|  Une rédemption " à Alger, en 1713
 Notre maître le roi catholique Philippe 
        V et notre sérénissime maîtresse, Marie-Louise, reine 
        d'Espagne, avaient été fort affligés d'apprendre 
        le sort des officiers des soldats et des habitants capturés en 
        grand nombre par les Maures, lors de la prise d'Oran, la plus forte des 
        places espagnoles d'Afrique et conduits à Alger où, depuis 
        cinq ans, ils enduraient toutes sortes de maux. Aussi LL. MM. nous enjoignirent-elles, 
        à mes confrères les Rédempteurs et à moi, 
        au milieu des rigueurs de l'hiver, de partir sans tarder pour tirer les 
        captifs de servitude et les ramener aux rivages désirés 
        de l'Espagne.
 En exécution de cet ordre si juste, si empreint de piété 
        et si digne de coeurs catholiques et royaux, nous quittâmes la cour 
        de Madrid le 2 janvier 1713. Après un séjour à Carthagène, 
        dans le royaume de Mucie, port d'Espagne le plus voisin d'Alger, séjour 
        nécessité par les préparatifs mari- times du voyage, 
        nous mîmes enfin heureusement à la voile, le jour de la Purification 
        de la Bienheureuse Vierge Marie.., et, après une navigation de 
        220 milles, distance qui sépare Alger du port espagnol susdit, 
        le 4 février... nous entrâmes à Alger, à la 
        grande joie de toute la ville et surtout des captifs pour qui notre arrivée 
        présageait un rachat prochain. La " rédemption " 
        dont nous étions chargés commença avec quelque mystère, 
        car on ne peut faire autrement, le 7 février, veille de la fête 
        de notre saint " Patriarche " et fondateur Jean de Matha. La 
        fête du saint fut célébrée dans l'hôpital 
        principal. Cet édifice appartient aux RR.PP. Trinitaires déchaussés 
        (  Les Trinitaires déchaussés 
        étaient une congrégation issue de l'ordre primitif. Elle 
        avait été fondée en France en 1620. Les réformateurs 
        se proposaient de remettre en vigueur la règle primitive et ils 
        y avaient ajouté l'obligation de marcher pieds nus.) 
        espagnols et est desservi par eux. Il leur en coûte une somme d'argent 
        payée aux Maures en guise de tribut, mais il en résulte 
        un grand profit pour les âmes des captifs même hérétiques 
        qui y sont amenés lorsqu'ils sont malades, L'église et l'autel 
        étaient couverts d'ornements précieux appartenant à 
        des Turcs, à des Maures et même à des Juifs. Le Français 
        Lambert Duchesne, de la Congrégation de la Mission, vicaire apostolique 
        à Alger et à Tunis, dit une messe solennelle. Je prononçai, 
        de mon côté, un sermon sur la fête du saint " 
        Patriarche ". A la messe et au sermon assistait la foule des captifs 
        à l'exception des malades et de ceux qui les soignaient. Encore 
        les uns et les autres étaient-ils présents, car la grande 
        cour de l'hôpital a la forme d'une église à trois 
        nefs et, de leur lit, les malades voient l'officiant à l'autel. 
        Celui-ci est fermé par des portes qu'on ouvre pour la célébration 
        des messes et des cérémonies. Parmi les assistants se trouvaient 
        aussi les consuls des diverses nations ainsi que les marchands en résidence 
        ou de passage dans la ville.
 
 Dès le début des négociations et des démarches 
        relatives à la " rédemp- tion ", les infidèles 
        mahométans, Turcs et Maures, multiplièrent les vexations 
        à notre égard. Ils se refusèrent à observer 
        les conventions conclues antérieurement et ne voulurent pas tenir 
        les promesses qu'ils avaient faites. Ils nous avaient, en effet, accordé 
        et avaient envoyé en Espagne une pièce authentique appelée 
        sauf-conduit, dans laquelle ils s'engageaient sous serment à observer 
        les conditions que nous leur avions proposées. Ce sauf- conduit 
        nous permettait d'accomplir en toute sécurité notre " 
        rédemption ", de satisfaire aux volontés de notre roi 
        Philippe V relativement à la qualité des captifs et d'exécuter 
        de tous points les ordres de ce grand monarque.
