| Alger devient la capitale À la veille de l'époque 
        ottomane -------À 
        l'aube du xvle siècle, les États du Maghreb apparaissent 
        en pleine décomposition politique. Cette situation résultait 
        du déclin des trois forces principales qui dominaient dans la région 
        (Mérinides au Maroc, Abd al-Wadides au Maghreb central et Hafsides 
        au Maghreb oriental), déclin dû à la série 
        de longs conflits entre ces dynasties ainsi qu'à des problèmes 
        intérieurs. Cette décadence entraîna l'affaiblissement 
        des villes maghrébines soumises à des attaques venant de 
        l'intérieur, notamment du côté des tribus locales, 
        qui se sont multipliées à l'époque, créant 
        une véritable frontière entre les villes et les tribus'.-------A l'extérieur, 
        cette période de faiblesse du Maghreb correspondait à une 
        époque d'expansion espagnole et portugaise sur la côte nord-africaine. 
        Il s'agissait d'une offensive poursuivant l'opération de la " 
        reconquête " : la reprise de la péninsule Ibérique 
        des mains des musulmans. Elle était motivée par une idéologie 
        chrétienne de guerre sainte contre les infidèles musulmans, 
        mais également par des mobiles économiques : la volonté 
        de s'emparer des voies du commerce maritime dans le bassin ouest de la 
        Méditerranée. Les Espagnols espéraient aussi porter 
        un coup d'arrêt aux ravages infligés par les corsaires maghrébins 
        aux navires espagnols ainsi qu'au territoire même de l'Espagne. 
        La menace potentielle d'une alliance entre les gouvernants du Maghreb 
        et les Mamelouks d'Égypte incitait également les puissances 
        de la Méditerranée occidentale à développer 
        leur activité dans le Maghreb(2)'.
 -------A l'époque, 
        Alger était une petite ville berbère indépendante, 
        dotée d'un port médiocre. Elle vivait sous la protection 
        des arabes Thà âliba, installés dans la région. 
        La ville n'occupait qu'une partie de l'espace qui fut le sien à 
        l'ère ottomane. L'ancienne ville berbère comportait une 
        citadelle (qasba), qui se trouvait dans la zone qui devait porter plus 
        tard le nom de Sîdî Ramdân (F/3 sur le plan)3, et qui 
        marquait selon toute probabilité le point le plus haut de la ville4. 
        L'existence dans la partie basse de la ville (G/8) de la Grande Mosquée, 
        érigée au début du XIIe siècle par les Almoravides, 
        peut indiquer que cette partie était habitée elle aussi. 
        La ville était entourée de murailles, renfermant plusieurs 
        espaces non construits, et des zones construites où la densité 
        des édifices semble avoir été assez faible. On estimait 
        le nombre des habitants à la veille du xvle siècle à 
        vingt-six mille, chiffre qui nous semble dépourvu de toute réa-lité, 
        de même que toutes les statistiques concernant cette ville avant 
        le milieu du xixe siècle.
 L'arrivée des Ottomans
 -------L'attaque 
        ibérique contre le Maghreb central et occidental, couronnée 
        par plusieurs victoires (Mers el-Kébir [1505], Penon de Valez [1508], 
        Oran [1509], Bougie [1510], Tripoli [1510]), semblait donner le contrôle 
        de toute la région aux Espagnols, lorsque dans l'arène maghrébine 
        apparut un nouvel élément politique : l'Empire ottoman. 
        Celui-ci ne se contentait pas de porter un coup d'arrêt à 
        l'avance ibérique, mais créait une frontière entre 
        les Ottomans et l'Empire des Habsbourg, en annexant la majeure partie 
        du Maghreb à ses territoires. A. C. Hess considère que, 
        vue du Maghreb, l'arrivée des Ottomans par la mer a une importance 
        qui ne peut être comparée qu'à la conquête de 
        la région par les Arabes au elle siècle(5).-------Les 
        nouveaux arrivés avaient l'intention de participer à la 
        guerre de course qui avait pris un tournant décisif depuis l'expulsion 
        et l'immigration des musulmans andalous pendant et après la reconquête. 
