| -------------L'Afrique 
        que nous avons considérée jusqu'à présent 
        est celle du second siècle et du commencement du troisième, 
        celle qui est pacifique, bien organisée, prospère, qui s'est 
        assimilé la culture romaine, et qui, en la personne de Septime 
        Sévère, né à Leptis en Tripolitaine, arrive 
        à la tête de l'Empire. Il nous reste à voir, à 
        grands traits, comment cette Afrique s'est défaite, et pour quelles 
        raisons l'empreinte romaine, qui semblait si forte et si durable, s'est 
        effacée sans presque laisser de traces. *** -------------Nous 
        avons indiqué déjà, en parlant du christianisme, 
        que des prodromes de désorganisation, de désagrégation 
        pouvaient se deviner dès la fin du second siècle, à 
        l'époque où les églises chrétiennes se multiplient 
        et résistent aux persécutions. Le christianisme, avons-nous 
        dit, n'est pas responsable de l'effondrement de l'Empire ; mais il est 
        un symptôme entre plusieurs autres d'un changement dans l'esprit 
        général. Les liens sociaux se relâchent, le patrimoine 
        romain s'affaiblit : la cité de Dieu, la Jérusalem céleste 
        à laquelle les croyants aspirent, leur fait perdre de vue l'Etat 
        et l'intérêt collectif ; chez les non-chrétiens, de 
        même, des préoccupations soit mystiques, soit égoïstes, 
        oblitèrent les sentiments de loyalisme, de solidarité, de 
        dévouement à la chose publique qui étaient indispensables 
        pour maintenir la cohésion d'un grand Empire. Ce changement dans 
        les dispositions intimes des individus, dans les âmes des hommes 
        qui vivent à l'intérieur des frontières romaines, 
        prépare la dislocation de tout l'édifice.
 -------------Cette 
        dislocation commence à se réaliser aussitôt après 
        le règne des Sévères. Alexandre Sévère, 
        le dernier empereur de cette dynastie, meurt en 235 ; c'est en 238, sous 
        le règne de son successeur Maximin, que s'ouvre pour l'Afrique 
        l'ère, déjà ouverte pour d'autres provinces, des 
        agitations et des incertitudes.
 
 -------------Le 
        premier tiers du IIIè siècle appartient donc à la 
        période brillante de l'Afrique romaine. Après coup, nous 
        y découvrons des indices annonçant la décadence ultérieure 
        ; mais les yeux des contemporains ne pouvaient les percevoir ; ce qui 
        frappait leur attention, c'était le nombre croissant des villes 
        africaines, les progrès du défrichement et du commerce, 
        le peu de distance qui séparait, dans la vie matérielle 
        et morale, un Berbère romanisé d'un Romain de Rome.
 
 -------------Un acte législatif, au cours 
        de ce premier tiers du III, siècle, fut la consécration 
        de l'ceuvre de romanisation accomplie en Afrique et dans toutes les provinces 
        romaines : ce fut l'Edit de Caracalla, en 212, par lequel cet empereur 
        accordait le droit de cité romaine à tous les hommes libres 
        de l'Empire. Il n'y eut plus désormais, dans l'Empire, une classe 
        de citoyens maîtres et une classe de citoyens sujets : tous ceux 
        qui étaient nés dans des conditions régulières, 
        et dans une localité où les actes d'état civil étaient 
        tenus à jour, étaient citoyens romains au même titre 
        que ce qui restait des Romains de vieille souche. Pratiquement, dans l'Afrique 
        du Nord, seuls dès lors, durent se trouver exclus de la cité 
        romaine les nomades, et ceux des indigènes qui, rebelles à 
        la vie en groupe, s'obstinaient à vivre épars et farouchement 
        isolés dans les parties rurales des territoires municipaux.
 