 *** Les Algériens, néanmoins, sauf 
        qu'ils respectèrent notre vie, firent exactement tout le contraire 
        de ce qu'ils avaient promis et juré. " Nous ne sommes pas 
        chrétiens, disaient-ils, et, par conséquent, nous ne sommes 
        pas astreints à tenir nos promesses. " Aussi le roi d'Alger 
        nous enleva-t-il tout l'argent que nous avions apporté d'Espagne 
        avec nous. La somme était considérable ; elle provenait 
        des aumônes recueillies auprès des fidèles pour le 
        rachat des captifs, du tiers des biens de notre ordre, enfin du tiers 
        des aumônes faites par de pieux donateurs pour notre propre entretien. 
        Car, ainsi que je le dirai par la suite, l'ordre des Trinitaires déchaussés, 
        auquel j'appartiens, applique toutes ses ressources à la rédemption 
        des fidèles, les rachète de sa propre substance et se vide, 
        pour ainsi dire, de sang à cet effet. Non content de conserver 
        avec la plus grande fidélité les sommes demandées 
        aux gens pieux et fournies par eux, et de les transporter au pays des 
        infidèles, il met encore de côté et affecte au même 
        objet le tiers des dons qui lui sont faits pour l'entretien des religieux, 
        la construction des couvents ou le culte divin. Ajouté aux aumônes 
        recueillies pour les captifs, ce tiers permet de soustraire un plus grand 
        nombre d'esclaves à la tyrannie des Maures.
 Au cours des rédemptions précédentes, les rois d'Alger 
        avaient coutume de prendre pour eux une partie de la somme apportée 
        et donnaient, en échange, quelques-uns de leurs propres esclaves. 
        Ils laissaient le reste aux religieux qui pouvaient ainsi racheter à 
        un prix modéré les captifs appartenant à des particuliers 
        Maures ou Juifs. Cette fois, au contraire, ce roi barbare saisit en totalité 
        les fonds que nous apportions afin d'être seul à nous vendre 
        des esclaves que sa cupidité taxait à des prix excessifs 
        ; on eût dit qu'il voulait s'approprier tout l'argent et ne rendre 
        qu'un très petit nombre de captifs. Nous crûmes alors notre 
        rédemption quasi perdue ; alors que nos ressources auraient pu 
        suffire au rachat de mille individus, à peine pensions-nous en 
        tirer quarante ou cinquante de la servitude où les tenait ce tyran. 
        A ces prétentions et à bien d'autres encore, aussi déraisonnables 
        qu'injustes, nous opposions une résistance énergique afin 
        de remplir fidèlement notre devoir de rédempteurs et de 
        sujets du roi catholique.
 *** Nos efforts pour accomplir notre mission 
        ne faisaient qu'irriter davantage l'humeur farouche et tyrannique du roi. 
        Frémissant comme un lion ou un chien qui aboie, il lui arriva souvent 
        de nous tourner le dos ; plus d'une fois, durant de nombreux jours, il 
        nous repoussa de son tribunal et de son audience où nous nous rendions 
        matin et soir pour négocier le rachat ; il poussa même la 
        rigueur jusqu'à nous interdire non seulement de lui parler mais 
        même de nous présenter devant lui. Bien que barbares, les 
        Maures, qui voyaient et entendaient tout cela, ne partageaient pas les 
        sentiments du roi et nous engageaient à lui résister. Ayant 
        même formé ole projet de se révolter contre ce prince, 
        ils commencèrent à susciter du tumulte, nous assurant que 
        la mort du tyran servirait les intérêts de la rédemption. 
        (Il n'y a guère d'année, en effet, où le roi d'Alger 
        ne soit décapité ou étouffé sous des coussins.) 
        Turcs et Maures étaient poussés à cette extrémité 
        par la tyrannie inaccoutumée du souverain qui fit proclamer par 
        des crieurs l'interdiction de vendre aux rédempteurs d'autres esclaves 
        que les siens. Il privait ainsi les particuliers d'Alger, Turcs ou Maures, 
        du bénéfice qu'ils comptaient tirer de la vente de leurs 
        captifs ; il nous causait, en même temps, un préjudice, puisqu'il 
        nous empêchait de racheter à ces mêmes Turcs et Maures 
        un certain nombre d'esclaves à un taux modéré et 
        raisonnable.
