| Le blocus et l'expédition française 
        contre la Régence d'Alger(1827-1830)
 
 LE CONTENTIEUX était très lourd entre les États européens 
        d'une part et la Régence d'Alger d'autre part. L'idée d'affranchir 
        la chrétienté de la menace barbaresque fut considérée 
        comme l'un des devoirs de la Restauration.
 
 Louis XVIII et Charles X y pensaient sans cesse, et seules les affaires 
        politiques européennes ne permirent pas de réaliser ce rêve 
        plus tôt. L'occasion se présente à la réunion 
        des puissances européennes à Aix-la-Chapelle en 1819. Ce 
        congrès mandate les gouvernements français et britannique 
        pour notifier au dey la volonté de l'Europe de voir supprimer la 
        piraterie, qualifiée de " système hostile au commerce 
        pacifique ", sous menace d'une " ligue générale 
        des puissances ". La France et l'Angleterre ne recevront qu'un refus 
        brutal. Les échecs retentissants des nombreuses tentatives d'expéditions 
        punitives contre la Régence s'étant presque toutes soldées 
        par des désastres, à l'exception des bombardements de l'amiral 
        Duquesne en 1682-1683, renforçaient le dey dans sa conviction qu'Alger 
        était invincible, inexpugnable, et qu'il pouvait braver impunément 
        la chrétienté.
 
 Le trafic maritime de toutes les puissances européennes se trouvait 
        menacé en Méditerranée de façon permanente 
        du fait de la piraterie menée avec arrogance par la Régence 
        d'Alger. Si au xville siècle la piraterie barbaresque est en net 
        déclin, il n'en reste pas moins vrai que, peu nombreux mais toujours 
        actifs, les raïs algérois continuent toujours leurs méfaits 
        en Méditerranée. Entre 1765 et 1793 ils s'emparent de 79 
        navires français et il faudra attendre l'année 1823 pour 
        que cesse totalement la piraterie. Il est évident que les deys 
        d'Alger n'ont pas compris que la révolution industrielle européenne 
        mettait en péril leur principale source de revenus. Mieux, ils 
        l'ont niée, alors qu'elle était la cause principale de la 
        diminution de la piraterie, de la réduction des butins en marchandises 
        et esclaves, de la régression de la fortune de la ville d'Alger. 
        Les chefs de la Régence comptaient toujours pour l'essentiel sur 
        la piraterie et ses prises humaines et en marchandises pour équilibrer 
        leur budget. Libérés de la tutelle ottomane, les deys s'avéraient 
        incapables d'évoluer économiquement et politiquement. Le 
        dey Hussein ne pouvait renoncer aux bénéfices qu'il tirait 
        de la piraterie. Quant à l'esclavage, il considérait, après 
        le bombardement de Lord Exmouth en 1816, qu'il n'y avait plus officiellement 
        d'esclaves à Alger, mais des prisonniers de guerre. C'est pourquoi 
        l'Europe était maintenant décidée à éradiquer 
        ce nid de vipères qu'était Alger.
 
        
          | Si auXVIIIè siècle la piraterie barbaresque 
            est en net déclin, il n'en reste pas moins vrai que, peu nombreux 
            mais toujours actifs, les raïs algérois continuent toujours 
            leurs méfaits en Méditerranée. Entre 1765 et 
            1793 ils s'emparent de 79 navires français et il faudra attendre 
            l'année 1823 pour que cesse totalement la piraterie. |  A ces considérations de sécurité 
        maritime vient se greffer un litige commercial qui empoisonne les relations 
        entre la France et la Régence. En 1790 la jeune République 
        française signe un traité " centenaire " de paix 
        entre Alger et Paris. La République a besoin de céréales 
        et aussi d'argent. Elle emprunte en 1793 au dey d'Alger, Sidi Hassan 250000 
        F, suivi d'un prêt d'un million (sur les 5 demandés) en 1795. 
        Ce prêt consenti en 1796 revêt la forme de crédits 
        consacrés à des achats de blé à la Régence 
        et destinés aux départements méditerranéens. 
        Elle emprunte à Bacri et Busnach, négociants juifs livournais 
        établis à Alger depuis quelques années, bailleurs 
        de fonds du dey, qui servent d'intermédiaires, conduisent les négociations 
        et fournissent le blé.
 Les fournitures de céréales, prévues pour le Midi 
        de la France, s'étendent également à l'armée 
        d'Italie. Les deux compères s'étaient même chargés 
        en 1798 d'approvisionner dans l'île de Malte des magasins affectés 
        aux subsistances de l'armée française en prévision 
        de l'expédition d'Égypte. Il apparaîtrait que l'origine 
        du litige résiderait dans ces fournitures de blé, chargées 
        à Alger sur des bâtiments neutres, et arraisonnés 
        à la sortie du port d'Alger par des pirates préalablement 
        prévenus. Ce blé aurait été racheté 
        à bas prix et vendu de nouveau à la France. Mais tellement 
        avarié qu'on aurait dû le jeter par-dessus bord à 
        son arrivée à Toulon.
 