 -------------On 
        a souvent blâmé comme imprudente et funeste pour Rome la 
        mesure prise par Caracalla. On lui a reproché d'avoir transformé 
        en Romains d'apparence, en Romains purement nominaux, des Barbares véritables, 
        qui n'apportaient à l'Empire qu'un élément de faiblesse 
        et une cause de dissociation. http:// perso. wanadoo. fr/bernard.venis. 
        En réalité, l'Edit de Caracalla, dicté à l'empereur 
        par les juristes de son entourage, faisait les réserves nécessaires 
        pour les gens incorrigiblement réfractaires à la vie romaine 
        ; et l'on peut dire qu'il enregistrait un fait acquis beaucoup plus qu'il 
        ne créait une situation nouvelle. Petit à petit, par le 
        jeu normal des institutions et des habitudes, beaucoup d'individus, de 
        familles, de groupes étaient entrés dans la cité 
        romaine. En généralisant cet accès à la cité, 
        Caracalla ne faisait qu'étendre assez faiblement la portée 
        des mesures prises par ses prédécesseurs ; il se bornait 
        à constater que dans toutes les parties de l'Empire s'était 
        établi un niveau moyen de romanisation, un fond commun d'idées 
        et d'habitudes.
 
 -------------Ce 
        qui est vrai, c'est que par cet octroi global du droit de cité 
        l'empereur perdait un moyen d'entretenir, par l'émulation, le loyalisme 
        et le dévouement des populations soumises. Désormais, la 
        cité romaine n'apparaissait plus comme une récompense ; 
        elle allait de soi, il suffisait de naître pour en jouir. Un ressort 
        qui avait longtemps joué dans l'intérêt de Rome était 
        maintenant détendu ; mais c'est parce qu'il avait produit tout 
        son effet. L'Edit de Caracalla traduisait, dans un texte législatif, 
        ce fait que les populations provinciales paraissaient définitivement 
        et complètement adaptées à la civilisation romaine.
 *** -------------C'est 
        donc avec l'apogée de l'Afrique romaine que coïncide cet édit, 
        et, d'une façon générale, le règne des Sévères. 
        Aussitôt après, les forces de désagrégation, 
        qui étaient latentes sous les apparences d'ordre et d'équilibre, 
        commencent à jouer.
 -------------Les 
        deux derniers tiers du IIIè siècle voient en effet se passer 
        en Afrique des événements que ne, connaissaient guère 
        les générations précédentes. D'abord, l'Afrique 
        participe aux troubles civils : dans les cinquante années d'anarchie 
        qui vont de 235 à 285, où chaque province, chaque armée 
        tour à tour proclame un empereur, où des règnes éphémères 
        se succèdent au milieu des guerres civiles et des dévastations, 
        l'Afrique, elle aussi, fournit à l'histoire son contingent d'usurpateurs 
        inégalement heureux. C'est en Afrique, particulièrement, 
        qu'est proclamé, en 238, l'empereur Gordien. Les luttes auxquelles 
        cette proclamation donne lieu entraînent la dissolution de la légion 
        d'Afrique : pendant quinze ans, de 238 à 253 (date à laquelle 
        la Troisième Légion est reformée), l'Afrique n'a 
        plus sa garnison habituelle, remplacée par des détachements 
