| ---------T ANDIS 
        qu'au soir du 7 novembre 1942, à la nuit tombée, les conjurés 
        rejoignent les différents points de rassemblement qui leur sont 
        assignés - d'où ils partiront dans quelques heures pour 
        prendre la ville - et que les " Cinq " eux-mêmes, accompagnés 
        de diplomates américains, établissent leur P.C. dans un 
        immeuble de la rue Michelet, les autorités passent une soirée 
        bien tranquille. Il est déjà tard et le colonel Chrétien 
        s'apprête à se coucher lorsque Saint-Hardouin sonne vigoureusement 
        à la porte : " Le débarquement est pour cette nuit. 
        "---------Ensemble, 
        les deux hommes conviennent d'aller chercher Murphy pour l'amener chez 
        le général Juin. Mais auparavant, Saint-Hardouin conduit 
        l'officier au P.C. de la conjuration, où Chrétien retrouve 
        d'Astier de La Vigerie et aperçoit, pour la première fois, 
        Rigault. Affirmant que ses instructions ne lui permettent pas d'annoncer 
        déjà le débarquement alors que les premières 
        opérations ne commenceront qu'à 2 heures du matin, s'abritant 
        aussi derrière sa qualité de diplomate qui lui interdit 
        ( !) de s'immiscer dans l'affaire, Murphy refuse d'abord d'accompagner 
        Chrétien chez Juin. Aidé cette fois par Saint-Hardouin et 
        d'Astier de La Vigerie, l'officier finit par convaincre le diplomate. 
        Il ne reste plus qu'à prévenir le général. 
        Chrétien lui téléphone
 ---------- 
        Mon général, je vous demande de me recevoir de suite. J'ai 
        une importante communication à vous faire...
 ---------- 
        Vous ne pouvez pas attendre à demain ?
 ---------- 
        C'est absolument impossible.
 ---------- 
        Est-ce réellement si important ?
 ---------- 
        Très important.
 ---------- 
        Bien, venez...
 ---------Sur 
        son pyjama, Juin a passé un burnous
 ---------- 
        Qu'y a-t-il, Chrétien ?
 ---------- 
        Mon général, M. Murphy demande vous voir d'urgence.
 ---------- 
        Qu'est-ce qu'il peut bien vouloir à cette heure ? Il ne peut donc 
        pas attendre demain ?
 ---------- 
        Mon général, le convoi, c'est pour nous.
 ---------- 
        Ce n'est pas possible ! Ils ne vont pas nous faire cela ! Enfin, d'accord, 
        amenez M. Murphy.
 ---------Pendant 
        l'absence de Chrétien, le P.C. du complot est le théâtre 
        d'une animation de plus en plus fiévreuse. Notamment, avec Lemaigre-Dubreuil 
        en uniforme et qui ne fait que passer avant d'aller chercher Giraud à 
        l'aérodrome de Blida. En attendant, Saint-Hardouin a beaucoup de 
        peine à empêcher l'industriel d'aller voir Juin auquel il 
        voudrait soumettre des propositions de la part de Giraud !
 --------À 
        présent, Juin, en uniforme, écoute Murphy qui vient d'entrer 
        dans le salon de la villa des Oliviers
 ---------- 
        Mon général, j'ai à vous annoncer que mon gouvernement 
        a décidé de faire débarquer les troupes américaines 
        en Afrique du Nord. C'est imminent.
 ---------- 
        Imminent ? reprend Juin. Qu'entendez-vous par là ? Deux jours, 
        trois jours ?
 ---------- 
        Non, mon général, beaucoup plus proche.
 ---------Après 
        un silence:
 ---------- 
        ... Ce matin.
 ---------- 
        Dans quelle situation nous mettez-vous grogne juin. Après les conversations 
        que nous avons engagées ! Nous sommes tenus par des instructions 
        de défendre l'Afrique du Nord et nous la défendrons.
 ---------- 
        Mon général, reprend Murphy, le général Giraud 
        arrive dans quelques instants pour prendre le commandement. Nous savons 
        qu'il vous tient en particulière estime et compte sur vous. Je 
        vous garantis que mon gouvernement rétablira la France et son Empire 
        dans leur entière souveraineté. Nous venons en amis et vous 
        ne pouvez vouloir une effusion de sang.
 un Darlan rouge de colère... ---------Peu à 
        peu, juin s'apaise et dit comprendre le désir du diplomate d'éviter 
        un combat entre des gens qui ont, au fond, la même pensée, 
        ajoutant néanmoins qu'il doit obéir aux ordres reçus 
        et que la France est liée par des actes juridiques. Resté 
        muet jusqu'alors, Chrétien intervient:---------- 
        Mon général, vous avez des ordres, des engagements ; le 
        débarquement peut paraître regrettable ; mais effacez tout 
        cela et pensez à la France seule. Vous savez bien que l'Allemagne 
        est perdue ; vous ne me l'avez pas caché. Maintenant, il dépend 
        de vous de ranger la France dans le camp des vainqueurs ou dans celui 
        des vaincus. C'est notre dernière chance qui se joue aujourd'hui.
 ---------Après 
        un long silence, et comme s'il venait de trouver la solution idéale 
        au redoutable problème qui lui est posé, Juin, s'accrochant 
        à la hiérarchie de commandement existante, laisse tomber
 ---------- 
        Oui, mais je ne suis pas seul! L'amiral Darlan est ici et c'est mon chef.
 ---------Sur 
        la suggestion de Chrétien, le général téléphone 
        à la villa de Fenard où réside l'amiral de la flotte. 
        C'est Battet, le directeur de cabinet de Darlan, qui prend la communication. 
        Plus tard, il confiera qu'il ne lui a pas été facile de 
        réveiller son chef. En effet, à la fin de la terrible journée 
        du 7 novembre, marquée par des discussions sur les hypothèses 
        du débarquement, Darlan a appris des médecins qu'Alain venait 
        de surmonter la crise primitivement jugée mortelle. Tout heureux 
        de cette bonne nouvelle et pour se changer les idées, l'amiral 
        avait invité Battet : " Eh bien, maintenant, on va aller faire 
        un bon gueuleton tous les deux. " Ensuite, écrasé de 
        fatigue, car il n'avait pas fermé l'oeil depuis deux jours, Darlan 
        s'était endormi plus profondément que d'habitude. Et quand 
        Battet le secoue, Darlan, furieux, lui lance un coup de pied dans les 
        jambes. Avec le consul américain pour guide, Chrétien arrive 
        à la villa de Fenard. En complet veston, muet, ayant à ses 
        côtés Battet - qui vient de glisser dans sa poche un revolver 
        - Darlan attend. Fenard, apprenant le débarquement, s'écrie
 ---------- 
        Qu'est-ce qui se passe ?... Les Américains débarquent ?... 