 Chaque jour, lorsque nous allions à l'audience du roi pour traiter 
        du rachat, nous étions obligés de nous soumettre à 
        un cérémonial humiliant ; il nous fallait lui demander permission 
        à genoux, lui baiser la main et la placer selon la coutume maure 
        sur notre tête ; nous nous résignions à tout pour 
        parvenir à libérer les esclaves. Au cours de ces audiences 
        nous fûmes témoins de scènes affligeantes, dont deux 
        en particulier, étaient de nature à briser des coeurs de 
        fer ou d'airain. L'une fut le spectacle des esclaves du roi, qui nous 
        offrait de choisir en sa présence ceux d'entre eux qui seraient 
        rachetés ; l'autre celui des violences, dont furent victimes les 
        malheureux que le manque d'argent n'avait pas permis de racheter. Les 
        Maures furieux et poussant de véritables hurlements, les frappaient 
        cruellement sur la tête, jusqu'à faire jaillir le sang avec 
        de grosses verges de bois dur et les ramenaient en prison, alors que, 
        quand ils avaient été conduits devant le roi et les rédempteurs, 
        ils espéraient recouvrer leur liberté.
 
 Parmi tant d'angoisses et de préoccupations, nous eûmes la 
        joie de racheter, avec l'aide de Dieu, 204 captifs, résultat heureux, 
        mais qui nous coûta bien des difficultés et des tristesses. 
        Notre satisfaction de rendre la liberté à quelques malheureux 
        était mitigée par le regret d'en laisser un nombre beaucoup 
        plus grand dans la servitude. Nous parvînmes à racheter quelques 
        prêtres et quelques religieux, mais beaucoup d'entre eux restèrent 
        captifs avec 9.000 catholiques romains de nationalités diverses, 
        parmi lesquels un millier d'Espagnols, dont 400 prisonniers d'Oran. Ajoutons-y 
        1.600 chrétiens schismatiques grecs originaires de l'Archipel et 
        des possessions de Venise misérablement détenus à 
        Alger. Pour ceux-ci point d'espoir ; leurs coreligionnaires schismatiques 
        ne se préoccupent pas de leur sort 'et nous, rédempteurs, 
        nous ne les comptons point parmi les individus rachetables. Il répugnerait, 
        en effet, à la raison de laisser les catholiques exposés 
        aux dangers qu'une fois libérés, ils peuvent éviter 
        dans leur propre pays, et de délivrer des hérétiques 
        et des schismatiques, que leur religion même condamne, dans leur 
        propre pays, aux peines de l'enfer.
 
 Nous avions dépensé tout l'argent apporté d'Espagne 
        ; nous nous étions même considérablement endettés 
        par suite d'emprunts contractés à Alger en raison (lu prix 
        inaccoutumé demandé pour les esclaves.
 *** Parmi tant de sujets de tristesse et d'affliction 
        que nous offrait cette nouvelle Babylone, terre qui fut jadis nôtre, 
        mais qui, pour la punition de nos péchés, est tombée 
        aux mains des tyrans barbares et nous est devenue étrangère 
        ainsi qu'à la religion chrétienne, nous avions pourtant 
        un motif très sérieux de chanter un cantique à la 
        louange du Seigneur. Il existe, en effet, à Alger, six églises 
        chrétiennes : la demeure du vicaire apostolique, l'hôpital 
        des P. Trinitaires chaussés déjà mentionné, 
        le bagne du Beylik et trois autres bagnes, ceux de Sainte-Catherine, de 
        la Galère (?) et de Zita muta (?).
 Dans chacune de ces églises on conserve toute l'année, en 
        vertu des traités passés avec les Français, qui ont 
        ici un consul, le T.-S. Sacrement de l'Eucharistie ; on y célèbre 
        plusieurs messes par jour, car il se trouve toujours parmi les captifs 
        nombre de prêtres ou de religieux prêts à le faire. 
        Quant aux esclaves, certains musulmans, loin de leur interdire
 18 l'accès de l'Eglise, leur prescrivent, au contraire, d'entendre 
        la messe et de recevoir les sacrements de Pénitence et d'Eucharistie. 