        pris temporairement à d'autres provinces [et par les troupes auxiliaires, 
        notamment les Pannoniens, déjà stationnés en Afrique]. 
        Ainsi les compétiteurs impériaux n'hésitent pas, 
        pour satisfaire leurs rancunes personnelles, à prendre des mesures 
        qui sont de nature à affaiblir beaucoup l'autorité romaine.torité 
        romaine.
 -------------En 
        fait, on voit les indigènes s'agiter beaucoup plus que par le passé 
        ; et leurs mouvements prennent une extension, un caractère de généralité 
        qu'ils n'avaient jamais eu. Deux éléments, selon toute vraisemblance, 
        y prennent part : d'un côté, les tribus restées insoumises, 
        dans les massifs réfractaires comme la Kabylie et l'Aurès, 
        ou sur les frontières méridionales du territoire romain 
        ; d'un autre côté, des Berbères romanisés qui 
        se sentent capables de vivre par euxmêmes, qui se détachent 
        de l'Empire, et dont les chefs aspirent à une souveraineté 
        indépendante. Dans les années 258-260, une grave insurrection 
        inquiète les confins de la Numidie et de la Maurétanie. 
        A la fin du siècle, des troubles plus inquiétants encore 
        se prolongent pendant une dizaine d'années, de 289 à 298, 
        et l'intervention personnelle de l'empereur Maximien est nécessaire 
        pour le rétablissement de l'ordre. Les monuments archéologiques 
        nous font constater le sentiment d'insécurité qui se répand 
        dans l'Afrique romaine : c'est à cette époque qu'on fortifie 
        les villes, les villages, les fermes isolées ; on multiplie les 
        postes de guet et les fortins. -------------À 
        la fin du IIIèsiècle et au commencement du IVe siècle, 
        des empereurs énergiques et qui ont de hautes qualités d'administrateurs, 
        Dioclétien et Constantin, font un grand effort pour remettre l'Empire 
        en ordre. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Ils déterminent 
        une renaissance réelle, si l'on compare l'état de l'Empire 
        sous leurs règnes à ce qu'il était pendant le demi-siècle 
        d'anarchie qui les a précédés ; mais dans leurs réformes 
        même, dans l'organisation administrative qu'ils donnent à 
        l'Afrique, on sent le progrès de la dissolution qui s'affirme irrésistiblement.
 -------------C'est 
        en effet de cette désagrégation que le nombre des provinces, 
        sous Dioclétien, s'accrut beaucoup. La Proconsulaire forma trois 
        provinces : Proconsulaire proprement dite, ou Zeugitane, avec Carthage 
        pour chef-lieu ; Byzacène, ayant pour chef-lieu Sousse ; Tripolitaine. 
        La Numidie fut divisée en deux : Numidie du Nord ou de Cirta, et 
        Numidie militaire, ayant toujours sa capitale à Lambèse. 
        Une province nouvelle, la Maurétanie Sitifienne, avec Sétif 
        pour chef-lieu, fut détachée de la Maurétanie Césarienne. 
        L'Afrique romaine se trouvait donc partagée en huit provinces ; 
        et l'une de ces huit provinces, la Maurétanie Tingitane. était 
        séparée du reste de l'Afrique pour être rattachée 
        officiellement au groupe de provinces d'Espagne, dont elle formait la 
        tête de pont.
 
