| L'armée expéditionnaire française 
        destinée à conquérir Alger était arrivée 
        le 13 juin devant la côte d'Afrique, et, le même soir, l'immense 
        flotte, comptant plus de 100 bâtiments de guerre et environ 400 
        navires de commerce, jetait l'ancre dans la baie de Sidi Ferruch.
 Le 14, à l'aube, les premières troupes prenaient possession 
        du sol algérien. C'était la brigade du maréchal de 
        camp Poret de Morvan, de la division Berthezène. Rapidement, Sidi 
        Ferruch fut occupé, pendant que les canons des vaisseaux réduisaient 
        au silence les batteries turques. Dans la journée, toute l'armée 
        mise à terre se fortifia dans la presqu'île, où le 
        général de Valazé, commandant le génie, traça 
        des retranchements qui mirent le camp à l'abri d'un coup de main.
 
        
          |  Charles X en colonel général 
              des carabiniers |  Les Arabes et les Turcs se contentèrent, pendant 
        les premiers jours, de tirailler derrière les buissons et d'opposer 
        une résistance d'arrière-garde à l'avance des Français, 
        non sans leur infliger cependant des pertes. C'était, pour le moment, 
        la tactique du dey, dont le gendre, l'agha Ibrahim, commandait les troupes. 
        Laisser les Français débarquer, puis les rejeter à 
        la mer, comme cela avait été fait, puis les rejeter à la mer, comme cela avait été 
        fait pour Charles-Quint et O'Reilly, telle était la seule manuvre 
        qu'ils concevaient.
 
 L'agha établit son camp principal à Staouéli et appela 
        à lui tous les contingents des grands vassaux et amis. Le sultan 
        du Maroc et le pacha de Tripoli n'avaient répondu aux demandes 
        du dey que par de vagues promesses et des vaux platoniques ; mais les 
        beys de Constantine, d'Oran et de Titteri envoyèrent chacun 13.000 
        à 15.000 hommes. Avec les janissaires et les milices de la Régence, 
        cela faisait une armée de 6o.000 hommes, exactement le double de 
        l'armée française.
 
 La vie à Alger pendant toute la campagne nous est connue au jour 
        le jour par le récit très curieux d'un Allemand, Simon Pfeiffer, 
        ancien étudiant en médecine, pris par un corsaire dans la 
        Méditerranée et devenu esclave du ministre des. Finances. 
        En ville tout était désordre et présomption. L'aspect 
        de la flotte française défilant au large émut d'abord 
        les populations ; mais, lorsqu'on annonça que le dey augmentait 
        la prime qu'il promettait de payer pour chaque tête de Français, 
        une nouvelle ardeur guerrière s'empara des hommes.
 
         
          |  Le dey d'Alger observant la 
              flotte française |  A Sidi Ferruch, au delà des retranchements, nos 
        grand-garde tiraillaient nuit et jour, tandis que sur la plage une activité 
        fébrile et ordonnée régnait. On débarquait 
        vivres, munitions, les mille choses dont une armée a besoin ; les 
        ambulances,. les dépôts d'intendance élevaient leurs 
        baraquements et, plus loin, selon mode des temps napoléoniens, 
        les cantinières, aidées par les soldais, dressaient des 
        tonnelles de verdure où l'on buvait frais.
 Le 16, une épouvantable tempête faillit provoquer la perte 
        de la flotte. Mais, alors que tout le monde craignait de voir se répéter 
        la catastrophe de Charles-Quint, une brusque saute de vent chassa l'orage 
        et sauva l'armée.
 