        Ah! m...!... Pas possible !...
 ---------Du 
        perron de sa résidence où il attendait l'amiral, Juin conduit 
        Darlan au salon où Murphy refait son exposé des événements. 
        Il est très vite interrompu par Darlan dont le visage a viré 
        au rouge écarlate et qui est dans une fureur indescriptible
 ---------- 
        ...C'est encore une de ces cochonneries dont, vous, les Anglo-Saxons, 
        nous accablez depuis deux ans. J'ai des ordres du Maréchal. Je 
        les exécuterai. Puisque vous voulez la bagarre, nous nous battrons.. 
        C'est une saloperie, nous nous battrons. C'est une saloperie...
 ---------L'assistance 
        est figée de stupeur. C'est Juin qui le premier fait un geste en 
        indiquant de la main à Battet et à Chrétien de se 
        retirer. Du patio, les deux hommes aperçoivent Darlan, toujours 
        écarlate, marchant de long en large, faisant des gestes violents 
        avec ses bras, tandis que Murphy, livide, s'est assis dans un fauteuil. 
        Juin reste silencieux. Pendant ce temps, Battet confie à Chrétien 
        qu'il partage son point de vue. Fenard explique aux deux hommes qu'il 
        ne convient pas d'attacher trop d'importance à la colère 
        de Darlan, réaction normale, chez lui, en une telle circonstance 
        et qui devrait se tasser assez vite. À Battet et à Chrétien, 
        Fenard, rejoignant le salon, affirme qu'il va s'employer à arranger 
        les choses.
 Enfin, Murphy réussit à reprendre la parole et reçoit 
        l'appui de Fenard et de Juin. A Darlan - qui l'interrompt en répétant 
        comme un leitmotiv qu'il a reçu l'ordre du Maréchal de défendre 
        l'Afrique du Nord contre quiconque l'attaquerait - le diplomate américain 
        rétorque qu'il changerait d'opinion s'il se doutait un instant 
        de l'ampleur de l'opération en cours ; et il exhorte l'amiral à 
        ne pas commettre l'irréparable. Le temps passe... Finalement, s'enfermant 
        avec Battet dans un bureau, Darlan rédige un mystérieux 
        télégramme. A ce moment fait irruption le général 
        Sevez, chef d'état-major de Juin, qui, sous le coup d'une vive 
        émotion, annonce que le téléphone est coupé 
        et que des hommes armés l'ont empêché de sortir des 
        " Oliviers ". À cette nouvelle, Juin, à moitié 
        en colère, réplique
 ---------- 
        Si nous sommes cernés, nous garderons M. Murphy comme otage !
 mais où donc 
        est le général Mast? ---------À 
        la suite de la discussion qui avait eu lieu au P.C. de l'insurrection 
        au sujet de la proposition de Chrétien, Rigault avait demandé 
        à d'Astier de décaler le déclenchement de l'opération 
        d'une demi-heure. Juste avant le départ de Lemaigre-Dubreuil, Rigault 
        avait décroché le téléphone, avait écouté, 
        et, avec un sourire avait passé l'appareil à l'industriel 
        : " Il n'y a pas de tonalité. " Le central était 
        donc occupé...---------Quand 
        toutes les mesures prévues par les conjurés paraissent exécutées, 
        d'Astier et Rigault descendent en ville pour une tournée d'inspection. 
        Première étape : la division d'Alger, pour dire à 
        Mast : les civils ont fait leur travail, c'est maintenant aux militaires 
        de jouer. Dans la rue, c'est le grand calme. Cela produit un effet étrange 
        aux conspirateurs de circuler dans Alger qui ne se doute de rien et qui, 
        cependant, est en train de changer de camp.
 ---------Par 
        ailleurs, le plan s'est exécuté dans les meilleures contions. 
        Le commissariat central est aux mains des putschistes ; des policiers 
        favorables à la conjuration y prennent la place des titulaires. 
        Le préfet Temple est sous bonne garde. En l'absence du, gouverneur 
        général en mission à Vichy, sa femme, Mme Châtel, 
        est arrêtée. Les centraux téléphoniques, y 
        compris celui de l'armée, sont aux mains de l'insurrection. En 
        dépit de ses violentes protestations, le général 
        Koeltz, commandant les troupes d'Algérie, ne peut plus donner aucun 
        ordre il en est de même pour le général Mendigal, 
        commandant l'aviation. Quant à la résidence de Juin, elle 
        aussi, nous le savons, est encerclée. Sur le plan de la technique 
        pure le coup d'Etat a parfaitement réussi, avec cinq minutes d'avance 
        sur les prévisions. Conjurés et loyalistes se sont parfois 
        affrontés avec véhémence ; mais il n'y a ni blessé, 
        ni tué. On n'attend plus que l'arrivée de Giraud et celle 
        des Américains.
 ---------D'Astier 
        et Rigault cherchent Mast. Rencontrant, enfin, un officier dans l'immeuble 
        de la division d'Alger, ils lui demandent où est leur chef : " 
        Il n'est pas là. " Mais le capitaine veut savoir pourquoi, 
        à une heure aussi tardive, on cherche son 
        général. Ignorant si l'officier est dans le " bon " 
        ou le " mauvais " camp, les deux civils bredouillent une vague 
        explication et, de plus en plus inquiets de l'attitude du capitaine, battent 
        précipitamment en retraite. Au commissariat central, au milieu 
        d'un grenouillage invraisemblable et dans une fumée à couper 
        au couteau, Aboulker qui occupe le standard - leur confirme :
 ---------- 
        Ici, tout va bien. Mais avez-vous enfin des nouvelles des Américains 
        ?
 ---------- 
        Non, répliquent d'Astier et Rigault. Mais faites comme si vous 
        en aviez, racontez qu'ils sont sur les plages...
 ---------Revenus 
        au P.C. de la rue Michelet, ils n'y trouvent aucun message de Murphy et 
        de Chrétien. Et le consul général américain 
        Cole n'en sait pas davantage. Pour en avoir le coeur net, Rigault gagne 
        les " Oliviers ". De l'extérieur, il distingue les ombres 
        dans la villa illuminée. Le reconnaissant dans le jardin, Murphy 
        vient à sa rencontre
 ---------- 
        Où en êtes-vous ? questionne Rigault.
 ---------- 
        Juin se retranche derrière Darlan, explique le diplomate. L'amiral 
        est furieux et continue à ne vouloir rien savoir.