 -------------À 
        vrai dire, une de ces subdivisions fut supprimée par Constantin 
        : il n'y eut plus, après lui, une Numidie militaire distincte de 
        la Numidie de Cirta, mais une seule Numidie ayant pour capitale Cirta, 
        appelée désormais Constantine. L'Afrique n'en restait pas 
        moins divisée, comme le reste de l'empire, en une série 
        de petits compartiments isolés, à cloisons étanches 
        ; les barrières administratives et économiques se trouvaient 
        multipliées. Les empereurs diminuaient ainsi le pouvoir des gouverneurs 
        de province, dont ils craignaient l'ambition ; leur surveillance soupçonneuse 
        s'exerçait plus efficacement sur des fonctionnaires à attributions 
        restreintes ; la filière bureaucratique s'allongeait, le formalisme 
        et la complication des rouages administratifs s'accroissaient, les inspecteurs 
        se multipliaient. Mais ce compartimentage était au détriment 
        de la vie réelle et de la prospérité du pays.
 
 -------------La 
        même politique soupçonneuse avait conduit les empereurs à 
        séparer complètement l'autorité civile et le commandement 
        militaire : il y avait dans chaque province un praeses, 
        gouverneur civil chargé de la besogne administrative et judiciaire. 
        Il y avait d'autre part des chefs militaires ou duces, 
        dont les districts ne coïncidaient pas nécessairement avec 
        les provinces civiles. Il n'y avait ni liaison ni subordination des uns 
        aux autres : l'autorité directe de Rome s'exerçait dans 
        les deux domaines.
 
 -------------Enfin, 
        l'armée même était fractionnée en un grand 
        nombre de petits corps. Une légion, après Dioclétien, 
        n'a plus qu'un effectif de 1.000 hommes ; et les autres corps sont à 
        l'effectif de 500. Composée de ces corps de nouveau type, l'armée 
        d'Afrique, au IVe siècle, avait un effectif un peu supérieur 
        à celui du le' et du Ile siècle ; mais, brisée en 
        trop nombreuses unités, cette armée n'avait plus la souplesse, 
        la solidité, l'efficacité de celle du Haut-Empire. http:// 
        perso. wanadoo. fr/bernard.venis. Elle était de moins en moins 
        romaine aussi, parce que les Barbares des frontières, payés 
        par Rome pour garder ces frontières que d'eux-mêmes ils auraient 
        volontiers attaquées, faisaient partie intégrante de l'armée 
        nouvelle. Extérieurement, la puissance romaine, en Afrique, n'a 
        pas changé : la frontière, [plus solidement organisée 
        que jamais, avec un réseau de tours de guet, de forts, de fortins 
        et de camps, tout au long d'un fossé qui marque la ligne de défense 
        la plus intérieure], suit toujours à peu près la 
        ligne qu'elle suivait sous les Sévères ; il semble seulement 
        qu'on ait abandonné les postes avancés lancés au 
        delà de ce limes. Mais, derrière le limes maintenu, l'armée 
        n'est plus un outil de romanisation : disséminée un peu 
        partout, elle surveille les mouvements des indigènes, et beaucoup 
        de ceux qui la composent seraient à l'occasion disposés 
        à seconder ces mouvements, parce que l'image de Rome s'efface chaque 
        jour un peu plus des esprits. L'invasion barbare, favorisée par 
        la dépopulation de l'Empire, se fait un peu chaque jour, par infiltration.
 |  | -------------Avec 
        Constantin, les persécutions contre le christianisme ont cessé. 
        C'est un élément de discorde qui a disparu. Mais la situation 
        ne s'est pas améliorée pour cela, car l'hostilité 
        qui n'est plus entre païens et chrétiens est maintenant à 
        l'intérieur de la chrétienté. Les discussions sur 
        la conduite tenue par les fidèles lors de la persécution 
        de Dioclétien, les reproches des intransigeants à ceux qui, 
        au cours de la persécution, ont faibli ou paru faiblir, et les 
        rivalités personnelles qui se greffent sur ces débats déterminent, 
        au début du IV, siècle, un schisme. Les élections 
        épiscopales de Cirta en 305, de Carthage en 311 séparent 
        de l'orthodoxie catholique ceux que, du nom d'un de leurs chefs, on appelle 
        les Donatistes. Bientôt il y a, dans presque toutes les localités, 
        un évêque et une église donatistes en concurrence 
        avec l'évêque et l'église catholiques ; et bien que 
        les empereurs accordent assez régulièrement leur appui aux 
        catholiques, le schisme donatiste se maintient et lutte longtemps à 
        forces égales. Des haines violentes séparent les deux partis 
        : il y a des bagarres et des batailles fréquentes. http:// perso. 
        wanadoo. fr/ bernard.venis. Les Donatistes ont des auxiliaires terribles 
        : des troupes de paysans révoltés, que la misère 
        a fait tourner à l'état sauvage, qu'en même temps 
        une sorte d'enthousiasme mystique soulève et qui croient leurs 
        violences inspirées de Dieu. Ce sont les circoncellions, qui vont 
        de ferme en ferme, circum cellas, non plus pour trouver du travail, comme 
        au temps de la prospérité, mais pour piller et tuer, avec 
        une sorte de frénésie de destruction. C'est la détresse 
        des campagnes qui a déterminé la formation de ces bandes 
        ; mais elles-mêmes contribuent à rendre les campagnes de 
        plus en plus désertes et misérables, en anéantissant 
        ce qu'elles rencontrent et en rendant dangereuse toute circulation.
 -------------Dans 
        ce désordre matériel et moral, les révoltes indigènes 
        ne peuvent manquer de se produire. Un prince indigène, Firmus, 
        soulève la Maurétanie en 372, et cherche à devenir 
        le chef d'un état indépendant : il faut quatre ans d'efforts 
        au meilleur général de l'époque, Théodose, 
        pour le réduire. C'est que les Donatistes ont donné à 
        Firmus un appui énergique. Un frère de Firmus, Gildon, fidèle 
        d'abord aux Romains, reçoit d'eux, en 386, la charge de gouverner 
        l'Afrique ; à son tour, il veut se tailler une principauté 
        indépendante, et compte sur l'appui des Donatistes : en 396, il 
        est battu. Mais chacune de ces campagnes augmente l'étendue des 
        destructions et l'insécurité du pays.
 