 Impatiemment, elle attendait le moment de marcher. Une erreur de jugement 
        de l'amiral Duperré en retarda l'exécution. Malgré 
        de nombreux avis, il craignait que la baie de Sidi Ferruch ne fût 
        pas assez grande pour opérer à la fois tous les débarquements 
        et avait fait retarder la marche de deux sections du convoi qui transportaient 
        la majorité des chevaux.
 
         
          |  Carte des opérations 
              de l'armée française.Dressée d'après 
              la carte du capitaine Boutin(1808) ( montage de deux panneaux de part et d'autre de deux pages)
 cliquer dessus pour plus grand
 |  Devant cette immobilité des Français, l'agha 
        Ibrahim, généralissime des armées du dey, résolut 
        de prendre l'offensive. Son plan de bataille consistait à faire 
        harceler notre aile droite par le bey de Constantine et à crever 
        la gauche avec l'élite de ses troupes, la milice et les contingents 
        de Titteri.
 L'action s'engagea le 18 avant l'aube. De notre côté, sentant 
        l'attaque prochaine, on avait retiré les troupes sur de meilleures 
        positions et porté l'artillerie en première ligne. L'assaut 
        des Algériens fut d'une violence inouïe et la situation fort 
        critique à notre aile gauche. La brigade Clouet, d'abord repoussée, 
        avait contre-attaqué avec une telle fougue qu'elle se trouva bientôt 
        en l'air et sans cartouches. La présence d'esprit du lieutenant-général 
        duc des Cars sauva la situation. Il commandait la réserve et, sans 
        attendre l'ordre du général de Bourmont, amena les renforts 
        qui dégagèrent notre gauche.
 
 
 
        
          |  Débarquement de troupes, à 
              Sidi Ferruch.
 Gravure tirée de L'Illustration.
 |  L'aile droite, moins vigoureusement attaquée, avait 
        aisément maintenu ses positions. L'assaut ennemi ainsi brisé, 
        nos troupes partirent à la contre-attaque, rejetant l'armée 
        du dey jusque devant son camp principal qui se trouvait à Staouéli. 
        Puis, sans désemparer, décidé à exploiter 
        le succès, le général de Bourmont lança ses 
        divisions sur le camp. Le mauvais terrain, qui retarda la marche de la 
        division Loverdo, sauva seul l'armée ennemie d'un désastre 
        complet. Son artillerie, ses drapeaux, ses munitions, les vivres, les 
        tentes, d'immenses troupeaux de moutons et de boeufs, les chevaux, les 
        chameaux, tout tomba entre les mains des Français. Fait d'armes 
        encore plus important que la prise de la smala, la bataille de Staouéli 
        nous ouvrait la route d'Alger.
 Malheureusement, le retard du convoi naval privait l'armée de chevaux 
        et empêchait d'avancer, bien que déjà, en pleine bataille, 
        le génie eût construit la route qui, du camp de Sidi Ferruch, 
        menait jusqu'au front. La panique des troupes algériennes avait 
        été si complète qu'elles étaient venues se 
        réfugier dans les murs de la ville et que l'agha Ibrahim, craignant 
        le courroux du dey, se tenait caché dans une maison de campagne. 
        A défaut de son gendre, le dey confia alors le commandement de 
        l'armée au bey de Titteri, homme énergique et courageux, 
        sous l'impulsion duquel Turcs et Arabes se reprirent à harceler 
        notre front.
 
 
 A la suite d'une nouvelle marche en avant, nous occupions alors le plateau 
        de Sidi Khalef. Situation à la vérité médiocre, 
        mais qui nous permettait, une fois à pied d'euvre, de nous 
        élancer d'un seul trait jusqu'à la Bouzaréa et devant 
        les murs d'Alger. Des combats meurtriers se livrèrent sur ce plateau 
        ; la chaleur était étouffante et les troupes souffraient 
        cruellement. Plus de 2.000 hommes furent évacués. C'est 
        là que le lieutenant Amédée de Bourmont, deuxième 
        fils du commandant en chef, fut mortellement blessé.
 
 Entretemps, les bâtiments du convoi étaient arrivés 
        à Sidi Ferruch et les chevaux débarqués.
 
 Bourmont, enfin en possession de tous ses moyens, fixa la reprise de l'offensive 
        au 29 juin. Son dispositif général portait la gauche (3e 
        division, duc des Cars) sur les hauteurs de la Bouzaréa, le centre 
        (2« division, Loverdo) de face devant le château de l'Empereur, 
        et la ire division (Berthezène) sur la droite, entre le Fort l'Empereur 
        et la mer.
 