 La communauté juive d'Alger avait reconnu pour chef Michel Coen 
        Bacri, dit Ben Zahout, propriétaire d'une maison de commerce à 
        Livourne, qui avait ouvert un comptoir à Alger vers 1770. Modeste 
        au début, l'établissement prospéra et son fils aîné 
        Joseph s'associa avec trois de ses frères et son propre fils David. 
        Il s'associa ensuite avec son beau-frère, Neftali Bou Djenah, plus 
        connu sous le nom de Busnach. L'association fit rapidement fortune, grâce 
        à l'activité et à l'intelligence des deux associés. 
        Informés par leurs correspondants de tout ce qui touchait au commerce 
        et à la politique européenne, ces juifs méprisés 
        mais indispensables prirent une influence totale sur la Régence, 
        faisant et défaisant les deys selon leur gré. Busnach méritait 
        bien le surnom de " Roi d'Alger " qu'on lui attribuait parfois 
        par raillerie. Bacri-Busnach avaient profité de la faveur dont 
        ils jouissaient pour accaparer, dans toute la Régence, le commerce 
        des grains. La guerre déclarée à la Régence 
        par la France - le traité " centenaire " n'avait duré 
        que quelques, années ! - à cause de la campagne d'Égypte, 
        suspend le paiement d'une facture de 2 297 445 F, présentée 
        par Jacob Bacri, chargé des intérêts de la maison 
        à Paris. On emprisonne Bacri comme sujet algérien. La paix 
        revient en 1800 et Jacob Bacri est remis en liberté. Il présente 
        de nouveau sa créance qui s'élève maintenant à 
        7 942 992 F. BacriBusnach touchent un acompte de 3 175 631 F. Un nouveau 
        traité de commerce est signé en 1801 et une nouvelle créance 
        est présentée par Bacri dont le montant est cette fois de 
        7 000 000 de francs. Mais Napoléon n'est pas facile à convaincre. 
        Après un versement de 1 200 000 F les choses en restent là. 
        En 1815 Pierre Deval est le nouveau consul de France à Alger.
 
 Fils d'un drogman de l'ambassade de France à Constantinople, né 
        et élevé au Levant, d'une mentalité toute levantine, 
        ce diplomate parle couramment le turc et l'arabe. Il paraît avoir 
        été découragé, dès sa prise de poste, 
        par les difficultés de sa mission. 1815 c'est aussi Waterloo et 
        le deuxième retour de Louis XVIII. La créance Bacri, grossie 
        d'énormes intérêts, est ressortie des dossiers de 
        l'Empire. Le représentant de Bacri à Paris présente 
        en 1818 un mémoire de 24 000 000 de francs ! L'énormité 
        de la somme est tellement scandaleuse qu'il accepte de la voir réduite 
        à 7 millions de francs, payables en espèces pour solde de 
        tout compte. 2 500 000 F sont prélevés sur les 7 millions 
        et consignés à la caisse des dépôts. Le 12 
        avril 1820, le dey Hussein, successeur d'Hassan, se prétend cocréancier 
        des fournitures et espère recouvrer une partie de la somme. Bacri-Busnach 
        réalisent par une série d'emprunts les 4 500 000 F de la 
        garantie consignés à la Caisse des Dépôts. 
        Mais la loi votée par les Chambres ignore Hussein en tant que créancier. 
        Deval essaie de lui exposer les principes du droit français; mais 
        le dey s'irrite de plus en plus. Il est persuadé qu'on le trompe 
        et prend en grippe, puis en haine notre consul. L'Angleterre toujours 
        prête à contrecarrer l'influence française en Afrique 
        du Nord, soutient le dey dans sa détermination et le persuade que 
        la France est incapable de mener une action militaire contre la Régence. 
        Deval a le tort d'opposer au dey une attitude louvoyante et obséquieuse. 
        Hussein demande son rappel et adresse au ministre des Affaires étrangères 
        une nouvelle lettre que, dans sa défiance à l'égard 
        de Deval, il charge le consul de Naples de faire parvenir à Paris. 
        L'affaire devient inextricable. La piraterie reprend de plus belle. Le 
        29 octobre 1826 une frégate française La Galathée 
        entre dans le port d'Alger. Hussein croit qu'elle apporte l'argent qu'il 
        réclame. Mais c'est une demande de réparations pour les 
        actes de piraterie commis à l'encontre des bâtiments français 
        qui lui est signifiée ! Hussein, furieux, refuse et accuse Deval 
        de jouer double jeu. Il prétend tenir de Bacri la preuve que notre 
        consul a touché 3 000 000 F de commission. Le dey insiste auprès 
        du gouvernement français pour que Deval soit rappelé. Le 
        Conseil des ministres rejette cet ordre et décide qu'une escadre 
        partira de Toulon en avril 1827 pour exiger l'exécution des réparations. 
        Le 30 avril 1827 le consul de France se rend au palais du dey à 
        l'occasion de la fête de Baïram. La conversation porte bien 
        évidemment sur le litige. Le ton monte des deux côtés 
        et le dey, hors de lui, ordonne à Deval de sortir. Celui-ci ne 
        bougeant pas il le frappe avec le manche de son chasse-mouches.
 
         
          | Au début Deval considère ce coup de 
            l'éventail comme un détail mineur. Ce n'est que plus 
            tard, quand il rédige son rapport, qu'il découvre qu'en 
            réalité la France pouvait être humiliée 
            dans sa personne. |  Il relate la scène à l'intention 
        du baron de Damas, ministre des Affaires étrangères: " 
        privilège accordé aux consuls de France en cette ville, 
        de complimenter en audience particulière le dey, la veille de la 
        fête de Baïram, me fit demander au château Ileure où 
        Son Altesse voulait me recevoir. Le dey me fit dire qu'il me recevrait 
        à une heure après midi, mais qu'il voulait voir la dernière 
        dépêche de Votre Excellence Je ne fus pas peu surpris de 
        la prétention du dey de connaître par lui-même les 
        dépêches que Votre Excellence me fait l'honneur de m'adresser, 
        et je pouvais concevoir quel en était le but. Je me rendis néanmoins 
        au château à l'heure indiquée. Introduit à 
        l'audience, le dey me demanda s'il était vrai que l'Angleterre 
        avait déclaré la guerre à la France. Je lui dis que 
        ce n'était qu'un faux bruit, provenant des troubles suscités 
        au Portugal, dans lesquels le gouvernement du roi n'avait pas voulu s'immiscer, 
        dans sa dignité et dans sa loyauté ".- " Ainsi donc, dit le dey, la France accorde à l'Angleterre 
        tout ce qu'elle veut, et à moi rien du tout! ".
 - " Il me semble, seigneur, que le gouvernement du roi vous a toujours 
        accordé tout ce qu'il a pu ".
 - " Pourquoi votre ministre n'a-t-il pas répondu à 
        la lettre que je lui ai écrite ? "
 - " J'ai eu l'honneur de vous en porter la réponse aussitôt 
        que je l'ai reçue ".
 - " Pourquoi ne m'a-t-il pas répondu directement ? Suis-je 
        un manant, un homme de boue, un va-nu-pieds ? Mais c'est vous qui êtes 
        la cause que je n'ai pas reçu la réponse de votre ministre. 
        C'est vous qui lui avez insinué de ne pas m'écrire! Vous 
        êtes un méchant, un infidèle, un idolâtre! "
 - " Mon gouvernement ne vous écrira pas. C'est inutile! "
 Se levant alors de son siège, il me porta, avec le manche de son 
        chasse-mouches, trois coups violents sur le corps et me dit de me retirer 
        "(ESQUER (G.), La prise d'Alger 
        1830.)
 