        Car, pour les expulsés, qui constituaient un élément 
        belliqueux, la guerre maritime sous forme de course contre l'Espagne faisait 
        partie de la guerre sainte(6). Les Ottomans qui venaient prendre part 
        à cette guerre ne constituaient pas une force régulière 
        de l'Empire. Il s'agis-sait d'aventuriers, motivés tout autant 
        par la volonté de faire la guerre sainte aux chrétiens que 
        par le profit d'un éventuel butin. Ces guerriers, des ghâzî, 
        collaboraient avec les musulmans d'Espagne, tant en les aidant à 
        émigrer qu'en participant aux raids sur la côte espagnole.
 -------Dans 
        le cadre de l'offensive ibérique, la ville d'Alger avait livré 
        en 1511 un des îlots qui barraient son port aux Espagnols. Ces derniers 
        avaient construit une forteresse (le Pefion) sur cet îlot situé 
        à trois cents mètres face à la ville. Pour se débarasser 
        de cette menace, les habitants de la ville s'adressèrent au corsaire 
        'Arûdj, qui entra dans Alger en 1515. Après une courte période, 
        il fit exécuter l'ancien gouverneur de la ville pour prendre sa 
        place(7).
 La métamorphose d'Alger -------Avec la prise 
        du pouvoir à Alger par les corsaires, son histoire ainsi que celle 
        de la quasi-totalité du Maghreb, prennent un nouveau cours : les 
        Ottomans, sous la direction de'Arûdj au départ, puis celle 
        de son frère Khayreddîn qui l'avait rem-placé après 
        sa mort en 1518, allaient intégrer la région au sein de 
        l'Empire. De ce fait, Alger, devenue le centre du nouveau territoire ottoman, 
        allait connaître un développement très important qui 
        correspondait à son nouveau statut de capitale.-------Le 
        véritable point de départ d'Alger en tant que capitale fut 
        la conquête et la destruction de la forteresse espagnole le 27 mai 
        1529 par Khayreddîn. Après avoir débarrassé 
        la ville de la menace permanente que représentait le Pefion, dont 
        les canons demeuraient braqués sur elle, il avait utilisé 
        ses débris pour la construction d'un môle de deux cents mètres 
        de long, vingt-cinq mètres de large et quatre mètres de 
        hauteur, reliant à la terre ferme les quatre îlots qui se 
        trouvaient devant la ville. Le port avait subi depuis de nombreux changements 
        : il avait été élargi et approfondi, mais d'une profondeur 
        n'exédant pas entre quinze et vingt pieds. Trop exposé aux 
        vents, le port d'Alger n'était pas considéré comme 
        un bon port. Pourtant, il fut redouté par toutes les marines européennes 
        pendant trois siècles. Il assurait la défense de la ville 
        face à la mer, d'où venait la menace depuis la création 
        du vilayet. A cette fin, outre la présence de navires armés, 
        le port lui-même était protégé par toute une 
        série de fortifications qui dissuadaient, ainsi qu'en a fait la 
        remarque Boutin, d'essayer d'attaquer la ville de son côté(8).
 -------La 
        guerre maritime et les tentatives espagnoles pour conquérir Alger 
        durant la fin de la première moitié du xvle siècle 
        obligèrent les nouveaux maîtres d'Alger à renforcer 
        les défenses existantes et a en construire d'autres. L'enceinte 
        de la ville, dont une partie suivait le tracé de l'ancienne enceinte 
        de la ville berbère, fut refaite par Khayreddîn et ses successeurs. 
        Elle consistait en un mur de onze à treize mètres de hauteur, 
        couronné d'ouvertures à meurtrières, et de deux cent 
        quatorze embrasures à canon(9). D'une longueur légèrement 
        supérieure à 2 500 mètres, le rempart était 
        lui-même protégé par des fossés profonds de 
        huit mètres environ et larges de onze mètres cinquante à 
        quatorze mètres cinquante, dans lesquels étaient placés 
        des tours carrées et des bastions de surveillance(10). Le rempart 
        était également défendu par une dizaine de batteries 
        (tubkhâna, du turc topkhâne)(11), en plus d'un dispositif 
        de défense constitué de plusieurs forts qui se trouvaient 
        à l'extérieur d'Alger(12). En raison de la précarité 
        de sa situation vis-à-vis de l'ennemi européen, la ville 
        d'Alger s'était vu interdire tout développement en dehors 
        de ses remparts. La construction de l'enceinte au début du xvie 
        siècle avait fixé l'étendue d'Alger jusqu'à 
        l'arrivée des Français en 1830, ce qui avait eu des répercussions 
        sur la modalité de croissance de la ville, qui jusque-là 
        ne pouvait se faire que dans la partie intra-muros(13).