 ---------- 
        Bien. Mais ce n'est pas le pire car nous n'avons pas de nouvelles de vos 
        soldats alors qu'il est près de 5 heures du matin. Est-ce qu'ils 
        vont enfin arriver ?
 ---------- 
        ...Je pense, soupire Murphy.
 ---------- 
        Est-ce que vous en êtes vraiment sûr ? réplique Rigault, 
        agacé. Ne se sontils pas trompés de jour ?..
 ---------- 
        Non, dit Murphy.
 ---------- 
        Rappelez-vous que nous étions chargés des préliminaires 
        de l'opération et que vous deviez arriver à 2 heures du 
        matin alors que 5 heures viennent de sonner.
 ---------- 
        Oui, dit Murphy soucieux. Bien sûr !.
 ---------- 
        Mais je ne vous garantis rien à partir du moment où il fera 
        jour, réplique sèchement Rigault.
 ---------Jetant 
        un coup d'oeil dans le salon, le conjuré aperçoit Juin en 
        train de déambuler, Darlan toujours furieux et tirant sur sa pipe. 
        S'avançant vers Rigault, Fenard lui demande:
 ---------- 
        L'amiral voudrait rentrer à ma villa pour se reposer. Il estime 
        n'avoir plus rien à faire ici.
 ---------- 
        D'accord, sous la condition que l'amiral donne sa parole de ne communiquer 
        avec quiconque.
 ---------- 
        Jamais, s'exclame Fenard, je n'oserai lui demander cela.
 ---------- 
        Alors, restez ici...
 ---------En 
        quittant les Oliviers, Rigault donne cette consigne aux insurgés 
        qui montent la garde
 ---------- 
        Rien n'est changé. Ces messieurs restent là, gardez-les 
        à vue...
 un revolver modèle 
        1874 ---------Dans la 
        soirée du 7 novembre, Dorange et le médecin-capitaine Dupuy 
        dînent gaiement en ville. Aussi la stupéfaction du chef de 
        cabinet de Juin est-elle vive lorsque, voulant rentrer, vers 1 heure du 
        matin, au palais d'Hiver où il a sa chambre, il en aperçoit 
        l'entrée barrée par une trentaine de jeunes gens en civil 
        et porteurs d'un brassard blanc sur lequel se détachent deux lettres 
        : V.P.---------Dorange 
        sait très bien qu'en cas d'alerte grave, il est prévu que 
        les unités régulières de l'armée seront renforcées 
        d'éléments civils désignés sous le nom de 
        " vo1ontaires de place ". Fort courtoisement, un membre du groupe 
        explique à Dorange - qui décline sa qualité - qu'il 
        ne peut le laisser passer et qu'à partir de maintenant, il agit 
        au nom du général Giraud qui vient de débarquer à 
        la tête des forces américaines !
 ---------Pour 
        Dorange, tout devient clair. Ce qui avait été envisagé 
        lors des discussions avec Murphy est déclenché. Et il est 
        fort probable qu'à l'instar de ce qui se passe au palais d'Hiver, 
        les autres postes de commandement de la ville sont privés de liberté. 
        Le jeune chef des insurgés oublie de s'assurer de la personne de 
        Dorange et le laisse partir. Avec son ami Dupuy, lui aussi laissé 
        en liberté, le chef de cabinet de Juin se dirige vers l'amirauté 
        qui, par suite de la proximité des casernes de fusiliers marins 
        et de son isolement, a, à ses yeux, quelque chance de ne pas être 
        aux mains des insurgés. Mais, là encore, la route est barrée.
 ---------Sautant 
        dans une barque de pêche, Dorange gagne un sous-marin en cours d'appareillage. 
        Reçu fraîchement par l'équipage, il obtient néanmoins 
        qu'on téléphone à l'amiral Leclerc qui donne l'ordre 
        qu'on lui amène Dorange sous escorte. Parvenu à l'amirauté, 
        Dorange explique ce qu'il vient de voir en ville et, du coup, l'amiral 
        comprend pourquoi son téléphone ne fonctionne plus. C'est 
        à ce moment que se présente un jeune officier, visiblement 
        de réserve, porteur d'un ordre signé de Mast. Ce document 
        expose que les Allemands viennent de débarquer en Tunisie et qu'à 
        l'appel du Maréchal, les Américains interviennent pour les 
        repousser. À l'amiral Leclerc, de plus en plus intrigué, 
        et qui l'interroge pour savoir si Juin est au courant de cet événement, 
        Dorange répond qu'il ne correspond nullement à tout ce qu'il 
        a pu apprendre jusqu'ici. Le plus simple paraît donc de joindre 
        le général et d'obtenir des instructions. Par malchance, 
        l'amiral n'a ni voiture, ni marin à mettre à la disposition 
        de Dorange : ses effectifs sont très réduits et fort mal 
        armés. Finalement, le sous-chef d'état-major de l'amirauté 
        confie à Dorange un revolver 1874, sans cartouche ! Muni de cette 
        arme, le chef de cabinet de Juin ordonne à l'officier - qui a apporté 
        l'ordre signé de Mast - de se mettre à sa disposition avec 
        sa voiture et son chauffeur. C'est dans cet équipage - le jeune 
        insurgé n'ayant pas compris ce qui se passait - que Dorange se 
        met en route pour gagner la caserne des gardes mobiles des 
        Tagarins. Par précaution, il avise son compagnon de 
        route qu'en cas de barrage, il aura à montrer son laissez-passer 
        et que, s'il n'obtempère pas, lui, Dorange, l'abattra sans hésiter. 
        Le jeune insurgé proteste de sa bonne foi, affirmant qu'il exécute 
        ce qu'on lui a commandé.
 ---------Arrivé 
        enfin aux Tagarins sans encombre, Dorange explique la situation au colonel 
        Zwilling, commandant la garde mobile, mais précise qu'avec ses 
        hommes il doit l'aider à rendre la liberté au commandant 
        en chef. Après le temps nécessaire au rassemblement, Zwilling 
        se place au centre du carré formé par ses hommes et leur 
        adresse quelques paroles:
 ----------Soldats, 
        l'un des plus beaux jours de notre vie vient d'arriver. Les Allemands 
        ont envahi la Tunisie, le Maréchal vous donne l'ordre de les rejeter 
        à la mer ; les Américains viennent de débarquer pour 
        nous aider à le faire. Nous allons nous porter à leur rencontre 
        pour leur faciliter les choses..
 ----------- 
        Vive la France ! vive le Maréchal ! répondent, enthousiastes, 
        les gardes mobiles.
 ---------- 
        Mais il paraît, reprend le colonel qui, en apercevant Dorange, se 
        rappelle la demande que celui-ci a formulée, que le général 
        Juin est prisonnier dans sa villa ; nous allons donc commencer par aller 
        le délivrer.