 -------------La 
        condamnation définitive du donatisme, en 411, à la suite 
        d'une conférence contradictoire tenue à Carthage entre évêques, 
        sous la présidence d'un représentant de l'empereur, ne suffit 
        pas à rétablir la paix. Dès ce moment, les Barbares 
        ont largement pénétré dans l'empire, en Gaule, en 
        Bretagne, en Espagne : il est inévitable qu'ils parviennent jusqu'à 
        l'Afrique. Des intrigues de cour les y aident : le commandant des troupes 
        de l'Afrique proconsulaire, le comte Boniface, menacé dans sa vie 
        par une dénonciation accueillie contre lui à la cour impériale, 
        appelle à son secours les Vandales, installés en Espagne 
        ; une fois introduits en Afrique, et conduits par un grand chef, Genséric, 
        ils ne laissent ni Boniface ni les empereurs limiter leur part de souveraineté 
        : en deux années, 429 et 430, ils conquièrent l'Afrique, 
        du détroit jusqu'au delà de Bône ; en 439, ils prennent 
        Carthage. Genséric consent bien à rendre momentanément 
        à l'empereur les Maurétanies, mais c'est pour les reprendre 
        en 455, et l'autorité des rois vandales est, à partir de 
        ce moment, la seule qui existe en Afrique.
 
 -------------Cette 
        autorité est renversée au VIè siècle par l'Empire 
        byzantin : en 534, une armée envoyée par Justinien bat le 
        dernier roi vandale, et, en deux ans, l'Afrique est remise dans la dépendance 
        de l'empereur d'Orient. Les généraux byzantins repoussent 
        ensuite, au cours du VIe siècle, des attaques de princes indigènes 
        contre leurs possessions.
 
 -------------Mais 
        ce qu'il faut noter, pour les Vandales comme pour les Byzantins, c'est 
        qu'ils ne tiennent le pays que de façon incomplète. Les 
        Vandales ont chassé d'Afrique la puissance romaine : seulement 
        ils n'ont pas pu y substituer la leur. Peu nombreux, vite amollis par 
        le climat africain et la vie qu'ils menaient dans les belles villas des 
        environs de Carthage, ils ont laissé, en fait, les Berbères 
        recouvrer leur indépendance dans une bonne partie des provinces. 
        C'est ce qui explique la rapidité de leur chute : leur royaume 
        n'était qu'une façade. A leur tour les Byzantins ont dû 
        se contenter d'assez peu de chose : beaucoup de régions de l'intérieur 
        et de l'Ouest leur sont restées fermées ; à l'Ouest 
        de Sétif, ils n'occupaient que quelques points sur la côte 
        ; là où ils étaient, ils se sentaient peu en sûreté, 
        et c'est ce que prouvent les énormes forteresses bâties à 
        la hâte qu'ils ont laissées un peu partout en souvenir de 
        leur passage. Aussi n'ont-ils pas pu, eux non plus, résister longuement 
        à un agresseur : et la conquête musulmane, dans la seconde 
        moitié du VII siècle, n'eut dans les Byzantins que des adversaires 
        médiocres ; c'est des Berbères que vinrent les vraies difficultés.
 