 -------Le 
        troisième élément majeur de la métamorphose 
        de la petite ville berbère en capitale d'un vilayet ottoman, c'est 
        la citadelle (qasba). Gardée par des burj (forts) élevés 
        plus ou moins loin, entourée de remparts et de batteries, la ville 
        était dominée depuis la fin du xvie siècle par la 
        nouvelle citadelle, située à la cote de cent dix-huit mètres 
        au-dessus du niveau de la mer. Bâtie entre l'arrivée des 
        Ottomans et la fin du xvie siècle sur un emplacement plus élevé 
        que l'ancienne, la nouvelle qasba constituait un complexe imposant, intimement 
        lié à l'histoire de la ville(14). A en croire les témoignages, 
        elle va inspirer la terreur à tout le monde, y compris aux " 
        Turcs " qui " y voient les mortiers et les pilons dont on s'est 
        servi et dont on se sert encore quelquefois pour piler des hommes tout 
        vifs " 15. La Casbah, qui servait de résidence à l'agha 
        et de prison aux janissaires ainsi que de lieu de réunion du Divan 
        (dîwân, conseil) durant une partie des xvie et xvIIe siècles, 
        avait perdu ses fonctions vers la fin du xvIIe siècle16. Au milieu 
        du xvlIIe siècle, la Casbah servait aussi bien de logement du corps 
        des bâlükbachi que de dépôt de munitions, de vivres, 
        et une partie au moins du trésor y était placél7. 
        Ce n'est qu'en 1817, à la suite du bombardement de la ville par 
        lord Exmouth, que la Casbah devint le siège du dey et du gouvernement. 
        Avant cette date, Alger faisait exception parmi les grandes villes arabes, 
        et le centre du gouvernement se trouvait effectivement dans le centre 
        de la ville, dans le palais de la Jeninat8.
 -------Toutefois, 
        l'oeuvre du xvie siècle et de la première partie du xvIIe 
        siècle ne se limita pas aux seules défenses de la ville 
        : c'est de cette période également que datent plusieurs 
        constructions à l'intérieur de la ville, dont les principales 
        furent les casernes des janissaires, un nombre important de mosquées, 
        notamment de rite hanéfite, ainsi qu'un grand nombre de bains publics, 
        de moulins, etc. Cet élan de construction semble avoir duré 
        tout le long de l'époque ottomane sous la forme de reconstructions 
        et de rénovations de monuments existants. Il faut mentionner aussi 
        la construction et le maintien des systèmes de canalisation d'eau 
        vers la ville : l'aqueduc du Telemly vers 1550, celui de Birtraria en 
        1573, l'aqueduc du Hamma en 1611, et celui de 'Al Zeboudja au milieu du 
        xviiie siècle(19).
 
 Métamorphose de la population
 -------La croissance 
        de la ville était l'expression naturelle d'une croissance très 
        rapide du nombre de ses habitants : la ville bénéficia à 
        la fois d'une arrivée plus ou moins massive d'expulsés andalous, 
        notamment en 1492, en 1566 et en 1609(20), ainsi que de l'installation 
        d'une véritable armée ottomane, forte de 6 000 hommes, envoyée 
        par le sultan, qui formait la base de la milice d'Alger. Le xvIe siècle 
        est donc la période où la composition de la population d'Alger 
        devint ce qu'elle allait être durant toute l'époque ottomane 
        : les musulmans expulsés d'Espagne et les membres de la caste dominante, 
        recrutés pour la plupart en Asie Mineure, mais aussi en Albanie 
        et dans d'autres parties de l'Empire ottoman, se sont joints à 
        la population d'origine berbère qui s'y trouvait déjà. 
        Un nombre relativement élevé d'individus originaires des 
        différents pays d'Europe est arrivé pour se mélanger 
        à cette population : on comptait parmi eux des prisonniers de la 
        guerre maritime qui faisait rage sur la Méditerranée, des 
        Européens libres qui sont venus prendre part à cette guerre 
        aux côtés des Algériens, et dont une partie sont devenus 
        " Turcs par profession " ou " Renégats " (terme 
        auquel on doit préférer celui de " convertis "). 