 En revanche la lecture de son rapport au Conseil des ministres soulève 
        surprise et indignation. La parole n'est plus à la diplomatie mais 
        à la marine de guerre. Le capitaine de vaisseau Collet reçoit 
        l'ordre de hâter les préparatifs de ses vaisseaux. L'escadre 
        française appareille de Toulon et se présente le 12 juin 
        1827 devant Alger. Collet envoie au dey l'ultimatum de la France, qui 
        reprend tous les anciens griefs empoisonnant les relations entre la France 
        et la Régence. Il réclame pour l'avenir des garanties sérieuses. 
        La France exige du dey qu'une députation vienne à bord du 
        navire amiral et salue le drapeau français de 100 coups de canon. 
        Hussein se rit de cet ultimatum. Entre-temps, Collet fait embarquer notre 
        consul et les ressortissants français sur ses navires. Le délai 
        de 24 heures étant expiré, Collet proclame officiellement 
        le blocus (16 juin 1827).
 
 Si le gouvernement français demande naturellement satisfaction, 
        le dey estime que, si quelqu'un a à se plaindre, c'est bien lui. 
        Hussein donne une version toute différente de l'incident : " 
        Deval s'était bien mis dans mon esprit. Il était adroit. 
        Je suis peu méfiant. Je crus à la sincérité 
        de son amitié. I/ devint très familier chez moi et j'ai 
        su de par quelques-uns de mes officiers qu'on dit généralement 
        au sérail qu'une pareille intimité avec un homme de son 
        espèce ne pouvait manquer d'avoir une mauvaise conclusion. Vers 
        la fin du ramadam Deval vint me faire une visite officielle suivant l'usage. 
        Je me plaignis à lui de n'avoir pas de réponse à 
        quatre lettres écrites par moi au roi de France; il me répondit, 
        le croirez-vous? Le roi a bien autre chose à faire que d'écrire 
        à un homme comme toi ! Cette réponse grossière me 
        surprit. L'amitié ne donne pas le droit d'être impoli. J'étais 
        un vieillard qu'on devait respecter, et puis j'étais dey! Je fis 
        observer à Deval qu'il s'oubliait étrangement. Il continua 
        à me tenir des propos durs et messéants ; je voulus lui 
        imposer silence, il persista. Sortez, malheureux! Deval me brava en restant 
        et ce fut au point que, hors de moi, je lui donnai, en signe de mépris, 
        de mon chasse- mouches au visage. Voici l'exacte vérité. 
        Il existe beaucoup de témoins de cette scène qui pourront 
        vous dire jusqu'à quel point je fus provoqué et ce qu'il 
        me fallut de patience pour supporter toutes les invectives de ce consul, 
        qui déshonorait ainsi le pays qu'il représentait. . . ". 
        Il est difficile de savoir comment les choses se sont passées. 
        La version de notre consul a été adoptée par les 
        divers historiens de la conquête. Mais Hussein a toujours soutenu 
        qu'il avait frappé Deval parce qu'il avait été poussé 
        à bout par insolence.
 
 Le gouvernement français espère que le blocus va amener 
        Hussein à résipiscence. Il ordonne même à Deval 
        de rester à bord de l'escadre, car il croit le dénouement 
        proche, amenant le dey à accepter ses avances. Ce qui montre son 
        désir d'en finir rapidement. Collet estime au contraire que sans 
        une attaque d'Alger le blocus n'est qu'une démonstration navale 
        insuffisante. " Une escadre ne peut être destinée à 
        attaquer Alger que pour faire diversion et soutenir les troupes de débarquement 
        au moment où elles escaladeront les murs ". Il charge le capitaine 
        de frégate Dupetit-Thouars de porter à Paris sa lettre. 
        Devant le ministre de la Marine, Dupetit-Thouars plaide la cause de Collet 
        et arrive aux mêmes conclusions de Boutin ( 
        Le chef de bataillon Boutin, du Génie, est envoyé en Algérie 
        sur l'ordre de Napoléon. En moins de trois mois il accomplit sa 
        mission (1808). Son rapport est si parfait et si complet qu'il servira 
        de base à l'expédition de 1830. Cf. VERNET (François), 
        Vincent-Yves Boulin, colonel du génie (1772-1815), l'algérianiste 
        n° 76 décembre 1996.). Mais le conseil de l'Amirauté 
        rejette les idées de Dupetit-Thouars. Le projet d'expédition 
        ne sera repris que plus tard par le ministre de la Guerre, le comte de 
        Clermont-Tonnerre. Dans son rapport le ministre déclare que pour 
        se rendre maître de la Régence, ni un blocus rigoureux, ni 
        un bombardement par escadre suffisent. Il faut mettre à terre un 
        corps de débarquement. Ce rapport fut examiné en Conseil 
        des ministres le 11 octobre 1827. Le président Villèle, 
        effrayé par la dépense et surtout par les désastres 
        des débarquements précédents dans la Régence, 
        refuse catégoriquement ce projet et le roi Charles X ajourne sa 
        décision.
 