 -------------Ainsi, 
        soustraite par les Vandales, en 430, à la puissance de Rome, l'Afrique 
        du Nord est restée, à partir de cette date, livrée 
        à elle-même, et n'a connu que sur des territoires limités 
        l'influence effective des Vandales et des Byzantins. La date de 430, pour 
        l'Afrique, marque donc, en même temps que la fin de la période 
        romaine, la fin de la romanisation. Matériellement, c'est à 
        partir de cette date que beaucoup de villes romaines ont été 
        attaquées par les tribus restées nomades et pillardes, dévastées, 
        dépeuplées ; moralement, dans les mêmes années, 
        tout ce qu'avaient apporté les Romains, institutions, murs, 
        langue, commence à disparaître.
 
 -------------Bien 
        entendu, tout ne s'efface pas d'un seul coup : il y a une vitesse acquise 
        qui prolonge les traces de l'époque omaine en Afrique. Des communautés 
        chrétiennes se maintiennent, avec quelques évêques, 
        jusqu'au XIe siècle ; des traditions, des techniques romaines survivent 
        dans les métiers et dans les arts. Mais au bout de quelques siècles 
        ces traces même s'effacent. Aucune langue romaine n'a vécu 
        dans l'Afrique du Nord ; http:// perso. wanadoo. fr/ bernard. venis. aucun 
        groupe chrétien ne s'y est maintenu, comme il arrivait ailleurs 
        en pays musulman, par exemple en Syrie ; rien de romain n'est resté 
        dans les institutions. Les détails de moeurs, de coutume, de construction 
        où l'on a parfois proposé de voir des survivances romaines 
        s'expliquent par l'identité des conditions géographiques 
        dans les différents pays méditerranéens. De toutes 
        les régions sur lesquelles s'était étendue la civilisation 
        romaine, il n'y en avait peut-être aucune qui eût montré 
        plus d'aptitude à s'assimiler cette civilisation ; et il n'y en 
        a aucune où cette civilisation ait été aussi complètement 
        abolie.
 
 -------------Cette 
        extirpation radicale du passé romain s'explique avant tout, évidemment, 
        par le caractère de la religion islamique, par son incompatibilité 
        avec tout ce qui n'est pas elle-même, par le bloc d'institutions 
        et de moeurs qu'elle lie indissolublement à 
        la foi. Mais une disparition aussi complète suppose en outre, dans 
        la romanisation de l'Afrique, des vices internes, des lacunes qu'il convient, 
        en terminant, d'indiquer avec brièveté.
 
 -------------En 
        premier lieu, il n'y a pas eu, de la part des Romains, extension suffisante 
        du territoire soumis. Limités par la pauvreté des moyens 
        matériels de la civilisation antique, ayant en outre assez souvent 
        le tort de s'en tenir à une politique timide, à courte vue, 
        ils ont commis la faute de ne pas s'avancer assez loin en Afrique. Ils 
        ne semblent pas avoir tenu le Sahara, à peine en auraient-ils reconnu 
        les abords. Dans la région correspondant aux départements 
        d'Alger et d'Oran, ils n'ont occupé vraiment qu'une bande littorale 
        assez étroite. C'était rendre précaire la possession 
        du Tell, que de le laisser en bordure d'un hinterland inconnu, inexploré, 
        plein de menaces ; et encore les Romains toléraient à l'intérieur 
        du Tell des cantons mal pénétrés et peu soumis. La 
        masse territoriale des possessions romaines en Afrique était insuffisamment 
        lourde, et pas assez compacte.
 