 ---------Pendant 
        les préparatifs du départ, Dorange fait alerter d'autres 
        chefs d'unités, puis monte avec deux gardes dans une voiture touriste 
        suivie d'un camion transportant une trentaine d'hommes sous le commandement 
        d'un officier. Mais le véhicule tombe en panne et ne rejoindra 
        que trois quarts d'heure plus tard.
 ---------À 
        vrai dire, Dorange ne s'en aperçoit pas. Auparavant, il a rendu 
        sa liberté au jeune officier de réserve prisonnier. À 
        la porte de la villa des Oliviers, l'aspirant Pauphilet, qui commande 
        les putschistes, interdit au commandant des gardes d'entrer dans la villa. 
        S'inclinant devant ce qui lui est affirmé avec tant d'autorité, 
        l'arrivant se contente de dire qu'il s'agit simplement de faire passer 
        le chef de cabinet du général Juin. Nouveau refus. Ayant 
        troqué son revolver 1874 contre un automatique, Dorange force le 
        passage en appuyant au même moment sur la détente qui, fort 
        heureusement, ne répond pas, puisque la sûreté n'a 
        pas été enlevée. Les gardes reçoivent alors 
        l'ordre d'arrêter tous ceux qu'ils rencontreront.
 ---------Toujours 
        dans le salon, Juin arpente la pièce à grands pas ; Darlan, 
        maintenant impassible, est appuyé à la cheminée, 
        tandis que Battet, Fenard, Chrétien et Mme Juin chuchotent en aparté. 
        Très étonné de voir arriver son chef de cabinet, 
        et pensant que Dorange s'est involontairement jeté dans la gueule 
        du loup, Juin lui souffle à l'oreille de filer au plus vite... 
        Mais le commandant en chef apprend ce se passe dans Alger et décide 
        de gagner le fort l'Empereur, dont la garnison est sûre et qui est 
        prévu comme P.C. opérationnel en cas d'événements 
        extraordinaires. Quant à Dorange, juin le charge de faire libérer 
        les autres généraux encore retenus prisonniers par les conjurés.
 Darlan prévient 
        Pétain ---------Nous nous 
        souvenons qu'après sa violente colère, Darlan s'est retiré 
        dans un bureau des " Oliviers " pour rédiger un message 
        ; ce document est adressé à Pétain et c'est le consul 
        américain Pendar qui est chargé de le porter à l'amirauté 
        pour transmission. Mais, en cours de route, Pendar passe au P.C. du complot, 
        et ainsi, Rigault prend connaissance du message et le fourre dans sa poche. 
        De son côté, le préfet maritime dépêche 
        un quartier-maître, habillé en civil, à la villa de 
        Fenard d'où on le réexpédie chez le général 
        Juin. Vers 6 heures du matin, l'estafette revient à l'amirauté 
        avec ce texte de Darlan :---------Pour 
        amiral Moreau
 ---------Si 
        tu peux communiquer avec Bizerte et Casa, tâche de savoir ce qui 
        s'y passe.
 ---------Je 
        suis à la villa du général juin. D'après Murphy, 
        le débarquement serait général, du sud du Maroc à 
        la Tunisie. J'ai rendu compte au Maréchal par Baudot.
 Jusqu'à nouvel ordre de ma part, faire notre possible pour exécuter 
        les ordres du Maréchal.
 (0515 - 8-11-42).
 ---------Ce 
        document parvient à son destinataire car, à ce moment-là, 
        la garde mobile, amenée par Dorange, assure une liberté 
        relative à l'amiral et à Juin. Peu après, Darlan 
        confie à Pendar un autre câble destiné à Pétain 
        et qui est un compte rendu général - et prudent - de la 
        situation. Mais à sa sortie des " Oliviers ", le consul 
        américain est arrêté par la garde mobile et détenu 
        jusqu'au moment où ses affirmations sont vérifiées.
 ---------C'est 
        à 6 h 49, le 8 novembre 1942, que le télégramme parvient 
        à Vichy. Peu après son arrivée au fort l'Empereur, 
        avec Juin, l'amiral, sceptique sur les conditions de transmission de ses 
        précédents messages, a, alors, toute liberté d'envoyer 
        un nouveau compte rendu au Maréchal:
 ---------J'ai 
        été demandé à 1 h 45 par le général 
        Juin et j'ai trouvé chez lui M. Murphy qui m'a déclaré 
        que, sur la demande d'un Français, le général Giraud, 
        le président
 Roosevelt avait décidé d'occuper l'Afrique du Nord avec 
        des forces importantes, ce matin même ; que les Etats-Unis n'avaient 
        qu'un but, détruire l'Allemagne et sauver la France, qu'ils désiraient 
        maintenir son intégrité.
 Lui ai répondu que la France avait signé une convention 
        d'armistice et que je ne pouvais que me conformer aux ordres du Maréchal 
        de défendre notre territoire.
 ---------Vers 
        7 heures du matin - les Américains sont toujours absents, tandis 
        que la garde mobile reprend un par un les bâtiments officiels - 
        la plupart des autorités civiles et militaires recouvrent leur 
        liberté, et la plupart des centraux téléphoniques 
        fonctionnent à nouveau. --------------Seul 
        point encore aux mains des insurgés : le commissariat central où 
        restent détenues un certain nombre de personnalités civiles. 
        Le commandant en chef a retrouvé les moyens d'exercer son autorité.
 ----------------Remplaçant 
        Mast par le général Roubertie, juin lui ordonne de maintenir 
        " un contact élastique, sans agressivité " entre 
        les troupes françaises et les forces en cours de débarquement 
        qui progressent plus lentement que prévu, bien que ne rencontrant 
        pratiquement aucun obstacle. De son côté, le général 
        Koeltz, rendu lui aussi à ses pouvoirs, met sur pied un commandement 
        des forces stationnées hors d'Alger, auquel il donne la même 
        consigne qu'au général Roubertie.
 ---------En 
        procédant ainsi, Juin attend les développements de la situation, 
        manifestement soulagé par la présence de Darlan - commandant 
        en chef de toutes les forces militaires françaises et successeur 
        désigné de Pétain. Officiellement, l'amiral a beaucoup 
        plus de poids que n'importe qui.