        Cette population comprenait aussi une communauté juive anciennement 
        installée qui fut renforcée par des apports d'Espagne et 
        d'Italie, en particulier de Livourne. On doit tenir compte enfin de la 
        présence des gens venus provisoirement d'autres parties de la Régence.-------Il 
        semble que dans un premier temps chaque composante de la population a 
        gardé son identité particulière, au point que l'on 
        pouvait distinguer les originaires des différentes parties de l'Espagne 
        : " Ils se divisent en deux catégories ", remarque vers 
        la fin du xvie siècle le bénédictin Haëdo : 
        les Mudéjares (originaires de l'Andalousie ou de Grenade) et les 
        Tagarins (originaires de Valence, d'Aragon ou de Catalogne)(21). --------------Cependant, 
        au xvIIIe siècle, ces différences d'origines n'avaient plus 
        la même importance : à cette époque, seule comptait 
        la séparation entre les membres de la caste dominante ('askerî) 
        et les civils (les re'âyâ), et, parmi eux, la division entre 
        les citadins de souche (baldi) et les éléments étrangers 
        (barrânî), venus des régions de l'intérieur 
        pour travailler à Alger mais non pas pour s'y installer. Les trois 
        siècles de domination ottomane semblent avoir forgé un groupe 
        homogène, celui des baldi, la plus stable de toutes les composantes 
        de la population de la ville.
 La gestion de la ville au XVIIIe siècle
 -------Capitale 
        du vilayet ottoman, la ville d'Alger semble avoir été gérée 
        par des préposés urbains d'une manière beaucoup plus 
        centralisée que ne l'étaient d'autres villes arabes à 
        l'époque(22). Des problèmes qui touchaient l'ensemble de 
        la ville étaient confiés à ces préposés 
        qui y pourvoyaient avec efficacité l'alimentation 
        de la ville en eau potable était du ressort d'un qâîd 
        ou khûjat al-'uyûn (secrétaire aux fontaines), chargé 
        du contrôle des aqueducs, des fontaines et des biens habus qui dépendaient 
        de son administration(23). Ce préposé semble avoir été 
        le responsable de la corporation dite jamâ'at al-sâqaiyya, 
        un corps assez important, qui s'occupait de l'alimentation en eau de la 
        ville(24). Le nettoyage et l'entretien des égouts et du pavage 
        de la ville dépendaient du qâîd al-jûra (responsable 
        des égouts)(25). Quant au maintien de la sécurité 
        et de l'ordre, cela relevait de la responsabilité de plusieurs 
        personnes : le mizwâr, responsable du contrôle de la population 
        indigène sous l'angle de la police, le kol aghas'i (chef de la 
        patrouille), responsable d'une patrouille nocturne, le " caïd 
        des Zevawis ", responsable lui aussi d'une autre patrouille qui sillonnait 
        les rues d'Alger la nuit, le shaykh al-balad remplissait également 
        des fonctions de police, ainsi que des responsabilités concernant 
        la propreté et l'entretien des édifices urbains, qu'il partageait 
        d'ailleurs avec le mizwâr(26). Malgré la multiplicité 
        de responsables (dont les domaines n'étaient pas très bien 
        définis), il s'agit en fait d'un système centralisé, 
        directement subordonné au dey. Ce système assurait d'une 
        manière très efficace la prévention des crimes et 
        des délits(27).-------Le 
        manque d'outils administratifs qui auraient permis un lien direct entre 
        les autorités et les sujets a obligé le gouvernement du 
        vilayet, comme pour d'autres centres de l'Empire ottoman, à se 
        procurer des interlocuteurs directs. La solution trouvée à 
        ce problème consistait à diviser la société 
        en groupes selon des critères qui leur étaient propres, 
        et à la nomination d'une personne du groupe, pour représenter 
        celui-ci devant les gouvernants. Cette personne se voyait normalement 
        attribuer par le pouvoir une autorité vis-à-vis des membres 
        de son groupe. Sa position lui assurait habituellement des privilèges(28). 
        Toutefois, si cette description correspond à peu près à 
        celle du shaykh al-hâra (chef de quartier) dans d'autres villes 
        arabes à cette époque(29), à Alger en revanche le 
        quartier ne semble pas faire partie de ces groupes administratifs(30). 