 A 4 heures du matin, l'armée sortit des tranchées et, d'un 
        seul bond, atteignit les objectifs fixés. Le rôle principal 
        avait été dévolu à la 3' division qui, marchant 
        par trois colonnes, bouscula les Turcs et gravit au pas de charge les 
        pentes escarpées de la Bouzaréa. A 5 heures, le 170 de ligne 
        (colonel Duprat, de la brigade Hurel) atteignait le point culminant, la 
        Vigie. De cet observatoire, nos soldats voyaient à leurs pieds 
        Alger la Blanche, dominée par la masse grise de la kasbah ; plus 
        loin, le château de l'Empereur et tous les forts et batteries de 
        la côte, le long de laquelle les maisons de campagne s'étageaient 
        au milieu des jardins.
 
 Au centre et à droite, la résistance avait été 
        moindre et, sans pertes importantes, nos soldats occupèrent les 
        maisons des consuls étrangers, qui, sauf celui d'Angleterre, s'étaient 
        réfugiés au consulat d'Amérique, situé sur 
        les pentes nord de la Bouzaréa.
 
        
          |  Alger et sa banlieue en 1929 |  
 Il faisait une chaude journée d'été. L'épais 
        brouillard matinal qui s'étendait sur le golfe et la Mitidja occasionna 
        une singulière erreur de la part de l'état-major général. 
        Son chef, le général Desprez, voyant la nappe grise qui 
        recouvrait la plaine, crut que c'était la mer et, malgré 
        les indications précises de la carte de Boutin, commanda aux divisionnaires 
        de se reporter vers la gauche, commettant ainsi une erreur de 90 degrés. 
        Ce n'est que lorsqu'il fut revenu à la Vigie, auprès du 
        duc des Cars, que le général de Bourmont se rendit compte 
        de la situation. Mais déjà les divisions étaient 
        en marche à travers le terrain inextricable et montagneux, coupé 
        de ravins profonds et étroits. Heureusement que l'ennemi, complètement 
        démoralisé, ne vint pas assaillir nos colonnes qui, avec 
        des difficultés et des fatigues considérables, mirent plusieurs 
        heures pour reprendre leurs places initiales.
 
 Le Fort l'Empereur, que surmonte de nos jours l'obélisque élevé 
        à la gloire de l'armée d'Afrique, est un gros château 
        fort dont le canon tenait en respect la kasbah et la ville. Aussi le dey 
        en avait-il confié le commandement au Khasnadji, ministre des Finances, 
        l'homme le plus résolu de son gouvernement. Largement approvisionné, 
        il était armé de 53 pièces et sa garnison comptait 
        2.000 hommes.-
 -
 
 
 En face de lui, le camp de siège français formait un quadrilatère 
        irrégulier sur le plateau d'El Biar, le long de la voie romaine. 
        La longue ligne de l'armée occupait les hauteurs.
 
 Sept batteries furent construites à une distance moyenne de 600 
        mètres du château pour en battre la face sud et la corne 
        sud-ouest. Pendant ces travaux, la lutte d'infanterie continuait sur les 
        positions mêmes.
 
 Le 1er juillet, la flotte fit une démonstration, défilant 
        à extrême portée de canon, mais sans grand résultat 
        de part et d'autre. Elle revint quelques jours plus tard sans plus de 
        succès.
 Cependant, le cercle des assiégeants se resserrait. Le maréchal 
        de camp baron Achard, commandant la 20 brigade de la I" division, 
        avait déjà occupé la pointe Pescade avec le (4e d'infanterie 
        (colonel d'Armaillé). Le 3 juillet, les batteries de siège 
        étaient prêtes.
 