 Le blocus continuera donc et durera plus de deux ans. Sept bâtiments, 
        puis douze bloquent les ports de la Régence, interdisant tout ravitaillement 
        de la ville d'Alger. Le 4 août 1827, l'Orphée, chargé 
        de munitions envoyées comme tribut par le roi de Suède au 
        dey d'Alger, est arrêté et conduit à Toulon. Le 14 
        septembre sont capturés un bâtiment algérois et un 
        tunisien chargés, l'un de grains et l'autre de sel. Des bricks 
        et des corvettes sont employés à convoyer les navires de 
        commerce sur les lignes de Marseille à Cadix et de Marseille à 
        l'archipel ibérique. Dans la nuit du 3 octobre 1827 une flotte 
        barbaresque, forte de onze à douze navires, avec 3 200 hommes d'équipage 
        et 252 canons tente de forcer le blocus. Profitant du vent favorable, 
        et malgré son infériorité numérique, Collet 
        marche sur l'ennemi et engage le combat. Au bout de deux heures de canonnade, 
        l'escadre barbaresque rompt le combat et rentre au port sous la protection 
        des forts. Le dey, déçu par le résultat, ne tentera 
        plus de nouvelle sortie. Mais les pirates continuent malgré tout 
        leurs exactions. Trois goélettes sont capturées et conduites 
        à Tunis. L'Arlequin, brick marseillais capturé puis dirigé 
        sur Oran, sera repris le 23 mai 1828 par les embarcations de l'Adonis 
        et de l'Alerte en forçant l'entrée du port. Cependant, au 
        mois d'août, le commandant du blocus affirme qu'aucun pirate n'a 
        quitté le port d'Alger depuis le début de l'année. 
        Le 17 juin 1829, un canot de l'Iphigénie, en poursuivant une felouque 
        sortie d'Alger, fut poussé à terre par les lames. Les canots 
        de La-Duchesse-de-Berry, en essayant de secourir les marins en difficulté, 
        furent à leur tour drossés contre la côte. Vingt-cinq 
        matelots, dont deux enseignes, furent attaqués et massacrés 
        par un millier d'Arabes. Leurs têtes coupées seront payées 
        100 piastres chacune par le dey.
 
 Le ministre Villèle tombe le 4 janvier 1828. Il est remplacé 
        par le ministère Martignac. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, 
        le comte de la Ferrormay, se défie autant de la politique russe 
        à l'égard de la Turquie que de la politique anglaise en 
        Méditerranée, maîtresse de Gibraltar. Il craint qu'en 
        combattant Hussein notre pays risque de faire la guerre à l'Angleterre. 
        Alors il va chercher la collaboration de Mehemet-Ali, pacha d'Égypte, 
        en mal de soumission à la Sublime porte, qui se fait fort de se 
        rendre maître des Régences de Tunis et d'Alger. Mais en attendant 
        la Chambre et l'opinion publique commencent à s'émouvoir. 
        " Voilà deux années que nos bâtiments, sans connaître 
        l'hivernage, restent à bloquer les parages d'Afrique et pourquoi 
        ? Pour saisir en deux années cinq ou six petits corsaires, les 
        seuls qui soient sortis d'Alger. De sorte que la Marine a déjà 
        dépensé plus de millions à cette croisière 
        qu'elle n'a capturé de barques valant au plus 20 000 F pièce! 
        " (Ch. Dupin). C'est vrai que le blocus coûtait fort cher.
 
 Les négociations continuent. Le contre-amiral Collet informe son 
        gouvernement que, d'après des renseignements de source sûre, 
        le dey serait prêt à accepter un accommodement.
 
 Ordre est donné d'envoyer un parlementaire à qui Hussein 
        ne peut que renouveler ses reproches à l'encontre de Deval et sa 
        longue récrimination contre sa conduite. Le lieutenant de vaisseau 
        Bezard emporte de cet entretien la conviction que jamais le dey ne se 
        soumettra à la moindre réparation. D'autres tentatives échouent 
        car le Foreign Office ne cesse d'encourager Hussein dans son attitude 
        hostile, et le dey est persuadé que la Régence sera soutenue 
        par l'Angleterre et qu'il sortira vainqueur de cette affaire. Et les propositions 
        du gouvernement français, modérées jusqu'à 
        la faiblesse par nécessité de sortir à tout prix 
        de la crise, ne sont pas de nature à détromper Hussein.
 
 Les négociations, les discussions, les tergiversations sont reprises 
        puis échouent avec une régularité métronomique. 
        Ayant épuisé tous les moyens de conciliation, Charles X 
        reconnaît l'échec des négociations (27 janvier 1829). 
        L'amiral La Bretonnière, - Collet malade, a été rapatrié 
        sur la France où il mourra peu après - nouveau commandant 
        du Blocus, déclare le 2 août 1829 que le roi de France emploiera 
        la force s'il le faut. " Si j'ai de la poudre et des canons, lui 
        répond Hussein, et puisqu'il n'y a pas de moyen de s'entendre, 
        vous êtes libres de vous retirer. Vous êtes venus sous la 
        loi du sauf-conduit, je vous permets de sortir sous la même garantie 
        ". La Bretonnière donne l'ordre de lever le blocus et d'appareiller 
        le 3 août. En dépit du pavillon parlementaire, les batteries 
        d'Alger ouvrent le feu sur La Provence portant la marque de l'amiral, 
        et qui continue d'évoluer sans riposter. Quatre-vingts coups de 
        canon sont tirés, dont la plupart passèrent au-dessus du 
        vaisseau et entre les mâts. Onze coups l'atteignirent, dont trois 
        dans la coque, les autres dans les voilures; mais il n'y eut que de légers 
        dégâts matériels. Sans répondre, La Bretonnière 
        gagna bientôt la haute mer, hors de portée des forts. Deux 
        Anglais assistant à la scène sur la terrasse du consulat 
        d'Angleterre, réprouvèrent cette scandaleuse attaque. " 
        Monsieur de La Bretonnière s'est conduit, dans cette circonstance, 
        avec la plus grande dignité, en traitant ces pirates avec le mépris 
        qu'ils méritaient ". Les consuls d'Angleterre et de Sardaigne 
        présentèrent leurs remontrances au dey qui leur répondit 
        que tout cela était le résultat d'une méprise et 
        qu'il n'y était pour rien. Cependant le soir même le ministre 
        de la Marine et le chef canonnier étaient destitués.
 
