et faisant force vapeur pour transmettre les ordres 
        de l'amiral ou porter assistance à un bâtiment en difficulté. 
        A la longue pourtant, il fallut bien reconnaître que les n< machines 
        à feu,, à l'allure pataude, propulsées par leurs 
        encombrantes roues à aubes, s'étaient affranchies des servitudes 
        du vent. Au début de cette même année 1830, le ministère 
        français de la Marine avait vainement tenté d'augmenter 
        le nombre de ces navires à vapeur par des affrètements en 
        Angleterre, laquelle possédait déjà, cette époque, 
        une flotte de plus de 300 bâtiments de ce type.
 (8) La pointe Saint-Janvier.
 (9) Le Grand Rocher et le Rocher du Milieu.
 (10) Bâtiments de guerre chargés de toute leur artillerie.
 (11) Claude-Charles-Marie de Campe de Rosamel, contre-amiral, commandant 
        en second de l'armée navale, cinquante ans à l'époque, 
        homme d'un port magnifique et d'une belle figure, très audacieux 
        et très expérimenté. Il fut nommé vice-amiral 
        et préfet maritime de Toulon. Ministre de la Marine de 1836 à 
        1839 et mourut en 1848.
 (12) Louis-Auguste-Victor de Ghaisne de Bourmont, lieutenant-général, 
        ministre de la Guerre en 1830 et commandant en chef de l'expédition. 
        C'était alors un homme de cinquante-sept ans, de petite taille, 
        grand nez et traits nobles, un air fin et rusé. Emigré de 
        1791, il revint en Vendée combattre les Chouans. Rallié 
        à l'Empire, fut nommé colonel puis maréchal de camp. 
        Rejoignit Louis XVIII en 1814. S'exila après la Révolution 
        de juillet 1830, revint en France et y mourut en 1846.
 (13) Baron de Tholozé, maréchal de camp et sous-chef d'état-major. 
        Ancien officier de l'Empire.
 (14) J.-T. Merle. Voir supra, note 4.
 (15) Lieutenant-général Desprez, chef d'état-major. 
        Général de division sous l'Empire, réintègre 
        l'armée pendant la Restauration. Homme de petite taille, sec et 
        pointu, mais possédant de réels talents militaires.
 (16) En réalité, les Frères hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem 
        ou chevaliers-moines, qui guerroyaient partout en Méditerranée 
        contre l'Islam. Successivement chassés, par les Turcs de Jérusalem 
        (1187), de Saint-Jean-d'Acre, de Chypre (1291), puis de Rhodes (1308), 
        ils s'étaient installés à Malte en 1530. En 1541 
        encore ils s'intitulaient ,,chevaliers de Rhodes " et se considéraient 
        comme en exil à Malte, n'ayant pas renoncé à retourner 
        à Rhodes. Un grand-maître ou prince ayant le pape pour seul 
        suzerain commandait l'ordre qui dura jusqu'à la prise de Malte 
        par Bonaparte, en 1798.
 (17) Les plages des Sablettes et d'Hussein-Dey, à partir de la 
        pointe Tafourah. Souvenons-nous, dans cette banlieue d'Alger, du hameau 
        Charles-Quint.
 (18) Le Koudiat eç Çaboun, la colline du Savon sur laquelle 
        Hassan Pacha fit d'abord édifier une tour ronde armée de 
        trois canons. Puis, en 1579. craignant un retour des Espagnols, la fit 
        fortifier, l'encadrant de quatre bastions. En 1656, la foudre endommagea 
        cette construction qui subit des modifications importantes (H. Klein, 
        les Feuillets d'El Djezaïr, T. 3, 1912). Un temps, la forteresse 
        porta le nom de Bordj el Taous (fort des Paons), un dey y ayant fait élever 
        des paons, puis celui de Soltan Kalassi (Fort-l'Empereur).
 (19) Deux plaques de marbre étaient apposées, l'une rue 
        des Chevaliers-de-Malte, l'autre à l'angle des rues Littré 
        et Bab-Azoun, à Alger. La première nous rappelait l'héroïsme 
        de ces chevaliers et le texte de la seconde commémorait le geste 
        de Ponce de Balaguer, dit Savignac, porte-étendard de cet ordre 
        qui, sous une grêle de traits, aurait planté sa dague dans 
        la porte d'Azoun, en disant ,,Nous reviendrons ! ", prophétie 
        qui. ajoute l'inscription, se réalisa le 5 juillet 1830 avec l'arrivée 
        des troupes françaises...