 ---------Mais 
        si, d'une part, les " Cinq " s'inquiètent de l'extrême 
        lenteur de mouvements des troupes américaines, d'autre part ils 
        n'ont aucune nouvelle de Giraud que, pendant des heures, Lemaigre-Dubreuil 
        a attendu en vain à l'aérodrome de Blida. Les postes radio 
        de la conjuration ne parviennent pas davantage à obtenir des précisions 
        de Gibraltar sur le sort du général. Depuis le moment où, 
        un peu contre son gré, il a décidé de quitter la 
        France pour prendre la tête du volet français du débarquement, 
        Giraud joue de malheur. D'abord, le sous-marin qui doit l'emmener est 
        en retard, puis, en mer, ses transmissions sont en panne. Enfin, après 
        mille péripéties plus ou moins rocambolesques, Giraud arrive 
        à Gibraltar dans la journée du 7 novembre.
 
 --------Par 
        un rapport du capitaine Beaufre, qui accompagne Giraud, nous savons ce 
        qui s'y est passé. C'est le 7 novembre, à 17 heures, qu'Eisenhower 
        - dont le P.C. est installé dans les souterrains de la forteresse 
        - reçoit Giraud. Entre les deux hommes s'instaure et se développe 
        un immense malentendu. Le général français en est 
        resté à l'hypothèse d'un débarquement sans 
        combat ; Giraud croit également que le commandement suprême 
        lui reviendra quarante-huit heures après le début de " 
        Torch ". Pour Eisenhower, cela veut dire que Giraud exige le commandement 
        de l'opération. Des accords Murphy-Giraud, Eisenhower prétend 
        ne rien savoir. Bref, le ton monte très vite. Giraud accuse les 
        Américains de mauvaise foi et quitte le P.C. d'Eisenhower en claquant 
        la porte. Il déclare que, dans ces conditions, il retire son concours, 
        demandant toutefois à être conduit en Algérie dans 
        la matinée du 8"mais comme une personnalité privée 
        ". Stupéfaction générale.
 ---------On 
        raconte même que Giraud est tellement mécontent de ce qu'il 
        vient de découvrir, qu'il aurait envisagé de rentrer en 
        France !
 ----------Et 
        le débarquement commence dans la nuit. Après de longs et 
        délicats pourparlers, un nouvel entretien réunit le 8 novembre, 
        à 11 heures, Giraud et l'état-major interallié. Il 
        en sort un modus vivendi
 Le général Eisenhower... ne peut se dessaisir de son commandement 
        au profit de quiconque, surtout dans une opération aussi difficile 
        que celle qui est en cours. Il ne peut donc être question de commandement 
        interallié français ni de commandement allié sur 
        les forces françaises. Par contre, il reconnaît l'autorité 
        entière du général Giraud sur l'Afrique du Nord et 
        les forces françaises d'Afrique. Les relations entre le commandement 
        allié et le commandement français 
        seront établies sur la base d'une complète égalité. 
        En conséquence, toutes les décisions d'ensemble contre les 
        Allemands seront fixées en commun. Lorsque les troupes françaises 
        et alliées opéreront de concert et se trouveront mélangées, 
        le commandement local sera assuré par le chef français ou 
        allié qui aura le plus de forces sous ses ordres...
 ---------Au 
        cours de la discussion, Giraud insiste pour que les Alliés mettent 
        immédiatement la main sur les aérodromes de Tunisie... et 
        demande à partir pour Alger. Ce déplacement, lui répond-on, 
        ne pourra se faire que le lendemain 9 novembre( Ainsi, Giraud a pris, 
        tant par sa faute que par celle des Alliés, un grave retard qui 
        va peser considérablement sur la suite des événements.
   cessez-le-feu à 
        Alger ---------En quittant 
        la villa des Oliviers, Rigault et le consul américain Woodruff 
        descendent au P.C. de la rue Michelet où règne une certaine 
        nervosité. Pas de nouvelles des Américains, silence chez 
        Mast, et Giraud ne répond toujours pas.---------La 
        seule solution est d'aller au-devant des troupes de débarquement 
        pour presser leur mouvement sur Alger. À 4 kilomètres de 
          
        Saint-Eugène, le Français et le consul américain, 
        Woodruff, aperçoivent, enfin, de chaque côté de la 
        route, une file interminable de soldats, le visage couvert de suie, les 
        casques garnis de feuillage. Bien tranquille est leur allure. Les officiers 
        auxquels Rigault et Woodruff s'adressent, probablement méfiants, 
        les renvoient d'autorités supérieures en autorités 
        plus importantes encore. Enfin, après avoir obtenu que les Américains 
        pressent le mouvement, les deux hommes, rentrant dans Alger, tombent, 
        sans avoir la possibilité de faire demi-tour, sur un char entouré 
        de gardes mobiles
 ---------- 
        Stop... Ces gars-là, crie un lieutenant, au mur !
 Woodruff parvient quand même à expliquer qu'il est un diplomate 
        américain et la chance veut qu'un sous-officier de la garde sache 
        la présence de Murphy aux " Oliviers ", à quelques 
        mètres de là. Des gardes l'y emmènent tandis que 
        quatre autres surveillent Rigault. Mais le spectacle de ce qui se passe 
        dans le port, où un torpilleur canadien vient de se faire " 
        allumer ", les intéresse beaucoup plus. Profitant de l'aubaine, 
        le prisonnier commence à marcher de long en large, augmentant ainsi 
        peu à peu la distance qui le sépare de son escorte. Au bout 
        d'une heure de ce manège, apercevant un plombier qui sort de la 
        résidence de Juin, Rigault se dirige vers lui, lui demande du feu 
        et repart sans qu'on ait remarqué son stratagème. Dès 
        qu'il est hors de la vue de ses gardiens, Rigault double l'allure et entre 
        pour se faire faire la barbe dans une boutique qui vient d'ouvrir. Quand 
        il arrive enfin au domicile de d'Astier, la famille et les amis de ce 
        dernier - absent - lui font fête car, sans nouvelles de lui, on 
        avait cru qu'il avait été fusillé.
 ---------En 
        se réveillant, à l'aube du 8 novembre, le capitaine Pedron 
        - qui appartient au 3ème bureau du général Juin - 
        ouvre son poste radio et entend une proclamation de Giraud !En fait, ce 
        n'est pas ce dernier qui parle, puisqu'il est encore à Gibraltar 
        et qu'on n'a pas pris la précaution d'enregistrer sa voix, mais 
        un des conjurés, Raphaël Aboulker, qu'à la dernière 
        minute on a chargé de cette mission. Sans en demander davantage, 
        Pedron dévale l'escalier, réquisitionne une voiture militaire 
        en stationnement un peu plus loin et débarque au palais d'Hiver 
        pour apprendre de la bouche du commandant Dupin de Saint-Cyr que tout 
        l'état-major vient d'entrer en conférence au fort l'Empereur. 