 Devant cette nouvelle insulte, le gouvernement français réfléchit 
        aux moyens de se venger. Le ministère Martignac tombe le 7 août 
        1829. Il est remplacé par le ministère Polignac. Polignac 
        reprend le projet de La Ferronnay. Le pacha d'Egypte se fait fort de se 
        rendre maître de Tripoli, de Tunis et d'Alger. Mehemet-Ali ambitionne 
        de remplacer l'empire ottoman vieilli et impuissant. Pour financer son 
        expédition Mehemet-Ali demande à la France un prêt 
        de 28 millions et un don de quatre vaisseaux de ligne. Le roi de France 
        accepte, ce qui le dispense d'envoyer ses propres troupes à Alger, 
        et il s'engage à demander l'accord du sultan de Constantinople, 
        théoriquement suzerain de Mehemet-Ali. Sitôt informée, 
        l'Angleterre témoigne d'une résistance farouche au projet 
        égyptien. Elle n'approuve pas la France d'aider un vassal dans 
        sa rébellion contre un suzerain. Au Conseil des ministres français 
        de décembre certains protestent; la cession de quatre vaisseaux 
        affaiblirait la flotte et il est déshonorant de faire passer des 
        bâtiments de guerre sous un pavillon étranger. La presse 
        unanime prend ouvertement parti contre la combinaison égyptienne. 
        On soupçonne Mehemet-Ali de ne pouvoir tenir ses promesses car 
        la route est longue entre Alexandrie et Alger. L'hostilité de l'Europe 
        et de l'opposition française fait renoncer Polignac à son 
        projet. Le Conseil adopte " la prise de la ville et la destruction 
        complète de ce nid de pirates ". Le plan de Bourmont qui comportait 
        la prise d'Alger à partir d'une expédition terrestre en 
        s'emparant d'Oran comme base de départ est finalement abandonné. 
        Les ministres décident à l'unanimité la possibilité 
        de débarquer dans la presqu'île de Sidi- Ferruch. Le 7 février 
        1830 Charles X approuve le projet et signe les ordonnances de mobilisation 
        de l'armée et de la marine.
 
 Polignac informe l'Europe que la France est décidée à 
        terminer seule l'affaire d'Alger. Bien entendu, la méfiance de 
        l'Angleterre à toute modification de statu quo en Méditerranée 
        est immédiate. Ce n'est pas pour rien qu'en 1816 à la conférence 
        de Londres elle essaye de faire adopter un principe d'alliance qui tendait 
        surtout à assurer son hégémonie sur les mers. Craignant 
        que sa suprématie en Méditerranée soit compromise 
        par l'expédition française se terminant en colonisation, 
        l'Angleterre essaie d'obtenir de Charles X qu'il renonce à son 
        projet. Après discussion avec son Conseil des ministres, le roi 
        tente d'apaiser l'inquiétude du cabinet Saint-James en faisant 
        très adroitement de la destruction de la piraterie une question 
        européenne. Polignac, dans ses directives aux ambassadeurs français, 
        assure que la France ne disposera pas de sa conquête sans prendre 
        l'avis de l'Europe. Mais l'Angleterre exige du gouvernement français 
        une renonciation formelle à tout établissement durable en 
        Afrique. Bien qu'il fût " Anglais de goût et d'allure, 
        lié et apparenté par son mariage avec la haute société 
        du Royaume-Uni ", Polignac apparaît dans cette affaire comme 
        le défenseur des droits de la France et il refuse de prendre le 
        moindre engagement. Cependant, les instructions comminatoires données 
        par le cabinet de Saint-James à son ambassadeur, ainsi que ses 
        menaces sont de pures façades. Personne en Angleterre n'envisage 
        sérieusement qu'une guerre avec la France puisse éclater 
        à cause d'Alger. Néanmoins le gouvernement anglais ne se 
        tient pas pour battu. Il demande à son ambassadeur de harceler 
        Polignac, puis son ministre de la Marine de Haussez, qui répondra 
        avec hauteur à Lord Stuart: " France se fout de l'Angleterre... 
        ". L'Angleterre n'abandonne pas la partie. Elle persuade le sultan 
        d'envoyer à Alger une personnalité munie des pleins pouvoirs 
        pour réduire le dey à l'obéissance et affermir la 
        suzeraineté de la Porte à Alger. Si bien que la France se 
        trouverait, non plus à laver un affront contre Hussein, mais en 
        conflit avec l'Empire ottoman. Dans cette perspective le Diwan de Constantinople 
        craint de mécontenter à la fois l'Angleterre et la France. 
        L'hésitation est grande. Finalement le sultan charge Taher-Pacha, 
        ancien combattant de la flotte ottomane, de se rendre à Alger. 
        Averti du dilemme qui se pose, Taher-Pacha ne presse point les choses. 
        Il part courant mai 1830, relâche à Tunis et ne se présente 
        en vue d'Alger que le 20 mai, où l'escadre du blocus l'empêche 
        d'entrer.
 
 La plupart des autres puissances européennes accueillent favorablement 
        la décision prise par le gouvernement français. L'Espagne 
        se souvient trop de ses échecs passés contre la Régence 
        pour être hostile à une expédition française. 
        Elle acceptera le nolisement de ses bâtiments de commerce pour le 
        compte de la France. Elle permettra aussi le ravitaillement de l'escadre 
        française aux Baléares. Travaillée par l'Angleterre, 
        l'attitude de la cour de Sardaigne sera au début favorable, puis 
        elle se retranchera ensuite dans une prudente neutralité. La cour 
        de Turin, quant à elle, conclurait volontiers une alliance avec 
        la France. Toutes ces puissances voulaient plus ou moins retirer quelque 
        profit de cette expédition. Les puissances septentrionales comme 
        la Suède, la Prusse, la Russie et même l'Autriche de Metternich, 
        qui garde le souvenir du désastre de Charles- Quint, prennent, 
        dès le début de la crise, une attitude favorable.
 