 C'est interpréter l'événement avec autant de fantaisie 
        que Victor Hugo écrivant, à propos de l'expédition 
        de 1541 (le Rhin, 1838), que : u Villegaignon avait failli donner Alger 
        à la France dès les 16e siècle... " car, comme 
        tous les mots historiques, celui attribué à Savignac n'a 
        vraisemblablement jamais été prononcé. Comme l'indique 
        excellemment M.-E. Ravenet dans son opuscule : Un épisode de l'expédition 
        de 1541 (Société historique algérienne), la légende 
        trouve origine dans un passage de la Relation de A. Magnolotti, écrivant 
        notamment que : "... le bruit court que le frère Pontion di 
        Bilinguer, dit de Savignac, Français, planta son poignard dans 
        la porte..... Or cet auteur n'avait pas assisté à l'échauffourée 
        et, de plus, sa relation comporte des inexactitudes et des invraisemblances 
        telles que son authenticité peut être à bon droit 
        mise en doute. En outre les gestes et les mots attribués à 
        de Savignac ne sont rapportés dans aucun récit contemporain, 
        dont notamment la relation du chevalier de Villegaignon qui avait pourtant 
        participé à l'attaque de la porte d'Azoun et y avait même 
        été grièvement blessé.
 Puis, au cours des siècles suivants, divers auteurs reprirent les 
        propos de Magnolotti sans jamais mentionner qu'il s'agissait là 
        d'un bruit et non d'un fait authentique. Et en 1843, Berbrugger, dans 
        Algérie historique pittoresque et monumentale, remit en mémoire 
        l'épisode en question, sur l'authenticité duquel il n'élevait 
        d'ailleurs aucun doute. Reprochant à ses compatriotes leur ingratitude, 
        il ajoutait : "... nous n'avons pas eu l'idée de consacrer 
        par un monument, une simple inscription, un nom donné à 
        une rue, le souvenir de ce héros qui, au nom de la France, vint 
        frapper audacieusement à la porte d'Alger... " L'ouvrage s'ornait 
        d'un tableau de Raffet intitulé : " Pons de Balaguer à 
        la porte de Bab-Azoun " [sic] et représentant le chevalier 
        plantant sa dague dans la porte, gravure devenue classique. Trois ans 
        plus tard, H. de Grammont, dans le commentaire dont il faisait suivre 
        sa traduction de la relation latine de Villegaignon, reprenait le thème 
        de Berbrugger. Comme ce dernier, il exaltait le prétendu fait d'armes 
        de Savignac et même, donnant libre cours à son imagination, 
        l'enrichissait de détails nouveaux.
 Ainsi, par la contribution successive d'auteurs peu exigeants et inspirés 
        de sentiments certes respectables, mais qui n'avaient rien de commun avec 
        la critique historique, s'est formée une légende née 
        d'un on-dit, d'un bruit anonyme et incontrôlable, que des préventions 
        d'ordre sentimental feront accepter comme une réalité. Notons, 
        de plus, que ce ne pouvait être au nom de la France, alors alliée 
        des Turcs, mais bien au nom de l'Espagne, alors ennemie mortelle des deux 
        premières, que les chevaliers sont venus frapper à la porte 
        d'Azoun, simple constatation qui, à elle seule, contredit formellement 
        les affirmations de Berburgger et de Grammont (20). L'amiral Doria, apuyé 
        par le pape Paul III, avait vainement supplié l'empereur de ne 
        pas entreprendre l'expédition dans cette période de l'année. 
        Il lui avait demandé d'attendre une saison plus propice à 
        la navigation. Doria, marin très expérimenté, disait 
        : "Il n'y a que deux ports en Afrique : juin et juillet, en dehors 
        de ces deux périodes, les risques sont grands ! "
 (21) Notamment entre Fort-de-l'Eau et le Hamiz.
 (22) C'est-à-dire les plages 
        d'Hussein-Dey, du Polygone d'artillerie et de Fort-de-l'Eau.
 (23) Selon quelques auteurs contemporains, en 1830 encore, on pouvait 
        apercevoir, au cap Matifou, par mer calme, d'énormes fûts 
        fortement oxydés, à demi ensablés et envasés, 
        gisant par quatre ou cinq mètres de fond.
 (24) Selon Brantôme, la perte de ces chevaux, " magnifiques 
        genêts d'Espagne ", sera ressentie plus tard comme " le 
        grand deuil du désastre", par Charles-Quint.
 (25) L'amiral de Rigny avait prédit à l'intendant Deniée 
        les coups de vent et les accidents fréquents sur les côtes 
        de la Régence. C'est en prévision de cette fâcheuse 
        éventualité que le responsable de l'intendance avait eu 
        l'heureuse idée de munir tous les colis de doubles enveloppes imperméables.
 (26) Paul Raynal, sous-intendant : l'Expédition d'Alger, 1830, 
        Lettres d'un témoin.
 (27) Rapport du 17 juin 1830 au ministre de la Marine.
 (28) Arrivant en baie de 
        Sidi-Ferruch, le 13 juin, et constatant l'excellence de ce 
        mouillage, le vice-amiral avait dit textuellement au chef d'état-major 
        de l'armée de terre, le général Desprez : " 
        la flotte sera aussi en sûreté dans cette baie que dans la 
        rade de Toulon..... (Journal d'un officier de l'Armée d'Afrique, 
        pp. 73 et 74).
 (29) Le K'bour roumia ou Tombeau 
        de la Chrétienne, monument composite colossal, vraisemblablement 
        construit aux environs de l'an 20 de notre ère, et, très 
        probablement, tombeau de Juba II, roi de Numidie ainsi que de son épouse, 
        Cléopatre Séléné, fille de la grande Cléopâtre.
 |