        Par Dorange, survenu sur ces entrefaites, il apprend les événements 
        de la nuit. Dans une casemate, Pedron retrouve Darlan, Fenard, Juin, Koeltz, 
        Mendigal, Battet... Personne ne fait attention à lui. Tout le monde 
        a l'air épuisé, guettant des nouvelles ou discutant des 
        opérations en cours. De temps en temps, Juin donne un ordre pour 
        modifier les positions des troupes françaises, le général 
        ne voulant pas d'affrontement avec l'armée américaine.
 ---------Le 
        8 novembre 1942, vers midi, le bruit, se répand qu'à la 
        suite d'une visite de Juin, l'amiral, qui avait regagné l'hôtel 
        Saint-George, aurait accepté en principe la cessation des hostilités 
        dans l'après-midi.
 ---------Or, quelques heures plus tard, les 
        avant-gardes alliés débouchent sur les hauteurs dominant 
        Alger, tandis que les deux aérodromes de Maison-Blanche 
        et de Blida 
        sont occupés. Le fort l'Empereur, lui-même, couronné 
        de son drapeau, est pris sous le feu de l'artillerie américaine. 
        Un obus de mortier de 81 tombe pile devant la porte de la casemate, tuant 
        un officier d'aviation et blessant les futurs généraux Lechères 
        et Hartmann. Au bruit provoqué par l'explosion, Juin sort de son 
        P.C., demande des explications et laisse tomber
 ---------- Ah! c'est tout de même em... 
        ! Faites hisser le drapeau blanc pour leur faire comprendre, à 
        ces c...-là...
 ---------Visiblement le général 
        est énervé. Il fait sonner le cessez-le-feu. Mais les Américains 
        continuent de tirer, abandonnant toutefois leurs mortiers. Puis avisant 
        Dorange, qui est l'homme à tout faire, le général 
        lui ordonne
 ---------- Tâchez donc de trouver quelqu'un, 
        allez trouver Murphy, par exemple, parce qu'il faut qu'on sorte de cette 
        situation impossible...
 ---------Après une nouvelle attente, 
        Dorange surgit enfin, accompagné par le général Ryder 
        et par Murphy, entourés d'un groupe de vice-consuls, dont le colonel 
        Knox. Immédiatement s'engagent les pourparlers pour le cessez-le-feu 
        qui est finalement signé à 19 heures et se limite à 
        Alger et sa grande banlieue
 ---------- Toutes les troupes françaises... 
        seront regroupées et regagneront sans délai leurs quartiers 
        où elles seront consignées... Elles garderont leurs armes...
 ---------L'ordre en ville sera assuré par les troupes américaines 
        à partir de 22 heures... Les autorités civiles reprendront 
        en main les pouvoirs de police... Toutes ces autorités restent 
        en place.
 ---------Dans la soirée, à 
        partir de 21 heures, une conférence réunissant, d'une part 
        Murphy et le général Ryder, et d'autre part Darlan, Juin 
        et ses subordonnés immédiats, règle un second train 
        de problèmes à vrai dire secondaires, les autres, les principaux, 
        ne pouvant être discutés du côté américain 
        que par le général Clark lui-même, attendu 
        pour le lendemain. Vers la fin de la réunion, Rigault se présentant 
        au Saint-George, 
        tombe sur une sentinelle casquée, en uniforme, qui l'éclaire 
        de sa torche c'est un des adjoints de Murphy qui a repris du service.
 ---------Les " Cinq " se retrouvent 
        à la villa des Roses où habite Murphy. On y débouche 
        une bouteille de champagne. Pour les conjurés, le point noir reste 
        le retard de Giraud. À écouter Murphy, les " Cinq " 
        n'ont pas de gros soucis à se faire au sujet de Darlan. Rapportant 
        le comportement de l'amiral " plein de contradictions 
        et assez peu brillant " pendant les heures où il 
        s'est trouvé en sa présence, le diplomate américain 
        ne croit pas qu'à l'avenir, Darlan puisse être autre chose 
        qu'un " vaincu et un prisonnier... 
        ".
 ---------Au cours des opérations, 
        la marine française a eu 11 tués et 8 blessés, et 
        l'armée de terre 11 tués.
 ---------De plus, en plein coeur d'Alger, 
        au cours d'un affrontement, tombent le capitaine Pillafort, figure populaire 
        chez les conjurés et qui a joué un certain rôle dans 
        la prise de la ville, et le colonel d'aviation Jacquin, de l'état-major 
        du commandant en chef, qui rejoignait son poste. , Après le champagne 
        chez Murphy, toute l'équipe dirigeante du complot se retrouve dans 
        la villa de Lemaigre-Dubreuil, à Mahieddine, celle-là même 
        qu'avait louée, autrefois, le capitaine Beaufre pour recevoir discrètement 
        l'embryon de la résistance nord-africaine. On fait le point : Juin 
        est " favorable " aux Alliés, les Américains, 
        contrairement aux accords, négocient avec Darlan, et on est toujours 
        sans nouvelle de Giraud. Si, militairement, l'opération paraît 
        réussie - tout au moins à Alger - il n'en est pas de même 
        sur le plan politique. On convient d'abord, en attendant Giraud, de dissuader, 
        avant tout, les Américains de s'engager avec Darlan. Puis la discussion 
        s'élève entre Lemaigre-Dubreuil et Rigault. Le premier est 
        partisan de la force et pousse à faire un deuxième coup 
        d'Etat. Le second, soulignant que les moyens dont disposent les " 
        Cinq " sont fort limités, affirme que la seule façon 
        de procéder est de faire pression sur les Américains pour 
        qu'ils respectent leurs engagements. On souligne 
        que, parmi ,les " vichyssois ", 
        certains chefs militaires sont disposés à s'incliner, soit 
        par raison, comme Juin, soit par tempérament, comme Fenard. Avant 
        tout, il est convenu de tenter d'avoir, par le canal allié, des 
        nouvelles de Gibraltar et de revoir le plus rapidement possible Murphy, 
        dont l'assistance ne doute pas qu'il soit encore son meilleur appui.
 ---------Dorange rédige au cours de 
        la même nuit une note qu'il soumettra à Juin et remettra 
        à Battet. C'est un véritable programme pour la mise en état 
        de guerre de l'Afrique du Nord par le truchement d'un gouvernement., dont 
        Noguès prendrait la tête, tandis que Juin garderait ses fonctions 
        de commandant en chef. Les Américains fourniraient l'armement promis 
        par Murphy. Darlan, lui, se rendrait immédiatement à Vichy 
        pour exposer au Maréchal la situation réelle et le ramener 
        en Afrique du Nord. Pour l'auteur de ce document, ce serait la suite logique 
        de la politique menée par Pétain depuis l'armistice. Quant 
        à Giraud, aucun rôle n'est prévu pour lui ; son nom 
        n'est même pas mentionné !