 Le 2 mars 1830, dans son discours du trône, Charles X annonce aux 
        parlementaires sa résolution de ne pas " laisser plus longtemps 
        impunie l'insulte faite à son pavillon ". L'expédition 
        ainsi annoncée, ne soulève dans le Parlement que de rares 
        critiques. Dans la presse, au contraire, l'opposition se manifeste par 
        de vives campagnes. Cette presse qui développe les théories 
        les plus farfelues. On imagine aisément les stupidités que 
        l'on peut trouver dans la presse de 1830 à propos de ce qui n'est 
        pas encore l'Algérie ! En revanche, les quotidiens régionaux 
        maritimes ou les journaux provençaux jugent favorablement l'expédition 
        qui se prépare. Intérêts commerciaux obligent !
 
 Il faut reconnaître que les buts de l'opération " après 
        le débarquement " sont imprécis. Indécision 
        aussi dans les instructions remises au général de Bourmont. 
        Ignorance avouée en ce qui concerne le pays destiné à 
        devenir le théâtre des opérations et sur les moyens 
        dont dispose le dey pour s'opposer au débarquement. La ville d'Alger 
        tombée, hésitation du gouvernement français à 
        admettre le bénéfice de sa victoire, c'est-à-dire 
        la possession de la ville. Les conditions imposées sont cependant 
        rigoureuses: abolition définitive de l'esclavage, de la piraterie 
        et paiement de tributs; destruction des fortifications d'Alger et des 
        quatre villes de la Régence; remise de tous les canons, munitions 
        et bâtiments de guerre, dont la Régence ne pourra plus posséder 
        aucun; désarmement des troupes; occupation de la ville jusqu'à 
        règlement complet d'une indemnité de 40 millions.
 
 Le souverain français nomme, sur avis du capitaine de frégate 
        Dupetit- Thouars, le vice-amiral Duperré, préfet maritime 
        de Brest, comme commandant en chef de la flotte. Très imbu de l'esprit 
        de corps, convaincu de la supériorité de l'officier de marine 
        sur le reste de l'humanité, Duperré est populaire parmi 
        les marins. Depuis l'âge de 16 ans il bourlingue sur toutes les 
        mers du globe, d'abord au commerce, puis dans la marine de guerre. Enseigne, 
        il prend part à tous les combats de la Révolution. Lieutenant 
        de vaisseau en 1802, il commande comme capitaine de frégate la 
        Sirène. Promu capitaine de vaisseau il se couvre de gloire dans 
        l'océan Indien. Baron d'Empire en 1810, Duperré est promu 
        contre-amiral en 1811. Préfet maritime de Toulon pendant les Cent 
        Jours, il est limogé jusqu'en 1818, date à laquelle il reprend 
        du service actif. Il est nommé préfet maritime de Brest 
        en 1827. Parvenu à la fin d'une carrière honorable, il est 
        peu enclin à se compromettre dans une aventure et pour lui l'expédition 
        d'Alger est une aventure. Arrivé sur ordre de son ministre à 
        Paris il ne dissimule ni ses sentiments ni les difficultés de l'entreprise. 
        Le cabinet fait examiner par le Conseil de l'Amirauté les rapports 
        de l'amiral et il fut décidé que, parmi les difficultés 
        que Duperré entrevoyait dans cette entreprise, un grand nombre 
        était exagéré. L'opération de débarquement 
        était surtout ce qui lui paraissait le plus dangereux, il demandait 
        quinze jours pour débarquer les troupes et un mois pour le matériel. 
        Au point que le général de Bourmont - ministre de la Guerre 
        - dit devant le roi: " // est fâcheux pour l'honneur national 
        de voir en 1830, reculer la marine française devant une entreprise 
        qui n'effraya pas la marine espagnole en 1541. Comment se fait-il que 
        Doria ait exécuté en quelques heures un débarquement 
        pour lequel M Duperré demande six semaines ?Je supplie Votre Majesté 
        de faire donner l'ordre à son ambassadeur à Madrid de rechercher, 
        dans les archives de l'Escurial, tous les renseignements qui pourront 
        nous éclairer sur les moyens employés par Doria dans l'expédition 
        de Charles Quint, et sur ceux qu'employa Castéjon dans l'expédition 
        d'O'Reilly en 1773, car il est bien prouvé que ces deux expéditions 
        n'ont manqué que par le défaut de prudence, de conduite 
        et d'habileté des généraux, et non par les obstacles 
        et les dangers de la mer ". Tout en trouvant excessives les appréhensions 
        de Duperré, de Haussez était convaincu qu'une fois à 
        l'ceuvre, le chef de l'armée navale ne songerait qu'à mener 
        à bien l'opération qui lui était confiée. 
        Dans une note du 3 mars 1830 de Haussez écrit: " Je vais, 
        ainsi que vous le désirez, mettre vos observations sous les yeux 
        du roi. Si Sa Majesté persiste, comme jele crois, dans l'intention 
        de faire exécuter l'expédition projetée, je lui donnerais 
        l'assurance qu'elle peut compter sur votre dévouement. 11 me paraît 
        donc, qu'on peut espérer que vous arriverez devant la rade d'Alger 
        avant la fin de mai, et que le débarquement sera fait avant le 
        20 juin " ( MERLE La prise d'Alger 
        racontée par un témoin.décembre 1996.).
 
 Duperré rejoint Toulon où les préparatifs de l'expédition 
        sont menés à un train d'enfer. Commencés depuis un 
        mois, il en restait deux pour tenir la date fixée. L'arsenal et 
        les chantiers étaient encombrés d'ouvriers qui travaillaient 
        nuit et jour. Deux semaines avant le délai imparti, 102 navires 
        de guerre sont réunis dans le port de Toulon. La presque totalité 
        des transports nolisés est rassemblée entre Marseille et 
        Toulon. Le 10 mai tout le matériel est embarqué.
 