        Ces prêtres célèbrent à leur date les fêtes 
        ecclésiastiques avec toute la solennité qu'ils veulent et 
        les portes ouvertes. Il leur est, toutefois, défendu de sortir 
        sur les places ou dans les rues de la ville ; ils doivent rester dans 
        l'intérieur des églises ou des bagnes. L'Eglise majeure 
        ou principale appelée, nous l'avons vu, église du Beylik, 
        possède un atrium ou cour très vaste, dont la partie supérieure 
        est couverte de voiles de navires. De cette façon, les Maures, 
        les Juifs et même les hérétiques, qui sont ici en 
        grand nombre, ne peuvent, de leurs maisons apercevoir les divins mystères 
        et s'en moquer. Pendant la semaine sainte on y célèbre des 
        offices et l'on y fait de pieuses processions. Le spectacle des esclaves, 
        cierges en main, recueillis et gémissants, est des plus édifiants.
 *** Le Jeudi Saint, on orne les autels qui supportent 
        le sépulcre ou tombeau de N.-S., dans lequel est conservée 
        la T.-S. Eucharistie. Les captifs rivalisent d'ingéniosité 
        pour rendre ces sépulcres aussi riches et aussi beaux que possible. 
        Le spectacle est admirable et superbe : les autels édifiés 
        avec des matériaux précieux resplendissent de l'éclat 
        de mille cierges se reflétant dans des miroirs d'or ; ils sont 
        couverts de vases d'or et d'argent les plus somptueux qui se puissent 
        trouver à Alger ; partout brillent les gemmes au milieu d'étoffes 
        de soie magnifiques ; le pavé même disparaît sous des 
        tapis de grand prix. Chose peut-être plus étonnante : tous 
        ces objets sont demandés par les esclaves aux Turcs, aux Maures 
        et même aux Juifs, dont il existe à Alger 15.000 familles. 
        Ces objets que les Maures nous ravissent sur mer et sur terre et que les 
        Juifs leur achètent (ils passent, à cet effet, des contrats 
        dans les quatre parties du monde) sont prêtés gratuitement 
        par ces mêmes infidèles. Ceux d'entre eux, auxquels on n'a 
        rien demandé par ce que cela n'était pas nécessaire, 
        se plaignent amèrement après Pâques ou toute autre 
        de nos fêtes de ce que les esclaves n'aient pas ' voulu s'adresser 
        à eux et déclarent qu'ils auraient bien volontiers prêté 
        tout ce qu'ils ont dans leurs demeures, si on leur en avait touché 
        le moindre mot.
 Ce fait merveilleux se reproduisit, l'expérience le montre, chaque 
        année. Et pourquoi, sinon parce que Dieu, notre maître suprême, 
        tient sous son autorité, malgré eux et à leur insu, 
        le coeur de ces infidèles, Turcs, Maures, Juifs, afin qu'ils rendent 
        à la Divinité l'hommage qui lui est dû. Que signifie 
        cet hommage extraordinaire sinon que ces barbares et ces infidèles, 
        encore que leur infidélité triomphe en ce pays, sont, pour 
        ainsi dire, en quête de Dieu, et fournissent tout ce qui est nécessaire 
        pour célébrer son culte et consoler les fidèles dans 
        la captivité ? Voyons-y aussi la manifestation de la volonté 
        divine de conserver la semence de la foi catholique et la célébration 
        des divins mystères sur cette terre inculte, sur cette terre où 
        la foi et les pratiques florissaient, au temps du saint évêque 
        de Carthage. Cyprien, du grand docteur Augustin et d'autres Africains 
        innombrables, saints, martyrs, évêques, vierges et confesseurs. 
        Leurs corps reposent cachés dans cette terre d'Afrique, jusqu'à 
        ce que Dieu veuille bien nous révéler leur tombe ; mais 
        les martyrologes, les histoires ecclésiastiques, les livres des 
        Conciles nous parlent longuement de leurs actions.
 
 Tous ces saints, toutes ces saintes, nés ou ayant vécu en 
        Afrique, demandent à Dieu de ne pas laisser s'éteindre complètement 
        ici l'étincelle de la foi ; ils lui demanderont que cette terre, 
        redevenue fertile à la suite de la victoire des chrétiens 
        sur les Barbaresques, produise des fruits au centuple ; ils lui demanderont 
        aussi. Très-Saint-Père Benoît, qu'au nom de Dieu, 
        au nom de ce Dieu des armées d'Israël, qu'offensent aujourd'hui 
        les Africains, disciples du perfide et faux Mahomet, V.S. et ses successeurs 
        réussissent à unir les princes chrétiens pour la 
        conquête et la rechristianisation de l'Afrique.