 -------------En 
        second lieu, une faiblesse venait du fait que j'ai signalé, le 
        manque d'éléments immigrés. Les Berbères avaient 
        été romanisés de l'extérieur, par des instructeurs 
        ; mais ils étaient restés Berbères et entre Berbères. 
        Très peu d'unions s'étaient faites entre Berbères 
        et non Berbères. Il n'y avait pas eu ce mélange, ce brassage 
        d'éléments hétérogènes qui est nécessaire 
        peut-être pour qu'une civilisation soit vigoureuse et tenace. La 
        romanisation a conservé un peu, en Berbérie, le caractère 
        d'un enduit superficiel. Elle n'a pas pu résister à la poussée 
        du vieux fond autochtone, le jour où la coupure des liens politiques 
        a forcé la Berbérie à vivre indépendamment 
        de Rome. Et nous constatons ici un effet local du phénomène 
        qui est la grande faiblesse de la Rome impériale, la dépopulation, 
        la disparition des éléments proprement romains et italiens.
 
 -------------En 
        troisième lieu, dans l'effondrement de la culture romaine en Afrique, 
        la crise économique a une grande part. Cette crise économique, 
        à partir du milieu du III' siècle, a été générale 
        dans le Monde Romain : partout la production et 
        les échanges ont été troublés et ralentis 
        ; il n'y a, pour en avoir le signe tangible, qu'à suivre l'altération 
        progressive des monnaies, pièces d'or dont le titre et le poids 
        diminuent de façon constante, pièces d'argent d'où 
        l'argent finit par être complètement absent. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. 
        En Afrique, la crise est particulièrement grave, parce qu'elle 
        rend intolérable l'existence de toute une catégorie de gens, 
        les colons, les travailleurs attachés à un sol dont ils 
        ne sont pas propriétaires. Ruinés par les corvées, 
        par la mévente, par les manoeuvres des gros propriétaires 
        dont ils dépendent, ils veulent sortir d'une société 
        où ils sont misérables. La voie tout indiquée, c'est 
        le retour à la société indigène d'où 
        la plupart tirent leur origine, c'est l'abandon des moeurs romaines pour 
        l'ancienne sauvagerie ; et beaucoup de ces malheureux grossissent les 
        bandes fanatiques des Circoncellions, participent 
        à ce que l'on a appelé cette " jacquerie ". La 
        société romaine a été peu solide, parce qu'elle 
        laissait une trop grande différence entre les conditions de vie 
        du gros propriétaire ou du gros fermier et celles de l'ouvrier 
        agricole, dans un pays où toute l'existence économique reposait 
        sur l'agriculture. Elle a succombé parce qu'elle n'a pas su faire 
        le nécessaire pour donner à ceux qui la composaient l'impression 
        d'une solidarité.
 
 -------------Ainsi, 
        insuffisance de l'espace occupé, rareté des éléments 
        romains ou tout au moins non-berbères dans la population, mauvais 
        ajustement des conditions économiques et du régime de la 
        propriété, telles sont les raisons pour lesquelles l'assimilation 
        n'a pas été très durable ; elles se sont manifestées 
        dès qu'il y a eu fléchissement dans le fonctionnement de 
        l'Empire, et les Berbères se sont retrouvés à peu 
        près dans l'état préromain de pensée et de 
        coutumes. Et il va sans dire qu'on ne saurait transporter telles quelles 
        et considérer comme valables pour l'Afrique moderne les réflexions 
        provoquées par l'Afrique romaine ; mais il y a lieu du moins de 
        ne pas négliger les indications qu'elles contiennent : examinées 
        avec précaution, les expériences romaines peuvent, dans 
        une certaine mesure, guider les nôtres.
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