 La flotte comprend l'escadre de bataille : 15 bâtiments de guerre 
        armés de 1 164 canons et portant 10000 hommes; l'escadre de débarquement: 
        17 vaisseaux portant 10234 hommes ; l'escadre de réserve : 35 bâtiments 
        légers portant le matériel d'artillerie et une partie de 
        celui du Génie; le convoi de 347 bateaux de commerce escortés 
        par 12 navires légers; la flottille de débarquement: 60 
        bateaux, 75 chaloupes et 7 bateaux à vapeur...
 
 Par ordonnance du 11 avril Charles X nomme Bourmont ministre de la Guerre, 
        général commandant en chef. Bourmont traîne derrière 
        lui un lourd passé. À la veille de Waterloo, le 15 juin 
        1815 au matin, il abandonne sa division pour rejoindre Louis XVIII à 
        Gand. Ajoutons à cela que sa déposition au procès 
        du maréchal Ney lui vaudra l'épithète de traître. 
        Le choix du roi en faveur de son ministre est accueilli dans l'armée 
        avec une certaine froideur et la presse ne lui ménage pas ses attaques. 
        La question de l'unité de commandement se pose sitôt la nomination 
        de Bourmont. Craignant heurts et conflits entre Duperré et Bourmont, 
        Charles X se résout à subordonner l'amiral au commandant 
        en chef dans une ordonnance royale du 18 avril 1830. Les rapports resteront 
        tendus entre les deux hommes. D'autant que de Bourmont établira 
        son état-major à bord du vaisseau amiral La Provence, ce 
        qui ne fera que contrarier Duperré. Leurs rapports seront uniquement 
        ceux du service, empreints d'une politesse froide et cérémonieuse.
 
 La composition du corps expéditionnaire comprend : 29 770 hommes 
        et 1 080 officiers dans l'infanterie; 500 hommes de cavalerie; 2 534 officiers 
        et artilleurs; 1 200 sapeurs et mineurs du génie; 200 hommes d'intendance; 
        272 unités dans le service de santé; un corps de guides 
        et d'interprètes. Des officiers étrangers sont accrédités 
        par leurs gouvernements auprès du commandant en chef. Le plus célèbre 
        d'entre eux est le capitaine du vaisseau Mansell, descendant de l'amiral 
        Mansell qui avait bombardé Alger en 1621. Jeune lieutenant de vaisseau, 
        Mansell avait lui-même servi sous les ordres de Lord Exmouth pendant 
        le bombardement d'Alger en 1816. Bourmont quitte Paris le 21 avril pour 
        Toulon. Lorsqu'il arrive, la presque totalité des troupes et une 
        grande partie du matériel sont déjà rassemblées. 
        Il faut se représenter la Provence en ce printemps 1830. Le matériel 
        était venu à marches forcées de Brest, de Perpignan, 
        de Strasbourg, de Toulouse et de Grenoble. Les divisions d'infanterie 
        logent à Toulon, à Marseille, à Aix ; les chasseurs 
        à
 Tarascon; l'artillerie à Toulon et dans les villages environnants; 
        le génie à Avignon et à Lyon; le train d'équipage 
        à Arles. Depuis deux mois c'est un incessant défilé 
        de convois de matériel et de ravitaillement qui, par route ou par 
        voie d'eau, montent et descendent le long de la vallée du Rhône. 
        Les chevaux de cavalerie, les bêtes de somme et de boucherie encombrent 
        les rues et les places des villes. Les exercices de combat de l'infanterie, 
        l'entraînement des artilleurs au polygone, les travaux des sapeurs 
        du génie donnent un spectacle inhabituel pour les yeux et les oreilles 
        des spectateurs. Car ils sont nombreux les curieux de France ou de l'étranger 
        venus assister à la plus formidable concentration de forces armées 
        que la France ait jamais connue.
 
 Le 25 mai au matin, le vaisseau amiral se couvre de signaux. La Provence 
        appareille de Toulon, suivi par toute l'armée navale. Sous les 
        derniers rayons du soleil, la flotte est complètement formée 
        en ordre de bataille, la mer est couverte à perte de vue de voiles 
        blanches. Les spectateurs assistent à l'évolution de la 
        plus considérable flotte qui soit jamais sortie d'un port de France.
 
 Ce fut dans la matinée du 30 mai que commencèrent les manoeuvres 
        contradictoires qui furent une énigme pour toute l'armée. 
        A trois heures du matin le Griffon, en tête de l'escadre, vint avertir 
        l'amiral qu'il avait aperçu la terre. Aussitôt l'ordre fut 
        donné à toute la flotte de virer de bord, puis à 
        sept heures de revirer de bord vers Alger. A trois heures du matin, le 
        31, la flotte met en panne à quelques milles du cap Caxine, mais 
        comme les convois étaient partis de Toulon après la flotte, 
        les transports étaient dispersés. Seuls les bâtiments 
        de guerre sont en bon ordre. L'escadre alors fait route vers le golfe 
        de Palma aux Baléares. Deux bricks de l'escadre, lancés 
        en éclaireurs, le Silène et l'Aventure, se brisent sur les 
        rochers de la côte d'Afrique le 15 mai 1830. Ces deux bâtiments 
        font partie de l'escadre du blocus. Le brick l'Aventure, commandé 
        par le lieutenant de vaisseau d'Assigny, avait comme mission de croiser 
        sur la côte d'Alger afin de surveiller les mouvements de l'ennemi. 
        Dans la nuit du 14 au 15 mai, un vent violent du nord- ouest s'élève 
        avec force et la mer se déchaîne. Dans la journée 
        du 15, l'Aventure est rejoint par le brick le Silène, commandé 
        par le lieutenant de vaisseau Bruat. Les deux bâtiments se trouvent 
        par le travers du cap Bengut. Deux heures après l'Aventure s'échoue 
        sur les rochers de la côte, bientôt suivi par le Silène 
        qui subit le même sort. Devant l'impossibilité de renflouer 
        le navire, les deux commandants décident l'abandon et établissent 
        un va-et-vient avec la terre pour sauver leurs équipages. Cette 
        manoeuvre se fait dans le plus grand ordre, mais leur malheur ne fait 
        que commencer. Repérés de la côte, une foule de Bédouins 
        armés entourent rapidement les naufragés. Par chance un 
        marin maltais, embarqué sur le Silène et qui avait longtemps 
        navigué sur les chébecs barbaresques, parlait l'arabe. Il 
        s'élance vers les Bédouins et leur dit que les naufragés 
        sont des Anglais. Malgré le poignard posé sur la gorge, 
        il ne se dément point. Bien que peu convaincus, les Bédouins 
        leur laissent malgré tout la vie sauve. Les deux navires s'étaient 
        échoués à quelque mille du cap Djinet. L'intention 
        des officiers était de se rendre à Alger en suivant la côte. 
        Sous prétexte de les guider, les Bédouins leur font prendre 
        la route des montagnes. Après un quart d'heure de marche ils atteignent 
        un douar où leurs guides les pillent de tout ce qu'ils possédaient, 
        les laissant tous nus dans le froid et la pluie. Le voyage reprend. Ils 
        trouvent un autre douar où on leur distribue du pain avec parcimonie. 
        Dans toutes les mechtas traversées ils ne reçoivent qu'injures 
        et menaces. Dans la dernière halte la mechta s'avère trop 
        petite pour pouvoir tous les héberger. Ils décident de se 
        séparer. Le commandant du Silène reste là avec la 
        moitié des marins, les autres sous le commandement du lieutenant 
        de vaisseau d'Assigny rebroussent chemin pour trouver un autre gîte. 
        Tout le long du chemin les matelots sont séparés et distribués 
        dans des mechtas. Malgré les brutalités, les mauvais traitements, 
        on leur donne tout de même à manger, et deux jours se passent 
        sans troubles graves.
 