        Toute la population de la ville, hormis les baldi (algérois de 
        souche), était encadrée par des groupements communautaires, 
        chacun ayant à sa tête un amîn(31), responsable de 
        ses hommes devant l'autorité. Les chefs avaient été 
        choisis parmi les membres de leurs groupes, habituellement parmi ses membres 
        les plus importants. Ces chefs de communautés et de groupes ethniques 
        et religieux étaient nommés par les autorités ottomanes, 
        habituellement par le dey(32), après avoir été élus 
        par les membres du groupe. Il semble que les chefs de différents 
        groupes de barrânî (" gens de dehors ") d'Alger 
        avaient une certaine influence sur les amîn des groupes des barrânî 
        dans d'autres villes du vilayet.
 -------Les 
        barrânî, ainsi que la communauté juive, étaient 
        ainsi constitués en communautés. Leur chef exerçait 
        des pouvoirs de police sur les membres. La taxation des membres de ces 
        groupes se faisait au niveau de celui-ci : c'était le chef qui 
        était en principe le fermier des impôts et répartissait 
        les impositions(33). Le chef de la communauté servait d'interlocuteur 
        auprès des autorités. L'encadrement de cette partie de la 
        population était très efficace, bien plus d'ailleurs que 
        ne pouvait l'être un encadrement sur la base territoriale du quartier 
        ; la plupart des barrânî par exemple constituaient une population 
        très instable, sans logement, dont une grande partie des membres 
        ne restaient dans la ville que temporairement. Le cadre communautaire 
        facilitait donc le contrôle de ces groupes.
 -------Les 
        exigences des autorités ottomanes à l'égard des Algérois 
        de souche, les baldi, portaient sur leurs activités économiques. 
        Les impôts de cette population, en espèces ou en nature, 
        étaient liés à cette activité : " C'est 
        pourquoi on avait choisi la profession comme critère pour la division 
        de cette population en groupes, et non pas le quartier, qui n'est pas 
        pertinent(34). " Les baldi étaient donc encadrés par 
        les corporations de métiers, de la même manière, semble-t-il, 
        que les barrânî par les organisations communautaires. Ces 
        dernières englobaient parfois des corporations de métiers 
        qui étaient propres aux membres de la communauté : le phénomène 
        des corporations de métiers communes aux baldi et aux barrânî 
        n'existait pas à Alger, où la ségrégation 
        ethnique et religieuse semble s'exprimer mieux dans ce domaine que sur 
        le plan géographique de la ville(35). Les chefs (amîn) des 
        corporations étaient subordonnés au shaykh al-balad (36), 
        et non pas au muhtasib, comme c'était normalement le cas dans les 
        villes maghrébines(37). La collecte des impôts s'effectuait 
        par la corporation, aussi bien les taxes et les impôts habituels 
        que les impositions extraordinaires(38). Lorsque, après le bombardement 
        d'Alger par Duquesne, Louis XIV eut imposé un tribut à Alger, 
        on le fit peser sur tous les corps de métiers, et les amîn 
        furent les responsables de la perception de cette taxe extraordinaire(39). 
        En une autre occasion, lors de la guerre de 1770 contre les Danois, ainsi 
        que cinq ans après, lors de la guerre contre l'Espagne, on fit 
        appel aux corps de métiers pour venir effectuer des travaux de 
        fortification de la ville40. Comme " le corps des juifs " est 
        mentionné parmi les " corps de métiers ", il est 
        clair que l'on avait fait appel aux corporations 
        de métiers et aux " corporations " de communautés. 
        Ces exemples indiquent que les autorités ottomanes de la ville 
        aient pu prendre la corporation de métier et la communauté 
        ethnique ou religieuse comme cellule de base, et non pas le quartier. 
        Cette " administration " plus ou moins centrale des divers aspects 
        de la ville, tant au niveau de l'encadrement de la population en groupes 
        ethniques et religieux qu'à celui des corporations de métiers, 
        dont les chefs étaient choisis par les autorités et demeuraient 
        leurs interlocuteurs, englobait donc la totalité de la ville à 
        un niveau plus élevé que celui du quartier.
 Survol de l'histoire politique de la 
        Régence d'Alger (XVIe-XVIIIe siècles) -------Du 
        point de vue politique, l'époque ottomane à Alger se divise 
        en trois grandes périodes(41) :
 à partir de l'installation de la suprématie ottomane jusqu'à 
        1587, ce fut l'époque des beylerbey (gouverneur) qui gouvernaient 
        avec l'assistance du Divan (dîwân, conseil) des janissaires 
        et dont l'autorité englobait l'ensemble des territoires ottomans 
        du Maghreb. En 1587, le Maghreb ottoman fut divisé en trois provinces 
        (vilâyet) : celle d'Alger, celle de Tunis et la province tripolitaine. 