 Le lendemain, à l'aube, le bombardement commença. L'artillerie 
        ennemie, bien que supérieure en nombre et servie avec un courage 
        admirable par des artilleurs turcs, ne pouvait résister à 
        la nôtre, plus précise et plus meurtrière. Le tir 
        croisé de nos batteries faisait sauter les épaulements en 
        maçonnerie, écrouler les parapets, derrière lesquels 
        apparaissaient en pleine vue les canons et leurs servants. Les corps des 
        canonniers jonchaient les remparts.
 
 Vers 8 heures, quelques pièces ennemies se turent et l'on vit des 
        fuyards se sauver par la petite poterne qui fait face à la ville. 
        Mais, de la kasbah, le dey fit tirer sur ses propres troupes, qui se rejetèrent 
        dans le fort. A 10 heures, toute l'artillerie algérienne était 
        réduite au silence et l'on commençait à battre en 
        brèche le mur sud pour permettre l'assaut de l'infanterie. Visiblement, 
        la panique s'était mise dans le fort, car, malgré ,le tir 
        de la kasbah, les soldats turcs s'enfuyaient maintenant vers la ville. 
        Soudain, à 10 heures et quart, une flamme immense jaillit et une 
        détonation formidable ébranla toute la terre. La poudrière 
        sautait. Quittant le fort le dernier, le Khasnadji avait, au moyen d'une 
        traînée de poudre, mis le feu au donjon.
 
        
          |  Fort l'Empereur |  
 Une grêle de pierres vint s'abattre sur la ville et les environs, 
        heureusement sans grand dommage pour nos hommes, mais causant des pertes 
        importantes dans Alger.
 
 
         
          |  Attaque d'Alger par mer |  Le vieux maréchal de camp baron Hurel, à 
        la tête du 2e de marche et du 60e de ligne, s'élança 
        en avant dans la fumée qui enveloppait encore les murs du château. 
        Un grenadier du 17° d'infanterie escalada le tronc calciné 
        d'un palmier qui se trouvait dans la cour et y noua sa chemise en guise 
        de drapeau blanc. A cette vue, une immense clameur emplit le fort et, 
        se répercutant jusque sur les hauteurs de la Bouzaréa, roula 
        vers la ville et la rade : la première armée d'Afrique criait 
        : « Vive le roi ! »
 Le sort d'Alger était entre nos mains. A 2 heures de l'après-midi, 
        Sidi Mustapha, premier secrétaire du dey,vint demander au général 
        de Bourmont un armistice de la part du dey. « Vous vous rendrez 
        à merci ou je bombarde la ville », avait répondu Bourmont. 
        Jamais, - depuis Duquesne, Alger n'avait entendu pareil langage. Le dey 
        cherchait encore à gagner du temps. Il s'était enfermé 
        dans la kasbah, pendant que l'émeute grondât autour de lui. 
        Deux riches commerçants maures étaient venus offrir au général 
        de Bourmont de lui apporter la tête de Hussein pacha sur un plateau 
        pour qu'il épargnât la capitale. Le général 
        les avait chassés avec mépris. Les janissaires eux- mêmes 
        se révoltaient : Hussein dut céder. Entouré de son 
        état- major et de tous les généraux de l'armée, 
        Bourmont dicta lui-même l'acte de reddition que le dey fut forcé 
        d'accepter.
 
 
         
          |  Attaque d'Alger par terre |  Aux termes de l'armistice, la Régence et la ville 
        se rendaient à merci. Toute l'armée ennemie mettait bas 
        les armes, tandis que les Français venaient occuper la ville et 
        les forts, dont le gouvernement était assumé par le commandant 
        en chef. Celui-ci garantissait, par contre, la vie et la propriété 
        de tous les habitants, le respect de leurs religions et de leurs sanctuaires. 
        Il promettait également au dey de ne pas toucher à ses biens 
        personnels et de mettre à sa disposition un vaisseau de guerre 
        pour le conduire dans un port neutre.
 Le lendemain 5 juillet 183o, à 10 heures du matin, l'armée 
        française, drapeaux déployés et musique en tête, 
        entrait à Alger.
 Prince SIXTE DE BOURBON. |