 Plusieurs frégates françaises de l'escadre du blocus sont 
        à la recherche des deux bricks disparus. Arrivés sur les 
        lieux du naufrage elles mettent les chaloupes à la mer. Les Arabes 
        croient à une tentative de débarquement. Ils s'arment et 
        descendent de la montagne. Les naufragés de l'équipe d'Assigny 
        sont enfermés, privés de nourriture, menacés de mort 
        en cas d'évasion.
 
 Le commandant Bruat et les hommes étaient dans un douar différent, 
        enfermés dans une mosquée. Les Arabes prétendaient 
        que l'oued en crue rendait impossible le voyage vers Alger et qu'il convenait 
        de prendre patience. Un Kouloughli qui avait traversé la rivière 
        les informe que des officiers et un secrétaire du dey d'Alger arrivent 
        pour protéger les prisonniers. Le marin maltais parlemente avec 
        les officiers turcs et finit par obtenir que ses compagnons soient mieux 
        traités. En effet leurs vêtements leur sont rendus. Précédé 
        d'un guide, Bruat traverse à son tour l'oued à la nage. 
        Il est conduit à la tente du secrétaire qui l'interroge 
        en espagnol et lui garantit la sécurité pour tous. Malheureusement 
        quelques Français commettent l'imprudence de vouloir s'évader. 
        Dans leur tentative d'évasion ils blessent une femme. Les Bédouins 
        alors se déchaînent, massacrent et décapitent une 
        partie des prisonniers. Les têtes sanglantes sont bientôt 
        portées à Alger et exposées à la populace.
 
 Le commandant Bruat arrive à Alger sain et sauf. Il est aussitôt 
        interrogé par l'Agha sur sa mission et les circonstances de son 
        naufrage. Le commandant d'Assigny et ses hommes, escortés d'officiers 
        du dey, les rejoignent bientôt. Ils avaient passé la nuit 
        à cap Matifou dans une angoisse mortelle. On les emmène 
        tous au palais du dey où sont toujours exposées les têtes 
        de leurs camarades.
 
 Ils sont enfermés au bagne. Les consuls d'Angleterre et de Sardaigne 
        intercèdent auprès du dey pour recueillir les officiers 
        français. Mais ceux-ci refusent de se séparer de leurs hommes, 
        bien décidés à partager avec eux les rigueurs de 
        la captivité. Leur prison est une très vieille chapelle 
        catholique, servant depuis des décennies de remise. Toutes les 
        ouvertures sont obstruées, à l'exception de la porte principale 
        en bois épais. Il règne dans cet espace obscur une odeur 
        épouvantable. Les déjections des prisonniers jonchent le 
        sol de terre battue. Celui-ci est en pente vers la porte, si bien que 
        les bagnards glissent constamment vers l'entrée. À tour 
        de rôle ils parviennent à respirer par les interstices de 
        la porte l'air du dehors.
 
 À la prise d'Alger, le 5 juillet 1830, le premier soin des officiers 
        français du corps expéditionnaire qui occupent les postes 
        de la Marine est de libérer les esclaves chrétiens. On y 
        trouve 122 prisonniers, dont 80 appartenant aux équipages du Silène 
        et de l'Aventure Les autres étaient des soldats français 
        faits prisonniers au cours d'engagements. Il y avait aussi des Grecs et 
        des Génois. Plusieurs prisonniers étaient aveugles, d'autres 
        avaient perdu la raison. Voici le récit fait par le lieutenant 
        de vaisseau Bruat, commandant du Silène au général 
        commandant en chef. " Ledey nous envoya, en arrivant, les objets 
        que réclamaient nos premiers besoins; mais l'apparition de la flotte 
        française dans la baie modéra tout à coup à 
        notre égard les élans de sa générosité. 
        Notre captivité devint plus dure quand il apprit le débarquement 
        à Sidi-Ferruch. Depuis lors, chacun des progrès de l'année 
        nous fut indiqué par un redoublement de mauvais traitements et 
        de clameurs populaires. Le consul de Sardaigne, dans ces moments difficiles, 
        acquit les droits à notre reconnaissance par le zèle et 
        le dévouement dont il fit preuve à notre égard. Mais 
        bientôt l'imminence de la catastrophe rappela Hussein à des 
        sentiments de douceur et de démence auxquels nous n'étions 
        pas accoutumés, et nous devinâmes, à cette recrudescence 
        de bons procédés, le triomphe prochain de l'année 
        française ".
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