 
 La rédemption enfin terminée de notre mieux, avec l'aide 
        de Dieu, arriva le jour où nous devions quitter Alger en compagnie 
        des captifs rachetés. Jour terrible, jour de deuil pour nous et 
        pour les esclaves restant en Afrique. Nombre de malheureux qui n'avaient 
        pu être délivrés venaient nous assaillir ; ils gémissaient, 
        se jetaient à genoux, se prosternaient à terre, suppliant 
        qu'on les rachetât et qu'on mit ainsi un terme à leurs maux. 
        Et pourtant il était impossible d'accueillir leur demande, car 
        nous n'en avions pas les moyens. L'un alléguait ses parents vieux 
        et pauvres, l'autre sa mère veuve, un troisième ses enfants 
        à demi orphelins et sa femme désolée. Certains se 
        plaignaient d'avoir à supporter les injures et les coups de monstres 
        cruels qui les maltraitaient dans leurs maisons et au dehors. C'était 
        pour nous un sujst d'affliction, d'entendre quelques-uns d'entre eux déclarer 
        que, puisqu'ils n'étaient pas rachetés, ils s'empresseraient 
        d'abjurer la religion catholique et d'adopter la détestable religion 
        musulmane. Ajoutons que, tandis qu'après avoir quitté le 
        bagne, nous traversions Alger pour nous rendre au port et nous embarquer, 
        dans les rues et sur les places où nous passions, par un raffinement 
        de méchanceté et de perfidie des Barbares, les portes des 
        mosquées c'est-à-dire des lieux publics d'oraison et de 
        culte, étaient grandes ouvertes. Là se tenaient les marabouts, 
        qui sont comme les prêtres et les ministres du culte de ces gens-là 
        et sont révérés par eux comme des saints. Ils s'efforçaient 
        de persuader les captifs d'entrer dans les mosquées ou cherchaient 
        à les saisir par le bras pour les y introduire, en signe de profession 
        de la funeste foi musulmane. Une fois entré dans ces lieux, on 
        se voit, en effet, obligé d'embrasser la religion des Maures ou 
        condamné aux flammes ; en aucun cas, il n'est permis de vivre dans 
        une autre religion à quiconque a pénétré dans 
        ces mosquées, ne fût-ce qu'une fois, y eût-il même 
        été introduit de force. Tout le long du chemin se trouvaient 
        aussi beaucoup de femmes musulmanes, qui invitaient les esclaves à 
        renier la foi catholique pour commettre avec elles toutes espèces 
        de turpitudes.
 
 Aussi étions-nous obligés, nous autres rédempteurs, 
        pasteurs chargés de veiller sur les brebis du Christ, de regarder 
        de tous côtés, surtout là où les portes des 
        mosquées étaient ouvertes. Il nous fallait empêcher 
        qu'aucun des captifs déjà rachetés ne cédât 
        à des tentations aussi terribles et que, soit les marabouts, soit 
        les femmes infidèles, saisissant de force le bras d'un des chrétiens, 
        ne le poussât vers une mosquée et ne l'y fît entrer. 
        Nous eussions ainsi perdu, en même temps que le captif, la somme 
        considérable dépensée pour le libérer.
 *** Le secours de Dieu nous permit d'échapper 
        aux dangers qui nous menaçaient dans la rue conduisant à 
        la mer et nous montâmes sur notre navire pleins d'exultation et 
        de joie. A bord se tenaient des Maures pour inspecter minutieusement, 
        ainsi qu'ils le font toujours, le bâtiment avant de le laisser partir. 
        Si, nous déclarèrent-ils, ils découvraient quelque 
        individu sorti d'Alger sans avoir été racheté par 
        nous, Turc, Maure, renégat ou chrétien, dont le prix n'eût 
        pas été payé, notre rédemption serait perdue. 
        Nous devrions, en ce cas, regagner la ville avec les esclaves et tous 
        les matelots pour y être retenus nous-mêmes dans une dure 
        captivité. Sur ce, ils procédèrent à l'inspection 
        de toutes les parties du navire, y compris l'intérieur. Grâce 
        à Dieu, ils ne trouvèrent rien de ce qu'ils cherchaient 
        et, après nous avoir dit adieu, ils regagnèrent Alger. Extrait des Annales universitaires de l'Algérie. 
        (Numéro de mars 1915.) Frère EUSEBE.   |