        Ces provinces ayant été dénommées odjak, mot 
        qui sert normalement à désigner la milice, on mesure le 
        rôle essentiel des janissaires dans ces trois provinces(42).
 -------De 
        1587 jusqu'à 1711 Alger fut gouvernée par des pachas triennaux, 
        envoyés du centre de l'Empire. L'autorité des pachas semble 
        avoir été limitée à la seule population indigène 
        de la ville d'Alger et aux tribus de l'intérieur. Théoriquement 
        tout-puissants, les pachas étaient limités par le pouvoir 
        de la milice et de son Divan, et ils n'avaient aucune autorité 
        sur l'organisation des corsaires, la tâ'ifat al-ra'îs, qui 
        menait ses actions comme si elle faisait partie intégrante de la 
        flotte ottomane. La collecte des impôts et le maintien de l'ordre 
        public semblent avoir été les principales obligations de 
        ces pachas, avec bien entendu l'obligation d'assurer la paie de l' odjak.
 -------Les 
        pachas avaient gardé au moins une partie de leurs privilèges 
        et de leurs droits jusqu'à 1659. Cette année-là, 
        la révolte des agha les écarta définitive-ment du 
        pouvoir, en leur substituant d'abord des agha (1659-1671), remplacés 
        ensuite par les élus de la milice, les deys (en turc : dayï, 
        oncle maternel). Dès lors, va s'ouvrir le chapitre plutôt 
        mouvementé de l'histoire politique de la Régence, car, jusqu'ici, 
        en tant que représentants du sultan, la personne des pachas était 
        sacrée. Même lorsque les relations entre la milice et le 
        pacha s'avéraient mauvaises, la solution consistait dans le renvoi 
        de ce dernier et non pas dans son élimination physique(43). A partir 
        du moment où la personne qui tenait le pouvoir 
        ne bénéficiait plus du même prestige, l'assassinat 
        devint le moyen le plus efficace pour s'en débarrasser. C'est ainsi 
        que les quatre agha qui gouvernèrent entre 1659 et 1671 furent 
        assassinés, et qu'un seul des onze deys qui gouvernèrent 
        entre 1671 et 1710 connut une mort naturelle. Durant toute cette période 
        (1659-1710) des pachas continuèrent cependant à être 
        envoyés d'Istanbul à Alger.
 Milice et Tâ' ifa
 -------Bien que 
        les corsaires eussent été les initiateurs de l'inclusion 
        du Maghreb au sein de l'Empire ottoman, ce n'est qu'avec l'envoi d'une 
        armée terrestre, composée de soldats bénéficiant 
        des mêmes privilèges que ceux des janissaires, et avec la 
        création de la milice d'Alger, l'odjak, qu'avait eu lieu l'entrée 
        effective de cette région sous la souveraineté ottomane. 
        Depuis la création du vilayet d'Alger, il y avait donc eu deux 
        pouvoirs concurrents : tâ'ifat al-ra'îs (la corporation des 
        corsaires), qui s'occupait de tout ce qui avait trait à la marine, 
        y compris les relations avec les puissances étrangères. 
        Cette corporation de corsaires détenait une grande partie de la 
        richesse de la ville durant les XVIe et XVIIè siècles. Le 
        second pouvoir était détenu par la milice, responsable de 
        l'activité terrestre : défense du vilâyet contre l'ennemi 
        et collecte des impôts.-------Il 
        semble que la composition de la tâ'ifa (un grand nombre d'aventuriers 
        aux origines très variées, aussi bien des différentes 
        pallies de l'Empire ottoman que des pays européens, ou encore des 
        indigènes) et sa vocation (la guerre maritime) constituèrent 
        les principales raisons qui l'empêchèrent de prendre le contrôle 
        de la Régence d'une manière durable, et même, semble-t-il, 
        d'entre-tenir de véritables aspirations à gouverner. L'objectif 
        des corsaires dans la lutte entre la tâ'ifa et l'odjak ne semble 
        pas avoir été la prise de pouvoir dans le vilayet, mais 
        l'acquisition de plus de liberté d'action vis-à-vis de l'État, 
        ainsi que du centre de l'Empire ottoman. Sur ce point, les conclusions 
        de P. Boyer qui minimalise l'importance de cette lutte sont à notre 
        avis justifiées.(44). Cette lutte entre les deux corps n'affaiblissait 
        pas Alger car les intérêts communs entre la milice et la 
        marine corsaire étaient trop importants pour que leur riva-lité 
        refrène le développement de la Régence et de la course. 