 ---------Mais à Oran et au Maroc, 
        la bataille continue. de faire rage.
 enfin, Giraud !   ---------Dans la matinée 
        du 9 novembre 1942, Saint-Hardouin et d'Astier de La Vigerie viennent, 
        aux nouvelles chez Chrétien. Ils sont manifestement déçus 
        par l'évolution de la situation. En effet, à cause du retard 
        des troupes américaines et de l'absence de Giraud, les autorités 
        légales ont pu reprendre le contrôle de la ville. À 
        l'extérieur, la situation n'est guère brillante. En Algérie, 
        et notamment dans le Constantinois, il reste des forces suffisantes pour 
        s'opposer éventuellement aux Américains, beaucoup moins 
        nombreux que ce que Murphy avait laissé entendre. Situation militaire 
        très inquiétante en Tunusie. Confusion politique avec Darlan. 
        Et pourtant, c'est gagné : le débarquement a réussi. 
        Mais, en contrepartie, il y a quand même le fait que Darlan a commencé 
        à négocier, qu'un cessez-le-feu aété signé et que juin et Fenard poussent l'amiral 
        dans le sens allié.
 ---------Mais pour les " Cinq ", 
        le gros point' noir est que Darlan négocie directement avec les 
        Etats-Unis, leur cède trop... Saint-Hardouin et d'Astier de La 
        Vigerie demandent donc à Chrétien de les aider à 
        intervenir dans les discussions. De plus, ils seraient heureux de prendre 
        contact avec juin ; mais, à cet égard, rien à faire, 
        le général n'a pas encore digéré le coup de 
        force, ni la séquestration dont il a été victime. 
        Des agissements analogues dans d'autres centres ont automatiquement dressé 
        contre les conjurés Noguès et le restant des généraux. 
        La discussion en est là quand surgit, en trombe, Lemaigre-Dubreuil 
        qui lance
 ---------- La question est très imple. 
        Il y a un commandant en chef, le général Giraud. Les troupes 
        n'ont qu'à obéir à ses ordres...
 ---------Le chef des services spéciaux 
        objecte à l'industriel que, d'une part, Giraud est absent et que, 
        d'autre part, il n'a légalement aucun commandement ! Dans la situation 
        où il s'est mis, il a, semble-t-il, peu de chance de se faire obéir 
        du reste de l'armée. D'ailleurs, en dépit de la proclamation 
        diffusée par la radio, l'ensemble des troupes est resté 
        fidèle à ses chefs habituels. Certains chefs de corps passés 
        à l'insurrection ont vu se dresser contre .eux officiers et sous-officiers.
 ---------Saint-Hardouin révèle 
        alors à Chrétien les fameux accords Giraud-Murphy et ajoute 
        que les " Cinq " ne peuvent laisser mener des tractations avec 
        les Américains par des Français qui ignorent tout de ce 
        qui a été reconnu par Murphy. Evidemment, la seule solution 
        serait de faire connaître ces accords à Darlan et à 
        Juin. Mais ne paraît-il pas quelque peu vexant pour les " Cinq 
        " d'aller remettre ces documents à leurs adversaires qui bénéficieraient 
        ainsi gratuitement du résultat de tant d'efforts ?... Finalement 
        le bon sens et le patriotisme l'emportent sur l'amertume et la fureur. 
        Les conjurés chargent donc Chrétien de demander à 
        Juin une audience pour Saint-Hardouin. Dans l'après-midi, à 
        16 heures, ce dernier très ému, et porteur des accords, 
        en fait part au général qui, par son amabilité, rompt 
        la glace.
 ---------Peu après, un coup de téléphone 
        de Tunis annonce que les Allemands commencent à débarquer 
        des troupes à l'aérodrome d'El-Aouina, sans que les troupes 
        françaises, pourtant postées sur les abords du terrain, 
        interviennent.
 ---------Presque en même temps, les 
        conversations reprennent - le général Clark n'étant 
        toujours pas arrivé - entre Darlan et Ryder. Ce dernier communique 
        aux Français un projet de convention d'armistice, manifestement 
        préparé à l'avance (les Américains avaient, 
        en effet, rédigé deux études, l'une prévoyant 
        un traitement amical ; la seconde prévoyant un statut d'adversaires 
        pour les forces françaises). Darlan, tout en s'affirmant détenteur 
        des pouvoirs pour traiter, souligne qu'il n'a pas ceux de signer un texte 
        que son gouvernement ne connaît pas.
 ---------L'Américain réplique 
        que, puisqu'il en est ainsi, il sera obligé de prendre des mesures 
        de sécurité, d'autant plus qu'il vient d'apprendre que Vichy 
        a donné son accord à l'entrée des forces allemandes 
        en Tunisie. La conversation prend un tour de plus en plus aigre. Juin, 
        heureusement présent, fait remarquer qu'on ne peut pas faire l'affront 
        à ses troupes de leur retirer leurs armes puisque, dans quelques 
        jours, elles seront probablement amenées à combattre aux 
        côtés des forces américaines. Quant à Murphy, 
        il objecte que, si le gouvernement français n'accepte pas les conditions 
        du cessez-le-feu, les troupes françaises seraient alors en mesure 
        d'agir dans le dos des Alliés. Catégorique, Ryder rappelle 
        qu'au premier acte d'hostilité, il n'hésitera pas à 
        faire bombarder Alger par les navires de sa flotte.
 Finalement, le général Koeltz prend l'engagement personnel 
        qu'il ne se passera rien et l'on s'accorde, enfin, sur le maintien du 
        statu quo. -Sur ces entrefaites arrive enfin Clark qui dit avoir été 
        retenu par la résistance opposée à Oran à 
        ses soldats par la garnison française. Apprenant que Darlan attend 
        une réponse de Vichy, l'adjoint d'Eisenhower estime inutile la 
        poursuite de la discussion, qu'il reporte au lendemain matin.
 C'est à leur retour aux Oliviers que, par un appel de Chrétien 
        - qui demande un rendez-vous pour Lemaigre-Dubreuil - Juin et Dorange 
        apprennent l'arrivée de Giraud.