        Quoi qu'il en soit, cette lutte resta " le pivot de l'évolution 
        de l'Algérie de la fin du xvie à la fin du xviie siècle(45) 
        ".
 -------Contrairement 
        à la tâ'ifa, la milice avait des aspirations durables au 
        contrôle de l'État. Son organisme permanent, le Divan des 
        janissaires, avait été destiné à diriger les 
        affaires de l'odjak. Regroupant (sous formes différentes) les plus 
        hauts gradés, le Divan avait une permanence qui le rendait beaucoup 
        plus apte a prendre des décisions que le chef de l'odjak, l'agha 
        des janissaires, dont le mandat ne durait pas plus de deux mois : aussi 
        devint-il un véritable appareil d'État. Dotée de 
        sources de revenus beaucoup plus limitées que celles de la tâ'ifa, 
        la milice avait cherché à contrôler la Régence, 
        ne fût-ce que pour assurer la régularité de sa paie. 
        C'est ainsi que l'on observe pendant la première.................suite 
        au prochain n°!!!
 
 1. A. Laroui, 1977, pp. 229-232 ; A. C. HEss, 1978, p. 46 ; R. MANTRAN, 
        1984, p. 3.
 2. N. BARBOUR, p. 133 ; C. A. JULIEN, pp. 251-253 ; J. M. ABUN-NASR, pp. 
        159-161..
 3. Nous remercions A. Raymond d'avoir mis à notre disposition le 
        plan de base de la ville d'Alger que nous avons utilisé dans la 
        présente recherche. Le plan numéro I est tiré de 
        A. RAYMOND, 1985, p. 333. Les renvois sans référence concernent 
        tous le plan I.
 4. Sur l'ancienne Qasba, cf. E. PASQUALI, pp. 39-43 ; G. DELPHIN, p. 219 
        ; F. CRESTI, 1982, p. 13. On trouve dans des actes de wagf la mention 
        du quartier de l'ancienne Casbah avec l'indication qu'il s'agit dudit 
        Sîdî Ramdân : CAOM 1 Mi 70 (20), pp. 46, 48. Cf. aussi 
        : A. DevouLX, " Édifices ", ch. LXXXIV.
 5. A. C. HESS, 1978, p. 157.
 6. Idem, 1968, p. 7. Sur les origines du mot " course ", et 
        sur les différences entre la piraterie et la course maritime, cf. 
        A. BASHAN (Sternberg), 1970, p. 86.7. Y. Bù 'Azlz, pp. 134-135.
 8. V. Y. BouTIN, p. 36.
 9. Ibid., op. cit., p. 32.
 10. E. PASQUALI, p. 17. Cf. LE TOURNEAU, " al-Djzâ'îr 
        ", pour qui la longueur de la muraille s'élève à 
        3 100 mètres, et A. C. HESS, 1978, p. 165.
 11. P. BoYER, 1963, pp. 35-36 ; H. KLEIN, p. 75.
 12. Sur le système de défense d'Alger, cf. J. A. PEYSSONNEL, 
        pp. 247-250, M. BELHAMtsst, pp. 24-28 et V. Y. BouTIN.13. Il y avait plusieurs 
        maisons de campagne à l'extérieur de l'enceinte, mais n'étant 
        que des logements secondaires, elles ne peuvent être considérées 
        comme la manifestation d'une croissance extra-muros. D'après HAt:DO 
        (1870, p. 433), un " magnifique faubourg " de mille cinq cents 
        maisons à côté de la porte de Bâb 'Azzûn 
        fut entièrement détruit par le pacha 'Arab Ahmad en 1573, 
        afin qu'elles ne servent pas d'abri aux ennemis dans une éventuelle 
        attaque.