 ---------À son arrivée à 
        Blida, ce dernier a été accueilli fraîchement par 
        le colonel Montrelay, commandant la base, et a gagné immédiatement 
        la villa Mahieddine, où les Cinq sont réunis. À vrai 
        dire, ceux-ci sont fort énervés car ils ont peu goûté 
        la désinvolture du général qui, après avoir 
        accepté la responsabilité suprême de l'affaire, avait 
        laissé ses adjoints civils sans nouvelles. Sous son calme légendaire, 
        Rigault cache une rage froide. A l'inverse, Lemaigre-Dubreuil exhale, 
        lui, sa colère. Méditatif, Saint-Hardouin se tient dans 
        une grande réserve. Pour donner une explication à l'attitude 
        de Giraud, Rigault laisse tomber, non sans humour
 ---------- Le général a pour 
        le moins un mauvais secrétariat !
 ---------Mécontent, froid, en arrière 
        de la main, Giraud rétorque qu'il n'est pas commandant en chef 
        et que les discussions de Gibraltar n'ont, à ses yeux, rien donné. 
        Il
 paraît d'autre part ulcéré du peu d'égards 
        qu'on lui a manifesté à son arrivée. Pis, on a égaré 
        son uniforme. Avant toute chose, et ne pouvant rien faire. sans être 
        revêtu de sa tenue, il exige qu'on parte à la recherche de 
        ses effets militaires ! L'assistance est médusée, sauf peut-être 
        Rigault, qui, dès sa première rencontre à Lyon avec 
        le général, l'avait jaugé. Après ces préliminaires, 
        Giraud entend un exposé de la situation, bref sur le passé, 
        plus détaillé sur les difficultés du moment
 (présence de Darlan, attitude très vichyste de l'armée, 
        engouement des Américains pour la flotte). D'abord silencieux, 
        Giraud écoute puis lâche, désabusé et écoeuré
 ---------- Bon, il va falloir maintenant 
        que je prenne ma décision.
 ---------- Non, mon général, 
        laisse tomber sèchement Rigault, votre décision, vous l'avez 
        prise définitivement à Lyon.
 l'étonnante entrevue 
        Dorange-Giraud  ---------Il était 
        effectivement question, dans l'esprit de Giraud, " puisque 
        Darlan était là ", de s'effacer et d'aller 
        faire le héros à la tête d'un corps franc. Complètement 
        démonté par les événements, il déclare" Je vais voir si je continue. 
        " L'un après l'autre, les " Cinq " le persuadent 
        que la partie est loin d'être perdue : les Américains ont 
        de grosses difficultés avec Darlan ; l'amiral n'est pas dans une 
        position confortable du tout ; et, de surcroît, les Etats-Unis ne 
        sont pas bien disposés en sa faveur. Ces raisonnements remontent 
        le moral du général, et un programme s'ébauche, complétant 
        celui que les " Cinq " avaient dressé après avoir 
        bu le champagne chez Murphy. Les conjurés assiègent Giraud, 
        car il est capital qu'il entre en contact avec l'armée et ses chefs, 
        avec Juin surtout, pour se renseigner et connaître l'attitude exacte 
        du corps des officiers en face des événements et envers 
        le grand chef de la conjuration. Quant aux Américains, ils ne connaissent 
        encore de Giraud que l'image reflétée par sa carrière 
        et son évasion.
 ---------À l'heure du dîner, 
        Lemaigre-Dubreuil, mi-confident, mi-dramatique, annonce, à la cantonade, 
        au Saint-George, que Giraud a d'importants entretiens, en particulier 
        avec Clark ; il insiste pour que Juin se rende à la villa Mahieddine. 
        Il ne veut pas croire, comme on le lui affirme, que Juin refusera de se 
        compromettre en allant au-devant de Giraud: Un compromis intervient : 
        c'est Dorange qui, en tant que chef de cabinet, se rendra au rendez-vous. 
        A 10 heures du soir, Chrétien embarque Dorange dans sa voiture. 
        Méfiant, car il a parfaitement réalisé que son rôle 
        dans la nuit du 7 au 8 novembre lui a valu des inimitiés féroces 
        chez les conjurés, le second prend un revolver et laisse des ordres 
        afin que, s'il n'est pas revenu à minuit, on se mette immédiatement 
        à sa recherche.
 ---------À Mahieddine des jeunes des 
        Chantiers de jeunesse montent la garde dans un grand désordre et 
        en proie à une vive exaltation. A l'intérieur de la villa, 
        beaucoup de monde autour de-l'état-major de la conjuration. Le 
        moral semble en hausse. Seuls Saint-Hardouin et Lemaigre-Dubreuil font 
        bonne mine au chef de cabinet de Juin, qui insiste pour voir Giraud en 
        tête à tête. Au général, Dorange montre 
        son plan soumis à juin et à Battet et qui, selon lui, résume 
        la position de l'armée : " Le général 
        Giraud légal, oui ; le général Giraud rebelle, non. 
        " Avec beaucoup de calme, voire de bienveillance, le général 
        rétorque qu'il est d'accord sur toute solution qui permettra de 
        reprendre les armes contre les Allemands le plus rapidement possible. 
        Il estime, en effet, nécessaire de jeter les forces françaises 
        dans la bataille immédiatement, désireux qu'il est de se 
        consacrer uniquement à la direction des opérations, et prêt 
        à transmettre à d'autres la charge du gouvernement. Confiant 
        dans les vertus de la hiérarchie militaire, Giraud pense que Juin 
        - de beaucoup son cadet - ne fera aucune difficulté pour accepter 
        un commandement sous ses ordres. Quant à Pétain et à 
        Darlan, le général " leur 
        réserve un grand rôle ", espérant 
        que le Maréchal et l'amiral vont se retirer sur la côte méditerranéenne 
        où, avec l'armée d'armistice et les partisans de la reprise 
        des hostilités contre l'Allemagne, ils prépareront une tête 
        de pont pour permettre aux Alliés de débarquer dans le midi 
        de la France ! Très disert, Giraud poursuit en rappelant ce qu'a 
        été sa carrière, ses pénibles conditions d'existence 
        en zone libre depuis son évasion, les " méchancetés 
        " de la police de Laval, etc.
 ---------Enfin, le général 
        demande s'il lui est possible de rencontrer Juin. Dorange, pas très 
        sûr de l'acceptation de son chef, se saisit du téléphone 
        et appelle la villa des Oliviers :
 ---------- Je m'excuse, mon général, 
        de vous réveiller (il est 3 heures du matin), mais le général 
        Giraud souhaiterait venir vous rendre visite et demande si vous accepteriez 
        de le recevoir.
 ---------- À cette heure-ci ? réplique 
        juin. Mais c'est ridicule ! Est-ce qu'on va en finir avec ces histoires 
        de roman policier ?...
 ---------Chez Juin, c'est une douche glacée 
        qui s'abat sur la tête de Giraud:
 ---------- ... Vous n'êtes rien, ici...
 
 
   
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