 14. M. BELHAMISSI, p. 29.
 15. L. D'ARVIEUx, p. 232.
 16. G. DELPHIN, p. 220.
 17. A. DEVOULx, " Ahad Aman ", p. 215.
 18. A. RAYMOND, 1985, p. 171. Le plan de la Casbah est publié par 
        E. PASQUALI, pp. 12-13, ainsi que par M. BELHAMISSI, 1990, pp. 88-89. 
        Dans les deux cas il s'agit d'une reproduction du croquis du commandant 
        Filhon, ingénieur géographe en chef de l'expédition 
        de 1830, réalisé donc au moins treize ans après que 
        la Casbah fut devenue le siège du dey.
 19. A. RAYMOND, 1985, pp. 163-167 ; E. CRESTI, 1990, pp. 53-54.20. On 
        estime à 1 500 000 le nombre total des expulsés musulmans 
        depuis 1492, répartis sur tout le Maghreb. Cf. E. PASQUALI, p. 
        57.
 21. D. HAËDO, 1870, p. 495.
 22. A. RAYMOND, 1985, p. 124 ; A. RAYMOND, 1994, pp. 2 000-2 001.23. Tachrifat, 
        p. 20. Cf. aussi : AL-ZAHÂR, p. 24 ; H. KLEIN, p. 26 ; F. CRESTI, 
        1990, p. 47.
 24. CAOM 15 Mi 19, vol. 70, 71, 72. En A H 1131 / 1718-1719, la corporation 
        payait des salaires à vingt-cinq personnes.
 25. TACHRIFAT, p. 22 ; L. DE TAssy, p. 101 ; M. ROZET, p. 96 ; E. PASQUALI, 
        pp. 54-55.
 26. L. DE TASSY, p. 142 ; LA. PEYSSONNEL, p. 239 ; TACHRIFAT, p. 22 ; 
        VENTURE DE PARADIS, p. 256 ; " Ministère de la Guerre ", 
        p. 186 ; P. BOYER, 1963, pp. 120-126 ; M. HOEXTER, 1982, p. 123. Sur la 
        signification du terme mizwâr et sur ses origines, ainsi qu'une 
        note bibliographique concernant ce préposé, cf. M. HOEXTER, 
        1982, pp. 120-121 et note 4, p. 120.
 27. M. HOEXTER, 1982, p. 144.
 28. Idem, 1979, p. 88.
 29. Cf. A. RAYMOND, 1973, pp. 442-443 ; A. MARCUS, p. 325.
 30. Sur l'encadrement de la population en corporations, aussi bien celles 
        de métier que les " corporations communautaires ", leur 
        fonctionnement, et les rôles des chefs des corporations à 
        l'époque ottomane, cf. M. HOEXTER, 1979, pp. 1-96.
 31. Le titre de ces responsables étaient normalement amîn, 
        mais il y avait aussi le muqadim de la communauté juive, ainsi 
        que le qâ'id des affranchis noirs. Cf. à ce sujet, M. HOEXTER, 
        1979, p. 21.32. M. HOEXTER, 1979, p. 21.
 33. Idem, 1983, pp. 22-24.
 34. Idem, 1979, p. 88.
 35. Sur la ségrégation au niveau des corporations de métiers, 
        cf. M. HOEXTER, 1979, pp. 29-33 ; H. TOUATI, pp. 277-280.
 36. TACHRIFAT, p. 23 ; " Ministère de la Guerre ", p. 
        186.
 37. TACHRIFAT, pp. 22-23 ; R. Le Tourneau, p. 35.
 38. Sur la taxation à Alger, cf. M. HOEXTER, 1983, pp. 19-39.
 39. M. RozET, p. 88. Cf. aussi, M. HOEXTER, 1979, p. 60.
 40. VENTURE DE PARADIS, p. 194.41. Tout ce développement est basé 
        essentiellement sur H.-D. DE GRAMMONT ; C. A. JULIEN, pp. 250-302 ; R. 
        LE TOURNEAU ; A. RAYMOND, 1970 ; P. BOYER, 1970, pp. 99-124 ; R. MANTRAN, 
        1984, pp. 1-14.
 42. R. MANTRAN, 1993, p. 133. Le mot odjak signifie " foyer ". 
        Sur les origines de ce mot et les différences d'utilisation entre 
        Alger et Istanbul, cf. J. DENY, pp. 36-37.
 43. H.-D. DE GRAMMONT, p. 227.44. P. BOYER, 1973, pp. 168-169. Cf. aussi 
        : R. MANTRAN, 1984, p. 5.
 45. A. RAYMOND, 1989, p. 407.
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